Pour un autre regard
Est-ce les conditions atmosphériques décidément pas de saison, le ralentissement de l’activité économique et toutes ses conséquences sur la vie quotidienne ? L’ambiance paraît bien être à la grisaille générale. Les cœurs et les esprits semblent parfois s’être mis comme en berne, au point que si l’on s’avise de tenir un discours porteur d’espérance, il y a à craindre qu’on soit bien vite taxé d’irréalisme. Alors, l’heure est-elle à la résignation, à ce sentiment si lourd qu’il est comme un poids qui attire sans rémission vers le bas ? Certes, le peuple juif a toujours cru en l’avenir – malgré bien des déceptions – mais la réalité du monde est aujourd’hui peut-être plus présente que jamais précédemment. Elle nous encadre tant que retrouver les forces d’un nouvel élan paraît une perspective bien lointaine…
Disons-le en d’autres termes : est-il possible de changer le monde ? Lorsque les choses ne sont pas aussi belles qu’il le faudrait ou qu’on le souhaiterait, que toute ouverture semble hors de portée, comment agir ? Il y a ici un véritable secret. Le judaïsme, et en particulier les enseignements du ‘hassidisme, soutiennent, contre vents et marées, que rien n’est jamais définitif, que, par nature, l’homme a la capacité prodigieuse de changer le cours des événements et de redonner des couleurs à tout ce qui en manque. De fait, l’homme se définit comme une créature dotée d’une pleine liberté. Il est, de fondation, acteur et non sujet de son sort. Imaginer une autre situation reviendrait à lui retirer son libre-arbitre et, ce faisant, à le ramener à un rang de la création qui n’est pas le sien. Si l’homme est libre dans l’absolu, rien ne peut lui imposer une voie ou un destin. Seul son choix en a le pouvoir. D’une certaine façon, le monde dépend ainsi du regard que chacun porte sur lui.
Plus encore, le Baal Chem Tov souligne que la création du monde n’est pas un processus qui prit place il y a bien longtemps et ne fait, depuis, que se prolonger. Il relève, au contraire, qu’il s’agit d’un processus constant, perpétuel. Dans cette vision, le monde de l’instant qui passe n’est pas le même que celui de l’instant suivant. Tous les possibles sont ainsi ouverts. Il nous faut savoir le vivre, afin que notre liberté soit celle, majeure, de notre âme et qu’elle constitue enfin réponse à tous les exils.
Haim Nisenbaum
Près du sommet
Notre génération est comparable à un homme qui s’efforce d’atteindre le sommet d’une montagne. Alors qu’il s’en approche toujours davantage, il doit rassembler toutes ses forces pour franchir la courte distance qui l’en sépare encore. A ce moment-là, toute branche, toute pierre où l’on peut se tenir est précieuse. Mais aussi la lumière est nécessaire pour savoir reconnaître les points d’appui. Nous sommes très proches du sommet, de l’accomplissement de l’histoire des hommes car le Machia’h est littéralement à notre porte. Celui qui sait voir et entendre en est déjà pleinement conscient. Comme celui qui gravit la montagne, il nous faut accorder toute sa valeur à ce qui est bien et rechercher la lumière, celle de la Torah. Comme l’alpiniste doit être ferme dans son effort, nous devons laisser les forces de notre âme s’exprimer. Comme il doit connaître les voies d’accès, nous devons suivre les chemins indiqués par la Torah. Nous sommes aujourd’hui en cet instant qui précède l’aube, où le sommeil semble plus pesant. Il appartient à chacun de se réveiller pour recevoir le matin du monde. (D’après Séfer Hasi’hot 5696, p. 316)
Chela’h : Penser au possible
Chaque individu doit affronter des tâches et des défis. La dimension juive de la vie nous aide à y faire face et parfois se présente elle-même comme une partie du défi. Les devoirs d’étudier, de trouver un emploi, de se marier, de faire naître une famille, d’aider sa communauté, d’épauler ceux qui sont dans le besoin, sans parler des problèmes qu’affronte le peuple juif en tant qu’entité, tout cela est guidé par les enseignements juifs. On y trouve à la fois des «fais» et des «ne fais pas». Ils apportent tous une stabilité et pourtant quelquefois, ils paraissent rendre les choses plus compliquées.
