Le soleil a rendez-vous avec la lune
Dire que le calendrier structure le temps relève de l’évidence. Pour le judaïsme, l’affirmation présente sans doute un caractère encore plus concret et quotidien. De fait, le déroulement des semaines – avec le Chabbat en point culminant, des mois – avec les jours de fête qui les parsèment au fil de l’année, constitue le fondement d’un véritable mode de vie. Du reste, dans l’histoire, les ennemis du peuple juif ne s’y sont guère trompés, qui, Grecs ou Romains, prirent soin de prévoir, parmi leurs décrets inhumains, l’interdiction de proclamer le début des mois. Nous le savons aujourd’hui : ce fut une vaine tentative d’éteindre l’âme juive. Mais cela attire notre attention sur ce qu’est notre calendrier, précieux et familier.
Et voici que cette année 5776 présente treize mois. La raison technique en est connue : le déroulement des mois étant lunaire dans le calendrier juif tandis que celui de l’année est solaire, et les deux cycles n’étant pas égaux, il convient régulièrement de rétablir leur cohérence par un rattrapage des jours enfuis. Ce rattrapage est réalisé par l’ajout d’un mois, celui de Adar I qui commence à présent, afin que la fête de Pessa’h tombe bien au printemps comme le stipule le texte de la Torah.
Le phénomène est intéressant à bien des titres mais surtout il enferme une leçon spirituelle essentielle. Comme il a été dit, il y ici un décalage entre le soleil et la lune et c’est lui qu’on entreprend de combler. Le soleil est le dispensateur de la lumière tandis que la lune ne brille que parce qu’elle en reflète l’éclat. Pour cette raison physique, les commentateurs ont fait de chacun de ces astres, pour le premier le symbole de celui qui donne et, pour le second, la figure de celui qui reçoit et utilise. Il est remarquable que chacun trouve ici son rôle parfait. L’un donne et, sans son don, rien ne pourrait être accompli. L’autre reçoit et, sans son intervention, rien ne serait jamais sorti du don. Notre vie n’est-elle pas structurée aussi autour de telles notions ? Ne sommes-nous pas tous, tour à tour, celui qui donne et celui qui reçoit ? Il nous appartient de construire un monde autour de cela.
Alors que le mois de Adar I s’ouvre devant nous, sachons ressentir cette nouvelle harmonie. Elle ne fait pas que pénétrer la structure du temps, elle envahit notre âme et lui donne un champ d’action renouvelé.
Le Michcan et le troisième Temple
«Et vous ferez pour Moi un Sanctuaire» (Ex. 25:8). Ce commandement fut donné par D.ieu à Moïse alors que les Juifs n’étaient pas encore entrés en Israël après la sortie d’Egypte. Ils édifièrent donc le Michcan – le Tabernacle qui les accompagna pendant leur marche dans le désert. Cependant, ce commandement inclut également la construction – bien plus tard – du Temple de Jérusalem ainsi que celle du troisième Temple qui sera édifié par le Machia’h.
Puisque le Michcan et les trois Temples proviennent du même ordre de D.ieu, on comprend pourquoi il peut nous être enseigné que le Michcan fait par Moïse se révèlera de nouveau dans le troisième Temple. Bien que ce premier édifice ait accompagné les Juifs en dehors d’Israël, dans une situation d’exil, il a un lien particulier avec le troisième Temple. Car celui-ci, concrétisation de la Délivrance finale, sera fait de nos actes en temps d’exil.
(Extrait d’une Si’ha de Souccot 5746)
Le bois de la folie
Seul avec D.ieu, Moché étudie les détails de la construction du Michkan (Tabernacle), le Temple portatif décrit dans la Paracha de cette semaine. Il allait devenir le centre spirituel des Juifs, voire du monde entier : le lieu où la Che’hina (Présence Divine) serait révélée.
Le Michkan était construit par l’érection de longues poutres de bois, chacune soutenue à sa base par deux lourds blocs d’argent dans lesquels la poutre entrait. Elles étaient recouvertes d’or et solidement fixées les unes aux autres. Elles constituaient les parois du Tabernacle, des couches de rideaux en formant le toit.
