Samedi, 9 janvier 2021

  • Chémot
Editorial

 Un anniversaire pour une lumière

20 Tévèt 1204 : Maïmonide quitte ce monde en Egypte. Cette semaine arrive donc le 816ème anniversaire de son décès. Il ne s’agit pas ici de faire un simple rappel ou de saluer la mémoire d’un de nos grands maîtres même si cela aurait en soi été légitime. En fait, ce jour ne peut pas être simplement considéré comme une page qu’on aurait tôt fait de tourner dans nos calendriers. C’est que Maïmonide est un homme qui a non seulement modelé son temps mais aussi continue d’exercer son influence sur les générations qui passent.

Nos sages ont souligné ce que signifie un jour de décès. Au moment où il quitte ce monde, l’homme accomplissant sa mission parvient au plus haut de l’élévation à laquelle il a œuvré sa vie durant. C’est dire que ce qu’il incarne s’exprime avec une force et un éclat qui frappent par leur ampleur et leur portée. La modernité de Maïmonide n’est plus à démontrer. Profond érudit dans tous les domaines de la Torah, décisionnaire essentiel en matière de loi juive, immense penseur en une époque aux idées parfois incertaines, et aussi médecin, vivant dans la cité et chef de la communauté, Maïmonide est sans aucun doute un des personnages les plus emblématiques de notre histoire. Ses combats sont tels qu’ils semblent s’adresser aussi à notre temps. Soucieux de respecter les commandements de la Torah dans tous leurs détails, et s’employant à les préciser dans son grand ouvrage, le Michné Torah, il maintient une ouverture exemplaire et est accessible à tous. Ayant à affronter les persécutions, l’exil, il ne cesse pourtant pas un seul instant de développer et transmettre la connaissance.

Tout cela n’a pas uniquement pour but de nous faire encore prendre conscience, s’il en était besoin, de la grandeur de Maïmonide. Cela doit d’abord nous donner à réfléchir. Si son âme nous éclaire aujourd’hui, alors nous pouvons davantage encore nous lier à lui, à sa vie et à sa pensée. Alors également, le cycle annuel d’étude de son œuvre, le Michné Torah, le Sefer Hamitsvot, fait retentir son appel avec une puissance accrue. Voici une étude qui, selon les termes mêmes de Maïmonide, englobe l’ensemble de la Torah, à laquelle s’associent des milliers de Juifs de par le monde, en une unité bouleversante et fondamentale. Le 20 Tévèt résonne ainsi comme une invitation à s’y joindre. C’est un énorme privilège et celui-ci est original : il peut être partagé. N’y manquons pas.

Etincelles de Machiah

 Plus grand que Moïse

Machia’h a une certaine supériorité même sur Moïse. Au début du texte de la Torah (Gen. 1 : 2), il est dit : « Et l’esprit de D.ieu planait… ». A ce sujet, Les Sages enseignent (Berechit Rabba 2 : 4) : « Ceci fait allusion à l’esprit de Machia’h ». Puis le verset continue : « …sur la face des eaux » ; ceci dénote un degré plus élevé que celui de Moïse qui reçut ce nom car « je t’ai tiré des eaux ».

C’est la raison pour laquelle cet exil est si long – pour que ce niveau si élevé soit enfin atteint.

(d’après les Maamarim de l’Admour Hazakène sur les Parchiot, p.237)

Vivre avec la Paracha

 Chemot

Devant le nombre croissant des Enfants d’Israël en Egypte, le Pharaon les soumet à l’esclavage. Puis il ordonne aux sages-femmes juives, Chifrah et Pouah, de tuer tous les nouveau-nés garçons. Devant leur désobéissance, il ordonne que tous les bébés hébreux soient jetés dans le Nil. Amram et Yo’héved, de la tribu de Lévi, ont un fils qu’ils déposent dans une corbeille sur le Nil. Sa sœur Miryam surveille de loin et elle voit que la fille du Pharaon découvre l’enfant et le prend. Elle va l’élever comme son fils et le nommer Moché.

Moché, devenu un jeune-homme, découvre les souffrances de ses frères. Voyant un Egyptien s’acharner sur un Hébreu, il le tue. Le lendemain, alors qu’il veut séparer deux Juifs qui se querellent, ces derniers le menacent de rapporter son crime. Moché fuit donc à Midian. La-bas, il est secouru par les filles de Yitro. Il se marie avec l’une d’entre elle, Tsipora, et devient le berger de son beau-père.

