Donner et recevoir
Cette semaine, nous entrons de plain-pied dans un phénomène astronomique qui va beaucoup plus loin que les mouvements des planètes, comme le judaïsme en a le secret. En effet, nous entamons le mois d’Adar, premier du nom, avant que, dans un mois, n’arrive le second qui sera celui de la fête de Pourim. Cette succession de deux mois portant le même nom, simplement numérotés pour les différencier, correspond évidemment à une particularité du calendrier hébraïque. Celui-ci étant calé sur les phases de la lune pour le déroulement des mois et sur le soleil pour celui de l’année, un décalage se produit immanquablement entre ces deux cycles. Lorsque l’écart devient trop important, au point de constituer un mois, pour maintenir les fêtes dans leur saison, on ajoute donc un mois supplémentaire. En réalité, ce qui peut ne paraître qu’une nécessité technique triviale prend ici une autre dimension : nous rétablissons l’harmonie entre deux décomptes du temps, le lunaire et le solaire, au prix d’une année à treize mois.
Rien n’est anodin, et surtout pas sur une question aussi essentielle que le temps, le tissu de notre existence. La lune et le soleil, puisque c’est bien d’eux qu’il s’agit, présentent des caractères bien distincts. Le soleil prodigue sa lumière, il donne au reste du monde. En revanche, si la lune éclaire également, ce n’est qu’en reflétant la lumière qu’elle reçoit. Si l’on voulait définir leurs positions respectives, on dirait que le soleil est le « dispensateur » tandis que la lune est le « receveur ». Les mettre en harmonie, mieux encore les réunir, c’est parvenir à un niveau supérieur. C’est précisément ce que fait cette année à treize mois, et, en cela, elle contient un enseignement précieux. Car nous nous sommes tous, tour à tour, et parfois concomitamment, celui qui donne et celui qui reçoit. C’est dans ce double rôle que nous construisons à la fois notre vie et notre rapport aux autres. Savoir donner et recevoir, c’est ainsi grandir sur deux axes en n’oubliant ni les autres ni soi-même.
Car si donner est une véritable gageure, recevoir est rien de moins qu’un défi. Dans l’un et l’autre cas, il nous faut percevoir que, dans un tel échange, tient justement notre humanité, avec sa grandeur et son humilité. Que cela apparaisse dans un aspect du calendrier nous dit que décidément l’heure a sonné d’une conscience plus haute, plus généreuse et plus ouverte.
L’éducation juive et la venue de Machia’h
Décrivant le temps de Machia’h, D.ieu dit (Isaïe 44:3) : « Je déverserai Mon esprit sur ta descendance et Ma bénédiction sur tes générations ». Dès la première lecture du verset, il est clair que sont ici désignés les enfants.
Or, on connaît le principe selon lequel toutes les révélations de ces temps futurs dépendent de nos actions et de notre effort d’aujourd’hui (Tanya chap. 37). C’est dire à quel point l’éducation juive assurée aux enfants est un impératif pour chacun.
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch
Chabbat Parchat Vayikra 5740)
Terouma
Il est rappelé au Peuple d’Israël les treize matériaux qu’ils doivent apporter en contribution : de l’or, de l’argent et du cuivre ; de la laine teinte en rouge, bleu, violet ; du lin, des poils de chèvre, des peaux animales, du bois, de l’huile d’olive, des épices et des pierres précieuses, à partir desquels, dit D.ieu à Moché, « ils Me feront un Sanctuaire et Je résiderai parmi eux ».
Moché reçoit, au sommet du Mont Sinaï, les instructions détaillées sur la façon de construire cette résidence pour D.ieu, de manière à ce qu’elle puisse être immédiatement démontée, transportée et réassemblée, au cours du voyage du peuple dans le désert.
Dans la chambre la plus intérieure du Sanctuaire, derrière un rideau tissé avec art, se trouvait l’Arche contenant les Tables de la Loi, gravées des Dix Commandements. Sur le couvercle de l’Arche, se tenaient deux anges enlacés, en or pur. Dans la chambre extérieure, s’élevait la Menorah à sept branches et était dressée la table sur laquelle étaient disposés « les pains de proposition ».
Les trois murs du Sanctuaire étaient fixés à partir de quarante-huit planches de bois. Chacune d’elles était plaquée d’or et soutenue par une paire de socles en argent. Le toit était constitué de trois couvertures : a) des tapisseries de lin et de laine multicolores, b) une couverture de poils de chèvre, c) une couverture de peaux de taureau et de Ta’hach. Devant le Sanctuaire était tendu un écran brodé, tenu par cinq piliers.