A l’intérieur du Michkan, étaient déposés la Menorah, une Table et un autel pour les encens, le tout en or. Derrière un rideau magnifiquement brodé, se situait le Kodech Hakodachim (le Saint des Saints) où se trouvait l’Arche Sainte en or. Elle renfermait les Tables de la Loi en saphir gravées des Dix Commandements, que Moché avait ramenées du Mont Sinaï.
Le Sanctuaire érigé par Moché existait il y a longtemps et sera reconstruit à Jérusalem sous la forme du Temple.
Mais il existe également un Temple intérieur dans le cœur de chaque homme et de chaque femme.
Les détails de la construction du Temple matériel donnés par la Paracha nous aident à ériger notre Temple personnel, de sorte que la présence Divine y réside également, à l’intérieur de nous.
Le bois utilisé pour les poutres possède un nom étrange qui se traduit littéralement par «bois de la folie». Or ce nom nous aide à comprendre le but du Michkan et de la vie.
Le comportement humain peut suivre un mode normal, civilisé. C’est la norme. Des attitudes basses, vulgaires ou dépravées vont en-deçà de cette norme. C’est ce qu’on appelle «la folie». Toutes les fautes et le mal naissent de ce genre de folie.
Mais il existe un autre type de folie qui implique de s’élever au-delà de la norme. C’est ce que l’on nomme la «sainte folie». Par la foi, la dévotion, le sacrifice et l’amour, la personne s’élève au-dessus du niveau dit ordinaire. Elle fait un pas qui peut être exceptionnel. Imaginez quelqu’un qui décide de mettre les Tefilines tous les jours ou qui décide de transformer sa cuisine et de la rendre véritablement cachère.
Le Judaïsme s’appuie sur la force générée par de telles décisions.
Si nous avons survécu, au cours des millénaires, c’est grâce à la force de cette «folie sacrée», de notre volonté occasionnelle d’aller au-delà de la norme de la rationalité conventionnelle. Le bon en avant que nous opérons alors nous délivre des excès et des errances de notre folie inférieure et déplaisante. Le mal est transformé en bien, l’obscurité en lumière. Et c’est par ce processus que nous construisons notre Sanctuaire intérieur.
C’est la raison pour laquelle le Michkan était construit à partir de bois d’acacia, «le bois de la folie». Cette quête pour progresser nous permet de passer de la raison ordinaire à la «sainte folie» et de transformer notre folie matérialiste en spiritualité. Et c’est ainsi que nous parvenons à révéler la Che’hina, la présence de D.ieu. Elle illumine le Sanctuaire de notre cœur, de notre maison, de notre vie, et, en dernier ressort, depuis le Temple de Jérusalem, le monde entier.
La femme et le Sanctuaire
La première expression de cette révélation Divine dans le monde entier se manifesta dans le Gan Eden, dont la Torah nous dit qu’y résidaient Adam, ‘Hava et la Présence de D.ieu. Cependant, le monde n’était pas prêt. Comme nous le savons, Adam et ‘Hava consommèrent le fruit de la connaissance du bien et du mal et la conséquence en fut que la Présence Divine se cacha. Les fautes des générations suivantes, comme le meurtre de Abel par Caïn, ne firent que la dissimuler encore davantage. Toutefois, avec Avraham commença le processus de retour sur terre de la Présence de D.ieu, qui se poursuivit avec Its’hak, Yaakov et les générations suivantes.
A la septième génération après Avraham, survint Moché. Nos Sages nous indiquent que les «septièmes» ont beaucoup de chances et de succès. Et en effet, cela se vérifie avec les accomplissements de Moché. Ce fut lui qui permit la réalisation du premier objectif de la Création par la manifestation de D.ieu dans le Michkan et tout particulièrement dans le Kodech Hakodachim. Les étapes suivantes allaient se révéler dans le premier Temple, dans le second Temple et finalement dans le troisème Temple, à Jérusalem.
Le fait que la Présence Divine réside dans le Saint des Saints n’est pas indépendant de la vie de chacun d’entre nous, comme nous l’avons vu précédemment. Nous lisons dans la Paracha : «Ils me feront un Sanctuaire et Je résiderai parmi eux», c'est-à-dire en chacun de nous.
