Pour un début !
Il existe des manières diverses de voir et vivre le temps. En cette période de l’année où le rythme du monde se fait entendre avec une insistance inaccoutumée, où chacun est convié à des réjouissances de commande que le tam-tam médiatique s’emploie à rendre incontournables, il est bon de s’en souvenir. Car le calendrier ne peut être envisagé comme un simple outil qui permet de suivre le déroulement des jours. Il est bien davantage une sorte de formateur du temps dans la mesure où il en donne une grille de lecture. C’est ainsi que l’on vit un début de mois ou d’année en lui donnant le sens que le calendrier lui impose.
Pour le peuple juif, le temps, élément de la création Divine au même titre que l’espace, est une donnée essentielle. Il ne fait pas que scander les rythmes sociaux, il les suscite. Dans ce sens, il a valeur de force dotée d’une forme d’autonomie qui prend sa pleine signification par l’usage que l’homme en fait. Un exemple hebdomadaire en constitue une pure expression : le jour de repos qui revient chaque semaine. L’invention d’une journée où tout s’arrête peut certes être interprétée comme une conquête sociale. Mais elle peut être aussi comprise comme un acte spirituel majeur : un jour où tout travail cesse pour rendre enfin à l’homme la liberté nécessaire à l’expression pleine de son humanité. Dans la première interprétation, le monde matériel et la massification l’ont emporté. Dans la deuxième, l’homme conquiert son statut majeur de créature de D.ieu, il l’assume et donne ainsi à son individualité toute sa portée. Et tout cela parce qu’un simple jour fait l’objet d’une lecture différente.
Ce qui est vrai d’un jour est vrai de toute l’année et a fortiori d’un début annoncé. Vivre un commencement est toujours significatif. Celui de l’année juive a rattaché l’homme à ce qui le dépasse. Aujourd’hui, il faut savoir ne pas tomber dans l’adoration d’un temps voué à l’oubli de soi par l’organisation de réjouissances qui, au fil des siècles, ont perdu tout enjeu autre que commercial. Il faut savoir aussi en tirer parti pour se ressourcer dans ce qui est précieux parce que au plus proche de notre âme. Puisse l’année 5779 continuer d’être propice à tous !
Tout près du sommet
Notre génération est comparable à un homme qui escalade une haute montagne et se rapproche du sommet. Pour y parvenir, cet homme doit remplir plusieurs conditions :
- Il doit être fort.
- Il doit connaître le chemin.
- Ses vêtements doivent être adaptés à l’entreprise.
Quant à nous, nous ne remplissons aucune de ces conditions. Nous devons donc gravir la montagne avec sacrifice de soi. Nous sommes tout proches du sommet, mais l’immense effort fourni nous a épuisés. C’est justement le moment de rassembler toutes nos forces afin que nous franchissions le petit espace qui reste encore.
(D’après Séfer Hasi’hot 5696 p. 316)
Chemot
Devant le nombre croissant des Enfants d’Israël en Egypte, le Pharaon les soumet à l’esclavage. Puis il ordonne aux sages-femmes juives, Chifra et Poua, de tuer tous les nouveau-nés garçons. Devant leur désobéissance, il ordonne que tous les bébés hébreux soient jetés dans le Nil. Amram et Yo’héved, la fille de Lévi, ont un fils qu’ils déposent dans une corbeille sur le Nil. Sa sœur Miryam surveille de loin et voit que la fille du Pharaon découvre l’enfant et le prend. Elle va l’élever alors comme son fils et le nommer Moché.
Moché, devenu un jeune-homme, découvre les souffrances de ses frères. Voyant un Egyptien s’acharner sur un Hébreu, il le tue. Le lendemain, alors qu’il veut séparer deux Juifs qui se querellent, ces derniers le menacent de rapporter son crime. Moché fuit donc à Midyan. Il est secouru par les filles de Yitro. Il se marie avec l’une d’entre elle, Tsipora et devient le berger de son beau-père.
Le Livre des Noms
Cette semaine, nous entamons la lecture du second livre de la Torah : le livre de Chemot. Ce mot signifie littéralement : « les Noms ». Le nom qu’on lui attribue en français semble apparemment plus significatif : « l’Exode » puisqu’il s’agit bien là de son thème central. Pourquoi donc ce nom « Chemot » ? Bien sûr, la réponse évidente à cette interrogation est que ce mot figure dans le premier verset : « Voici les noms… ». Mais ce serait là amoindrir le rôle essentiel que joue chaque mot dans la Torah.
L’on sait bien que le nom d’une Paracha ne répond pas à un simple aspect pratique et qu’il a un lien avec l’ensemble de la Paracha ou du Livre. Or, il semble n’y avoir aucun lien entre le mot « Noms » et le reste du Livre.
