Semaine 3

  • Chémot
Editorial
De siècle en siècle

Le calendrier réunit, dans la courte période que nous traversons, deux dates à la fois historiquement éloignées et profondément similaires: le 20 et le 24 Tévet respectivement l’anniversaire du départ de ce monde de Maïmonide et de Rabbi Chnéor Zalman de Liady, auteur du Tanya et fondateur de la ‘Hassidout ‘Habad.
Il est clair qu’on pourrait ne voir là que simple coïncidence si un tel terme avait un sens pour la vision juive. De fait, les deux évènements cités sont séparés par assez de siècles pour pouvoir les considérer indépendamment l’un de l’autre. Pourtant, tous deux recèlent un message essentiel que leur proximité dans le déroulement du calendrier souligne encore. C’est sur lui qu’il convient de se pencher.
En effet, Maïmonide, en son temps, fut le Maître incontesté. Codificateur de la loi juive par son ouvrage monumental, le Michné Torah, savant Kabbaliste comme l’indique l’ensemble de son œuvre, présent dans le monde et attentif aux besoins de tous, sachant répondre à toutes les questions qui se posent alors, d’ordre spirituel, rituel ou législatif, Maïmonide fut celui qui conduisit le peuple juif dans la paix ou, parfois, au milieu de la tourmente sans que jamais rien puisse le détourner du chemin tracé.
Beaucoup plus tard, au début du XIXème siècle, Rabbi Chnéor Zalman fut celui qui donna accès à tous à la connaissance du sens profond de la Torah. Ce fut la rédaction du Tanya et le pouvoir de son enseignement. Mais il fut aussi l’érudit auquel son maître, le Maguid de Mézéritch, demanda de composer un Choul’han Arou’h, un code des lois juives, œuvre gigantesque qui continue de guider chacun. Il fut aussi celui qui affronta les difficiles évènements d’une époque troublée, qui sut tenir tête aux tentations du monde ainsi qu’aux puissants du temps sans jamais fléchir, sans jamais abandonner, apportant à chacun les réponses dont il avait besoin. De ce courage, de cette force indomptable surgit une flamme qui, depuis, n’a pas cessé de grandir.
Entre l’histoire de ces deux hommes, même brièvement rappelée, n’y a-t-il pas bien des similitudes ? La double sagesse, mystique et talmudique, le souci de l’autre, le sens de la route à suivre… tout cela est présent dans les deux cas. Est-ce vraiment étonnant ? Pas pour celui qui sait que la Sagesse est unique et qu’elle guide, au travers des siècles, ceux qui en sont les porteurs.
Etincelles de Machiah
Le parfum de Machia’h

Il arriva qu’un jour Rabbi Mena’hem Mendel de Horodok, peu après qu’il se soit installé en Israël, entendit un grand vacarme dans la rue. Quand il en demanda la raison, il lui fut répondu que le son d’un Choffar avait retenti du sommet d’une montagne et que les gens disaient qu’il s’agissait là de la sonnerie annonciatrice de la venue de Machia’h. En fait, on sut bien vite que ce n’était qu’un simple d’esprit qui était monté sur cette montagne pour y sonner du Choffar.
Pourtant, sans attendre ce complément d’information, Rabbi Mena’hem Mendel de Horodok ouvrit la fenêtre et dit “Non, il n’est pas venu, je ne sens pas le parfum de Machia’h”. Les ‘Hassidim de l’époque se posèrent alors la question : “Pourquoi Rabbi Mena’hem Mendel eut-il besoin d’ouvrir la fenêtre pour s’en rendre compte ?” Et ils répondirent : “parce que dans son bureau, ce parfum était constamment perceptible”.
(d’après la tradition orale)
Vivre avec la Paracha
Chemot

Je suis

Je suis Celui que Je serai Chemot 3 :14

Je suis avec vous dans votre détresse présente et je serai avec vous dans les exils et les persécutions futures (Rachi sur le verset)

Quand D.ieu apparut à Moché dans le buisson ardent et le chargea de la mission de sortir le peuple d'Israël d'Egypte, Moché dit au Tout-Puissant: "Voici, j'irai vers les Enfants d'Israël et je leur dirai, voici le D.ieu de vos pères m'a envoyé vers vous et ils demanderont: "quel est Son nom?" Que leur répondrai-je?".

Un D.ieu anonyme ?

