Semaine 53

  • Chémot
Editorial

Question de temps

Le temps a toujours modelé la vie des hommes. C’est lui qui donne son rythme et sa couleur aux sociétés dont il égrène la durée. Ceux qui y vivent finissent naturellement par le considérer comme un élément incontournable, comparable au ciel et à la terre ou à l’air qu’on respire. Pourtant, il n’est pas seulement cet instrument de mesure, utile et neutre, que l’on voudrait y voir. Il est aussi rythme d’une culture, porteur d’une vie sociale, d’une certaine manière horizon de la pensée commune.
Pour la tradition juive, il a toujours été la pierre angulaire du grand édifice de la vie collective et individuelle. Semaine juive couronnée par le Chabbat, mois juif ouvert par le Roch Hodech, périodes scandés par les fêtes: les Juifs ont toujours su construire un temps qui ne soit pas seulement social mais surtout spirituel. Le rythme de leur calendrier répond ainsi au souffle de leur âme. Sans doute est-ce pour cela que ses jours et ses heures sont, pour chacun de nous, une musique d’une incomparable douceur.
C’est dire que le temps est loin d’être un phénomène anodin et que le déroulement de l’année traduit des idées plus importantes et plus profondes que la feuille arrachée d’un éphéméride. Alors que les guirlandes électriques se multiplient dans les rues, il faut savoir s’en souvenir. Notre temps n’est décidément pas celui des lumières artificielles. Il est celui qui éclaire les esprits et les cœurs. Notre temps n’est pas non plus celui des réjouissances de commande. Il est celui de l’allégresse éternelle du lien avec D.ieu.
A l’heure où d’autres modèles sont ainsi proposés, il faut comprendre l’enjeu du choix. Quand, Chabbat après Chabbat, monte la flamme des bougies, quand leur lumière rejette la montée des ombres, il faut savoir laisser pénétrer dans nos demeures la paix et la sérénité, et finalement le bonheur. Décidément le temps en est bel et bien venu.

Etincelles de Machiah

Juste un petit moment

Faisant référence à la venue de Machia'h, D.ieu annonce (Isaïe 24:7): "Pour un petit moment, Je t'ai abandonné mais avec une grande miséricorde Je te rassemblerai". Le rapport établi par ce verset entre "le petit moment" d'abandon et la "grande miséricorde" doit être analysé plus attentivement.
De fait, le message est important. Ce texte signifie que, lorsque Machia'h viendra, et que la miséricorde divine sera manifeste, chacun verra que la durée totale de l'exil n'aura finalement été qu'un "petit moment".
(d'après Séfer Hamaamarim 5700, p. 10)

Vivre avec la Paracha

Nous connaissons tous l'histoire de la mère de Moché. Pour le sauver du décret de Pharaon ordonnant de jeter tous les nouveau-nés mâles dans le Nil, elle plaça le nourrisson de trois mois dans une corbeille et le cacha dans les roseaux qui poussaient sur les bords du fleuve. Nous connaissons également l'issue heureuse de cet épisode: la fille de Pharaon découvrit le bébé qui pleurait alors qu'elle allait se baigner dans la rivière et elle décida de l'élever au palais royal.
Cependant, un détail de ce récit jette quelque confusion. Où, exactement, la corbeille de Moché fut-elle placée? Dans le récit de la Torah, nous lisons: "Et elle le plaça dans les joncs, sur la rive du fleuve". Ainsi, si l'on observe avec précision ces mots, l'on constate que Moché ne fut donc pas placé dans le Nil lui-même mais sur les bords du fleuve. Quelques versets plus tard, cependant, la Torah nous dit que la fille de Pharaon nomma l'enfant qu'elle avait trouvé: "Moché" ("celui qui a été tiré") "parce que je l'ai tiré de l'eau".
La Torah sert de plan à D.ieu pour la Création. Chacun de ses détails prend pour nous une importance fondamentale, nous apportant un enseignement éternel. Si la Torah nous indique que la mère de Moché le déposa SUR la rive, cela signifie qu'elle-même ne pouvait le placer dans le fleuve. Si la Torah nous précise que par la suite, la fille de Pharaon l'extraya des eaux du fleuve, cela veut dire qu'il est crucial qu'il ait été DANS la rivière à ce moment précis. Et si la Torah prend la peine de nous relater tout cela, cela signifie que c'est important pour notre compréhension de l'événement et pour ce qu'il implique dans notre vie, aujourd'hui.