Il est bien connu que lorsque des parents donnent un nom à leur enfant, quelles qu’en soient les raisons alléguées, il s’agit d’une prophétie divine. Ce nom désigne ce qu’est profondément la personne, son âme. Et cela est vrai des êtres humains, des animaux, des objets et a fortiori du nom d’un Livre entier de la Torah et d’une Paracha. Le nom ne sert donc pas simplement à une identification mais il est lié au thème, à « l’âme » du Livre.
En quoi donc « les Noms » est-il un titre approprié à tout le Livre de Chemot ?
En fait, un nom présente d’une certaine manière un paradoxe. D’un côté, il constitue la partie la plus extérieure d’une personne. Il s’agit simplement de la manière dont on peut l’appeler à notre attention, l’identifier et lui parler. Si quelqu’un vit seul sur une île déserte, il n’a pas besoin de nom.
Bien qu’il nous appartienne, il constitue la partie la plus extérieure de nos possessions.
Ce que nous transmet ici D.ieu est l’idée suivante : bien que ce livre commence par l’exil en Égypte et continue par l’Exode qui lui fait suite, nous devons savoir qu’un Juif n’est en exil que de façon extérieure, l’essence de son âme reste libre et attachée à D.ieu.
Le livre de Chemot commence par une longue et détaillée description de l’exil d’Égypte. Cet exil est le prototype de tous les exils du Peuple juif, le mot Mitsrayim pour « Égypte » signifiant « restreintes », « limites » et symbolise tout ce qui vient nous oppresser.
« Voici les noms de ceux qui sont descendus en Égypte » : seuls les noms des Juifs descendirent en Égypte. Mais l’essence des Juifs, ce qui les rattache à D.ieu, resta libre.
Mais cela ne vient expliquer que le début du livre, l’exil. Mais qu’en est-il de l’Exode ? L’on pourrait répondre que même la partie la plus extérieure des Juifs, celle qui était en exil, était maintenant libérée.
Mais cela va plus loin. Nous avons affirmé qu’un nom présentait en quelque sorte un paradoxe. L’autre aspect en est que le nom nous connecte, d’une certaine manière, avec l’essence profonde de ce que nous sommes.
Nous pouvons l’observer dans deux aspects. Lorsque, à D.ieu ne plaise, une personne s’évanouit, le fait de souffler à son oreille son nom juif lui permet souvent de reprendre ses esprits. Comment cela fonctionne-t-il ?
L’évanouissement implique que, dans une certaine mesure, l’âme s’est détachée du corps. Prononcer le nom signifie invoquer la source de l’âme et la ramener au corps dont elle s’est quelque peu séparée. Le nom a donc l’aptitude de projeter à nouveau l’énergie de l’âme dans le corps.
Un jour, Rabbi Chnéor Zalman faisait jouer sur ses genoux son petit-fils (qu’il élevait), Mena’hem Mendel. (Il allait devenir le troisième Rabbi de Loubavitch, le Tséma’h Tsédèk).
Rabbi Chnéor Zalman demanda au jeune enfant :
-Où est Zeydè (grand-père) ?
Le jeune enfant brandit sa main et pointa le nez de son grand-père.
- Non ! Ça c’est le nez de Zeydè, ce n’est pas Zeydè.
Puis l’enfant mit la main dans la barbe du Rabbi qui répondit :
-Non ! Ça c’est la barbe de Zeydè.
L’enfant sauta des genoux de son grand-père et alla jouer.
A un moment, il se retourna et appela :
-Zeydè !
Rabbi Chnéor Zalman se tourna vers lui et lui dit :
-Ça c’est Zeydè !
L’appeler par son nom eut pour effet que pour répondre, le Rabbi se tourna, de toute sa personne.
Ainsi, et c’est là le second aspect, quand on appelle quelqu’un par son nom, sa réponse engage chaque partie de son corps. La personne dans son entièreté est concentrée sur cet appel. Par la suite, bien sûr, quand commencent la conversation ou la communication, il se peut que nous utilisions nos émotions, notre réflexion, notre comportement, un aspect spécifique de notre personne, celui qui est nécessaire dans cette situation précise. Mais au moment précis de l’appel de notre nom, nous nous retournons avec toutes nos facultés, à tous les niveaux. Ce n’est qu’après que l’on entre dans la relation avec la partie de notre personnalité nécessaire à ce moment précis : l’intellect, les émotions, l’amour, la crainte, la joie, en fonction de la réponse nécessaire.
Ainsi le point central est que, tout d’abord, l’âme va en exil, symbolisé par les noms, pour pouvoir révéler son essence profonde et son lien intrinsèque avec D.ieu.
