La joie – à l’infini
La déclaration du Talmud est connue : «quand arrive le mois d’Adar, on multiplie la joie.» Nous y entrons à présent et la fête de Pourim, avec son univers de réjouissances sans limites, est déjà présente dans tous les esprits. L’heure est donc à la joie sans restriction. Et celle-ci doit croître de jour en jour de telle sorte que l’allégresse de la fin du mois soit sans commune mesure avec celle qui a présidé à son début. Cela peut sembler un impératif bien ambitieux voire une simple vue de l’esprit. Qui est donc capable de commander ses émotions ? Qui peut décider qu’il doit être joyeux simplement parce que le calendrier rituel le lui prescrit ? D’autant plus qu’à bien des égards la période n’encline pas à être particulièrement gai.
Une anecdote est, dans ce contexte, très significative. Un homme avait une fille unique tombée gravement malade. Elle avait été prise en charge médicalement mais les médecins à l’hôpital ne donnaient guère d’espoir. Le père désespéré se laissa convaincre de demander une bénédiction au Rabbi avec qui il avait déjà eu des contacts. Il prit donc rendez-vous et se présenta le jour dit, au début du mois d’Adar. Il raconta toute l’histoire au Rabbi et, repris par le souvenir du drame qu’il vivait, éclata en sanglots. Le Rabbi le reprit : «Est-ce pour faire entrer ici la tristesse pendant le mois d’Adar que vous êtes venus ?!» Puis il lui conseilla d’avoir confiance en D.ieu et le bénit. Hâtons-nous de préciser que l’histoire se termina bien et que l’enfant guérit. Mais il y a ici une idée plus générale qu’il importe de relever : le mois d’Adar apporte sa propre couleur et sa propre puissance. A celui qui ne sait pas – ou ne peut pas – le vivre à sa juste mesure, il faut le rappeler.
C’est donc bien à une véritable éruption de joie qu’il nous est donné de participer. Et celle-ci a le pouvoir de briser les barrières, de chasser tous les vents mauvais qui ont pu s’accumuler dans les cœurs, les esprits… ou les rues des villes. Il faut à présent la laisser entrer. Il faut que, forts de cette conscience, nous exprimions toute sa réalité. Bien souvent les choses dépendent aussi de notre regard. Puisse-t-il être porteur du bonheur de tous, facteur d’un monde nouveau. Comme un avant-goût de la Délivrance.
La bonne voie
Lorsqu’on s’approche de la gare d’arrivée, la voie ferrée se divise en de très nombreux embranchements. Il faut alors prendre bien garde à ne pas suivre une voie erronée car cela pourrait entrainer une véritable catastrophe.
En ces temps qui précèdent immédiatement la venue de Machia’h, il semble que les voies sont très nombreuses. Il est ainsi nécessaire de prêter la plus grande attention à ne pas sortir du chemin juste.
(D’après Séfer Hasi’hot 5689 p.63)
Teroumah
«Où est D.ieu ?» demanda un jour le Rabbi de Kotzk à ses disciples. Cette question les rendit perplexes. Le Rabbi leur avait toujours affirmé que D.ieu se trouvait partout, que Son Etre pénétrait chaque élément de l’existence. Ils ne comprenaient pas leur maître.
Alors le Rabbi leur dit : «Où est D.ieu ? Où Le laissez-vous pénétrer ?».
Bien que la Divinité soit partout, pour qu’elle fasse partie intégrante et révélée de notre vie, il nous faut Le laisser entrer et nous ouvrir à un engagement pour Lui.
Pour inviter l’humanité en tant qu’entité à faire descendre la Divinité dans le monde, D.ieu nous commanda de Lui construire un Sanctuaire dans le désert et plus tard un Temple à Jérusalem. Ce commandement, sujet de la Paracha de cette semaine, permet à l’homme de créer une source intarissable d’inspiration pour notre monde.
On lit dans la Paracha le verset : «Et vous me ferez un Sanctuaire et J’y résiderai », injonction ordonnant au Peuple Juif d’établir un lieu où la Présence Divine se manifesterait. Au départ, ce commandement fut accompli par la construction du Sanctuaire qui accompagna les Juifs dans leur périple dans le désert, comme cela est relaté dans cette Paracha et dans les suivantes.
Par la suite, quand le Peuple Juif pénétra en Terre Sainte, ils érigèrent plusieurs Sanctuaires provisoires et finalement le Temple fut construit sur le Mont Moriah, à Jérusalem. Depuis lors, il est interdit de bâtir un Temple pour D.ieu, dans tout autre lieu, comme il est écrit : «Ceci est Mon lieu de Résidence à tout jamais».