Pouvons-nous équilibrer toutes les demandes auxquelles nous devons faire face ? Comment les envisager ? Dans la Paracha de cette semaine, Chela’h, la Torah nous donne le récit du Peuple Juif placé devant le défi de pénétrer en Terre d’Israël, la terre qui leur avait été promise par D.ieu depuis des générations. Leur tâche consistait à transformer le Canaan impur en la Terre sacrée d’Israël, le centre spirituel du Peuple Juif et en dernier ressort du monde entier. Une immense tâche les attendait. Cependant cette péripétie sert également de métaphore à la tâche qui attend chaque Juif dans sa vie de tous les jours. Nous devons changer les voies ordinaires du monde en quelque chose de saint.
Au commencement de la Paracha, D.ieu demande d’«envoyer des gens pour explorer la Terre». Nos Sages expliquent que cette injonction venait en réponse au fait que le Peuple Juif lui-même désirait cette exploration. Il leur semblait naturel de vouloir explorer la terre et D.ieu répondit : «Envoyez [des explorateurs] !»
En d’autres termes, explique le Rabbi, si vous avez une tâche qui vous attend, mettez tous vos efforts et votre énergie dans la recherche de la manière de l’accomplir le mieux possible. Parfois, les gens se laissent porter par le courant sans réfléchir, sans se poser de questions. Par contraste, la Paracha nous dit ici de rechercher et de penser par nous-mêmes. Alors, que se passa-t-il donc ? Pourquoi la mission des douze explorateurs se solda-t-elle par un désastre ?
Parce qu’au lieu de rechercher la meilleure manière de pénétrer en Terre d ‘Israël, les explorateurs déclarèrent que cette entreprise était impossible. Le message qu’ils rapportèrent était : «mission impossible…» Au lieu de dire : «nous aurons à faire face à tel ou tel problème», ils affirmèrent : «abandonnez tout le projet !»
C’était là leur erreur. Mais elle ne doit pas être la nôtre. Nos enquêtes sur les tenants et les aboutissants de l’entreprise qui nous attend, basées sur les enseignements de la Torah, ne doivent pas aboutir à la déclaration : «mission impossible» et à l’abandon de la tâche. Si nous y portons un regard positif, sachant que D.ieu nous aide, nous verrons devant nous se dérouler le chemin qui nous mènera au succès optimal.
Il est vrai que nous devons réfléchir attentivement pour trouver l’approche qui correspond le mieux à une situation spécifique et prendre en compte chaque facteur. Mais les éléments qui nous guident à la base dans l’implication dans l’action sont les instructions que nous donne D.ieu par l’intermédiaire de la chaîne des enseignements de la Torah. C’est seulement ainsi que nous pouvons affronter et surmonter, avec sagesse et ténacité chaque défi, de la façon la plus réussie et finalement, avec la venue de Machia’h, la sainteté latente dans le monde entier se révélera.
Pour commencer :
la force du commencement
C’est une caractéristique de la vie universelle : «le commencement». Le commencement de la vie constitue le thème qui ouvre toute la Torah. Mais la Torah met également l’accent sur un «commencement» d’un genre différent. Elle évoque le fait d’établir un «commencement» durant le processus de la fabrication du pain.
Après avoir pétri la pâte, et d’habitude avant de la former en pains, une portion de la pâte en est séparée. Il s’agit du prélèvement de la ‘Halla. Cette opération nous apporte un enseignement à propos du commencement, pas seulement celui de la confection du pain mais de tout dans la vie ;
A l’époque du Temple, une quantité significative de la pâte de la ‘Halla était donnée au Cohen (prêtre). Aujourd’hui, l’on n’en prélève qu’un petit morceau (30 grammes) que l’on brûle. Les lois du prélèvement de la ‘Halla figurent dans notre Paracha : «les prémices du bol de pétrissage, vous les donnerez à D.ieu comme offrande : cela s’applique à toutes vos générations».