En d’autres termes, avant que les Juifs ne descendent en exil en Égypte, ils étaient en Israël, libres, pieux et justes. Cependant, la nature de leur relation avec D.ieu était alors telle qu’ils étaient impliqués émotionnellement, intellectuellement mais ils n’avaient pas donné leur essence elle-même. Tout se passait à un niveau structuré, mesuré, prévisible.
Descendre en exil fit sortir, par force, leur étincelle juive, l’essence de leur judaïcité, précisément parce qu’ils se trouvaient dans une situation d’oppression et d’obscurité.
Ce grand voilement a, tout comme un nom, la capacité de capturer et de faire jaillir le cœur même de notre être. Et c’est là le sens de l’exil.
Malgré toutes les vicissitudes, les Juifs restèrent fondamentalement loyaux à D.ieu : ils conservèrent leurs noms, leur langue, etc. Cela signifiait que le cœur de leur judaïcité, qui auparavant n’avait jamais été sollicité, était maintenant révélé.
C’est ce que représente ce modèle des noms, aussi extérieurs soient-ils, véhicules pour solliciter toute notre attention, jusqu’au cœur même de notre essence. Et ce, non en Israël, mais au cœur même de l’Égypte, dans les difficultés, les épreuves et l’obscurité de l’Égypte.
Quel prénom donner à un enfant ?
On ne dévoile ni avant la naissance ni avant la Brit Mila (circoncision) ou appel à la Torah le prénom que l’on a l’intention de donner à l’enfant.
Quand cela est nécessaire (par exemple pour l’inscription à la mairie), on évitera de prononcer le prénom et on se contentera de l’écrire.
Ce sont les parents qui donnent le prénom à l’enfant : c’est alors un moment où les parents sont dotés « d’esprit de prophétie » car le prénom hébraïque est porteur d’un sens très profond relié à l’âme de l’enfant. La tradition veut que le père choisisse le prénom du premier enfant, la mère du second, puis le père pour le troisième etc. mais il n’existe pas d’obligation formelle. Cependant, il est évidemment préférable que les deux parents soient d’accord : sinon, ils demanderont l’arbitrage d’un Rav compétent. (Toute dispute à ce sujet est susceptible de mettre en danger la vie de l’enfant…).
Dans nombre de communautés, on préfère donner aux enfants le prénom d’un grand-parent ou d’un Rabbi ou d’une Rabbanit. D’autres choisissent un prénom en rapport avec la Sidra de la semaine ou la fête la plus proche. Les Sefardim considèrent comme un honneur de donner le prénom d’un grand-parent vivant mais les Achkenazim s’en abstiennent. Certains préfèrent ne pas donner le prénom de celui qui est mort jeune – à moins d’y adjoindre un autre prénom ou à moins qu’il ne s’agisse de celui qui est mort Al Kiddouch Hachem (parce qu’il était juif).
(d’après Chéva’h Habrit – Rav Shmuel Hurwitz)
Qu’en est-il des Chinois ?
Né et élevé à Brooklyn (le plus grand quartier juif de New York), j’ai néanmoins fréquenté l’école publique jusqu’à l’université où j’ai obtenu un diplôme d’ingénierie civile en 1965. Ensuite, j’ai travaillé dans les services de santé, ce qui m’a permis d’effectuer mon service militaire sur place tout en étant libre de vaquer à d’autres activités.
En Israël, j’ai travaillé dans différents Kiboutsim et j’ai étudié à la Yechiva du village Kfar ‘Habad. Je suis retourné aux États-Unis et j’ai continué à étudier à la Yechiva Hadar Hatorah, réservée aux jeunes gens qui n’avaient pas reçu une éducation juive dès leur plus jeune âge et désireux de rattraper le niveau.
En décembre 1970, j’ai eu le privilège d’entrer en Ye’hidout (entrevue privée) auprès du Rabbi de Loubavitch, à l’occasion de mon 28ème anniversaire. J’avais préparé une longue lettre pour raconter ma vie et mes progrès mais j’exprimai aussi mes doutes : devais-je vraiment suivre le mode de vie orthodoxe ? De plus, j’écrivis que je ne me sentais pas encore prêt à me marier car cela impliquerait à l’évidence que je devais décider quel style de vie adopter une fois pour toutes.
Le Rabbi m’accueillit chaleureusement et se mit à me poser des questions sur moi-même. J’étais étonné car j’avais déjà fait état de mon « C.V. » dans ma lettre. Et j’avais aussi demandé si le judaïsme représentait la seule vérité. Le Rabbi me répondit que le Peuple juif était le seul peuple au monde qui avait survécu depuis l’Antiquité – et cette éternité était un gage de vérité. J’avais déjà entendu cette explication auparavant et, alors que le Rabbi parlait, je ne pouvais m’empêcher de penser : « Qu’en est-il des Chinois ? ». J’aurais vraiment voulu poser la question mais je n’ai pas eu la ‘Houtspa, l’audace d’interrompre le Rabbi.
