Le temps du choix
Certaines dates claquent au vent comme les drapeaux les jours de victoire. Les 12 et 13 Tamouz que nous célébrions la semaine dernière sont de celles-là. Contraindre un empire sans pitié – l'URSS de Staline – à relâcher sa proie – Rabbi Yossef Its'hak, le précédent Rabbi de Loubavitch – est incontestablement un événement à fêter, d'abord pour lui-même et aussi pour toutes les conséquences dont il fut porteur. Sans doute est-ce cela qui rend le contraste encore plus difficile à vivre. Moins d'une semaine plus tard, le calendrier indique la date du 17 Tamouz, jour de jeûne, et c'est de sentiments bien différents qu'il s'agit. Journée d'infortune est-on tenté de dire. De fait, au cours de l'histoire, les malheurs se succédèrent en ce jour, cinq rapportent les textes : depuis les Tables de la Loi brisées par Moïse au pied du mont Sinaï à la suite de la faute du veau d'or jusqu'à la première brèche pratiquée dans la muraille de Jérusalem par l'envahisseur, ce qui devait déboucher – nous le savons aujourd'hui – sur la destruction du Temple. Que faut-il alors en dire ? Que, de cette date, s'élève la triste complainte des combats perdus, le sinistre murmure des abandons forcés ? Juste après la victoire, le désastre ? La vie peut-elle être faite de si brusques revirements ?
Toutes les armées du monde le savent : la profondeur d'une défaite tient bien souvent à la manière dont on la regarde. Devant l'adversité, la voie la plus facile, et donc la plus tentante, est toujours le renoncement. C'est ainsi que l'échec conduit à un autre échec et enferme sa victime dans une spirale du désespoir. Il y a pourtant un autre chemin : celui du redressement. C'est ainsi que, si le 17 Tamouz marque bien la chute de la muraille protectrice de la Ville Sainte et du Temple, il peut également devenir le jour d'une prise de conscience renouvelée. La brèche dans la muraille devient ainsi une invitation à la reconstruction. Dans la période de trois semaines qui s'ouvre après ce jour pour s'étendre jusqu'au 9 Av, date anniversaire de la destruction du premier et du second Temple de Jérusalem, les Sages nous enseignent un chemin de vie : celui de l'étude des lois concernant l'édifice. C'est bien plus qu'un symbole, c'est un acte d'avenir. Etudiant ces règles qui décrivent le Temple dans la prophétie d'Ezéchiel, dans le traité du Talmud Midot ou dans le Michné Torah de Maïmonide, nous ne rêvons pas à un monde meilleur, nous en posons les bases. Entre l'acceptation désespérée d'une fatalité aveugle et le combat sans faillir pour un avenir de bonheur, de liberté et de paix, le choix est facile. Il appartient à chacun.
Haim Nisenbaum
Attendre sa venue consciemment
Maïmonide enseigne qu'il est nécessaire, pour chacun, de "croire en Machia'h" et "d'attendre sa venue" (Michné Torah, Hil'hot Mela'him, chap.11, Hala'ha 1).Le fait que soit ici soulignée la nécessité de ces deux attitudes indique qu'elles apportent chacune un élément particulier.
En effet, la foi peut rester cantonnée au spirituel, sans avoir de conséquence concrète. Ainsi, nos Sages (traité de Talmud Bera'hot 63a) remarquent qu'un "voleur, à la sortie du souterrain, invoque D.ieu" pour réussir dans son entreprise criminelle.
C'est pourquoi, outre la foi indispensable, chaque Juif doit aussi "attendre" la venue immédiate de Machia'h de telle manière que cette idée apparaisse dans sa pensée consciente.
(d'après Séfer Hasi'hot 5749, vol.1, p.351) H.N.
Pin'has
La vertu d'une mauvaise conscience
Dans notre Paracha, un verset, à l'analyse, paraît tout à fait étonnant. La Torah donne la généalogie de la tribu de Réouven, et en passant, mentionne le nom des deux semeurs de trouble connus : Dathan et Aviram, les arrière-petits-fils de Réouven.
«(...) Dathan et Aviram sont ceux-là mêmes convoqués par l'assemblée qui avaient comploté contre Moché et Aharon, avec l'assemblée de Kora'h quand ils se sont révoltés contre D.ieu. Alors la terre avait ouvert sa bouche et les avait engloutis, eux et Kora'h (...) avec la mort de l'assemblée quand le feu avait consumé deux cent cinquante hommes. Et ils devinrent un signe. Et les fils de Kora'h ne moururent pas.» (Bamidbar, 26 :9-11)
Le dernier verset est celui qui nous interpelle car il semble en fait contredire celui qui précède : «la terre ouvrit sa bouche et les avala, eux et leur maisonnée et tous ceux qui étaient avec Kora'h.»