Le Rabbi souligne que les femmes jouèrent un rôle particulièrement significatif dans la construction du Michkan. Elles manifestèrent un très grand enthousiasme, y contribuant en offrant de l’or, de l’argent, du cuivre, des pierres précieuses, des laines teintes, du lin. Elles apportèrent également leur aide par d’artistiques travaux de tissage. Il est à noter que les femmes avaient refusé catégoriquement de participer à l’érection du veau d’or, antithèse même de tout ce qui s’exprimait dans le Michkan.
De nos jours aussi, la femme joue un rôle essentiel dans la création de notre Sanctuaire personnel : la maison Juive. La force spirituelle de la femme peut se comprendre par l’idée de la Cabbale selon laquelle la femme a un lien avec le septième attribut divin : la Royauté, qui implique la perfection et l’accomplissement dans le monde concret. En d’autres termes, la femme possède une sensibilité attribuée par D.ieu qui lui permet de reconnaître le positif et le saint dans ce qui convient d’encourager et l’inverse.
Bien évidemment, cette sensibilité doit être nourrie par l’étude personnelle de la Torah et la pratique des Mitsvot.
Et c’est ainsi que les femmes avec leurs époux et leur famille pourront révéler la Présence Divine dans leur maison, dans leur environnement et d’une manière générale ce qui nous mènera au troisième Temple d’où l’humanité entière percevra D.ieu.
Comment se prépare-t-on à la prière ?
Il est nécessaire de se préparer à la prière : en effet, il est impossible de « sauter » d’une occupation purement matérielle (manger, boire, dormir…) à un niveau aussi élevé que celui du monde d’Atsilout (le monde le plus proche de la divinité) – sans préparation préalable.
La Michna recommande : « On ne prie que lorsqu’on est sérieusement préparé ».
Cette préparation peut demander un certain temps, selon les personnes, mais est nécessaire.
- Les hommes se purifient en se trempant au Mikvé (bain rituel), comme le recommande Rav ‘Haï Gaon ainsi que Likouté Torah (Parachat Tavo 53a).
- On étudie ‘Hassidout en s’efforçant d’internaliser ce qu’on a appris. Les ‘Hassidim ont la coutume d’étudier un chapitre de Tanya avant la prière et de répéter le début du chapitre 41 (éventuellement par cœur) afin de bien réaliser « devant qui tu te tiens ».
- On donne quelques pièces dans la boîte de Tsedaka, après avoir récité les bénédictions du matin ainsi que lorsqu’on arrive au passage : « Vayevarè’h David ».
Le Rabbi Tsema’h Tsedek déclarait : « il est préférable de manger pour mieux prier que de prier pour manger ». A cause de la faiblesse relative de notre génération, il est permis non seulement de prendre une boisson chaude mais même de manger du gâteau (à condition bien sûr, d’avoir au préalable récité le « petit Chema »). Il ne convient pas de se montrer trop strict (et d’interdire de manger avant la prière) car cela pourrait mener à un affaiblissement dans son service de D.ieu.
(d’après A Chassidisher Derher – d’après des lettres du Rabbi)
Le Chabbat de Doudou
C’était une nuit glaciale, le 5 Chevat 5692 (1932) à Riga. Une femme juive du nom de Fraida Gisha était à son neuvième mois de grossesse mais était confrontée à un problème sérieux. Les médecins estimaient qu’il fallait mettre un terme à la grossesse afin de sauver la mère. Mais elle refusa !
Elle demanda à sa sœur, Léah, de se rendre immédiatement à la synagogue et d’y prier pour elle et son bébé.
C’est ainsi qu’au milieu de la nuit, Léah se rendit à la synagogue et s’approcha de l’arche sainte. Elle déversa les soucis de son cœur vers D.ieu et Le supplia de sauver la mère et l’enfant.
Soudain elle sentit une main sur son épaule : elle se retourna et aperçut une femme âgée.
- Pourquoi pleures-tu, ma fille ? demanda la vieille dame, compatissante.
- Ma sœur est à l’hôpital et sa vie comme celle de son futur bébé sont en danger ! expliqua Léah.
- Viens avec moi, continua la dame.