Et je n’eus pas besoin de le faire. Comme s’il avait lu dans mes pensées, le Rabbi continua : « En ce qui concerne les Chinois, ils sont restés continuellement sur leurs terres, ils n’ont jamais eu la triste expérience de l’exil et des persécutions comme le Peuple juif. De plus, ils ont effectué un changement drastique de leurs croyances à l’époque de Confucius et n’ont donc pas préservé leur vision du monde d’alors – contrairement au Peuple juif qui s’est toujours fermement attaché aux préceptes de la Torah, malgré le déracinement loin de leur patrie et les tribulations de l’exil ».
Quant à mes doutes à propos de l’engagement à continuer de vivre de façon orthodoxe comme je le faisais à la Yechiva, le Rabbi me suggéra de ne pas effectuer de changement drastique. En effet, expliqua-t-il, si je persistai à observer les commandements de la Torah, je n’aurais rien perdu si je devais un jour adopter une autre perspective, plus laïque. Par contre, si j’abandonnai maintenant les commandements de la Torah, j’affecterais sérieusement mon bien-être spirituel. Donc entre ne rien perdre et perdre certainement… Le choix le plus sage était de continuer le chemin dans lequel j’étais engagé. De toute manière, conclut-il, le mariage était la clé qui mettrait tout en place dans mon esprit parce que tant que je restais célibataire, je ne vivais pas une vie normale.
J’ai suivi le conseil du Rabbi et j’ai continué la Yechiva. Mais, à la fin de l’été, ma mère subit une crise cardiaque. Alors qu’elle se trouvait en unité de soins intensifs, je réfléchis : « Comment pourrais-je lui procurer une satisfaction qui lui rendrait goût à la vie ? ». Je savais qu’elle n’appréciait pas mes études à la Yechiva et qu’elle serait contente que j’obtienne des diplômes universitaires. Je m’inscrivis donc à des cours au City College tout en demeurant dans l’internat de Hadar Hatorah et en y étudiant partiellement.
Après toutes ces années en Yechiva, la vie à l’université représenta pour moi un véritable choc culturel et mes notes s’en ressentaient. Je repartis prendre conseil auprès du Rabbi, lui exposai mes faibles résultats et demandai si je devais persister. Oui, répondit le Rabbi qui m’encouragea à fournir tous les efforts nécessaires pour obtenir non seulement la moyenne mais une très bonne note : je devais même continuer mes études, obtenir le diplôme de Master puis chercher un travail.
A l’université, une bonne note signifie un A. Une note inférieure est considérée comme médiocre. Encouragé par la bénédiction du Rabbi, je m’acharnai – bien que je sache que je ne valais pas mieux que la moyenne. Effectivement, juste quand je me rendis à l’évidence que je n’atteignais pas le niveau requis, le professeur annonça que les meilleures notes de mi trimestre seraient prises en compte comme A et, d’une manière ou d’une autre, j’étais justement parvenu à me hisser péniblement dans ce top – ce que je ne peux attribuer qu’à la bénédiction du Rabbi.
En janvier 1973, j’obtins mon diplôme, m’installai à San Francisco et c’est là qu’on me présenta celle qui allait devenir mon épouse. Avant de finaliser notre décision, je demandai la bénédiction du Rabbi qui me l’accorda à condition que nous nous engagions fermement dans la voie de la Torah. Nous avons commencé notre vie de couple à Berkeley (Californie) en restant proches des structures du mouvement ‘Habad. Quand on nous proposa de monter en Israël dans le cadre d’un programme religieux, mon épouse demanda l’avis du Rabbi qui répondit : « Vous avez actuellement la possibilité de répandre et de renforcer le judaïsme là où vous habitez en montrant un exemple vivant et en participant aux diverses activités pour promouvoir ce style de vie. Si vous déménagez, cela signifiera au moins provisoirement une période d’acclimatation et d’ajustement qui vous prendra beaucoup de temps, un temps qui pourrait être mieux utilisé pour le judaïsme. D.ieu – dont la Providence s’étend à chacun et chacune individuellement – vous guidera dans la voie qui est effectivement bonne pour vous – matériellement et spirituellement – et vous prendrez la bonne décision ».
Depuis, nous avons graduellement augmenté « de force en force » selon l’expression du Rabbi dans notre observance religieuse.
Yossef Shandling – ingénieur environnemental - JEM
Traduit par Feiga Lubecki