Réflexions de saison
Mi-Tévèt, cœur de l’hiver d’année en année, malgré les évolutions climatiques parfois surprenantes. Enoncer cela, c’est certes dire une évidence mais c’est aussi prendre brutalement conscience que la saison invite à l’hibernation. La perspective n’est guère réjouissante. Ainsi nous serions condamnés à une forme d’endormissement sans espoir, d’insensibilité à l’extérieur, d’oubli de l’essentiel ? On sait que la vision juive privilégie toujours la vie et l’action, que, devant la somnolence qui s’installe, elle appelle immanquablement au sursaut, au réveil. De fait, d’un point de vue spirituel, selon l’enseignement du Talmud, « le sommeil est un soixantième de la mort » ! Alors comment affronter cette période où, au contraire, tout paraît y inviter ?
Dans le contexte du Livre d’Esther, les Sages relèvent que le mois de Tévèt est celui où « le corps jouit du corps ». Outre le sens premier de cette phrase qui souligne encore la prégnance du physique, de la corporalité, en cette saison, il faut y entendre une signification plus profonde. Ainsi dit le commentaire : « Le corps d’En-Haut jouit du corps d’en bas ». Nous sommes donc renvoyés aux premiers instants de la création, lorsque le Créateur choisit de donner vie à l’univers et d’y placer l’homme, l’être qui en constitue le couronnement, le but ultime. Afin que celui-ci ait les moyens d’accomplir la mission qui lui est confiée, D.ieu le crée « à Son image, selon Sa forme ». Cela ne veut pas dire que Lui-même aurait une forme matérielle quelconque mais plutôt que celle de l’homme renvoie à Sa structure spirituelle. C’est dans le même sens qu’il faut comprendre la phrase citée « le corps d’En-Haut jouit du corps d’en bas » : D.ieu attend les actes de l’homme dans ce monde matériel et Il S’en réjouit.
Nous sommes donc bien loin d’une hibernation montante. Tévèt doit être le temps du réveil et sans doute le froid du monde n’est-il qu’un défi à relever, présent pour susciter l’effort et la vaillance de chacun de ceux qui voudront l’affronter en conscience, sachant que la chaleur, comme la lumière, ne peut connaître que la victoire. Eternellement.
Chaque prière est un progrès
Pour la Délivrance du Peuple juif, une Délivrance éternelle qui ne sera suivie d’aucun autre exil, nous devons augmenter nos prières, les premières et les dernières générations. Les prières des premières générations aideront celles des dernières générations.
Ce sera plus facile pour les dernières générations qui sont plus proches de la Délivrance finale. Leurs prières seront plus acceptées que celles des premières générations. Puisque le sujet est si important, il doit y avoir une abondance de prières, génération après génération, afin que les prières pour la Délivrance soient acceptées.
(d’après Beth Elokim LéHamabit, Porte de la prière, chap. 17)
Chemot
Devant le nombre croissant des Enfants d’Israël en Egypte, le Pharaon les soumet à l’esclavage. Puis il ordonne aux sage-femmes juives, Chifra et Poua, de tuer tous les nouveau-nés garçons. Devant leur désobéissance, il ordonne que tous les bébés hébreux soient jetés dans le Nil.
Amram et Yo’héved, la fille de Lévi, ont un fils qu’ils déposent dans une corbeille sur le Nil. Sa sœur Miryam surveille de loin et voit que la fille du Pharaon découvre l’enfant, le prend. Elle va l’élever comme son fils et le nommer Moché.
Moché, devenu un jeune-homme, découvre les souffrances de ses frères. Voyant un Egyptien s’acharner sur un Hébreu, il le tue. Le lendemain, alors qu’il veut séparer deux Juifs qui se querellent, ces derniers le menacent de rapporter son crime. Moché fuit donc à Midian. Il est secouru par les filles de Yitro. Il se marie avec l’une d’entre elle, Tsipora et devient le berger de son beau-père.
LEADER DÈS LA NAISSANCE
Moché protégé ?