Le verset affirme, sans équivoque, que tous ceux qui appartenaient au camp de Kora'h furent avalés vivants, y compris ses fils. A moins qu'il n'existe un moyen de rester vivant quand on est englouti dans la terre, la Torah nous propose deux récits inconciliables. Heureusement, le célèbre commentateur Rachi vient nous éclairer.
«Ils étaient (présents) dans le complot (dès) le début mais au moment de la dispute, ils eurent des pensées de repentir dans leur cœur ; c'est pourquoi il fut fortifié pour eux un endroit élevé dans le Gehinom (l'enfer) et ils s'y installèrent (Sanhédrine 110 a ).»
Na'halat Yaakov, un commentateur de Rachi, ajoute un détail important : le fait que le «séjour» des fils de Kora'h dans le Gehinom fut temporaire. Ils ne passèrent pas le reste de leur vie sous terre mais en sortirent finalement pour rejoindre la société, une fois que le scandale se fut apaisé et leurs comparses morts.
Injuste ?
Certes, il est réconfortant de savoir que certains survécurent à l'épreuve de force entre Moché et Kora'h mais nous pouvons nous demander pourquoi la Providence choisit tout particulièrement les fils de Kora'h, parmi tous les mutins pour survivre à ces événements.
«Les fils de Kora'h furent les premiers à s'impliquer dans la révolte» nous dit le Talmud (Sanhédrine 110 a). Il s'avère donc que ces hommes ne se joignirent pas à une rébellion contre Moché déjà en marche, mais ils la suscitèrent. Et pour le Judaïsme, le véritable pécheur est celui qui est l'instigateur d'un péché commun.
Comment donc comprendre cet heureux retournement de situation à la fin de l'histoire de Kora'h ? Non seulement ses fils échappèrent-ils à la mort spirituelle mais ils vécurent pour raconter l'histoire !
En fait, et selon nos Sages, ces hommes fondèrent des familles dont les descendants purent se vanter de compter parmi eux des géants spirituels comme le Prophète Chmouel et vingt-quatre gardes Lévites du Temple.
Et ce n'est pas tout. Selon le Talmud, alors qu'ils étaient dans cet «endroit particulier» du Gehinom qui leur était réservé, les fils de Kora'h «étaient assis et chantaient des louanges (à D.ieu)» ce qui fut, de façon tout à fait étonnante, inclus et immortalisé par le roi David dans ses Psaumes.
L'on peut citer pour exemple le premier verset du Psaume 87 : «Des fils de Kora'h, un chant avec un accompagnement musical dont le fondement se situe dans les montagnes sacrées».
Que firent donc ces profanateurs invétérés, pour atteindre du plus profond des abîmes de l'enfer le sommet des «montagnes sacrées» ?
Le remord juif'
En dépit de la gravité de leur faute, les fils de Kora'h, contrairement aux autres conspirateurs, conservèrent malgré tout une qualité : «durant la querelle ils eurent des pensées de Techouva (repentance) dans leur cœur.» Telle est la vertu qui les sauva : une mauvaise conscience.
Il est vrai que, de manière générale, le Judaïsme n'a que peu de patience pour des pensées et des sentiments saints qui ne se réalisent pas, et encore moins pour des remords qui restent vides. «L 'action est essentielle» nous enseignent les « Maximes des pères ». Et il est également vrai qu'aucune action concrète n'émergea des sentiments de regrets arborés par les fils de Kora'h.
Mais c'est précisément ici que réside la leçon : ne sous-estimez pas la puissance d'un sentiment de regret. N'écartez pas ces sentiments, même s'ils ne se traduisent pas en actes car ils sont le seul réel lien entre la transgression et la repentance. Sans eux, le pécheur n'a aucune chance de s'amender. Selon les paroles de nos Sages, «une fois qu'un individu s'habitue à une certaine transgression, elle lui devient permise» (Talmud, Sotah 22a).
La conscience est le garde-fou pour un comportement humain convenable.
Et malheureusement, nul n'est besoin de chercher loin des exemples pour observer ce qui arrive lorsque des individus sont dépourvus de conscience...
C'est le sens moral intérieur que possédaient les fils de Kora'h qui les distingua des autres et leur permit de mériter la rédemption. Les autres, eux, s'étaient totalement identifiés à la révolte contre D.ieu et Moché, dans l'esprit et dans le cœur. Mais les fils de Kora'h gardèrent le contact, même si temporairement ils s'en écartèrent, avec ce qui était bien et ce qui était mal. Ce dont ils manquèrent, au moment critique, fut de courage mais non de conviction, ce qui signifie que, du moins dans leur cœur, ils n'abandonnèrent jamais le chemin de la droiture.