Autour du Sanctuaire et de l’autel de cuivre, placé devant, des rideaux de lin pendaient, soutenus par soixante piliers de bois, avec des crochets et des garnitures en argent, renforcés par des piquets en cuivre.
La Paracha Terouma contient un sujet fondamental de la Torah : le commandement : « Et qu’ils Me fassent un Sanctuaire et Je résiderai à l’intérieur. »
Il se trouve, en fait, que tout le reste du livre de Chemot est consacré à ce sujet. Notre Paracha décrit le commandement de D.ieu de construire le Sanctuaire et ses ustensiles. La Paracha de la semaine prochaine, Tetsavé, décrit la Mitsva d’allumer la Menorah, les habits sacerdotaux, l’initiation d’Aharon et de ses fils et l’autel pour les encens. La suivante Ki Tissa évoque la donation par le peuple d’un demi Chékèl pour les socles, les détails de l’offrande des encens et la fabrication du bassin qui purifiera les mains et les pieds des Prêtres. Vayakhel décrit la transmission du commandement au Peuple juif et leur accomplissement de cet ordre. Pekoudé décrit l’achèvement de cette séquence, l’érection effective du Sanctuaire et la manière dont « la gloire de D.ieu remplit le Sanctuaire ».
Ce n’est que par la suite que la Torah commence à développer les différents commandements que D.ieu donna à Moché à propos des sacrifices, ce qui fera l’objet du troisième livre de la Torah : Vayikra.
Le fait que l’injonction de construire un Sanctuaire et sa réalisation occupe plusieurs Parachiot nous permet de conclure que chacune d’entre elles représente un concept différent et une étape dans le service spirituel associé au Sanctuaire.
Sa construction exprime, dans une représentation à échelle humaine, le but de D.ieu dans la création du monde : le fait d’établir une résidence, un lieu où se révèle Son essence, dans les mondes inférieurs. C’est pour cette raison que le commandement de construire un Sanctuaire survient immédiatement après le Don de la Torah. Ce dernier représente l’annulation du décret qui séparait le spirituel du matériel. Dès lors, il est possible de révéler la Présence Divine dans le monde et d’élever les entités matérielles pour les transformer en objets saints.
Ces deux dimensions se révélèrent dans la construction et le service du Sanctuaire. Les entités matérielles données par les Juifs devinrent partie intégrante du Sanctuaire de D.ieu et quand le Sanctuaire fut construit et que le service de D.ieu y fut accompli, la Présence Divine fut révélée dans le monde.
C’est pour cette raison que le commandement « qu’ils Me fassent un Sanctuaire » ne s’applique pas exclusivement au Sanctuaire dans le désert mais également au Sanctuaire de Chilo, au Beth Hamikdach (le Temple de Jérusalem) et au sanctuaire qui se trouve dans le cœur de chaque Juif, même durant l’exil. C’est cela, l’établissement d’une demeure pour D.ieu, qui est le but de la création dans le monde. Tout comme une personne peut se détendre et s’exprimer sans retenue dans sa propre maison, ainsi le Sanctuaire était, et sera, le lieu où la Divinité pouvait, et pourra, se révéler sans restriction.
Dans le monde particulier de chaque individu, son âme repose dans son esprit et c’est ce qui fait l’humanité de son corps entier. De la même façon, dans le monde en général, la présence de D.ieu reposait dans le Temple et cela nous permettait d’apprécier la Divinité dans chaque aspect de l’existence. La réalité du Temple faisait du monde entier Sa demeure.
Nos Sages nous enseignent que le mot hébreu pour « à l’intérieur » signifie littéralement « en eux » et non « en lui ». Construire un Sanctuaire pour D.ieu ne signifie pas simplement ériger une structure où se manifestera Sa présence. La véritable intention en est que chaque individu en particulier devienne un « sanctuaire en microcosme », pour que D.ieu réside « en eux », dans chaque individu en particulier.
Tous les détails de la Paracha ont un équivalent dans notre relation avec D.ieu. Ce ne sont pas simplement des éléments qui existaient dans le Sanctuaire ou le Temple, il y a bien longtemps mais des thèmes actuels, relatifs à notre attachement à D.ieu. L’Arche dans le Saint des Saints, où reposait la Présence Divine, se réfère aux parties profondes que peut atteindre notre cœur. Car en chacun de nous, réside un lieu pour la Présence Divine.
De la même façon, le Sanctuaire et le Temple contenaient :
- La Menorah, le candélabre d’or ; cela souligne le potentiel que nous possédons tous d’illuminer notre environnement avec la lumière Divine.
- La Table, sur laquelle était placé le « pain de proposition » ; cela articule notre potentiel pour gagner notre subsistance. Cela aussi constitue une entreprise pour mériter une place dans le Sanctuaire.
