L’unité comme une évidence
Des idées à la fois nouvelles et anciennes remontent parfois à l’esprit avec éclat à la faveur des évènements du monde. C’est d’ailleurs là chose bien naturelle : le Baal Chem Tov n’enseigne-t-il pas que tout est message divin ou, en d’autres termes, que tout peut avoir valeur d’enseignement ?
C’est ainsi que les débats de la période – divers et plus ou moins furieux – rappellent, à qui veut y prêter attention, la grandeur d’une notion bien nécessaire : l’unité. Quel que soit le contenu concret que les uns et les autres puissent souhaiter y voir, c’est elle qui brille, par nature, tout au long de tous les parcours et c’est encore vers elle que tendent et tendront, comme par évidence, tous les efforts des hommes. Cette unité est complexe et, de fait, difficile à atteindre. Elle n’implique pas la réalisation d’une unanimité de façade par effacement brutal de toutes les différences. Elle ne vise pas à remplacer la richesse de la diversité par la morne grisaille de l’uniformité. Peut-être est-ce précisément ce qui fait sa force... L’important est que cette unité-là soit vivante, agissante, porteuse d’espoir et de progrès.
Décidément, c’est bien d’une idée nouvelle et ancienne à la fois qu’il s’agit. Car, pour ce qui nous concerne, la notion d’unité est sans doute constitutive du peuple juif. Étrange peuple en effet qui, dispersé parmi les nations, disséminé de par le monde, sans contact facile entre ses membres pendant les âges de ténèbre, adoptant peu à peu les habitudes culinaires ou vestimentaires de ses différents lieux de résidence, reste cependant toujours fidèle à son passé, conscient de son présent et dans l’attente impatiente de l’avancée de l’histoire. Voici un peuple constitué d’hommes et de femmes que bien des choses peuvent séparer, d’êtres humains dont le Talmud atteste qu’ils sont tous différents et dont, cependant, l’unité est parfaite à chaque instant de la vie. Comme si, pour nous, l’unité n’était pas un combat mais une évidence. Est-ce là une leçon ? C’est, en tout cas, une manière de vivre et de considérer le monde. L’unité n’est-elle pas le chemin qui mène au temps éternel de la paix indépassable : celui de Machia’h ?
La lumière et son réceptacle
L’enseignement du Baal Chem Tov, la sagesse Divine qu’il révéla et nous donna en héritage, est liée à la venue de Machia’h.
Machia’h est une «lumière liée à l’Essence» ; la ‘Hassidout est le réceptacle de cette immense lumière.
(D’après Likoutei Dibourim vol. 2 p. 572)
Chela’h : Choisir notre mission
Un pilier de notre foi
Le Rambam écrit (Michné Torah, Hil’hot Techouvah 5: 2-3) :
Chaque personne est capable d’être juste comme Moché notre Maître ou impie comme Yerovoam... Personne ne l’oblige, personne ne le force ou ne le conduit dans l’une de ces deux voies. Mais c’est lui, de sa propre initiative et par sa propre réflexion, qui se dirige dans le chemin qu’il désire...
L’exercice du libre-arbitre réside au cœur de notre service Divin. Nous avons l’option d’accomplir la volonté de D.ieu ou de l’ignorer, à D.ieu ne plaise. Le défi qui est le nôtre est de «choisir la vie», vivre notre vie comme Il désire que cela le soit. Et deux types de choix positifs sont, en particulier, attendus de nous :
Il s’agit tout d’abord de l’obéissance aux Mitsvot (commandements) de la Torah. D.ieu nous a donné une série d’actes à multiples facettes que nous devons accomplir et d’autres que nous n’avons pas le droit de faire. Parfois, faire les actes requis ou respecter les interdictions qui nous sont imposées suscitent un conflit intérieur car cet accomplissement ou ce non accomplissement vont à l’encontre de nos tendances et désirs naturels. Notre force de choisir nous permet de contrôler et d’annihiler tous les obstacles qui viennent à l’encontre de l’accomplissement de la volonté de D.ieu.
D’autre part, il est question de modeler notre caractère pour qu’il soit conforme à la volonté de D.ieu, même si aucun commandement explicite ne l’enjoint. Expliquons ce concept. Il existe tout un domaine d’activités auquel l’on se réfère comme rechout : «ce qui est permis». On ne nous indique pas que faire ni quoi éviter. Mais cela ne signifie par pour autant qu’il n’y ait pas un mode de conduite Divin approprié à ces activités. Cependant, l’initiative est entre nos mains. Nous devons aspirer à découvrir la volonté de D.ieu et façonner notre caractère pour qu’il s’y adapte.