Nommer quelque chose est le décrire et le définir. Ainsi D.ieu, Qui est infini et indéfinissable, ne peut être nommé. C'est pourquoi D.ieu ne possède aucun nom, mais des noms, des descriptions de Ses différents modes d'agissements qui peuvent être attribués à Son influence sur nos vies. Selon les mots du Midrach, "D.ieu dit à Moché: Tu veux connaître Mon nom? Je suis nommé par Mes actes. Je peux être appelé Kel Chakaï ou Tsevakot, Elokim ou Ha-Va-Yé-H.
Quand Je juge Mes créatures, Je suis Elokim. Quand Je mène la guerre contre les impies, Je suis appelé Tsevakot. Quand Je supporte les péchés des hommes, Je suis Kel Chakaï. Quand J'ai de la compassion sur Mon monde, Je suis appelé Ha-Va-Yé-H…"

C'est là que réside la signification profonde de la question que Moché attendait des Enfants d'Israël. " Quel est Son nom?" allaient-ils demander, sans aucun doute. A quel type de comportement divin allons-nous assister en ces temps ? Tu dis que D.ieu a vu la souffrance de Son peuple en Egypte, qu'Il a entendu ses cris et connaît sa douleur et c'est la raison pour laquelle Il t'a envoyé nous sauver. Mais où était-Il jusqu'à maintenant ? Où était-Il pendant les quatre-vingt-six ans au cours desquels nous avons ployé sous les fouets des esclavagistes, où les bébés ont été arrachés des bras de leurs mères et jetés dans le Nil, là où Pharaon se baignait dans le sang des enfants juifs ? Quel nom porte-t-Il maintenant, après quatre-vingt-six ans pendant lesquels Il ne portait aucun nom et était absent de nos vies ?



Divin mais non Saint

Comme il a été expliqué plus haut, chacun des noms divins décrit un autre des attributs par lequel D.ieu a choisi de communiquer avec Sa création. Elokim décrit l'attribut de Justice, Ha-Va-Yé-H Son attribut de compassion, etc. Eh-he-yeh ("Je serai"), le nom par lequel D.ieu Se présente à Moché connote l'attribut divin d'Etre et d'Existence.
C'est la raison pour laquelle, parmi les autorités rabbiniques, il en est certaines qui s'interrogent pour savoir si le nom Eh-he-yéh doit ou non être compté parmi les noms saints de D.ieu. La loi de la Torah interdit de gommer ou d'effacer le nom de D.ieu, car l'encre même et le papier ( ou tout autre support) acquièrent une sainteté par le fait qu'ils représentent quelque chose qui est lié au Divin. Alors qu'il existe de nombreux noms et adjectifs qui décrivent les facettes multiples de l'implication de D.ieu dans Sa création, il existe sept noms divins primordiaux pour lesquels s'appliquent les plus strictes dispositions de cette loi. Et pourtant, malgré le fait que de nombreux Kabbalistes considèrent Eh-he-yeh comme le plus élevé des noms divins, il n'est pas inclus dans certaines versions de la liste des sept noms comme elle apparaît dans le Talmud et les travaux hala'hiques; en fait, la conclusion de la Loi affirme même qu'il ne constitue pas l'un des sept noms saints !

L'on peut mieux saisir la raison de ce paradoxe en comprenant le sens du terme "sainteté". Qu'est-ce qui rend saint quelque chose ? Saint (kadoch, en hébreu) signifie "transcendant et séparé". D.ieu est saint parce qu'Il transcende notre réalité matérielle ; Chabbat est un jour saint parce que c'est un jour où l'on se retire de la matérialité quotidienne; un rouleau de la Torah ou une paire de Tefilines sont saints parce que ce sont des objets qui ont ostensiblement dépassé leur supports matériels pour représenter une fin divine.