Elle l’amena dans la maison du Rabbi (précédent), Rabbi Yossef Yits’hak Schneerson de Loubavitch. Léah décrivit la situation de sa sœur sur une feuille que le secrétaire, le regretté Rav Yechezkel Feigin, transmit au Rabbi. Cinq minutes plus tard, il donna à Léah une lettre avec la réponse du Rabbi pour sa sœur : « D.ieu vous aidera pour que tout se passe bien et que vous puissiez donner naissance à un enfant vivant en bonne santé ! ».
Les mains tremblantes, Léah prit la lettre et retourna à l’hôpital. Alors qu’elle entrait, tous les médecins se précipitèrent vers elle en s’exclamant : « Nous n’avons aucune idée de ce qui s’est passé mais, une heure après votre départ, votre sœur a ressenti les premières contractions et la naissance de sa fille s’est déroulée normalement ! ».
Cette petite fille née miraculeusement était ma mère.
Nous avons gardé la lettre originale de Rabbi Yossef Yits’hak dans un lieu sûr mais tous les membres de la famille en possèdent une photocopie. Où que je voyage, la lettre reste avec moi. Toute femme de la famille qui va accoucher prend la lettre avec elle à la maternité.
Durant de nombreuses années, j’ai été un ‘Hazane, un cantor à la synagogue, exactement le métier auquel me prédestinait mon grand-père. Un jour, à Londres, j’ai assisté à la pièce musicale Les Misérables et je me suis dit que j’étais capable de la jouer.
Quand la pièce est arrivée en Israël, je me suis présenté pour l’audition et on m’a accordé le rôle principal, celui de Jean Valjean. Durant la performance, le producteur britannique Cameron Mackintosh vint vers moi et me proposa : « Doudou, après vos représentations en Israël, je veux que vous vous produisiez à Broadway ! ».
J’étais enchanté ! Pour moi, c’était la consécration et je ne pouvais y croire : Doudou de Petach Tikva se produirait à Broadway ?
Mais je réalisai immédiatement que ce n’était pas possible et, quand il m’en demanda la raison, j’expliquai que j’étais un Juif pratiquant et que je ne jouerai ni le vendredi soir ni le samedi.
Quelques mois plus tard, il me rappela : il m’annonça triomphalement qu’il avait réussi à imposer que toutes les représentations n’auraient lieu qu’en semaine. Deux mois plus tard, il me rappela – avec une mauvaise nouvelle : « Doudou ! Il y a un problème ! Toutes les organisations professionnelles refusent de travailler seulement les jours de semaine. J’ai beau insister, ils sont tous contre moi ! ».
J’étais très, très déçu. Ma mère suggéra que j’en parle au Rabbi. J’ai hésité : « Les gens demandent la bénédiction et le conseil du Rabbi pour des problèmes sérieux : santé, travail, famille. Je devrais parler au Rabbi d’une pièce de théâtre à Broadway ? ».
Mais ma mère insista et j’y allais. Je pensais que je devrais expliquer toute ma situation au Rabbi mais, à ma grande surprise, il comprit immédiatement le problème, me regarda droit dans les yeux et déclara : « Tenez fermement au judaïsme, à la Torah et ses commandements et tout s’arrangera ! ».
Le regard du Rabbi avait été si puissant ! Je regardai les yeux du Rabbi et me sentis plus calme. Maintenant j’étais certain que tout s’arrangerait : je resterai ferme sur mes principes et ne jouerai pas le Chabbat.
Deux mois plus tard, Mackintosh me rappela : il avait gagné la bataille pour moi et je pourrais me produire à Broadway sans compromettre mon Chabbat.
C’était un miracle. Jusqu’alors, jamais aucun spectacle n’avait été joué seulement en semaine. Et après ce spectacle, plus aucun autre spectacle n’eut lieu qu’en semaine.
J’ai depuis, joué, dans de nombreuses autres pièces mais, à chaque fois, la question du Chabbat surgissait. Ce n’est jamais une épreuve facile. Mais les mots du Rabbi : « Tenez fermement au judaïsme et tout s’arrangera » continuent de m’encourager.
Doudou Fisher – L’Chaim N° 1405
Traduit par Feiga Lubecki