Samedi, 14 janvier 2023

  • Chémot
Editorial

 Un spirituel de saison

Dans notre calendrier, le mois de Tévèt est celui de l’hiver. Et, même si les évolutions climatiques en cours bousculent quelque peu nos habitudes, l’hiver est cependant bien là avec son cortège de brume, de pluie, et surtout cette sorte de retrait du soleil, comme un voilement de sa lumière, qui le caractérise. Il faut se souvenir de la vision juive des choses : tous les événements matériels, en l’occurrence le déroulement des saisons, sont d’abord la traduction dans notre monde d’événements spirituels qui les sous-tendent. C’est dire que l’hiver qui nous voit nous emmitoufler, en quelque sorte nous replier sur nous-mêmes dans l’attente de temps meilleurs, possède un sens également plus profond.

Au sujet du mois que nous traversons, les sages du Talmud ont une phrase apparemment sibylline : « c’est le mois où le corps jouit du corps. » Certes, cette phrase est dite dans un contexte particulier mais elle est d’application générale. Elle signifie clairement que cette espèce de rétrécissement suscité par l’hiver recentre les pensées de chacun sur les aspects corporels de la création plutôt que sur ce qui les dépasse. Disons-le autrement : voici venue la période de l’année où le matériel, le physique paraît l’emporter sur le spirituel. Cette réalité est justement soulignée par le retrait du soleil à nos yeux. Bien sûr, il est toujours présent mais comme plus lointain à notre regard et à notre ressenti. Là encore, la pensée juive guide notre vision : le soleil et son rayonnement, est-il dit, symbolise la Lumière Divine illuminant le monde, son retrait en marque la dissimulation. Dans cette optique, si l’été nous éclaire, l’hiver suscite une torpeur spirituelle qu’il faut percer.

On pourrait penser, ainsi présenté, que le corps est un obstacle à vaincre, presque un opposant de l’âme et de ce qu’elle incarne. Pourtant, arriver à une telle conclusion serait oublier le rôle essentiel joué dans la création justement par son élément matériel constitutif. En fait, si l’âme est bien un rayonnement de la Divinité, le corps est littéralement l’expression de Son essence. C’est lui que D.ieu choisit pour établir Sa créature ici-bas. Cela signifie que, d’une certaine manière, sa source spirituelle est encore supérieure à celle de l’âme. Et pourtant, nous ne voyons pas spontanément cet aspect en lui, nous y apparaît davantage la grossièreté de l’enveloppe qu’il donne à l’âme. C’est là que tient précisément sa grandeur. Il nous appartient de l’affiner, de l’élever afin qu’il révèle sa nature profonde et que, transformé par l’effort de l’étude et de l’observance, il nous introduise à un service de D.ieu complet et authentique. En ce mois d’hiver où sa présence est sans doute plus sensible, il nous revient d’entendre l’appel qu’il contient.

Etincelles de Machiah

 Les demandes des Sages de la génération

Plus la génération est tardive et spirituellement basse, plus haute est la lumière divine qui se revêt dans les ordonnances des Sages de la génération.

C’est en effet justement par le respect de ces ordonnances que l’on parvient à toutes les révélations du temps de Machia’h.

(d’après Likoutei Si’hot vol. IV, p. 1089)

Vivre avec la Paracha

 Chemot

Devant le nombre croissant des Enfants d’Israël en Egypte, le Pharaon les soumet à l’esclavage. Puis, il ordonne aux sages femmes juives, Chifrah et Pouah, de tuer tous les nouveau-nés garçons. Devant leur désobéissance, il ordonne que tous les bébés hébreux soient jetés dans le Nil. Amram et Yo’héved, la fille de Lévi, ont un fils qu’ils déposent dans une corbeille sur le Nil. Sa sœur Miriam surveille de loin et voit que la fille du Pharaon découvre l’enfant, le prend. Elle va l’élever comme son fils et le nommer Moché.

Moché, devenu un jeune-homme, découvre les souffrances de ses frères. Voyant un Egyptien s’acharner sur un Hébreu, il le tue. Le lendemain, alors qu’il veut séparer deux Juifs qui se querellent, ces derniers le menacent de rapporter son crime. Moché fuit donc à Midian. Il est secouru par les filles de Yitro. Il se marie avec l’une d’entre elle, Tsiporah et devient le berger de son beau-père.

L’âne du Machia’h

« Moché prit sa femme et ses enfants et les plaça sur l’âne ; et [il] retourna en terre d’Égypte. » (Chemot 4 :20)

Le prophète Zékharia (Zacharie) décrit le Machia’h comme un homme pauvre montant un âne ». Le sens simple du verset indique que le Machia’h, l’être humain le plus important de l’histoire, est le paroxysme de l’humilité. En fait, cette qualité représente la caractéristique des Justes, qui affirment que leurs talents et leurs accomplissements, la force dont ils sont investis en tant que dirigeants, ne leur appartiennent pas mais leur ont été donnés par leur Créateur. Ils vivent non pour se réaliser et s’accomplir eux-mêmes mais pour servir le but divin dans la Création.