La même chose s'applique aux sept noms divins: chacun décrit une activité divine qui dépasse la norme matérielle, une intervention divine dans la réalité, D.ieu comme dirigeant, D.ieu comme juge, D.ieu comme sustentateur, D.ieu comme sauveur etc. D'un autre côté, Eh-he-yeh ("Je serai") est D.ieu comme étant, D.ieu comme l'essence de la réalité. Ainsi, Eh-he-yeh est au-delà de la sainteté. Si la sainteté est un trait de la transcendance de D.ieu, l'être de D.ieu transcende la sainteté elle-même, décrivant une dimension de la réalité divine qui pénètre chaque existence même quand elle la transcende, et c'est pourquoi elle se relie de la même façon à toutes, qu'elles soient saintes ou matérielles.
[Néanmoins, Eh-he-yeh est un nom- c'est-à-dire un supposé mode de comportement de D.ieu. Le phénomène-même d'"existence" fait partie intégrante de la création de D.ieu et D.ieu ne peut certainement pas être défini par quelque chose qu'Il a créé. En dernier ressort, D.ieu ne peut être décrit comme " être " ou comme " existence " que dans le sens où nous parlons de Lui comme d'un sustentateur ou d'un dirigeant : ce sont de simples noms, ne décrivant pas Son essence mais une certaine perception qu'Il nous donne de Lui en affectant, dans certains aspects, notre réalité.]


La réponse

C'était là la réponse de D.ieu au cri de désespoir du peuple: "quel est Son nom?"

"Dis aux enfants d'Israël”, dit D.ieu à Moché, “que Mon nom est Eh-he-yé. Où étais-je toutes ces années ? Avec vous. Je suis l'être, Je suis l'existence. Je suis la réalité. Je suis dans le gémissement de l'esclave frappé, dans la plainte de la mère dépossédée, dans le sang répandu de l'enfant assassiné. Certaines choses doivent être, quelque incompréhensibles qu'elles soient pour vous humains, pour que de grandes choses, infiniment plus grandes et heureuses arrivent. Mais Je n'orchestre pas ces choses depuis des cieux lointains, saints et retirés de votre douleur existentielle. Je suis ici-bas avec vous, souffrant avec vous, priant pour la rédemption avec vous”.

Si vous ne pouvez pas Me voir, ce n'est pas parce que Je suis impalpable; c'est parce que Je suis extrêmement réel.
Le Coin de la Halacha
Qu'est-ce que le “ Chir Lamaalot ” qu'on garde dans la salle d’accouchement ?

Le “ Chir Lamaalot ” est le Psaume 121 qui souligne la confiance en D.ieu Qui protège chacun. La naissance est un moment très particulier où maman et bébé ont besoin d'être sécurisés par la présence de ces versets et d'autres mots de Torah dont l'importance est expliquée dans de nombreux livres, en particulier “ Keter Chem Tov ” (recueil de pensées du Baal Chem Tov).
Concrètement : on glissera la feuille où est imprimé le “ Chir Lamaalot ” dans une enveloppe qu'on gardera dans la salle d'accouchement. Après la naissance, on posera le “ Chir Lamaalot ” dans le berceau de l'enfant : cela constituera aussi sa première étude de la Torah !
A la maison, on accrochera aussi le “ Chir Lamaalot ” à la porte d'entrée et sur le mur de la chambre de l'enfant.
Dès la naissance, on achètera à l’enfant ses premiers livres saints :
- un Siddour (livre de prières)
- un ‘Houmach, Téhilim (Psaumes), Tanya (livre de base de la ‘Hassidout)
- un Ma’hzor (pour les fêtes)
ainsi qu’une boîte de Tsédaka (charité) et, pour les petites filles, un chandelier pour Chabbat.

F. L.

(Pour vous procurer un “ Chir Lamaalot ” joliment illustré, contactez le Beth Loubavitch - Comité du Chir Lamaalot - 8, rue Lamartine - 75009 Paris).
De Recit de la Semaine
Comment résister à l’envie de mettre les Téfilines ?

Bien qu’il ait abandonné de nombreuses pratiques religieuses dans son adolescence, dans les camps d’extermination, Benjamin A. Samuelson avait remarqué que ses camarades de détention qui étaient restés pratiquants avaient une certaine force morale que d’autres n’avaient pas. Les suicides étaient fréquents : faim, froid et désespoir faisaient se précipiter les détenus contre les fils de fer barbelés. Mais les Juifs pratiquants se rattachaient à des “ détails ” comme les repères du calendrier, la récitation par cœur de portions de la Michna ou des Psaumes. Certains d’entre eux risquaient même leur vie pour accomplir une Mitsva.