 Le culte de la rivière

« Le Pharaon donna un ordre à toute sa nation : Chaque garçon qui naîtra, vous le jetterez dans la rivière, et chaque fille, vous la ferez vivre. » (Chemot 1 : 22)

Il ne pleuvait que très peu en Égypte. L’agriculture était totalement à la merci du Nil dont les crues créaient un réseau de canaux d’irrigation. C’est donc pour cette raison que les Égyptiens antiques déifiaient le Nil, le considérant comme la source ultime de subsistance et de vie.

Tel est le sens profond du décret du Pharaon de jeter les enfants hébreux dans le Nil. Il savait que si la future génération était engloutie dans le culte égyptien du Nil, si elle était élevée de sorte qu’elle considère les sources naturelles de subsistance comme des dieux, la foi d’Avraham serait effacée à tout jamais. Le message du D.ieu Unique, Créateur et Source de tout, tellement menaçant pour l’oligarchie égyptienne, serait tu pour toujours.

L’on peut affirmer, qu’aujourd’hui encore, le culte du Nil prévaut comme aux jours du Pharaon. Le « Nil » d’aujourd’hui peut être la réussite académique, la carrière, le statut social, en bref, tout ce qui peut être vénéré comme source de ressources et de vie. Mais en fait, ce sont des instruments de ressources tout comme le Nil était un instrument de D.ieu pour subvenir aux besoins de ceux qui résidaient le long de ses rives. Mais lorsque l’on confond l’outil avec la source, lorsqu’une personne noie tout son être dans le « Nil », investissant ses meilleures énergies pour perfectionner l’instrument plutôt que pour cultiver sa relation avec la Source Ultime, cela devient de l’idolâtrie.

Le Peuple d’Israël survécut au Galout (exil) égyptien parce que des mères juives refusèrent d’obéir au décret du Pharaon qui leur ordonnait de jeter leurs enfants dans sa rivière (c’est-à-dire dans sa culture).

Pour que nous survivions à l’exil présent, nous devons, nous aussi, résister aux diktats des Pharaons d’aujourd’hui. Nous devons établir que le développement moral et spirituel de nos enfants, plutôt que leur carrière et leur pouvoir futurs, sont la première des priorités dans l’éducation.

L’enfant berger

« [Quand] elle ne put plus le cacher, elle prit pour lui une boîte en papyrus et elle la recouvrit d’argile et de poix ; et elle y posa l’enfant. Et elle le plaça dans les arbustes sur la rive du fleuve. » (Chemot 2 :3)

Le Pharaon avait décrété que tous les garçons nouveau-nés hébreux seraient jetés dans le Nil. Dans l’espoir de le sauver de son sort, Yo’hévèd, la mère de Moché, installa le bébé de trois mois dans une corbeille et le cacha dans les buissons qui poussaient le long de la rivière. La sœur aînée du bébé, Miryam, se tenait à distance pour observer ce qui lui arriverait.

« La fille de Pharaon descendit se baigner dans la rivière et elle vit la boîte au milieu des buissons… Elle l’ouvrit et vit l’enfant… Elle eut pitié de lui et dit : ‘C’est l’un des enfants des Hébreux’. » (Chemot 2 :5-6)

La Torah poursuit en relatant comment la fille du Pharaon adopta l’enfant et l’éleva comme son propre fils. « Elle lui donna le nom de Moché… parce que je l’ai tiré (Méchitihou) de l’eau. »

Purifier le Nil

Ce récit présente un détail qui nous laisse perplexes. Où fut exactement placée la corbeille de Moché ? Au début du récit de la Torah, nous lisons qu’ « elle la plaça, sur la rive du fleuve ». Ainsi, Moché n’aurait-il pas été mis dans le fleuve lui-même mais sur la rive du Nil. Cependant, quelques versets plus loin, la fille du Pharaon déclare : « Je l’ai tiré de l’eau ».

Le Gaon de Ragadchov propose une explication hala’hique (suivant la législation de la Torah) pour expliquer le changement d’emplacement de la corbeille. Le Nil, dont l’Égypte dépendait complètement pour sa subsistance, était adoré comme un dieu. C’est pourquoi il est impossible que la mère de Moché l’ait a priori placé dans le Nil, puisqu’il nous est interdit d’utiliser tout ce qui sert aux pratiques idolâtres, quand bien même il s’agit de sauver notre propre vie.

En revanche, la Torah stipule également que si un idolâtre renonce à son idole, elle s’en trouve « annihilée » et l’on peut s’en servir.

Nos Sages enseignent que la fille du Pharaon « descendit se baigner dans la rivière », non pour prendre un plaisir physique mais pour « se purifier des idoles de son père. » Le fait qu’elle renonce aux pratiques païennes de l’Égypte annula le statut d’idole de la rivière et ses eaux pouvaient désormais recevoir et abriter Moché. C’est donc à ce moment précis que la corbeille de Moché pénétra dans le Nil.