C’est pour cette raison que, bien que le Temple soit actuellement détruit, la Sainteté de D.ieu n’en repose pas moins sur le Mont du Temple. De la même façon, nos Sages interprètent la prophétie : «Je resterai dévasté sur vos Sanctuaires» comme enseignant que «bien qu’ils aient été dévastés, leur sainteté perdure».
Toutefois, nos Sages expliquent que même après la destruction du Premier Temple, la Présence Divine accompagna les Juifs dans leur exil. Ils montrent ainsi que la construction de synagogues à Babylone ne servait pas seulement à proposer aux Juifs des lieux de prière mais donnait aussi à D.ieu un lieu de résidence, pour ainsi dire, car ces synagogues étaient des «sanctuaires en miniature», des lieux où reposait la Présence Divine, de façon réduite.
Dans un sens plus large, l’expression «sanctuaire en miniature» est utilisée pour se référer à chaque maison juive. Dans la plupart des foyers, les fenêtres sont construites de telle sorte que la lumière pénètre à l’intérieur. Dans le Temple, les fenêtres étaient agencées de façon à ce que la lumière provenant du Temple puisse se propager à travers le monde. De la même manière, même lorsque le Juif établit une maison personnelle, il ne s’agit pas seulement d’un endroit où il réside avec sa famille et où la lumière éclaire l’intérieur. Elle doit aussi servir de «phare», illuminant tout l’environnement de la conscience de D.ieu.
A un niveau plus profond, la Présence de la Divinité, mentionnée dans le verset, ne se réfère pas uniquement au fait que D.ieu manifeste Sa Présence dans le Temple ou dans les divers «sanctuaires en miniatures», mentionnés plus haut, mais également dans le cœur de chaque Juif. En fait, c’est ce qui est intimé par le verset cité plus haut : «Et vous me ferez un Sanctuaire et J’y résiderai». Car le terme «y» est écrit dans sa forme plurielle, indiquant par là que la Présence de D.ieu ne réside pas seulement dans le Sanctuaire mais à l’intérieur de chaque personne. Chacun d’entre nous possède une étincelle de D.ieu, à l’intérieur de son cœur. De fait, nombre de commentaires de la Torah expliquent comment les différents ustensiles, les structures et les services du Temple trouvent leur parallèle dans les relations que nous entretenons avec D.ieu et avec nos prochains.
Quelle vision extraordinaire de ce que nous sommes ! Nous ne sommes pas des êtres humains limités, empêtrés dans les difficultés de la réalité existentielle. Nous sommes des sanctuaires pour la Sainteté de D.ieu, responsables de la mission de disséminer la lumière de D.ieu tout autour de nous. Quand nous prenons conscience de ce potentiel et l’exprimons à l’intérieur de nous-mêmes, l’atmosphère de notre foyer change et transforme notre maison en «sanctuaire miniature». Et ce thème continue à se répandre, envoyant des ondes dans notre environnement qui permettent d’établir un pôle commun où la Présence de D.ieu est manifeste.
Perspectives
Etudier les lois du Temple n’est pas un simple apprentissage de l’histoire ou même, comme nous l’avons vu, un guide pour trouver des parallèles avec notre propre développement spirituel. C’est le commencement d’un processus qui enclenche la reconstruction concrète du Temple et qui nous concerne aujourd’hui, même si nous ne vivons pas en Terre d’Israël.
Quand les Juifs étaient en exil, à Babylone, D.ieu révéla au prophète Ezékiel les détails de la structure du futur Temple. Nos Sages relatent que le prophète s’exclama: «Maître de l’Univers ! Pourquoi me dis-Tu de parler à Israël de la structure de la Maison ?... Ils sont maintenant en exil dans la terre de nos ennemis. Que peuvent-ils faire ? Laisse-les jusqu’à ce qu’ils reviennent d’exil. J’irai alors les informer.»
D.ieu répondit : «La construction de Ma maison devrait-elle être ignorée parce que Mes enfants sont en exil ?... L’étude de la Torah (la description du Temple) est considérée comme équivalente à sa construction concrète… Et, en récompense de leur étude… Je considérerai qu’ils ont effectivement construit le Temple !».
Accomplir le commandement de construire le Temple par l’étude de la Torah pave le chemin qui nous mènera à la véritable construction de sa structure.
En quoi consiste l’obligation d’écrire un Séfer Torah (rouleau de parchemin de la Torah)?
Chaque Juif devrait écrire un Séfer Torah pour lui-même comme il est écrit : «Et maintenant, écrivez pour vous-même ce cantique» (Devarim - Deutéronome 31 : 19). Quiconque se rend quitte de cette Mitsva sera béni ; lui et ses fils deviendront des érudits comme il est écrit : «Et enseignez-la aux Enfants d’Israël».