Les enseignements de la ‘Hassidout révèlent une interprétation plus profonde de cette loi, basée sur une subtilité de la langue. Le terme hébraïque pour «bol de pétrissage» est Arissa. Mais Arissa possède deux sens. Cela signifie à la fois «bol de pétrissage» et «lit» ou «berceau».
Selon nos Sages, ce double sens n’est pas dû au hasard. Comme tout dans la Torah, il nous apporte un enseignement. La loi du prélèvement de la ‘Halla signifie qu’au tout début de l’activité de la confection du pain, nous faisons un acte qui exprime une reconnaissance de D.ieu. Prélever la ‘Halla signifie dédier quelque chose au Divin ; et cette étape a lieu dès le commencement.
La signification double cachée dans les mots de la Torah n’évoque pas seulement le bol de pétrissage mais également le berceau, le lieu du commencement de la vie humaine. Le tout début doit se marquer par l’acte d’«offrande à D.ieu». Comment parvenir à dédier un enfant juif à D.ieu ? Par l’éducation juive. Chaque moment passé à enseigner à un enfant sa proximité avec D.ieu, à lui parler de la beauté de la Torah et de la vie juive tisse un lien précieux avec le passé et le futur. Ces moments passés au début de la vie aident à assurer que les années futures, les «générations» mentionnées dans le verset, seront remplies de réussite, conduisant vers un réel accomplissement. C’est là le sens général.
Une autre leçon concerne une autre sorte de «commencement» : le début de chaque jour. Les enseignements de la Torah recommandent que là aussi, nous devrions commencer par un moment où l’on se dédie à D.ieu : la prière du «Modé Ani», du Chéma, les Tefilines. C’est là la ‘Halla, donnée à D.ieu. Alors, le reste du jour , les «générations», sera heureux, sain et rempli, semblable à la chaleur du pain fraîchement cuit.
Qu’est-ce que les Tsitsit ?
La Torah ordonne (Bamidbar – Nombres 15 : 38) d’incorporer des Tsitsit (des fils tressés spécialement) aux quatre coins d’un vêtement. Cette obligation est très importante puisque, grâce à la vue de ces franges, le Juif se souvient des Lois divines et les applique.
La valeur numérique du mot Tsitsit est 600. Si on ajoute les huit fils et les cinq nœuds, on obtient 613, le nombre des commandements de la Torah.
Dès l’âge de trois ans, le garçon juif est habitué à porter sous sa chemise mais pas directement sur la peau, un vêtement spécial blanc, en laine si possible, le Talit Katane aux quatre coins duquel sont attachés les Tsitsit. De plus, dès le mariage (ou, dans certaines communautés dès l’âge de 13 ans), le Juif porte pour la prière un vêtement long, le Talit Gadol.
On doit veiller à ne se procurer un Talit qu’auprès d’un commerçant scrupuleux et lui-même attentif à ce commandement car les franges doivent être préparées avec une Kavana (ferveur) spéciale.
Le matin, avant de réciter la bénédiction, on vérifie que les fils ne sont pas abîmés ou entremêlés.
Tout vêtement comportant quatre coins doit être paré de Tsitsit. Si un des coins est arrondi, le vêtement est dispensé de Tsitsit.
Quand le Talit est usé et n’est plus réparable, il sera enterré comme tous les objets sacrés qui ne sont plus utilisables.
F. L. (d’après Junior Code of Law – Dr. Nissan Mindel)
Quatre dollars
A l’époque où j’étudiais à la Yechiva Oholei Torah de Brooklyn (New York), j’eus l’occasion de me rendre fréquemment le vendredi après-midi chez Rav Shmuel Zohar à Staten Island : dans sa maison, je donnais des cours de Torah à plusieurs jeunes gens que nous avions rapprochés du judaïsme grâce à la Mitsva des Téfilines. Au bout d’un certain temps, nous leur avons proposé de se rendre en groupe le dimanche matin auprès du Rabbi pour recevoir de sa main un dollar à remettre à la Tsedaka.