Moché est élevé au sein du palais royal par le Pharaon et sa fille Batya, dans un cadre clos et protégé. Bien que l'on puisse supposer que Moché ait eu conscience de son appartenance au peuple hébreu, il demeure néanmoins surprenant qu'à sa première occasion de s'aventurer à l'extérieur, il soit témoin de la brutalité exercée par un maître égyptien sur un esclave juif. En conséquence, Moché choisit d’agir en tuant l'Égyptien, ce qui le contraint à fuir.
Le fait que Moché, ayant évolué dans en environnement protecteur, ait risqué sa propre vie pour défendre ses frères témoigne déjà de l'émergence précoce de ses qualités de leader. En effet, comme une analyse attentive de la Paracha de cette semaine le mettra en lumière, Moché n'a pas simplement assumé sans préparation le rôle de leader. Il ne l'a ni recherché ni conquis ; il s'agit d'un processus qui a débuté dès sa naissance et s'est progressivement manifesté, lors de moments-clés, tout au long de sa vie.
« Moché était bon »
En réalité, le leadership n'est pas une compétence acquise ; il requiert la possession d’une qualité innée. La Torah souligne ici l’unicité de Moché dès sa naissance. A son arrivée dans ce monde, elle nous informe qu'ils « virent qu'il était bon ».
Une question évidente se pose alors : chaque nouveau-né est généralement perçu comme bon, en particulier par sa mère. Que signifie donc cette distinction accordée à Moché par la Torah en tant qu'enfant bon ?
Une des réponses proposées par le Talmud indique qu’à sa naissance, il illumina toute la maison. La bonté de Moïse s’exprimait par la lumière qu'il émettait. Cependant, cette réponse nécessite également des éclaircissements. Tout d'abord, la Torah affirme qu'il était « bon » et non simplement lumineux. Il est vrai que le premier élément qualifié de « bon » fut la création de la lumière lorsque la Torah déclare : « Et D.ieu vit que la lumière était bonne », établissant ainsi un lien entre bonté et lumière. Néanmoins, demeure la question suivante : pourquoi la Torah ne précise-t-elle pas simplement que lors de sa naissance, il illumina toute la maison ?
Pour répondre à cette interrogation, nous devrions recentrer notre réflexion sur une autre question : que signifie pour la Torah l'affirmation selon laquelle « Dieu vit que c'était bon » ? Comment pourrait-il en être autrement concernant les créations divines ?
Définition du bien
La notion de "bien" dans le cadre de la création et de la naissance de Moché ne se limite pas à l'absence de mal, mais plutôt à l'idée que ce qui a été créé possède déjà, dès sa genèse, le potentiel nécessaire pour réaliser l'objectif pour lequel il a été conçu. Ainsi, il convient d'interpréter le terme "bien" comme désignant une création dotée de toute la puissance potentielle afin d'accomplir le Dessein divin.
En conséquence, lorsque la Torah indique que Moché était bon au moment de sa naissance, cela signifie qu'il ne possédait pas seulement le potentiel correspondant à la raison pour laquelle son âme était venue dans ce monde ; cette qualité était également manifeste aux yeux de tous ceux qui l'observaient. Sa mission ultime - celle d'apporter lumière, espoir et réconfort au Peuple juif de sa génération ainsi qu'aux générations futures - était évidente dès les premiers instants de sa vie.
En d'autres termes, bien que nombre d'individus puissent être destinés à des rôles de leadership, ce potentiel n'est souvent révélé qu'à un stade ultérieur de leur existence. En revanche, concernant Moché, sa mission était clairement identifiable dès sa naissance.
Cependant, même Moché n'a pas accédé sans difficulté à son rôle de leader. Il lui a fallu faire preuve d'un dévouement exceptionnel envers les personnes qu'il allait guider, étant prêt à risquer son propre avenir, et peut-être sa vie, pour les défendre.
Ainsi, la Torah relate comment il fut profondément indigné et affecté par la souffrance de ses semblables, au point qu'il réagit avec une intensité remarquable. Ce ne fut pas une réaction impulsive mais plutôt l'émergence du feu intérieur qui animait son âme. Alors que d'autres adolescents montrent divers signes dans leur développement, indiquant qu’ils ont atteint des étapes biologiques spécifiques, l'entrée à l’âge adulte de Moché se distinguait par son sens mature et sophistiqué du souci pour autrui.