- Celui qui paie un Sofère (scribe) pour écrire un Séfer Torah à sa place est considéré comme s’il l’avait écrit lui-même.
- Celui qui hérite d’un Séfer Torah n’est pas quitte de la Mitsva à moins qu’il n’écrive lui-même au moins une lettre. S’il hérite du parchemin et qu’il écrit lui-même, il sera quitte.
- Celui qui achète un Séfer Torah et en écrit au moins une lettre est considéré comme s’il l’avait reçu sur le Mont Sinaï.
- Celui qui achète un Séfer Torah abîmé et le fait corriger est considéré comme s’il l’avait écrit lui-même.
- Celui qui a déjà acheté un Séfer Torah devrait acheter dorénavant des livres plutôt qu’un second Séfer Torah.
- Celui qui n’a pas la possibilité d’écrire un Séfer Torah par lui-même devrait au moins étudier les lois de cette écriture et cela sera considéré comme s’il l’avait effectivement écrit.
(d’après Rav Shmuel Bistritzky – Hamitsvaïm Kehala’ha)
Le dernier message d’une mère
Quand les premières bombes tombèrent sur Otwock en 1939 - alors que le gouvernement polonais avait proclamé que jamais les Nazis ne parviendraient à attaquer le pays - les élèves de la Yechiva Loubavitch s’enfuirent chez leurs parents respectifs. Haïm Meir Bukiet retrouva donc ses parents à Chmielnik mais la ville (dont dix mille sur les douze mille habitants étaient juifs) était déjà tombée aux mains des Nazis.
Rabbi Yossef Its’hak, le précédent Rabbi de Loubavitch (1880 - 1950) se trouvait à Varsovie et ses directives étaient claires : les jeunes gens de la Yechiva devaient par tous les moyens possibles se rendre à Vilna, en Lituanie qui était encore un pays neutre à ce moment-là. Quand Ra’hel Bukiet lut la lettre codée contenant ces directives, elle ne voulut pas y croire, elle ne voulait pas se séparer de son fils unique. Cependant, elle se rendit à l’évidence, demanda même à son mari Avraham Chmouel de l’accompagner un bout de chemin : quand reverrait-elle son fils ?
Les chemins étaient couverts de neige mais Haïm Meir parvint enfin à Vilna : en route, il avait rencontré des milliers de réfugiés qui avaient réussi à fuir la Russie où les Soviétiques cherchaient à les exiler en Sibérie. En été, la Russie envahit la Lituanie et de nombreux Juifs obtinrent, grâce au Consul Sugihara, des visas pour le Japon. Toujours inquiet pour ses parents, Haïm Meir parvint ainsi à traverser l’immensité de l’Union Soviétique, arriva à Vladivostok et, de là, s’embarqua pour Kobe au Japon en été 1941. Il y reçut une lettre de ses parents angoissés de ne pas être avec lui mais qui ne donnaient aucun détail sur leur vie sous le régime nazi. Quand les Japonais se préparèrent à entrer en guerre et à envahir Pearl Harbor, ils obligèrent les réfugiés à partir pour Shanghai en Chine. Les communications avec l’Europe en flammes devenaient de plus en plus difficiles ; un certain Moché Stiel en Hollande parvenait, par l’intermédiaire de la Croix Rouge, à faire passer des messages vers l’Asie. Mais quand ce Moché Stiel fut lui aussi déporté vers Auschwitz, tout contact entre Haïm Meir et ses parents fut interrompu.
Après l’explosion atomique sur Hiroshima et Nagasaki, l’empereur japonais Hirohito annonça que le Japon se soumettait : la guerre était finie ! Haïm Meir et ses compagnons d’étude purent s’embarquer pour San Francisco et, de là, se rendre à New York. Là il put lire une lettre angoissée que ses parents avaient envoyée à Rabbi Yossef Its’hak en demandant de ses nouvelles. Le cœur brisé, il réalisait qu’il n’avait aucun moyen de savoir si ses parents étaient encore en vie et il se torturait l’esprit : avait-il bien agi en les quittant ? Dès qu’il avait une minute de libre, il se rendait dans la rue où les membres de la Croix Rouge affichaient les noms des survivants mais revenait à chaque fois bredouille et plus découragé et angoissé.
En attendant, il continua à étudier avec ardeur, donna de profonds cours de Guemara et, en 1947, se maria avec Esther, elle aussi rescapée. A la naissance de sa fille ainée, Haïm Meir demanda au Rabbi s’il pouvait la nommer Ra’hel, du nom de sa mère. Le Rabbi approuva et, le cœur brisé, Haïm Meir comprit que ses parents avaient disparu dans la Shoah. Ce n’est qu’à Pourim que Haïm Meir évoquait parfois ses souvenirs de cette terrible période et les miracles qui lui avaient permis de survivre.
