Semaine 7

  • Téroumah
Editorial

La place du cœur

Les historiens relèvent que les nations ont constitué l’espace et le vecteur de leur souveraineté autour de leur monnaie. Il est vrai que frapper monnaie a toujours été le privilège du puissant et que les conquérants n’ont jamais tardé à substituer la leur à celle qui existait auparavant sur un territoire conquis. C’est que, de fait, la monnaie a sans doute un sens qui le dépasse. Elle n’est pas qu’un commode instrument d’échange développé par l’ingéniosité des hommes. Elle est aussi une manifestation d’existence autonome, indépendante pour la communauté qui l’utilise. Il n’est, pour cette raison, guère étonnant que les changements de signe monétaire intervenus dans la période encore récente aient soulevé une intense émotion. Outre la difficulté à passer brutalement du franc à l’euro, il y a un peu de nostalgie dans les sentiments exprimés.
Tout cela est encore d’actualité puisque la France jette ses derniers francs à la mi-février. Il n’est plus en circulation depuis quelque temps déjà mais sa valeur peut toujours avoir un usage utile. Car, au-delà de l’attachement sentimental, la monnaie est aussi une sorte d’écran qui masque la réalité des relations entre les hommes. C’est ainsi que les francs peuvent disparaître à jamais sans connaître une dernière vie qui confèrera force et noblesse à cette disparition.
Ces derniers francs, sans doute, inutiles individuellement, peuvent servir à de grandes causes. Donnés à la Tsédaka, ils peuvent enfin ………… au moment où, justement, ils vont vraiment cesser d’exister. Quel plus bel adieu peut-on rêver que celui-là. Cette monnaie, qui porte une longue histoire et est aussi le résultat de d’efforts personnels, peut aider ceux qui en ont besoin.
Depuis quelques semaines, la “Sidra” le dit en première page : “Une place pour chaque chose”. Et si celle que l’on trouvait ici, c’était la place du cœur ?

Etincelles de Machiah

La résidence de D.ieu

La Paracha de Terouma commence par les mots : “Vous prendrez pour Moi un prélèvement”. Il s’agit de l’ordre donné par D.ieu que les Juifs auront à faire une offrande afin d’édifier le Michkan, le Sanctuaire qu’Il a choisi pour demeure ici-bas. Cette résidence divine dans le monde est comme la préfiguration de la révélation qui interviendra au temps de Machia’h.
Le Midrach enseigne à ce sujet: «“Je dors mais mon cœur est en éveil” (Cantique des Cantiques 5). Israël dit: “Je me suis endormi de la fin de l’exil mais D.ieu est en éveil… Je me suis endormi des commandements de D.ieu mais le mérite de mes ancêtres me……………… et mon cœur est en éveil. Je me suis endormi de l’édification du veau d’or mais mon cœur est en éveil et D.ieu le contrebalance par le prélèvement du Michkan, demandant “Ouvre-Moi Mon cœur , Ma bien-aimée”»
(d’après Chemot Rabba 33 :3)

Vivre avec la Paracha

Un jeu d'enfant


Qui n'aspire pas à un monde meilleur? Un monde où tous nos souhaits seraient exaucés et où nos rêves se réaliseraient. Mais quelle est la substance de cette chimère? Qu'espérons-nous? Aspirons-nous à une vie de confort et de plaisir, libre de toute douleur et de toute souffrance? A un monde de dévotion, d'empathie, d'amitié et d'amour? Ou peut-être notre désir nous appelle-t-il vers une perception et une conscience plus profondes à comprendre le mystère de la création, à entrer dans une union mystique avec le Divin?

Il n'existe pas deux êtres qui ont exactement la même conception d'un "monde meilleur". Apparemment, nos rêves, nos fantaisies sont le produit de notre personnalité, de nos émotions et de nos expériences. Avec cette toile de fond, comment devons-nous comprendre le concept de "l'Ere messianique", un sujet fondamental du Judaïsme. Est-ce une fantaisie enfantine, un outil utile mais une échappatoire, pour faire face aux douleurs de la persécution et des difficultés en général? Ou représente-t-il en fait quelque chose de plus profond que cela, la clé de tout le mystère de la création, le pourquoi et le comment de toute existence?
Tous ceux qui sont plongés dans la pensée traditionnelle du judaïsme pencheront plutôt pour cette dernière option. Les grands travaux kabbalistes et 'hassidiques ont été consacrés à explorer la profonde signification mystique et le sens de l'Ere messianique. Mais l'on peut difficilement être blâmé de croire que l'ensemble de ce concept n'est rien de plus qu'une belle histoire pour les enfants. Après tout, la pratique éducative juive a toujours tenu à décrire l'air messianique aux enfants sous l'aspect le plus glorieux, le plus fantastique. Il y a ces références aux bonbons qui poussent sur les arbres, aux lions et aux loups conduits comme de petits animaux domestiques et aux rues couvertes de diamants et de joyaux.