Ces deux élans se lisent dans la Michna (Avot 2 :4) : «Fais de Sa volonté ta volonté pour qu’Il puisse accomplir ta volonté comme si c’était Sa volonté. Mets de côté ta volonté à cause de Sa volonté pour qu’Il puisse mettre de côté la volonté des autres devant ta volonté».
«Mettre de côté ta volonté pour Sa volonté» se réfère au défi d’abandonner nos propres désirs pour obéir aux commandements de D.ieu.
«Faire de Sa volonté ta volonté» évoque un défi encore plus grand, celui de façonner notre caractère pour qu’il reflète et exprime la volonté de D.ieu, même dans des situations où l’injonction divine n’est pas spécifique.
Une phase nouvelle
Cette approche dans le service Divin représente la nouvelle dimension qu’apporte la lecture de la Paracha de cette semaine. La lecture de la Torah commence par les mots (Bamidbar 13 :2): Chela’h Le’ha : «tu peux envoyer...». Rachi explique que les hommes étaient venus auprès de Moché avec une requête : celle que des espions soient envoyés pour explorer Erets Israël. Moché avait alors soumis cette demande à D.ieu Qui avait répondu : «Cela dépend de toi. Je ne te donne pas d’injonction. Si tu le désires, envoie».
Cela représente une nouvelle phase dans la relation de notre peuple avec D.ieu. Il s’agit ici de la première occasion où D.ieu laisse le choix à Moché.
Cette approche nouvelle dans le service Divin, où l’initiative est placée entre les mains de l’homme, est associée à l’objectif de la mission des explorateurs : l’entrée de notre Peuple en Erets Israël. Le but de la vie en Erets Israël est de construire une résidence pour D.ieu au sein même des réalités de l’expérience quotidienne.
Et cette résidence doit tout particulièrement être accomplie par l’initiative de l’homme. Si cela avait dû répondre à une révélation d’En-Haut, cela aurait été incomplet. L’homme, comme il existe dans son propre contexte et avec la force créatrice qu’il possède, n’aurait pas trouvé son reflet dans ce type de résidence. Quand, par contre, il transforme sa volonté propre et, sur la base de cette métamorphose intérieure, se met à transformer son environnement, D.ieu vient résider dans son existence elle-même.
Affronter l’échec
Puisque l’accent est mis sur l’initiative humaine, naît alors la possibilité de l’erreur. Le terme lui-même de «libre-arbitre» laisse entendre que l’on peut faire le mauvais choix. En fait, c’est ce qui se produisit, et ce que relate la Paracha. Les explorateurs revinrent de leur mission et semèrent la panique dans les rangs du Peuple Juif, leur faisant redouter d’entrer en Erets Israël.
Comme l’indique le récit, l’erreur peut néanmoins être corrigée par la Techouvah, un sincère retour à D.ieu. Dans ce contexte également, l’emphase est placée sur l‘initiative humaine. Car la Techouvah requiert de la personne qu’elle rassemble ses forces intérieures pour rétablir le lien avec D.ieu, endommagé par une conduite inappropriée. En réalité, par la Techouvah, l’individu peut surpasser son niveau de service divin antérieur. Comme l’enseignent nos Sages : «Les tsadikim (Sages) parfaits ne peuvent se tenir devant un Baal Techouvah (repentant)».
La mission de notre Peuple
Ce que l’on vient d’observer est évoqué dans le nom de la Paracha lui-même.
Chela’h signifie «envoie», indiquant que chaque personne, et dans un sens plus général, le Peuple Juif dans son ensemble, est envoyée, obligée donc d’abandonner son environnement naturel, chargée d’une mission. Cette mission permet à l’individu tout comme à la nation d’atteindre un niveau plus élevé.
Dans un sens plus intime, cela se réfère également à la mission de chaque âme envoyée depuis le monde spirituel pour revêtir un corps matériel. C’est «une descente pour susciter une plus grande ascension», car en utilisant des entités matérielles dans un but spirituel, l’âme progresse à un niveau spirituel supérieur à celui qu’elle a quitté.