A un niveau plus profond, l’âne du Machia’h représente l’essence même du processus messianique, un processus qui a commencé au début des temps et qui constitue l’âme de l’histoire. Au commencement, relate la Torah, quand D.ieu créa les cieux et la terre, alors que l’univers était encore vide, informe et plongé dans l’obscurité, l’ «esprit de D.ieu planait » au-dessus de l’existence émergeante. Le Midrach commente « l’esprit de D.ieu planait » en ces termes : « c’est l’esprit du Machia’h ». En effet, le Machia’h représente l’esprit divin de la Création, la vision d’un monde parfait qui est le but de D.ieu quand Il le crée et le peuple d’êtres dotés de volonté, de réflexion et d’accomplissements.

L’âne du Machia’h a une longue et prestigieuse histoire. De temps à autre, il fait une apparition, à travers les générations, et fait surface à des points-clé du processus messianique. Nous l’observons chaque fois remplir la même fonction, mais avec de légères différences qui traduisent les changements subis par notre monde dans son développement vers son ultime état de perfection.

Avraham, Moché et Machia’h

L’âne du Machia’h apparaît pour la première fois dans le vingt-deuxième chapitre de Beréchit (22 :3), lorsqu’Avraham se dirige pour accomplir le « sacrifice d’Its’hak », sa dixième et plus importance réitération de sa foi en D.ieu. « Avraham se leva tôt le matin et il prépara son âne », relate la Torah. Il le chargea du nécessaire au sacrifice (« le bois, le feu et le couteau ») pour le voyage de trois jours devant les conduire au Mont Moriah, à Jérusalem.

Sept générations plus tard, Moché fut envoyé par D.ieu pour sortir le Peuple juif d’Égypte et le conduire au Mont Sinaï pour recevoir la Torah. Pour s’engager dans cette mission, « Moché prit sa femme et ses enfants et les plaça sur l’âne ; et [il] retourna en terre d’Égypte. » « L’âne » souligne la Torah (avec l’article défini). Nos Sages expliquent qu’il s’agit du même âne que celui qui avait servi à Avraham et qui portera le Machia’h.

Nous constatons donc qu’Avraham, Moché et le Machia’h sont trois personnages qui utilisent l’âne ancestral pour accomplir leur mission divine. Cependant, c’est par l’intensité de l’exploitation de l’âne que divergent ces missions.

Avec Avraham, il porte le matériel nécessaire. Avec Moché, il porte sa femme et ses enfants. Quant au Machia’h, il est décrit comme montant lui-même l’âne.

Pour comprendre ces différents rôles que joue l’âne dans ces missions, il nous faut d’abord nous intéresser à la signification de ce qui se passa au Mont Sinaï, but de la mission de Moché, suivant celle d’Avraham et avant-coureuse de celle du Machia’h.

L’abrogation du décret

La sagesse conventionnelle veut que le spirituel soit supérieur au physique, le céleste plus noble que le matériel. Cependant, nos Sages nous ont enseigné que l’existence dans sa totalité, y compris les « mondes » spirituels les plus sublimes, a été créée parce que « D.ieu désire une résidence dans les royaumes inférieurs ». Notre existence physique est la raison d’être de toute la création Divine, l’environnement dans lequel se réalise le but de cette création.

D.ieu désire que nous raffinions et élevions l’existence matérielle, que la réalité physique, dont le manque de finesse et l’égocentrisme obscurcissent notre vision intérieure et déforment nos véritables priorités, soient réorientées en force positive dans notre vie, que nous mettions en lumière tout le bien et la perfection inhérents à toute Sa création, y compris, et tout particulièrement, la « plus basse » de Ses œuvres, le monde matériel.

Le mot hébreu pour « âne » est « ‘Hamor » qui vient de « ‘Homèr », « matériel ». L’âne du Machia’h représente la bête matérielle harnachée, le physique redirigé vers des fins plus élevées et plus spirituelles.

La mission de l’humanité d’élever la matérialité est un long processus qui demande une implication et un effort historique, dans lesquels chaque génération construit sur les accomplissements des générations qui l’ont précédée. Cela vient du fait que le monde physique et le monde spirituel sont séparés. En réalité, du fait de la nature-même de la création de D.ieu, un gouffre les divise. Par nature, voire par définition, celui qui se consacre à des poursuites spirituelles fuit le matériel tandis que le matérialisme prive l’âme de raffinement et émousse sa sensibilité spirituelle. Ce n’est qu’au Mont Sinaï que cet abîme entre l’esprit et la matière fut comblé. La réalité divine se révéla dans la matérialité terrestre. La Torah fut donnée à l’humanité, nous donnant ainsi le pouvoir de sanctifier le mondain, d’exprimer la vérité omniprésente de D.ieu à l’intérieur du monde matériel et par son intermédiaire.