La leçon
Dans Kohélète (l'Ecclésiaste), il nous est enseigné qu' «il n'existe pas un homme juste sur terre qui fait ce qui est juste et ne pèche jamais». Les manquements sont humains. La façon dont nous répondons aux attirances ponctuelles du péché est une autre chose.
Même si nos sentiments de remords s'avèrent incapables de nous conduire à une action rectificatrice, il nous faut préserver en nous ces sentiments de peur de nous désensibiliser ou nous immuniser contre les mauvaises actions et finir, le cas échéant, par nous identifier à notre mauvaise conduite.
Qu'est-ce que «les trois semaines» ?
Entre la première brèche qui apparut dans les murailles de Jérusalem – au moment de la conquête par Babylone – et la destruction du Temple, il se passa trois semaines terribles. Ces 21 jours sont appelés Bène Hametsarim, les jours de malheur comme il est écrit : «Tous ceux qui la poursuivent l'ont rattrapée entre les défilés» (Lamentations 1 : 3)
A partir du 17 Tamouz : toutes les communautés s'abstiennent d'écouter des instruments de musique et de danser. Les Achkénazim ne célèbrent plus de mariage (cependant, il est permis de marquer des fiançailles par un repas mais pas par des danses) et ne se coupent plus les cheveux. On évite de consommer des fruits nouveaux et de revêtir des habits neufs : le Ari Zal interdit cela même le Chabbat. Cependant, on récite la bénédiction Chéhé'héyanou pour une Brit Mila (si c'est la coutume), un Pidione Habène (rachat du fils premier-né), la naissance d'une fille ou la consommation d'un fruit nouveau qu'on ne pourra pas retrouver par la suite.
On s'abstient de toute conduite dangereuse. On n'achète pas de maison, de meubles ou de vêtements neufs (cependant, si des meubles commandés plus tôt sont livrés ces jours-là, on peut les réceptionner). On augmente cependant la joie les jours de Chabbat pour marquer l'absence de deuil.
A partir du 1er Av, le deuil devient plus pesant : ce sont «les neuf jours».
Il est recommandé, durant cette période des «trois semaines» d'augmenter les dons à la Tsedaka (charité) qui rapprochent de la délivrance. De plus, on étudiera les textes concernant le Temple de Jérusalem, en particulier, les textes de l'Exode sur la construction du sanctuaire, le livre d'Ezékiel (chapitres 40 à 43), le traité Midot et les «Lois de la Maison d'Élection» du Rambam (Maïmonide).
F.L. (d'après Pinat Hahala'ha de Rav Yossef S. Ginsburgh)
Envoyez-moi une invitation !
Durant l'été 1972, Avraham Goldensky terminait ses préparatifs en vue de son retour en Israël après une année passée aux États-Unis pour le compte du Ministère israélien des Transports. Quelques jours avant son départ, un de ses amis lui suggéra de se rendre auprès du Rabbi de Loubavitch : «Si déjà tu te trouves à New York, ce serait dommage de laisser passer cette opportunité !». Bien que M. Goldensky ait été un socialiste endurci, il accepta la proposition, téléphona au secrétariat du Rabbi et obtint un rendez-vous à une heure du matin, la veille de son départ.
Des années auparavant, il avait été sérieusement blessé dans un accident de voiture et les médecins avaient dû l'amputer de ses deux jambes. Grâce à son courage et sa détermination, il surmontait son handicap et avait tenu à reprendre ses activités au sein du Ministère.
Quand il entra dans le bureau, le Rabbi se leva pour l'aider à s'asseoir puis s'intéressa à son travail ainsi qu'à ses recherches. Soudain, à la fin de l'entretien, le Rabbi suggéra qu'il se fasse examiner par un certain spécialiste avant de quitter les États-Unis en ajoutant qu'il prenait les frais de la consultation à sa charge. Enfin, le Rabbi lui demanda des nouvelles de sa famille et mentionna comme en passant : «N'oubliez pas de m'envoyer un faire-part avant le mariage de votre fille !» M. Goldensky était étonné : sa fille était encore très jeune mais le Rabbi avait parlé très sérieusement !
Bien que sceptique quant aux connaissances médicales du Rabbi, M. Goldensky se sentit obligé d'obéir au Rabbi et retarda son voyage de retour. La nuit même, le Rabbi s'assura que le rendez-vous avait bien été pris avec un des meilleurs spécialistes. Quand le médecin l'examina, il affirma : «Regardez ces radiographies ! C'est un miracle que vous soyez venu aujourd'hui car votre colonne vertébrale se détériore rapidement. Cependant, vous n'avez pas besoin d'être traité ici, vous disposez d'excellents médecins à l'hôpital Hadassa à Jérusalem !»