L'érudit aura tôt fait de convenir que l'interprétation littérale de ces histoires ne représente rien de plus qu'une compréhension très primaire d'un concept très spirituel et délicat. Avec la maturité, l'enfant commencera à comprendre la profondeur entourant ce sujet. Il quittera ses désirs enfantins de bonbons et d'un confort facilement accessible et commencera à se concentrer davantage sur des sujets plus élevés, des joies plus permanentes dans la vie. Il comprendra la célèbre citation de Maimonide "et tous les délices seront librement accessibles" comme signifiant que tous les plaisirs et les délices matériels seront pour nous aussi intéressants que la poussière.

Et pourtant, si tel est le cas, pourquoi le concept de Machia'h devrait-il être introduit à un aussi jeune âge? Pourquoi séduire les enfants avec des images de bonbons poussant sur les arbres alors que nous pourrions nous concentrer à développer en eux une appréciation plus sophistiquée des véritables valeurs de la vie? Peut-être devrions-nous retarder l'introduction à cette idée jusqu'à ce que l'enfant soit assez évolué pour en apprécier la profondeur à sa juste valeur? Il est tout particulièrement déconcertant pour nos personnalités rationnelles d'entendre des enfants chanter un refrain tel que "nous voulons Machia'h maintenant!", chanté avec toute la force de leurs poumons. Est-ce la juste expression d'un concept divin si élevé et si divin? Ne s'agit-il pas d'une sorte de désacralisation?

Pour donner à la problématique une véritable perspective de Torah, examinons la structure d'un des plus importants ustensiles du Beth Hamikdach, (le Temple): l'Arche. L'Arche était placée dans le Saint des Saints, le lieu le plus important de tout le Temple et qui contenait les Tables de la Loi que D.ieu avait données au peuple Juif par l'intermédiaire de Moché. Sachant que l'Arche était une structure creuse, une couverture en or avait été faite pour elle, appelée Kaporet. Elle servait comme protection pour le contenu de l'Arche. Mais elle avait également un autre but. Le mot Kaporet, en hébreu, vient de la racine Kapèr qui signifie: pardon. Ainsi la Kaporet servait en fait à pardonner les fautes du peuple Juif.

Gravées dans la Kaporet se distinguaient les deux figures des Krouvim ( les Chérubins), un petit garçon et une petite fille. Ces deux Krouvim ont une profonde signification cabalistique, représentant les énergies masculines et féminines. Et pourtant, ces énergies ne sont pas présentées sous l'aspect d'un patriarche avec une longue barbe ni de sa compagne matriarche. Les formes choisies sont spécifiquement celles de deux enfants, pour nous démontrer de manière frappante le grand amour de D.ieu pour les enfants, comme nous le lisons: "car Israël est un enfant et Je l'aime".
Décrire des concepts spirituels dans des termes accessibles aux enfants n'est pas une "profanation" de quelque chose sacré. D.ieu dans Son grand amour pour les enfants, désire volontairement "S'abaisser" pour ainsi dire, dans ces domaines que même un enfant peut apprécier. Mais en réalité, le fait même qu'une représentation de deux enfants occupent une place si importante dans le Temple indique quelque chose de beaucoup plus profond. Nous avons tendance à croire que l'enfance représente une première étape de la vie, une étape qu'il faut franchir pour grandir, mûrir et se développer intellectuellement. On attend de nous que nous abandonnions notre enfance et passions à l'âge adulte.
Mais la couverture de l'Arche semble transmettre un autre message. Ce qui est placé au-dessus de l'Arche Sainte, comme protection, représente l'étape supérieure et la plus sainte de la vie.

Comment se fait-il que, quand nous sommes adultes, nous ne ressentions plus le même plaisir pour les douceurs, les jeux et les jouets? Comment se fait-il que la consommation que fait un enfant des plaisirs matériels soit considérée avec bienveillance alors que si un adulte s'y prête, il est considéré comme immature, glouton ou insouciant? Avons-nous gagné une nouvelle conscience ou avons-nous perdu un don particulier? La réponse est une combinaison des deux. Nous gagnons une conscience intellectuelle. Nous commençons à comprendre que tout a été créé avec un but et doit être utilisé pour une fin plus élevée. Nous commençons à être gênés si nous nous laissons aller simplement aux plaisirs qui assouvissent des désirs égoïstes. Et pourtant, ce même raffinement nous fait perdre le lien avec ce côté divin essentiel de notre nature. Une dualité s'introduit dans notre pensée. Dans notre perception, le physique et le spirituel représentent deux pôles opposés. Ce qui fait du bien, physiquement ou matériellement, doit être repoussé et relégué au second plan pour pouvoir avancer spirituellement. Néanmoins, dans un monde homogène, harmonieux, de telles distinctions n'existent pas. Toute l'existence est un reflet d'une vérité unifiée. Aussi, l'expérience spirituelle la plus profonde est-elle profondément satisfaisante également au niveau spirituel.