J’avais travaillé depuis plusieurs heures quand j’entendis quelqu’un m’appeler par mon nom, et non par le numéro tatoué à jamais sur mon bras gauche. Trop concentré sur ma tâche, j’ignorai l’appel d’autant que plus personne ne m’appelait autrement que par mon numéro. On m’appela encore une fois, avec l’accent yiddish : “ Benjamin A. Samuelson, c’est bien toi ? ” Je levai finalement la tête et regardai de l’autre côté de la table. Au début, je ne pouvais le croire mais c’était bien mon oncle Morde’haï, le frère de ma mère qui se tenait là… Je me souvenais de lui comme d’un homme robuste, jovial, grand d’1,95 m. Mais l’homme en face de moi était tout courbé de fatigue, amaigri à en faire peur.
Nous nous embrassâmes au-dessus de la table et parlâmes aussi vite que possible, chacun posant des questions sur les autres membres de la famille sans avoir le temps de répondre.
Un garde hurla en allemand le numéro de mon oncle pour qu’il arrête de perdre son temps. Dès que le Nazi sortit de l’atelier, mon oncle posa la question qu’il retenait depuis le début : qu’était-il arrivé à sa sœur Ra’hel, ma mère ? Je n’avais pas besoin de lui répondre, je désignai au loin la cheminée des chambres à gaz… Il avait compris en fait depuis le début et, écrasé de douleur comme moi-même, resta silencieux durant un long moment.
J’avais maintenant de la famille avec moi, je ne me sentais donc plus complètement abandonné.
Mon oncle Morde’haï était très pieux, il connaissait par cœur de nombreux passages de la Torah.
Cela ne faisait que quelques jours que j’avais été chargé de trier les vêtements des déportés quand je découvris des Téfilines, soigneusement enveloppés dans un Talit (châle de prière), caché dans la manche d’une chemise. Ils étaient apparemment très vieux, mais avaient été manipulés avec soin. Je pouvais aisément imaginer le vieux Juif qui les avait utilisés peut-être pendant des dizaines d’années. Je les montrais à mon oncle Morde’haï. Son visage s’illumina d’une joie que je n’avais jamais vue dans cet endroit maudit. Il les saisit doucement, semblant oublier tout ce qui l’entourait et murmura : “ Cela fait si longtemps… ! ”
Je revis mon oncle le même jour, derrière une baraque, il essayait de ne pas se faire remarquer mais j’avais compris : il avait réussi (comment ?) à faire sortir Talit et Téfilines de la salle de tri et maintenant il priait avec les Téfilines sur lui. Peu de gens le remarquèrent mais, malheureusement, un Nazi l’avait aperçu et déjà dirigeait son fusil contre lui : “ Voleur ! ”
Mon oncle tenta d’éviter les coups puis se roula presque en boule afin de protéger sa tête et de diminuer au maximum la surface de son corps susceptible d’être frappée.
Je savais que j’avais intérêt à m’enfuir au plus vite mais je ne pouvais abandonner là mon oncle que le Nazi frappait encore et encore… Mon oncle était le seul membre de ma famille qui me restait ! Je me précipitais vers eux et suppliais en allemand le garde de le laisser : “ C’est mon père, je vous en prie, ne le tuez pas ! ”
Le garde s’arrêta, surpris, et me toisa d’un regard hautain, vraiment dégoûté, un regard dont je me souviens encore aujourd’hui : “ Comment ? Tu as un voleur pour père ?… ” Il retenait encore mon oncle, gardait son poing sur son fusil.
“ Je vous en prie, il a fait une erreur, c’est tout ! Laissez-le ! ”
Je vis mon oncle bouger un peu bien qu’il saignât de partout. Le savoir encore en vie me redonnait courage. “ Je vous promets que c’est la dernière fois, qu’il ne recommencera plus ! ”
“ La prochaine fois, je serai sans pitié ! ” menaça le Nazi tandis qu’il rangeait son fusil et s’éloignait.
Dès qu’il fut parti, je me penchai vers mon oncle pour examiner ses blessures. Au moins il respirait encore presque normalement. Cela aurait pu être pire. Je lui tins la main pendant qu’il retrouvait ses esprits.
“ Je t’en prie ! Ne refais jamais cela ! le suppliai-je. Tu as vu ce que cela entraîne ! ”
Il hocha la tête, il était toujours incapable de parler. Il portait encore le Téfiline sur le bras gauche : il dégoulinait de sang. C’est alors qu’il se mit à pleurer. Puis il me regarda à travers ses larmes et, comme pour s’excuser de ce que j’avais dû intervenir en sa faveur, il expliqua : “ Comment pouvais-je résister à la vue des Téfilines… ?

Benjamin A. Samuelson
traduit par Feiga Lubecki