Mais pourquoi était-il important que Moché soit dans le Nil plutôt que caché sur la rive, dans les buissons ?

Le Midrach relate que les astrologues du Pharaon lui avaient dit que « le sauveur d’Israël périra par l’eau », ce qui explique également la raison d’être du décret ordonnant que les garçons hébreux soient jetés dans le Nil. Quand la corbeille de Moché fut dans la rivière, les astrologues dirent au Pharaon : « Le sauveur du Peuple juif a déjà été jeté dans la rivière. » C’est ainsi que l’entrée de Moché dans le Nil mit fin au décret du Pharaon.

Le berger de la foi

L’on se réfère à Moché comme à un Raaya Méhemna, un « berger fidèle » d’Israël. Mais cette expression signifie également « le berger de la foi », c’est-à-dire, celui qui nourrit son troupeau de foi. Le rôle essentiel de Moché était de nourrir la foi de son peuple pour qu’ils soient imprégnés de la connaissance de D.ieu et de la prise de conscience qu’ « il n’y a rien en dehors de Lui », que tous les « Nil » du monde ne sont pas des forces ou des réalités autonomes mais simplement des véhicules pour la subsistance.

Moché avait quatre-vingt ans quand il sortit le Peuple d’Israël d’Égypte, les conduisit au Mont Sinaï et les imprégna de la connaissance divine ultime : la Torah.

Mais il était déjà un « berger de la foi » à l’âge de trois mois, quand il servit à détrôner l’idole maîtresse de l’Égypte et à mettre fin à l’exécution des enfants d’Israël dans ses eaux.

Le Coin de la Halacha

 Comment réagir à la mauvaise conduite de son prochain ?

Il arrive que, volontairement ou non, quelqu’un vexe ou lèse financièrement son prochain. Si celui-ci estime qu’il n’y a aucune chance de faire comprendre à l’autre le préjudice qu’il a causé et choisit de ne pas relever l’injure ou la perte, il a le droit de ne pas réagir et de pardonner.

Cependant, s’il ne pardonne pas d’un cœur entier, il risque de développer dans son cœur une inimitié. Or la Torah recommande (Vayikra - Lévitique 19 : 17) : « Tu ne haïras pas ton prochain dans ton cœur ». Dans ce cas, il est nécessaire de signaler la faute à son prochain et de lui expliquer en quoi il a mal agi. Il convient pourtant d’agir avec tact et non dans un moment de colère ; il faut évidemment éviter de lui faire honte en public comme le conclut le verset : « Tu ne seras pas fautif à cause de lui ».

Le même principe s’applique pour les pêchés envers D.ieu. La Mitsva consiste dans ce cas à faire remarquer le problème et, si possible à convaincre - même si on n’est pas sûr que la remarque sera acceptée.

Si la personne ne connaît rien du judaïsme, n’a reçu aucune éducation juive, elle est considérée comme un « enfant prisonnier parmi des non-Juifs » et on s’efforcera alors de combler ses lacunes de la façon la plus pédagogique possible.

(d’après Rav Yossef Ginsburgh – Si’hat Hachavoua N° 1739)

Le Recit de la Semaine

 Le secret du prisonnier

Je l’avais connu quand j’étais enfant. Sa place était à côté de la mienne dans la synagogue là où j’habitais, à Anvers en Belgique. Il s’appelait Rav Ye’hezkel Goldchdof. Il était âgé, n’avait rien de spécial et, à mes yeux d’enfant, c’était un Juif simple.

Il n’avait pas d’enfants, moi je n’avais pas de grand-père. C’est ainsi que nous nous sommes mutuellement « adoptés » : Rav Ye’hezkel me considérait comme son petit-fils et moi je le respectais comme mon « grand-père ».

C’était un bon Juif, intelligent et vif. Il me parlait avec patience, s’intéressait à mes progrès en classe et me racontait des histoires qui prouvaient qu’il avait eu une vie riche en aventures, qu’il connaissait le sens de la vie. Quand il a quitté ce monde, j’étudiais déjà à la Yechiva à Jérusalem. Au fil des années, son souvenir se faisait de plus en plus vague dans mon esprit.

Et un jour, il surgit des profondeurs de l’oubli, dans des circonstances étonnantes.

J’avais feuilleté le livre « Mekadché Hachem » (« Ceux qui ont sanctifié le Nom divin ») de Rav Tsvi Hirsch Meizlich de Hongrie. Ce livre présente ses réponses aux questions que lui posèrent des déportés pendant la Shoah.

Dans l’introduction du livre (rédigée par le petit-fils de l’auteur), il raconta un récit incroyable qui me toucha profondément.