Le précurseur, l’initiateur et l’aboutissement

Ce qui précède explique la différence dans la manière dont Avraham, Moché et le Machia’h impliquent « l’âne » matériel dans leur mission respective.

Avraham, le premier Juif, entama le processus de la sublimation de la matérialité en faisant en sorte, par le biais de son service divin, que le potentiel physique du monde puisse exprimer le bien et la perfection du Créateur. Mais Avraham vivait avant la Révélation sinaïtique, avant que D.ieu n’abroge le décret qui divisait le monde entre « le haut » et « le bas », entre la matière et l’esprit. A l’époque d’Avraham, l’ordre originel institué à la Création se perpétuait : le physique et le spirituel constituaient deux mondes séparés, incompatibles. Au mieux, ce qu’Avraham pouvait entreprendre était d’harnacher le matériel pour qu’il serve le spirituel, utiliser « l’âne » pour porter les objets pour son service divin. Le physique restait toujours aussi grossier et ne pouvait être utilisé dans sa vie spirituelle. Cependant, Avraham fit le premier pas en permettant à cette matérialité de l’aider.

En revanche, Moché s’embarquait dans une mission qui allait culminer quand il recevrait la Torah, le moyen par lequel D.ieu allait nous permettre de combler le fossé entre le royaume d’en haut et le royaume d’en bas. La Torah nous instruit sur la façon de sanctifier jusqu‘aux aspects les plus concrets de notre vie, d’intégrer toute notre matérialité et notre environnement dans notre démarche spirituelle et elle nous donne la force de le faire. C’est ainsi que Moché utilisa « l’âne » pour porter sa femme et ses enfants. La femme et les enfants d’un homme sont une extension de sa propre personne, selon les paroles de nos Sages : « la femme d’un homme est comme son propre corps » et « un enfant est un membre de son père » (Talmud, Erouvin 70b). A partir de Moché, le matériel commença à jouer un rôle central et intime dans notre implication dans la vie.

Mais Moché ne faisait que marquer le commencement des effets de la Torah sur le monde matériel. Depuis Sinaï, chaque fois que nous utilisons une ressource matérielle pour accomplir une Mitsva, comme donner de l’argent à la charité, utiliser l’énergie de notre corps apportée par les aliments que nous consommons, pour alimenter notre ferveur dans la prière, etc., nous raffinons ces forces et ces objets matériels, les débarrassant de leur mondanité et de leur médiocrité. C’est avec de telles actions que le monde matériel devient bien plus saint, bien plus en harmonie avec sa fonction intrinsèque.

De plus, chacune de ces actions nous rapproche du jour où notre monde sera complètement délivré de toute l’enveloppe de grossièreté, source d’ignorance et de conflits, proclamant une aube nouvelle de paix et de perfection universelles.

Ainsi, le Machia’h, qui représente l’accomplissement ultime de la Torah, monte lui-même l’âne de la matérialité. Le Machia’h représente un monde dans lequel le matériel n’est plus « le plus bas » ou un élément secondaire mais une source parfaitement raffinée, une force du bien, pas moins essentielle et significative que ne l’est la création la plus spirituelle qui soit.

Le Coin de la Halacha

 En quoi consiste l’interdiction d’écrire le Chabbat ?

Selon la Torah, il est interdit, Chabbat, d’écrire deux lettres ; cependant, selon les Sages, même écrire une seule lettre est problématique. Il est interdit d’écrire en toute langue et de dessiner, avec de l’encre ou même avec un liquide qui se serait renversé sur la table. On n’écrit pas non plus sur la buée qui se forme sur la fenêtre, même si l’écriture disparaitra d’elle-même. On ne déchire pas un papier selon la forme d’une lettre. On n’écrit ni de la main droite ni de la main gauche ni du pied ; on ne prend ni photo ni vidéo. On ne coupe pas les fruits et légumes de façon à former des lettres ou des dessins. On n’assemble pas les pièces d’un puzzle si celles-ci deviennent collées de façon durable.

Tout commerce est interdit de peur qu’on en vienne à écrire. On n’offre pas de cadeau le Chabbat. On ne (se) pèse pas et on ne (se) mesure pas. On ne procède pas à un tirage au sort de peur d’être amené à écrire.