Dans les années soixante-dix, sa fille Ra’hel s’était mariée et, avec son mari, Rav Yerachmiel Stillman, animait avec succès le premier Beth ‘Habad sur le campus d’une université californienne. Des centaines d’étudiants venaient y passer le Chabbat et renouer avec leur identité juive. Rav Haïm Meir Bukiet continuait quant à lui à donner des cours à la Yechiva à New York, même pendant les vacances lorsque les élèves de la Yechiva se trouvaient dans les montagnes de Catskills. Une fois cependant, la Yechiva ferma pendant l’été et Ra’hel Stillman en profita pour supplier ses parents de passer Chabbat dans son Beth ‘Habad. Mais Rav Bukiet n’était guère enchanté d’entreprendre ce long voyage jusqu’en Californie. Il décida cependant de demander conseil au Rabbi et fut très étonné de la réponse. C’est en tremblant qu’il l’annonça à sa fille : «Je le mentionnerai sur le tombeau (du Rabbi précédent)» et surtout : «C’est une très bonne chose !». Ra’hel était folle de joie à l’idée que son père saurait certainement parler aux étudiants et les influencer dans le bon chemin ; mais Rav Haïm Meir pressentait autre chose.
Le voyage en train avec quatre enfants pleins de vie jusqu’à la Californie fut épuisant mais Rav Bukiet refusa de se reposer et de passer Chabbat au calme : il était venu pour parler aux étudiants et il tint à manger avec eux dans le Beth ‘Habad. A la demande des étudiants, il prononça un discours en anglais entrecoupé de mots en yiddish, sa langue maternelle. Captivés par son enthousiasme, les étudiants l’écoutèrent bouche bée. L’un d’entre eux, Teddy Kwasman (Tuvia comme on l’appelait au Beth ‘Habad par son prénom hébraïque) se passionnait pour les langues anciennes et, en particulier pour le yiddish ; il demanda à Rav Haïm Meir d’où il venait :
- Je viens d’une ville dont vous n’avez jamais entendu parler ! répondit-il, il s’agit de Chmielnik !
- Chmielnik ? Justement ! Mon grand-père venait de Chmielnik, il avait servi dans l’armée du Tsar et il m’avait beaucoup parlé de cette ville ! répondit Tuvia à Rav Bukiet qui était stupéfait de rencontrer quelqu’un qui connaissait sa ville !
Et Tuvia proposa à Rav Bukiet de l’emmener parler avec les gens de sa ville natale qui se réunissaient régulièrement pour échanger leurs souvenirs. Ces gens accueillirent avec émotion ce Rav à l’aspect majestueux qui, malgré le vent de l’assimilation qui prévalait aux États-Unis, avait élevé ses enfants dans le chemin de ses aïeux et leur rappelait maintenant tant de souvenirs : «Nous devons apporter la lumière de la Torah dans notre vie ! Ajoutons de la lumière pour nous joindre à nos parents, la lumière pour laquelle ils vivaient et se battaient, même si nous habitons loin, dans le pays de la liberté !». Ces paroles qui sortaient de son cœur pénétrèrent les cœurs.
En particulier celui de Ra’hel Scheiber qui avait été une grande amie de la mère de Rav Bukiet… Elle avait tenu le petit Haïm dans ses bras quand elle bavardait avec sa mère et c’est elle qui lui raconta le terrible voyage en train en route vers le camp de Treblinka : elle avait tenté de persuader Ra’hel Bukiet de la suivre quand le train ralentirait et qu’elle sauterait. Mais Ra’hel Bukiet n’en avait pas la force et lui avait demandé : «Si un jour tu rencontres mon Haïm Meir, dis-lui combien je suis contente d’avoir laissé un souvenir de moi dans ce monde !».
Bouleversé, Rav Haïm Meir ne pouvait plus parler ; il lui fallut du temps pour comprendre ce qui lui arrivait : non, sa mère ne lui en avait pas voulu d’avoir écouté les directives du Rabbi ! Au contraire, elle était heureuse de savoir qu’il avait pu survivre et laisserait sur terre un souvenir d’elle !
Oui, le Rabbi lui avait promis que ce voyage en Californie serait «une très bonne chose» : Rav Haïm Meir était maintenant un homme changé, soulagé d’un grand poids, heureux d’avoir entendu enfin ce dernier message de sa mère, un message d’amour et de fierté, un message de vie et d’espoir !
David Zaklikofsky – Kfar Chabad N° 1592
Traduit par Feiga Lubecki