Dans le camp d’extermination d’Auschwitz, il y avait aussi des prisonniers de guerre non-juifs, dans des baraques séparées. Leurs conditions de vie étaient un peu meilleures que celles des Juifs et leurs rations de nourriture étaient plus importantes. Parmi ces prisonniers, il y avait un certain Viniartchik. De temps en temps, il se rendait dans les baraquements des Juifs. Il s’était présenté comme le « Chabes-Goy », un ancien salarié dans une maison juive à qui on demandait parfois d’allumer ou d’éteindre le feu le Chabbat. Il connaissait donc bien les coutumes de ses anciens employeurs : d’ailleurs, dans le camp, il se murmurait qu’il avait été emprisonné car on l’avait soupçonné d’avoir caché des Juifs en Hongrie pour les protéger des Nazis. De ce fait, les Juifs le considéraient comme un « Juste parmi les nations ».

Effectivement, ce Viniartchik méritait bien son titre puisque même dans le camp, il s’efforçait par tous les moyens d’aider les Juifs, parfois même au prix d’efforts considérables qui auraient pu lui coûter la vie.

Par la suite, Rav Meizlich fut transféré avec d’autres Juifs dans le camp de Braunshwig en Allemagne. D’autres prisonniers non-juifs y furent également transférés et, parmi eux, ce Viniartchik. Un soir, celui-ci s’approcha de Rav Meizlich et chuchota : « Je sais que les Juifs ont l’habitude, en hiver, d’allumer des bougies pendant une semaine… ». Le Rav confirma qu’il s’agissait de la fête de ‘Hanouccah mais il regrettait évidemment que, vu les conditions dans lesquelles ils survivaient, ils n’auraient sans doute pas la possibilité d’accomplir la Mitsva correctement.

Quelques jours plus tard, l’homme rapporta au Rav de l’huile et de petits récipients qui pourraient servir de godets. Pour Rav Meizlich, c’était un trésor inestimable qui rendrait aux autres déportés une lueur d’espoir.

Tous se rassemblèrent autour de lui dans le baraquement et, le cœur battant de joie et d’angoisse mêlées, contemplèrent les petites lumières tout en chantant les mélodies familières qui leur revenaient à l’esprit et leur redonnaient leur dignité. Chaque soir, l’allumage clandestin leur insufflait ainsi des forces renouvelées et ils ne cessaient de remercier cet ange déguisé en Juste des nations.

Rav Meizlich avait réussi à conserver une paire de Téfilines qu’il dissimulait soigneusement. Chaque jour, il se cachait pour les mettre sans se faire remarquer. Un jour, les Téfilines disparurent. Certainement, quelqu’un avait découvert son trésor et cela l’attrista. Mais le lendemain, les Téfilines réapparurent à leur place ! Et ceci se reproduisit chaque jour sans qu’il puisse comprendre ce qui se passait.

La guerre s’acheva dans le chaos le plus total, avec ses millions de morts. Rav Meizlich avait survécu, Viniartchik aussi.

C’est alors qu’on apprit ce qui s’était passé : de fait, Viniartchik était juif ! Il avait réussi à dissimuler aux nazis sa véritable identité qu’il reprit après sa libération. Dans le camp, seul un ami savait la vérité, Rav Yossef Stern. C’était lui qui se débrouillait chaque jour pour lui apporter les Téfilines puis les remettre à leur place.

Telle était l’histoire racontée dans l’introduction du livre et elle m’intrigua : comment comprendre un tel dévouement d’un Juif qui avait bravé tant de dangers pour aider d’autres Juifs plus malheureux que lui ! Si son secret avait été révélé au grand jour, il aurait pu être assassiné sur place !

J’ai continué de lire le livre et, soudain, je sentis une sueur froide dans le dos : on donnait maintenant le vrai nom de ce héros : Rav Ye’hezkel Goldchdof ! (Son frère Rav Chlomo était le gendre du Gaon de Tchébine).

C’était donc vous, Rav Ye’hezkel ! « Mon grand-père adopté » ! Je revoyais maintenant ses yeux pétillants d’intelligence, sa gentillesse dans la synagogue d’Anvers !

Quelle émotion ! Son apparence si simple dissimulait une histoire hors du commun, un héroïsme que je n’avais jamais soupçonné ! Comme je regrette de n’avoir pas été conscient de tout cela quand vous avez réussi à vous cacher une seconde fois - mais cette fois-ci sous la forme d’un simple Juif !

Que votre souvenir soit une bénédiction !

 

Lévi Shaikevitz –

d’après le récit de Reb Moché Yaakov Halevi Kaner – Hamodia

Si’hat Hachavoua N° 1771

Traduit par Feiga Lubecki

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