(d’après « Assadère Lisseoudata »)

Le Recit de la Semaine

 Bar Mitsva par Zoom

Le 17 juin 2020, durant le pic de l’épidémie de Covid, alors que le monde entier était confiné, j’ai enfin célébré ma Bar Mitsva à l’âge de 74 ans, grâce à un appel Zoom avec Rav Lévi Gerlitzky, ici à Kona, Hawaï. Je ne le connaissais que depuis peu et seulement par écran interposé mais, quand je lui ai appris que je voulais enfin célébrer ma Bar Mitsva, il m’a conseillé d’acheter ma propre paire de Téfilines.

Nous avons convenu qu’il me consacrerait une heure de cours de Torah le mercredi à 15h 30. Nous avons effectivement tenu à respecter ce cours régulièrement mais, ce jour-là, j’avais reçu ma propre paire de Téfilines. Rav Gerlitzky me montra comment exactement enrouler les lanières autour du bras puis de la tête. A l’époque, je ne connaissais pas du tout l’hébreu et il m’a lentement demandé de répéter les phrases après lui : maintenant je sais qu’il s’agissait de la bénédiction et du Chema Israël. J’ai dû écorcher les mots qui étaient si nouveaux pour moi mais, à la fin, il m’a félicité, s’est mis à chanter et danser devant son écran : ce fut pour moi un moment fort de ma vie.

J’ai grandi dans une famille juive assimilée dans un faubourg huppé de San Francisco. Enfant, je ne connaissais rien du judaïsme et n’avais aucun ami juif. Dans les années 60, j’étais perdu. Comme le judaïsme était absent de ma vie, je vivais dans un vide spirituel sidéral et je fus vite fasciné par une philosophie nouvelle et narcissique qui envahissait les esprits des jeunes qui, comme moi, n’évoluaient dans aucun cadre religieux. C’était très séduisant, les normes de la société pouvaient être rejetées, nous étions des esprits éclairés. Comme toute personne sans minimum d’attache morale, je m’enfonçai toujours davantage dans le sable mouvant tout en m’imaginant que je m’élevai au-dessus du commun des mortels. Où ce « Nouvel Age » allait-il me conduire ? Je laissai tomber l’université, me mariai mais pas pour longtemps. Je me sentais de plus en plus seul, n’appartenant à aucune confrérie de hippies ; jeune homme à la recherche de la vérité, je m’intéressai - oh ironie du sort - à une ancienne secte juive, les Esséniens et leurs pratiques diététiques, prières et jeûnes mais sans référence au judaïsme traditionnel. Je jeûnai fréquemment mais je n’eus droit à aucune révélation mystique. J’étais complètement perdu, ne sachant où me situer et comment évoluer.

Puis quelqu’un me tendit un livre intitulé « A la recherche du miraculeux ». Il contenait des exercices pour regagner confiance en soi, avec sur la couverture une flèche pointant dans deux directions : l’une vers soi-même, l’autre vers la personne ou l’objet auquel on s’intéressait. Ce concept devint ma nouvelle divinité. Je reconnaissais deux forces en moi et, d’une certaine manière, cela m’aida à m’extraire de ce puits sans fond.

J’arrivai à Hawaï, je me mis à travailler et à me couler dans un moule de normalité. Je m’intéressai à une émission d’un certain Dennis Prager qui parlait souvent de judaïsme, de morale et de spiritualité. Petit à petit, cela m’amena à étudier la Torah : j’appris ainsi que D.ieu a créé le monde avec les lettres hébraïques, j’étudiai un peu de Kabbala et appris que rien n’existe en-dehors de l’infini divin. Il nous contient tous et l’impression d’éloignement que nous éprouvons est un mirage créé par Lui dans un but connu de Lui seul. Par l’intermédiaire des Mitsvot, nous pouvons nous relier à Lui, retrouver cette proximité qui nous manque tant et recommencer à exister vraiment.

Les larmes versées lors de cette première mise de Téfilines – célébrant ainsi ma Bar Mitsva à l’âge de 74 ans – ont depuis longtemps séché mais, chaque jour, quand je les mets, je ressens combien je commence à renaître. Parfois, je me demande si les parents qui se disent athées se rendent compte qu’ils ne rendent pas service à leurs enfants en leur cachant cette part de leur héritage spirituel : un jour ou l’autre, la Nechama, l’âme juive éternelle se réveille et souffre jusqu’à ce qu’elle découvre enfin la vérité grâce à des gens comme Rav Gerlitzky, sa patience et son dévouement pour rattraper toute l’éducation à laquelle je n’ai pas eu droit.

Depuis ce jour, j’ai appris – à 74 ans – à lire l’hébreu et étudier sérieusement le bagage juif qui me manque encore tellement. Chaque jour, je progresse, à la façon d’un tout jeune Bar Mitsva…

Chema Israël, Écoute Israël, l’Éternel est notre D.ieu, l’Éternel est Un !

John Most – chabad.org

Traduit par Feiga Lubecki

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