Purger le Nil
Le Gaon de Ragatchov (Rabbi Yossef Rosen, 1858-1936) propose une explication hala'hique (qui va dans le sens de la législation de la Torah) pour le changement de l'emplacement de la corbeille. La mère de Moché ne pouvait initialement le placer dans le Nil car cette rivière était adorée par les Egyptiens comme une divinité et qu'il est interdit d'utiliser un objet de culte idolâtre même pour sauver sa vie. Néanmoins, la loi de la Torah stipule également que si un idolâtre renonce à son idole, elle devient "annulée" et on peut alors l'utiliser. Nos Sages expliquent que Batia, la fille de Pharaon "descendit à la rivière pour se baigner", non seulement au sens propre, mais également pour se purifier des idoles de son père. Sa renonciation au paganisme de l'Egypte annula le statut d'idole de la rivière et ses eaux purent désormais recevoir et abriter Moché. C'est à ce moment que la corbeille de Moché glissa dans la rivière.
Mais pourquoi était-il important que Moché soit à l'intérieur du Nil? Le Midrach nous relate que les astrologues du Pharaon lui avaient prédit que "le sauveur d'Israël rencontrerait sa fin par l'eau". C'est la raison pour laquelle Pharaon avait décrété que tous les nouveau-nés garçons seraient jetés dans le Nil. Quand Moché fut mis sur la rivière, les astrologues dirent à Pharaon: "le sauveur des Juifs a déjà été jeté dans l'eau". C'est pourquoi lorsque Moché pénétra dans le Nil, le décret de Pharaon fut annulé.

Le culte de la rivière
Très peu de pluie tombait en Egypte. L'agriculture dépendait complètement du Nil dont les crues servaient à irriguer un réseau de canaux. Les Egyptiens anciens déifiaient le Nil, le considérant comme la source ultime de subsistance et comme le dispensateur ultime de la vie.
C'est là le sens profond du décret de Pharaon de jeter les enfants juifs dans le Nil. Pharaon savait que si la prochaine génération de Juifs était immergée dans le Nil, le culte égyptien, s'ils étaient élevés de façon à considérer les éléments naturels bienfaisants comme des dieux, la foi juive serait annihilée. Le message du D.ieu Unique, créateur et source de tout, qui menaçait tant son oligarchie païenne, serait à jamais tu.
L'on peut affirmer que le service idolâtre du Nil prévaut aujourd'hui comme à l'époque des pharaons. Aujourd'hui, le Nil peut être la course effrénée aux diplômes, aux carrières, au statut social, à tout ce qui nous apparaît comme source de subsistance et de vie.
Il existe des outils de subsistance, tout comme le Nil était un instrument pour D.ieu pour assurer la subsistance de ceux qui résident le long de ses rives; mais quand le véhicule est pris pour la source, quand une personne plonge son moi tout entier dans le "Nil", engageant ses plus grandes aptitudes dans la perfection de l'instrument plutôt que dans la culture de sa relation avec la véritable source divine, c'est de l'idolâtrie.

Donner la foi
Moché est le "Raaya Méhémna - le berger fidèle" d'Israël. Les mots "Raaya Méhémna" signifie aussi "le berger de la foi", c'est-à-dire celui qui nourrit son peuple de foi. Le rôle premier de Moché était de nourrir la foi de son peuple, de l'élargir, de l'approfondir et de la développer de sorte qu'elle soit complètement imprégnée d'une connaissance de D.ieu et de la compréhension qu'"il n'existe rien en dehors de Lui", que tous les "Nil" du monde ne sont pas des forces ou des réalités par elles-mêmes mais simplement des véhicules pour la subsistance divine.
Moché était âgé de quatre-vingts ans quand il sortit le peuple d'Israël d'Egypte, le conduisit au Mont Sinaï et le nourrit de l'infusion parfaite de la connaissance divine, la Torah. Mais il était déjà "un berger fidèle" à l'âge de trois mois, quand il avait servi à détrôner l'archétype idolâtre de l'Egypte et mettre fin à la noyade des enfants d'Israël dans le Nil.