Le lendemain, M. Goldensky se présenta à nouveau au 770 Eastern Parkway, la synagogue du Rabbi, pour le remercier : maintenant, il ne doutait plus des connaissances médicales du Rabbi. Quand le Rabbi entra au 770, il s'arrêta pour l'entendre expliquer les résultats de la visite médicale puis il suggéra : «Il y aura un Farbrenguen (réunion 'hassidique) ce Chabbat, restez donc ici ! Et je vous rappelle encore une fois : n'oubliez pas de m'envoyer un faire-part pour le mariage de votre fille !»
Le docteur passa Chabbat dans le quartier de Crown Heights et se rendit même au Farbrenguen durant lequel le Rabbi lui manifesta plusieurs fois son amitié et l'invita à trinquer Le'haïm, à la vie !
Avant son départ, le Rabbi lui souhaita un bon voyage et lui demanda de rester en contact avec les 'Hassidim de Jérusalem. Puis le Rabbi rappela : «Pour la troisième fois, je vous demande de ne pas oublier de m'envoyer un faire-part pour le mariage de votre fille !»
Inutile de souligner combien M. Goldensky était intrigué par cette insistance du Rabbi.
A Jérusalem, il se lia d'amitié avec les 'Hassidim qui l'aidèrent à changer les Mezouzot de sa maison, lui réapprirent à mettre régulièrement les Téfilines et instituèrent pour lui et ses amis, intellectuels comme lui, des cours de 'Hassidout qu'ils fréquentèrent assidûment.
Trois ans plus tard, sa fille unique s'apprêta à se marier. Bien entendu, il envoya le premier carton d'invitation au Rabbi.
C'est alors qu'il subit une attaque cardiaque et dut être hospitalisé. Quelques jours plus tard, il reçut une longue lettre du Rabbi qui lui envoyait ses chaleureux souhaits de Mazal Tov ainsi que des explications sur le mariage selon la 'Hassidout. Puis le Rabbi suggérait qu'il accomplisse rigoureusement les Mitsvot «car tel est tout le but de l'homme». Le Rabbi continuait : «Nul doute que vous allez me suspecter – à juste raison – de ne pas écrire cela uniquement d'un point de vue intellectuel et certainement pas pour vous asséner des leçons de morale, D.ieu préserve. Je ne le fais que pour vous encourager à accomplir effectivement les commandements de D.ieu. Car l'action est essentielle : peu importe si on n'en comprend pas immédiatement les bienfaits et qu'on ne les comprenne qu'après l'action...
«J'ai remarqué combien vous êtes déterminé – malgré votre état de santé – dans vos relations avec autrui, comment vous avez été capable de surmonter de terribles difficultés en démontrant ainsi que vous n'étiez nullement inférieur aux autres mais que vous étiez même capable de les surpasser – le tout avec sourire et optimisme. C'est pourquoi je n'ai aucun doute que vous désirerez – au moins en l'honneur du mariage de votre fille – tout mettre en œuvre pour devenir pour elle un modèle en étant capable de changer votre mode de vie».
Le Rabbi concluait : «Il semblerait correct de ma part de vous demander de m'excuser de me mêler de votre vie privée, de plus d'une façon aussi directe. Cependant, comme il s'agit d'une affaire vitale, si importante et si sérieuse, je ne peux pas me permettre de ne pas exprimer mes réflexions et mes espoirs».
Malgré son mauvais état de santé, M. Goldensky passa de longs moments à s'imprégner de la lettre du Rabbi, la relisant du début à la fin. Finalement, il concéda : «Cette lettre est extrêmement importante, je dois m'y conformer dans tous les domaines évoqués...»
Ce devait être ses derniers mots. Quelques instants plus tard, il rendit son âme à son Créateur.
Ce n'est que par la suite que l'on comprit pourquoi le Rabbi avait tellement insisté pour qu'il envoie un faire-part d'invitation au mariage. Le Rabbi avait compris ce qui lui arriverait juste avant le mariage de sa fille et savait que ce serait alors le meilleur moment pour l'influencer vers une Techouva, un retour à D.ieu de toute son âme. Effectivement, M. Goldensky mérita de rendre son âme à D.ieu dans la pureté la plus absolue, après avoir résolu de se conformer sincèrement à une vie de Torah.
Ainsi, grâce à la lettre du Rabbi, il avait acquis en un instant le bénéfice d'un retour complet à D.ieu.
Menachem Ziegelboim
Traduit par Feiga Lubecki