Imaginez que toutes vos aspirations et tous vos désirs trouvent leur accomplissement dans un but unique. Imaginez que vous soyez capables de concrétiser tout votre potentiel, sans conflit venant de l'intérieur ou de l'extérieur! Dans un tel monde, manger un aliment délectable et apprécier la bienveillance divine qui en a permis l'existence ne serait pas moins sublime que de méditer sur les plus profonds mystères de la création. Et cette conscience, chaque enfant la possède dès sa naissance. Il se peut que l'enfant n'en ait pas la connaissance consciente. Il la gagnera avec la maturité et l'éducation. Mais l'aptitude des enfants à révéler ouvertement les plaisirs et les délices de ce monde sont en fait une indication d'un statut spirituel élevé où le matériel ne menace ni ne nie le spirituel.
Il est temps de regarder l'enfance avec un regard neuf. Tentons d'insuffler à nos besoins et nos complaisances une conscience du Divin. Rappelons-nous que le but ultime est d'être capable de faire la synthèse de tous les composants de notre personnalité depuis les plus élémentaires jusqu'aux plus sublimes, dans une unité harmonieuse. Oublions la culpabilité. Imaginons notre Père à nous tous, D.ieu souriant avec bienveillance vers tous Ses enfants, car véritablement: "Israël est un enfant et Je l'aime".

Le Coin de la Halacha

En quoi consiste l’interdiction de prêter avec intérêt ?

La Torah défend à tout Juif de prêter de l’argent à un autre Juif avec intérêt. Cette interdiction s’applique à l’emprunteur comme aux intermédiaires, ainsi qu’au prêteur et aux garants.
Même si l’intérêt n’a pas été stipulé au moment de l’emprunt, il reste interdit par la suite : par exemple, si l’emprunteur ne peut rembourser à la date prévue et qu’il demande un allongement des délais, il ne pourra pas offrir un « dédommagement » pour ce service, car ce serait équivalent à un intérêt.
L’emprunteur ne peut même pas offrir un cadeau au prêteur pour le remercier, avant ou après avoir remboursé sa dette ni même avant l’emprunt.
Si l’emprunteur n’avait pas de relation suivie avec le prêteur auparavant, il ne pourra même pas le saluer avec plus d’empressement ou lui rendre même un menu service qu’il n’aurait pas rendu s’il n’y avait eu ce prêt.
Celui qui emprunte une certaine somme dans une monnaie étrangère devra rembourser dans cette même monnaie.
Celui qui a emprunté un certain produit (de la nourriture par exemple) dont le prix a augmenté, rendra la valeur de l’objet au moment de l’emprunt et non la quantité équivalente du produit.
Il est permis, - sous certaines conditions à définir avec un Rav compétent, - de créer une association : une des parties apporte les fonds et l’autre les gère. Le bénéfice dégagé pour le prêteur n’est alors pas considéré comme un « intérêt ».