Le berger fidèle
Cependant, cet acte de dévouement pour défendre son compatriote juif ne suffisait pas encore pour le préparer à son rôle de libérateur et de dirigeant de la nation juive.
La troisième étape, selon le Midrach, est celle qui concerne son rôle en tant que berger. La Torah met en avant que la première rencontre entre D.ieu et Moché au buisson ardent s'est déroulée alors qu'il faisait paître les moutons de son beau-père Yitro. Selon le Midrach, cela constituait le dernier test divin pour évaluer la qualification de Moché à assumer cette fonction dirigeante. En démontrant sa préoccupation pour chaque petit agneau, en veillant aux besoins spécifiques de chacun, sans se limiter à prendre soin du troupeau dans son ensemble, il a montré qu’il possédait l'ingrédient crucial d'un véritable leader, capable d’accorder une attention particulière à chaque membre individuel de la communauté, plutôt que de focaliser uniquement sur le collectif.
Cependant, cela ne suffisait pas encore à établir Moché dans un rôle de leadership. L'étape ultime semble être son humilité et sa réticence à accepter cette immense responsabilité.
En somme, le leadership juif constitue une qualité innée dont les signes sont déjà perceptibles dès le jeune âge. Néanmoins, un authentique leader doit manifester une préoccupation « fanatique » pour la souffrance de ses semblables, même lorsque cela comporte des risques personnels. De surcroît, ce zèle doit être accompagné d’un sentiment nourrissant et chaleureux envers chaque individu, indépendamment de l'apparente insignifiance de celui-ci. Enfin, un véritable leader doit faire preuve d'une profonde humilité et ne pas aspirer à la gloire personnelle.
Toutes ces qualités manifestées par Moché étaient également représentatives des grands futurs leaders du Peuple juif. Toutefois, parmi tous les plus grands leaders juifs, celui qui sera désigné comme Machia’h incarnera l'héritier ultime du legs laissé par Moché.
« Croissez et Multipliez » :
Combien d’enfants mettre au monde ?
Le Créateur a demandé à Adam et Eve (puis à Noé et sa famille après le déluge) de mettre au monde des enfants. Chaque nouvelle vie sur terre est considérée comme une bénédiction et permet de rendre le monde habité et civilisé, prêt à accueillir la Présence Divine.
Selon la loi stricte (l’opinion de Hillel), l’homme est quitte de la Mitsva s’il a donné naissance à au moins un garçon et une fille. (Un enfant né d’une relation interdite n’est pas considéré comme rendant quitte de son obligation de mettre des enfants au monde). Selon Rabbi Yehochoua, on doit continuer à mettre au monde des enfants et ne pas se suffire du minimum. Le Rabbi de Loubavitch ajoute qu’une femme désire – généralement – naturellement mettre au monde et élever des enfants et il n’est donc pas nécessaire de lui imposer cela comme un commandement spécifique.
Les non-Juifs ont également l’obligation de donner naissance à des enfants et ainsi de peupler le monde.
Quand D.ieu ordonne quelque chose, Il fournit aussi les capacités nécessaires (force physique, finances, logement adéquat etc.) pour remplir la mission.
Les parents ont l’obligation de veiller aux besoins de leurs enfants : nourriture, vêtements, soins médicaux, éducation etc.
Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi enseigne (dans Likoutei Torah) que donner naissance à des enfants provient de « la brillance et de l’habillement de la Lumière infinie de D.ieu qui donne naissance à quelque chose à partir de rien (ex-nihilo) : le fait que d’une personne peuvent naître de nombreuses âmes est comparable à la puissance créatrice infinie de D.ieu ».
Il existe aussi une Mitsva spirituelle de « donner naissance » à d’autres Juifs en les inspirant à approfondir leurs connaissances de la Torah et à intensifier leur pratique des commandements.
(d’après Rav Yisroel Dovid Klein - chabad.org)
Dans l’enfer de Be’eri
Réïm était un étudiant qui fréquentait parfois notre Beth ‘Habad sans vraiment s’impliquer. Il n’avait jamais été enthousiaste à propos du judaïsme bien que, de temps en temps, il acceptât de mettre les Téfilines ; il lui arrivait aussi de suivre mes cours de Torah.