Cette idée les enchanta. Comme la plupart d’entre eux ne travaillaient pas le dimanche, nous avons prévu de venir les récupérer devant leur maison pour les amener tous ensemble. Quand nous sommes arrivés devant l’une des maisons, nous avons assisté à une petite dispute : les propriétaires de la maison hébergeaient un jeune Israélien à qui ils avaient proposé de se joindre à eux pour voir le Rabbi. Le jeune homme avait refusé avec dédain et son manque de respect pour le Rabbi avait rendu ses hôtes furieux : ils menaçaient de le jeter en dehors de chez eux s’il continuait à parler de façon aussi insolente. Une telle sanction ne le laissa pas indifférent et, prudent, il accepta de se joindre à eux dans le mini van que nous avions loué. Mais, au début, il ne desserra pas les lèvres, il était visiblement ennuyé de la tournure des événements.
J’étais assis à côté de lui et entrepris de lui parler. Au bout de quelques minutes de conversation, il se calma et se mit à me demander avec curiosité de quoi il s’agissait. J’expliquai que nous allions passer devant le Rabbi, qu’il nous confierait un billet d’un dollar à remettre à la Tsedaka et qu’il nous bénirait.
Quand il entendit que le Rabbi accordait des bénédictions – et après que je lui ai raconté plusieurs histoires de bénédictions qui s’étaient miraculeusement réalisées – il demanda timidement s’il pouvait lui aussi formuler une telle demande. Je l’assurai que oui : cependant, il devait s’efforcer de condenser sa requête en quelques mots car nombreux étaient encore ceux qui devaient passer après lui et le temps du Rabbi était précieux.
Durant le reste du trajet, il n’ouvrit plus la bouche : il était évident qu’il cherchait comment comprimer au maximum ce qu’il avait à demander.
Je me tins derrière lui dans la longue queue. Quand arriva son tour, je remarquai combien il était tendu et ému. Au point qu’il ne parvenait plus à parler. Le Rabbi lui tendit le dollar avec les paroles habituelles : «Bénédiction et réussite». L’Israélien se dirigea vers la sortie mais le Rabbi le rappela, lui tendit encore des billets sans les compter en précisant : «Paix dans la famille ! De bonnes nouvelles !».
Moi-même, je reçus un billet d’un dollar avec la bénédiction habituelle et je le rejoignis à l’extérieur de la synagogue : l’homme était pâle et tremblant : «Comment a-t-il su ?» répéta-t-il plusieurs fois. «Comment le Rabbi a-t-il su alors même que je n’ai pas réussi à ouvrir la bouche ?»
Il s’avéra que, plusieurs mois auparavant, il avait subitement perdu son père : celui-ci avait laissé un bel héritage à Tel-Aviv, ce qui avait causé plusieurs points de conflit entre les frères, au point que l’atmosphère familiale était devenue détestable.
«Cette situation me causait beaucoup de soucis et, quand j’ai entendu qu’on pouvait demander toutes sortes de bénédictions, j’ai décidé d’en parler au Rabbi. Mais, comme vous l’avez remarqué, j’ai été incapable de prononcer un mot. Cependant, le Rabbi a lu mes pensées et m’a béni pour la paix dans la famille ! »
- Combien de frères êtes-vous ? demandai-je avec curiosité.
Il regarda les dollars qu’il tenait dans la main, les compta et réalisa soudain : «Nous sommes quatre frères ! Le Rabbi m’a donné encore quatre dollars ! C’est incroyable !»
A la suite de cela, le jeune homme changea complètement d’attitude, se rapprocha de la pratique du judaïsme et nous annonça peu après que toute la question de l’héritage s’était réglée à l’amiable.
Mikael Reinitz
Traduit par Feiga Lubecki