F. L. (d’après le Kitsour Choul’hane Arou’h)

De Recit de la Semaine

LE PREMIER MINYANE

Il régnait un silence solennel dans la pièce. Le vieux parquet en bois peinait et craquait sous le poids de soixante-dix « Chlou’him », émissaires du Rabbi accourus de tous les coins du globe. Ils avaient tous entendu sans pouvoir véritablement réaliser le bref message, émis par une voix étranglée par les larmes : « La Rebbetzen… L’épouse du Rabbi n’est plus… ! »
Tôt le matin ou tard dans la nuit selon leurs fuseaux horaires, ils avaient eu une réaction immédiate : se précipiter à l’aéroport et attraper – à n’importe quel prix – le premier avion en partance pour New York. L’enterrement était prévu pour midi. La décision de partir avait été prise instantanément, sans même réfléchir si on arriverait à temps.
Ce n’est que dans l’avion que certains se demandèrent pourquoi et comment. Pendant les quelques minutes d’attente à l’aéroport de départ, ils avaient téléphoné à leurs secrétaires pour annuler tous les rendez-vous qui semblaient si urgents la veille encore : avec le maire pour la nouvelle école en construction, avec des fiancés à préparer pour leur mariage, avec des parents d’élèves inquiets pour les mauvaises notes de leurs enfants, avec un donateur qu’on avait eu tant de mal à convaincre…
Peu importait les questions et les doutes, il fallait prendre part à cette perte immense, on ne pouvait se contenter d’écouter les nouvelles dans une autre ville, il fallait être à New York, auprès du Rabbi dont on partageait la douleur.
Quand la tragédie avait eu lieu et que l’âme pure de la Rebbetzen avait rejoint ses illustres ancêtres, le Rabbi avait simplement demandé à ses secrétaires d’en avertir les Chlou’him, ses émissaires éparpillés à travers le monde, ceux que lui-même et la Rebbetzen considéraient comme leurs enfants. En entendant cela, les Chlou’him avaient compris que le Rabbi souhaitait qu’ils participent. Ceux qui l’ignoraient avaient tout de même ressenti qu’il était essentiel de venir. Chacun souhaitait retrouver son maître semblable à son père, le Rabbi.
Des dizaines de milliers de Juifs avaient assisté à l’enterrement et nombreux étaient ceux qui se retrouvèrent ensuite devant la maison du Rabbi, sur President Avenue à Crown Heights (Brooklyn). Seuls quelques uns pouvaient entrer dans la salle à manger où se déroulerait la prière de Min’ha. On décida que les « Chlou’him » seraient les seuls à être admis dans ce premier Minyane. Ces hommes avaient été envoyés avec leurs épouses aux cours des 38 dernières années par le Rabbi, dans des pays et des villes éparpillés sur les cinq continents, pour éveiller et organiser le renouveau du judaïsme.
Quelques vieux ‘Hassidim – qui avaient connu personnellement la Rebbetzen et son père, le précédent Rabbi de Loubavitch – pleuraient dans un coin de la pièce. Mais la plupart des Chlou’him gardaient le silence. Ils attendaient. Ce groupe inhabituel – formé de jeunes gens, de pères de famille, de grands-pères et même d’arrière grands-pères – avait forgé avec le Rabbi un lien très spécial. Ils étaient entièrement dévoués au Rabbi et à sa vision de leur mission : faire tout ce qui était possible pour amener la venue du Machia’h. Avec appréhension, ces hommes attendaient maintenant que le Rabbi entre pour mener la prière comme il convient à un endeuillé.
Le Rabbi entra, ouvrit son livre de prières si usé et commença la prière, d’une voix lente mais déterminée, forte et exprimant une foi absolue envers le Très-Haut en ce moment de grande peine.
A la fin du Kaddich, le Rabbi s’assit sur un petit tabouret comme le veut la coutume. Alors que les « Chlou’him » s’apprêtaient à passer devant lui pour prononcer la formule traditionnelle de condoléances, le Rabbi se mit à parler. Chacun s’arrêta et tendit l’oreille pour suivre le discours.
En quelques minutes, le Rabbi expliqua le sens de la tradition des condoléances et la rattacha avec la Mitsva générale de « Ahavat Israël », l’amour et la compassion envers un autre Juif.
Les Chlou’him écoutaient de toutes les fibres de leurs cœurs. L’homme qui avait voué toute sa vie aux autres faisait comprendre à ses émissaires que la réponse à la tragédie devait être encore un plus grand dévouement au peuple juif. Alors qu’il éprouvait une peine personnelle immense, le Rabbi demandait qu’on agisse encore davantage en faveur de ceux qui avaient besoin d’aide.
Mais les Chlou’him avaient aussi perçu un autre message, un message d’appréciation et de remerciement pour ceux qui étaient venus et qui participaient à sa peine. Le Rabbi n’avait jamais été satisfait de ce qui avait été accompli, il avait toujours demandé davantage. Dans le passé, cet encouragement avait été sa façon de remercier pour les efforts entrepris mais cette fois-ci, le Rabbi exprimait du plus profond de son cœur sa gratitude envers les Chlou’him. Toutes les questions, tous les doutes quant à la nécessité de venir avaient été balayés par ces mots. La plupart d’entre nous sommes repartis le même soir pour continuer l’œuvre et lui donner une nouvelle ampleur.
Durant les jours qui suivirent, des milliers de ‘Hassidim et des Juifs de tous les milieux vinrent participer aux prières pour consoler le Rabbi. Mais ces premiers moments, avec cette intimité si touchante, n’avaient été partagés que par quelques-uns, c’était le premier Minyane.
Tandis que nous voyagions pour retourner chez nous, nos cœurs ressentaient l’immense douleur qui étreignait le Rabbi qui avait perdu celle qu’il avait épousée près de soixante ans auparavant. Mais nous portions en nous une énergie renouvelée, un enthousiasme inspiré par ces moments précieux que nous avions passés chez le Rabbi, un désir de se dévouer encore plus complètement au service de nos frères juifs – par le mérite de la Rebbetzen !

Rav Dovid Eliezrie – Le’haïm
Yorba Linda, Californie
Traduit par Feiga Lubecki

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