Réïm fait partie du bataillon d’élite Maglane de Tsahal, l’armée de défense d’Israël. Durant quatre mois, il a combattu sans relâche à Gaza, sans prendre le temps de respirer et encore moins de téléphoner. Le jour où il a enfin été autorisé à prendre quelques jours de récupération, il m’a appelé :
- Réïm ! Quelle joie de t’entendre ! Comment vas-tu ?
- Tout a changé, Rav Eliézer ! répondit-il, très sérieux. Il faut que je te raconte ce qui s’est passé pour moi le 7 octobre.
Je me trouvais à Tel-Aviv, relax, quand des nouvelles alarmantes commencèrent à circuler. Je me suis senti inutile et furieux et je me suis donc immédiatement dirigé vers ma base. Je n’avais ni armes ni moyens de protection - juste le besoin d’agir et d’aider.
Nous avons passé des heures à la base, à supplier le commandant de nous envoyer vers le sud mais tout était tellement chaotique, c’était la panique… Finalement, n’y tenant plus, je me suis précipité avec des camarades vers le Kibboutz Be’eri car nous avions appris que les gens là-bas avaient besoin d’aide. Ce que nous y avons vu dépasse toutes les horreurs que l’on puisse imaginer.
On nous a annoncé qu’une femme s’était barricadée dans une maison avec ses deux jeunes enfants. Nous avons frappé à la porte en criant que nous étions des soldats israéliens accourus pour la sauver. Mais elle était pétrifiée, refusant de sortir car elle était persuadée que nous étions des terroristes déguisés en soldats. Le fait que nous parlions en hébreu ne suffisait pas à la rassurer, après tous de nombreux Arabes parlent eux aussi cette langue, surtout ceux qui avaient travaillé pendant des années dans ce Kibboutz et y avaient été bien traités…
Nous avons tout essayé pour la rassurer mais elle ne voulait toujours pas ouvrir la porte tandis que ses enfants pleuraient de faim, de soif et surtout de peur. Et peut-être même de manque d’air pour respirer.
Désespéré, j’ai soudain réalisé qu’une seule phrase pourrait la convaincre de notre sincérité et, du fond de mon cœur, j’ai crié : « Chema Israël Ado-naï Elo-hénou Ado-naï É’had ».
A ce moment, elle a ouvert la porte : elle était pâle, encore paniquée mais soulagée : « Oui, c’est vrai, vous êtes juifs ! » trouva-t-elle la force de murmurer en acceptant finalement de sortir et de laisser ses enfants respirer.
A partir de cet instant, continua Réïm, tout a changé pour moi. Cette femme habitait un Kibboutz très laïc, dans lequel on ne pratiquait absolument aucune trace de judaïsme. Je ne pense pas qu’elle ait récité le Chema dans sa vie : au mieux, elle avait dû l’entendre une fois, dans un récit peut-être. Mais ce verset, ce fut tout ce qu’il fallait pour créer un lien entre nous et la mettre en confiance pour qu’elle ouvre la porte.
Cela m’a fait réaliser que le judaïsme est quelque chose de beaucoup plus profond qu’une simple étiquette, une case à cocher si on en a envie ou à rejeter si on n’est pas intéressé. Peu importe si on pratique ou non, le judaïsme fait partie de notre identité même si nous ne l’avons pas reçu dans notre éducation, même si on nous a appris à l’ignorer ou pire : à le mépriser. C’est dans notre sang, c’est notre âme, c’est notre vie.
A partir de ce moment, j’ai décidé de mettre les Téfilines tous les jours. J’ai ressenti le besoin de réciter ce verset tous les jours. Et jusqu’à maintenant, je n’ai jamais manqué un jour, même dans le chaos de la guerre, même dans les pires moments à Gaza !
J’en avais les larmes aux yeux et je n’arrivais plus à parler tellement le récit de Réïm m’avait bouleversé. Et je sais que tel est le cas pour toutes les personnes qui ont entendu son histoire.
Rav Eliezer Klain - Chabad on Campus – Haïfa - COLlive
Traduit par Feiga Lubecki