Le Coin de la Halacha

Qu’est-ce que les 7 lois des Enfants de Noé ?

Après le déluge, D.ieu a donné à Noé et ses enfants sept lois cadres qui permettent à l’homme et à la société de vivre correctement. Ce sont les interdictions suivantes :
1) l’idolâtrie : on doit croire en D.ieu et avoir confiance en Lui.
2) maudire D.ieu : on doit respecter D.ieu et Le louer.
3) tuer : on doit respecter la sainteté de la vie humaine, de la conception à la mort.
4) avoir des relations interdites : on doit respecter la sainteté d’une vie de famille saine.
5) voler : on doit respecter la propriété d’autrui.
6) manger d’un animal vivant : on doit éviter la cruauté.
7) et l’obligation d’établir des cours de justice qui assureront la stabilité de la société et la paix mondiale.
Tous ces commandements comprennent de nombreux dérivés comme l’interdiction de la sorcellerie, du suicide, de l’euthanasie, de la tromperie, de la cruauté envers les animaux etc…
Par ailleurs les non-Juifs ont également l’obligation de prier chaque jour (pour cela, il est important que les enfants dans les écoles publiques profitent d’ « une minute de silence » pendant laquelle ils peuvent réfléchir chaque jour à l’existence de D.ieu qui voit tout, entend tout et auquel on peut demander aide et protection), de donner la Tsédaka (charité), de faire Techouva (retourner à D.ieu) et de respecter leurs parents.
Quiconque peut avoir une influence positive dans ce domaine s’efforcera de répandre parmi les non-Juifs la conscience et la connaissance de ces lois qui sont le fondement de la morale universelle.
Un non-Juif qui tente sincèrement de respecter ces lois - après en avoir appris tous les détails – sera appelé un « Juste des nations ».
Il est à noter que le judaïsme ne recommande pas la conversion car un non-Juif qui se conduit selon les 7 lois noa’hides mérite autant de considération que le Juif qui s’astreint à respecter les 613 lois de la Torah.

F. L. (d’après Rav Yosef Ginsburgh)

De Recit de la Semaine

UN CONSEIL ETONNANT

Le 24 Tévet est la Hiloula (l'anniversaire du décès en 1812) de Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, l'auteur du Tanya et du Choul'hane Arou'h Harav.