- Enfin, l’Autel où l’on apportait les sacrifices. Korban, mot hébreu pour « sacrifice », a un lien avec Karov qui signifie « proche ». Par les sacrifices, nous nous rapprochons de D.ieu.
Bien que nous n’ayons plus le Sanctuaire construit par Moché ni le Temple de Jérusalem, le sanctuaire qui se trouve dans chaque cœur juif, lui, perdure. La Maison de D.ieu à l’intérieur de nous-mêmes est un élément indissociable de notre existence.
Juste après le Don de la Torah, D.ieu instruisit la construction du Sanctuaire. Car dans des moments de faveur divine, quand Il montra ouvertement Son amour pour l’humanité, Il ordonna qu’il y ait un lieu central où Sa présence serait ouvertement manifeste.
Quand les Juifs vivaient en Erets Israël, c’est Jérusalem que D.ieu choisit pour qu’on y érigea Sa demeure. Depuis lors, le Mont du Temple est le lieu où repose la Présence Divine.
C’est pour cette raison que l’un des signes que donne Maïmonide dans la vérification de l’identité de Machia’h est le fait qu’il reconstruira le Temple, à sa place, à Jérusalem.
Cela implique deux points : tout d’abord que l’existence du Temple est un élément fondamental de l’ère messianique. Car, comme le statue Maïmonide, toutes les lois de la Torah seront alors observées et les sacrifices offerts. D’autre part, le Temple sera construit à Jérusalem, dans exactement le même lieu que les Temples précédents.
Pourquoi faut-il construire le Temple à cet endroit précis ? Parce que c’est le lieu qui fut choisi au moment de la Révélation divine. Cela attire notre attention sur le troisième et le plus fondamental élément de l’importance du Temple : c’est le lieu où la Présence divine sera révélée et c’est à partir du Temple que se répandra la contemplation dévoilée de la Divinité, ce qui caractérisera l’Ère de Machia’h.
Quelques conseils pour l’éducateur
Le professeur veillera à ce que sa salle de classe soit propre et bien rangée. Cela rendra la salle plus attractive aux yeux de l’élève qui s’y rendra avec plaisir. De plus, cela provoquera l’envie chez des élèves d’autres écoles de fréquenter cette école juive. L’élève acquerra ainsi les rudiments de l’ordre et de la discipline et veillera lui-même à ranger ses affaires : ceci se reflètera aussi dans son caractère et il saura mieux organiser ses pensées, son emploi du temps, ses objets personnels.
Les murs seront décorés avec des portraits d’érudits de la Torah et de versets saints qui resteront gravés dans la mémoire.
Les livres seront couverts ; chaque enfant apportera chaque jour des pièces à remettre à la Tsedaka (et le double le vendredi puisqu’on ne touche pas à l’argent le Chabbat). On apprendra aux enfants qu’ils doivent donner la Tsedaka aussi les jours où ils ne vont pas en classe.
Durant la cantine, les professeurs enseigneront la Mitsva quotidienne selon le Séfer Hamitsvot du Rambam ; on chantera des mélodies ‘hassidiques et on racontera des histoires courtes.
La récréation doit être utilisée de façon constructive. Parfois, une parole attentionnée du professeur pendant la récréation forge un lien éternel avec l’élève. On encouragera les élèves à apprendre par-cœur toutes sortes de paroles de Torah (Michnayot etc.) de sorte à ce qu’il baigne dans un environnement de Torah.
(d’après Rav M.I. Hodakov)
D’abord la Mitsva, ensuite la fête…
En 1969, alors que j’étudiais à la Yechiva Tiferet Israël à Jérusalem, je décidai de me rendre auprès du Rabbi de Boyan à New York. Pour cela, je profitai d’un vol charter de ‘Hassidim de Loubavitch qui se rendaient auprès de leur Rabbi avant les fêtes. Puisque je faisais partie de leur groupe, je fus invité pour une entrevue avec le Rabbi de Loubavitch : j’acceptai, ainsi qu’un de mes amis.