Dans un sens plus général, cela fait référence à la mission du Peuple Juif de faire de notre monde une résidence pour D.ieu. «Envoyé» de continent en continent, notre peuple a œuvré dans cet objectif depuis des milliers d’années, ajoutant un contenu spirituel au monde, grâce à l’observance de la Torah et de ses Mitsvot.
Cet objectif n’est plus un but abstrait. Bien au contraire, nous nous tenons au seuil de la Rédemption, à quelques instants de l’achèvement de cette tâche, par la venue du Machia’h. Et c’est alors que nous mériterons l’accomplissement entier de la promesse de notre Paracha : «Je les (y) conduirai et ils connaîtront la terre». Que cela se produise dans le futur immédiat.
Qu’est-ce que le Talit ?
Il est écrit dans la Torah qu’un Juif doit attacher rituellement des Tsitsits (fils blancs) aux quatre coins de tout vêtement. Pour cela, on utilise normalement un Talit, vêtement (de laine ou de coton) spécialement conçu avec quatre coins.
On distingue le Talit Katane (petit Talit), normalement porté sous la chemise même si les Tsitsits dépassent et le Talit Gadol (grand Talit) dont l’homme s’enveloppe au moment de la prière. Dès l’âge de trois ans, le garçon récite chaque matin la bénédiction et porte le Talit Katane. Nombreux sont ceux, surtout dans les milieux ‘hassidiques, qui portent aussi un autre Talit Katane pendant la nuit.
Avant de mettre le Talit (grand ou petit), il convient de vérifier le nombre de fils et de nœuds rituels et de démêler soigneusement les fils.
Dès son mariage (et, dans certaines communautés dès sa Bar Mitsva) l’homme porte le Talit Gadol pendant la prière du matin.
La Guematria (valeur numérique) du mot Tsitsits est 600 ; si on ajoute les 8 fils et les 5 nœuds, on obtient 613 qui est le nombre des Mitsvot de la Torah. C’est pourquoi le fait de porter les Tsitsits rappelle au Juif toutes les Mitsvot de la Torah : «Vous le verrez et vous vous souviendrez de toutes les Mitsvot de la Torah» (Bamidbar – Nombres 15 : 39).
Le fait de porter les Tsitsits est aussi une Segoula, une action positive qui favorise la mémoire et la vue.
(d’après le Kitsour Choul’hane Arou’h)
Le Talit sauveur
Chaque année, à l’approche de Yom Kippour, Guil Ofir, habitant de la ville israélienne d’Even Yehuda choisit une autre synagogue pour y prier. Durant l’heure de pause, il demande la permission de prendre la parole et, enveloppé dans son Talit, monte sur l’estrade devant l’assemblée. Quand il termine son discours, on trouve difficilement un œil sec parmi les fidèles. Tous contemplent son Talit avec émotion, le Talit grâce auquel lui et vingt-cinq de ses compagnons d’armes ont été sauvés.
Tout commença le vendredi précédent Yom Kippour 5734 (1973). Gil, sergent-chef qui dirigeait un cours de formation pour conducteurs de tanks dans le Néguev reçut brusquement l’ordre de se rendre à Refidim, dans le Sinaï, de toute urgence. Les services de renseignements prévoyaient une attaque sérieuse de l’Égypte.
A Refidim, régnait une grande confusion. Dans la nuit, alors qu’on entamait la journée la plus sacrée de l’année juive, au lieu de se réunir pour la prière de Kol Nidré, les soldats s’affairèrent autour des tanks et des recharges de munitions. Ces préparatifs se poursuivirent durant toute la matinée. Soudain, à 14 heures, les soldats entendirent un bruit assourdissant : les avions MIG égyptiens survolèrent le territoire : la guerre avait commencé.
Ofir et ses compagnons enlevèrent les filets de camouflage, mirent en marche les chenilles de ces énormes engins et se dirigèrent vers le Canal de Suez. C’était là que les fortins vaillamment tenus par les forces israéliennes étaient attaqués par d’innombrables soldats ennemis.
Dans la soirée, ils arrivèrent au fortin Milano 2, proche du Canal et qui subissait attaque après attaque. Ofir et ses compagnons se battirent avec détermination pour vaincre les Égyptiens. Ils réussirent à en éliminer un grand nombre mais, au fur et à mesure, des renforts ennemis arrivaient sans cesse et remplaçaient les pertes : de plus, ils étaient équipés de missiles anti tanks. A la fin, leur supériorité numérique joua en leur faveur et des tanks israéliens furent touchés, parmi lesquels celui d’Ofir. Il ressentit soudain qu’il avait été blessé à l’épaule : il ordonna à ses soldats d’abandonner le tank et de se réfugier dans le fortin mieux protégé.