Au début du 19ème siècle, quiconque désirait établir une imprimerie en Russie devait soumettre sa requête devant divers bureaux afin d'obtenir pour cela la permission des autorités. Il fallait donc se rendre à St-Pétersbourg, la capitale, avant d'entreprendre des démarches longues et fastidieuses qui devaient aboutir sur le bureau du Ministre de l'Intérieur, responsable de l'imprimerie et de la censure. Une fois la signature du ministre obtenue, il fallait attendre que les papiers passent à nouveau par tous les bureaux avant de pouvoir ouvrir son entreprise.
Reb Moché, le fils de Rabbi Pin'has de Koritz, habitait à Slovita. Avant de devenir celui qui eut le mérite d'imprimer pour la première fois le Tanya, il dut se rendre à Pétersbourg pour obtenir les permis nécessaires. En route, il décida de faire un détour par Lyozna, là où habitait Rabbi Chnéour Zalman, qui n'était à l'époque connu que comme étant le Magguid, le Prédicateur de Lyozna, pour recevoir sa bénédiction.
Après avoir écouté attentivement Reb Moché, Rabbi Chnéour Zalman déclara : " Si vous voulez bien écouter mon conseil, n'allez pas à Pétersbourg mais à Moghilev ! "
- " A Moghilev ? "
- " Oui ! Là-bas, vous trouverez un vieux professeur, un certain Reb Israël. Demandez-lui de vous accompagner à Vilna ! "
" A Vilna ? " Reb Moché était de plus en plus étonné.
" Faites comme je vous ai dit et D.ieu vous enverra la réussite " conclut le Rabbi devant Reb Moché abasourdi.
Celui-ci ne savait plus que faire : où était la logique dans ce nouveau plan de voyage ? Mais, par ailleurs, il était conscient de la sainteté de Rabbi Chnéour Zalman. Finalement sa confiance dans la parole du Tsadik surmonta son esprit rationnel et il se mit en route pour Moghilev, tout en se demandant comment un instituteur d'école juive pourrait l'aider à obtenir ses papiers.
En arrivant dans cette ville, il se dirigea bien évidemment vers la petite synagogue locale où on l'accueillit chaleureusement. Mais nul ne connaissait Reb Israël le Melamed. Finalement quelqu'un se souvint qu'un certain Reb Israël, âgé d'une soixantaine d'années, habitait au bout de la ville… Reb Moché se hâta de le retrouver et lui expliqua tout de go le but de sa visite. Le Melamed n'était pas un 'Hassid et dévisagea son interlocuteur avec suspicion : " D'où votre Rabbi me connaîtrait-il ? Peut-être pensait-il à quelqu'un d'autre ! "
Reb Moché (qui n'était lui-même pas très convaincu) déploya cependant des trésors de persuasion pour que Reb Israël accepte de l'accompagner à Vilna.
" Au fait, que sommes-nous supposés faire à Vilna ? " demanda celui-ci ironiquement.
" Euh… balbutia Reb Moché, en vérité je ne le sais pas moi-même… Mais c'est ce que le Rabbi a demandé… "
Ce n'est qu'après avoir offert une somme conséquente au Melamed que celui-ci daigna l'accompagner. A Vilna, ils s'installèrent dans la maison toujours ouverte aux invités de Reb Meïr Rephoels : celui-ci, informé de la requête étrange du Rabbi, ne voyait pas non plus ce que cela signifiait. Il ne restait plus qu'à attendre un signe du ciel…
Chabbat après-midi, Reb Meïr, Reb Moché et Reb Israël partirent se promener dans un parc. Un homme élégant, vêtu d'un uniforme officiel, s'arrêta brusquement devant eux et s'écria :
" Reb Israël ! Reb Israël ! "
Le " Melamed " regarda l'homme sans comprendre. D'où cet inconnu connaissait-il son nom ?
" Vous ne me reconnaissez pas ? Je suis Bérélé ! J'étais votre élève il y a vingt ans ou plus ! "
Il ajouta encore quelques détails et Reb Israël se souvint alors de cet élève qu'il toisa de haut en bas, sans cacher sa déception. En effet, l'homme ne semblait pas avoir absorbé l'éducation que le Melamed lui avait prodiguée : de fait, il s'était complètement assimilé et ressemblait aux non-Juifs alentour.
" Jusqu'à aujourd'hui, je me souviens de vous, Reb Israël ", dit l'homme pour tenter de rendre un ton positif à leur conversation.
" J'en suis très heureux, dit Reb Israël, mais pourquoi ? "
L'homme rappela alors un épisode pénible : un jour, il s'était conduit de façon assez sauvage à l'école et le directeur l'avait condamné à plusieurs coups de fouet : " Je n'oublierai jamais ces instants horribles. Je tremblais de peur et de honte tandis que mes camarades étaient assemblés tout autour. J'avais envie d'être englouti par la terre. C'est alors que vous êtes venu, Reb Israël, vous avez repris le fouet et vous m'avez épargné cette douleur et cette honte. Vous ne pouvez pas vous imaginer combien je vous en ai été reconnaissant. Jusqu'à aujourd'hui, je ressens que j'ai une dette envers vous ! "
" Qu'avez-vous fait depuis ? " demanda Reb Israël.
" A ce moment-là, j'ai pris la décision de quitter l'école juive. Je me suis inscrit à l'université et me voilà ! "
Il prononça ces derniers mots avec un mélange de fierté et de gène.
" Que veux-tu dire par là ? Que fais-tu maintenant ? "
" De fait, je suis devenu le ministre chargé de la censure et de l'imprimerie. Il y a une semaine, j'ai quitté mon bureau de Pétersbourg pour me reposer un peu ici, à Vilna ".

* * *

Le lendemain, Reb Moché recevait des mains de son ancien élève son permis flambant neuf pour ouvrir une imprimerie qui devint célèbre dans le monde juif pour la qualité des livres et des commentaires qu'il édita durant une longue période.
Quand il retourna à Lyozna pour remercier Rabbi Chnéour Zalman de son conseil, Reb Moché n'était plus seul. Il était accompagné d'un nouveau 'Hassid : Reb Israël le Melamed.

" Sihat Hachavoua "
Traduit par Feiga Lubecki

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