Celui-ci entra en premier. Il me raconta par la suite que le Rabbi lui avait demandé son nom ; après qu’il ait répondu : « Barzel », le Rabbi remarqua : « Barzel ? Il y a douze ans, quelqu’un qui porte aussi ce nom est venu me voir : êtes-vous de la même famille ? ». Effectivement, son oncle, Rav Ezra Barzel s’était rendu chez le Rabbi longtemps auparavant. Quand, par la suite, mon ami raconta cela à son oncle, celui-ci fut absolument étonné : « Depuis ma visite il y a douze ans, je n’ai ni écrit au Rabbi, ni je lui ai parlé ni même je l’ai vu ! Comment peut-il se souvenir de moi après toutes ces années alors que, depuis, il a certainement rencontré des milliers d’autres gens ? »
Quand moi je suis entré, j’étais très ému et pouvais à peine parler. Mais le Rabbi me parla et je me suis senti plus à l’aise. Quand je lui expliquai que j’étais venu à New York pour voir le Rabbi de Boyan, il me demanda de lui transmettre ses amitiés. Puis il me demanda :
- Que faites-vous ?
- J’étudie à la Yechiva de Rougine le matin puis à celle de Mir l’après-midi.
- Ce n’est pas cela que je vous demande, répliqua le Rabbi en m’adressant un regard sérieux : je veux savoir ce que vous accomplissez !
- Ah ! Je me rends chaque soir, à l’initiative de la Yechiva de Mir, dans une banlieue pauvre, à Ir Ganim pour enseigner le livre du Ben Ich ‘Haï, le Sage de Bagdad, dans la synagogue Shevet A’him.
- C’est ce que je voulais entendre ! approuva le Rabbi. (Ce qui l’intéressait n’était pas tant mes occupations personnelles mais la façon dont j’utilisais les capacités que D.ieu m’avait accordées pour influencer les autres).
Puis la conversation dériva sur les différentes communautés juives : ashkénaze, séfarade et le Rabbi mentionna spécifiquement les rites lituanien, marocain, yéménite et irakien : « Il faut que vous compreniez la nature de chaque communauté afin de pouvoir effectivement répondre à leurs besoins ! » me conseilla-t-il. Il précisa aussi que je ne devais pas essayer de leur faire changer de texte de prière : « Chaque communauté doit prier selon ses coutumes, toutes ont de bonnes racines et il faut comprendre leurs traditions pour savoir comment les aborder ».
A l’époque, je ne compris pas trop pourquoi le Rabbi m’avait parlé des différentes communautés mais, au fil des années, j’ai réalisé que le Rabbi m’avait en fait guidé pour le travail qui m’attendait à Migdal Haemek, ville largement peuplée de Juifs qui avaient fui des pays musulmans. Je m’occupai des élèves de la Yechiva mais aussi de leurs parents et c’est alors que je compris pourquoi il était crucial de bien connaître leurs coutumes.
A la fin de l’entrevue, le Rabbi conclut :
- Puis-je vous demander un service ?
- Bien sûr ! répondis-je sans trop savoir à quoi je m’engageais…
- Voilà ! De nombreux Juifs du Maroc ne sont pas conscients d’une erreur assez répandue dans leur communauté : ils estiment qu’un garçon ne doit mettre les Téfilines qu’une fois qu’on a organisé la fête de sa Bar Mitsva. Or, dites-leur en mon nom qu’un garçon doit mettre les Téfilines dès qu’il atteint l’âge de treize ans - même si la fête est retardée pour une raison ou pour une autre !
Je n’avais jamais entendu cela mais le Rabbi me rappela que j’avais promis de remplir sa mission…
Dès que je rentrai en Israël, le responsable de la synagogue Shevet A’him m’accueillit avec joie :
- Heureusement que vous êtes rentré car nous allons célébrer une double Bar Mitsva et il faut un rabbin pour le discours…
- Une double Bar Mitsva ? Ce sont des jumeaux ?
- Non, un des frères a déjà quatorze ans et l’autre bientôt treize ans…
- Celui de quatorze ans a-t-il déjà commencé à mettre les Téfilines chaque jour ?
- Mais non ! Les parents n’ont pas encore organisé la fête, comment pourrait-il mettre les Téfilines ?
Je frappai un coup sur le pupitre : « J’ai un message du Rabbi de Loubavitch ! Un garçon doit mettre les Téfilines dès l’âge de treize ans, peu importe quand la réception aura lieu ! ».
Les gens furent très surpris d’apprendre cela. Pour eux, il était évident qu’on pouvait éviter des frais inutiles, faire attendre le frère plus âgé et surtout, qu’il ne fallait pas mettre les Téfilines avant la fête. La remarque du Rabbi les étonna mais ils acceptèrent avec empressement et me remercièrent de leur avoir fait remarquer ce point important.
Quand le Rabbi m’avait demandé « ce que j’accomplissais », il était clair qu’il croyait en mes capacités à améliorer toutes sortes de situations. Et c’est ce qui me motive jusqu’à maintenant pour continuer à enseigner la Torah où que je me trouve.
Rav Na’houm Cohen - Jérusalem (JEM)
Traduit par Feiga Lubecki