La situation dans le fortin était terrible. Quatre soldats avaient été tués. Les tankistes s’empressèrent de se mettre en position offensive pour répondre au déluge de feu des soldats égyptiens qui affluaient de partout. Mais ils réalisaient que la situation était désespérée, que le nœud se resserrait autour d’eux.
Dimanche dans la soirée, ils comprirent qu’ils n’avaient plus aucune chance d’empêcher la chute du fortin. Après de durs combats, ils décidèrent de profiter de l’obscurité de la nuit pour sortir et tenter de rejoindre des renforts qui s’approchaient pour venir à leur secours.
Prudemment, ils sortirent un par un du fortin et se glissèrent sur la route pleine de dangers, au cœur du champ de bataille qui grouillait de soldats égyptiens. Ils avançaient sans bruit, tendus et priant silencieusement que le D.ieu des Armées les protège et les sauve du regard de leurs ennemis.
Soudain, les soldats égyptiens s’aperçurent qu’un groupe d’Israéliens se faufilait parmi eux et ouvrirent le feu. L’adjoint du Commandant du fortin, Mi’ha fit preuve d’un grand sang-froid et cria vers eux en arabe : «Vous êtes fous ! Nous sommes égyptiens !». Le feu s’arrêta un instant mais reprit car les Égyptiens avaient remarqué l’accent israélien de leur interlocuteur. Durant le bref combat qui suivit, quinze soldats juifs furent tués ou faits prisonniers. Les rescapés trouvèrent refuge sur une colline. Après deux jours sans dormir, alors que leurs forces et leurs munitions diminuaient dangereusement, alors que les commandos égyptiens s’approchaient de plus en plus, les soldats israéliens attendaient le miracle qui les sauverait.
Et c’est dans ces moments particulièrement cruciaux qu’ils aperçurent un spectacle venu d’un autre monde : au lever du soleil, deux soldats pratiquants s’étaient levés pour prier, l’un avec son Talit et l’autre avec ses Téfilines. Tous deux semblaient insensibles au tumulte autour d’eux et se balançaient d’avant en arrière tout en récitant les mots sacrés.
Il n’en fallait pas plus pour insuffler un nouveau courage dans le cœur de leurs compagnons d’infortune. A cet instant, ils ressentirent tous un attachement très fort à leurs racines et leurs valeurs juives grâce auxquelles leurs ancêtres avaient survécu à tant d’épreuves.
Tandis que les uns priaient et que les autres attendaient, on entendit soudain des bruits d’explosions. Les soldats s’aperçurent avec horreur que, durant un combat entre tanks israéliens et égyptiens, ils avaient été identifiés par erreur par Tsahal comme égyptiens. Gil Ofir réalisa qu’il fallait absolument démontrer aux tankistes israéliens qu’ils étaient leurs frères. Son regard se posa sur le Talit : c’était la solution ! Il saisit le Talit, l’étendit et courut vers le tank israélien en le déployant dans la brise légère.
- C’est du suicide ! cria le commandant.
Mais Gil ne l’écouta pas. Et, au bout de quelques minutes, le feu s’arrêta.
Les soldats furent rapidement secourus par les tankistes qui les amenèrent à l’arrière, loin du champ de bataille. C’est ainsi que, grâce au Talit, vingt-cinq soldats furent sauvés.
Par la suite, Gil et ses camarades discutèrent avec les occupants du tank et entendirent leur version des faits ; au début, quand ils avaient aperçu le Talit flottant au vent, ils avaient été persuadés que c’était une ruse des Égyptiens et que le tissu n’était qu’une illusion. Ce n’est que lorsque Gil s’était approché davantage qu’ils avaient compris qu’il s’agissait bien d’un Talit et qu’ils avaient immédiatement arrêté de tirer.
«Au fur et à mesure des années, les soldats avaient réfléchi à cet incident qui leur avait sauvé la vie et tout avait pris un sens plus profond. Gil avait reçu des mains du soldat pratiquant, habitant de Jérusalem, ce Talit qu’il tenait à mettre chaque Yom Kippour, en allant d’une synagogue à l’autre pour raconter son histoire et donner au mot «uniforme» une signification autre que militaire.
Sichat Hachavoua N° 1448
Traduit par Feiga Lubecki