Editorial
Des murailles et des hommesCette semaine, le jeûne du 17 Tamouz ouvre la douloureuse période des trois semaines qui se conclura par le 9 Av. Il n’est guère utile de souligner toute la gravité, le poids aussi, des événements qui marquèrent ce jour : de la première brèche dans la muraille de Jérusalem à la destruction du Temple. C’est du début du trop long exil du peuple juif qu’il s’agit, avec son cours plus souvent tumultueux que paisible, plus souvent chargé de drames que de bonheurs tranquilles.
La première brèche dans la muraille de Jérusalem… Ce fut le signe annonciateur de la chute prochaine. Mais un tel jour n’a pas uniquement une signification historique. Certes, la commémoration est de toute première importance. Certes, si le peuple juif a su rester fidèle à lui-même et refuser l’oubli, c’est aussi parce que des cérémonies, des rites ont encadré la nécessaire transmission. Quel peuple sans passé pourrait avoir un avenir qui fasse sens ? Pourtant, le 17 Tamouz va bien au-delà de ces notions.
Nous vivons aujourd’hui dans un monde ouvert. «Les murailles sont tombées» dit-on souvent. C’est évidemment là une évolution que chacun a lieu d’approuver : la liberté de croire, de penser, de parler en ont été les traductions concrètes. Le peuple juif, éternelle minorité, ressent, peut-être plus fortement que d’autres, le bonheur d’un tel privilège. Pourtant, la muraille était aussi protectrice, au sens matériel mais aussi aux sens moral, culturel et spirituel. Elle préservait cet espace où la différence pouvait s’exprimer. La détruire, c’était entreprendre d’éteindre la diversité. Y faire une brèche était le début du processus. Il fallait que l’envahisseur efface ce qui s’opposait à lui, qu’il détruise l’obstacle devant sa volonté d’étendre son empire sur le monde tout entier.
Il n’est évidemment pas question d’élever de nouveaux murs ou de nouvelles barrières entre les hommes. Ne faut-il pas cependant veiller à ce que l’allégresse de la liberté ne dissimule pas l’uniformisation des modes de vie et de pensée, une autre manière de dire la dictature du puissant et le renoncement à soi ? Décidément, cette première brèche dans la muraille a des accents bien contemporains tant il est vrai qu’on ne peut être un membre à part entière de la grande famille des hommes que lorsque c’est son âme et son identité éternelles et inchangées qu’on y apporte.
Etincelles de Machiah
Concrètement, l’attenteDans son Michné Torah, Maïmonide (Hil’hot Mela’him, chap. 11) expose les lois relatives à Machia’h. Il y souligne notamment une double nécessité : «Crois en lui…, attend sa venue». Il a déjà été indiqué qu’il ne s’agit pas là d’une simple répétition ayant valeur d’insistance mais que, au contraire, de nombreux sens peuvent y être trouvés. Ainsi, «attendre sa venue» implique une attitude active qui va au-delà de la simple foi en la réalité des prophéties le concernant. Il en résulte qu’apparaît ici une obligation spécifique : celle d’étudier les lois qui portent sur Machia’h.
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch) H.N.
Vivre avec la Paracha
Pin’has : Le combat des femmesOn ne sait pas grand-chose de la vie de Ma’hlah, Noah, ‘Haglah, Milkah et Tirtsah. Mais à un moment crucial de l’histoire du peuple d’Israël, ces cinq sœurs, filles de Tsélaf’had, fils de ‘Hefer, influencèrent profondément l’approche juive du monde.
Tsélaf’had appartenait à la génération, née dans l’esclavage égyptien, libérée par l’exode et à laquelle avait été promise en héritage la terre de Canaan. Bien que cette génération ne méritât pas elle-même de prendre possession de la terre, quand ses enfants traversèrent la rivière du Jourdain pour la conquérir, c’est en qualité d’héritiers de leurs pères qu’ils le firent. Chaque famille reçut sa part de terre, partagée proportionnellement entre les six cent mille membres de la génération du désert.
Tsélaf’had avait cinq filles mais pas de fils. Les lois de l’héritage, comme elles étaient initialement données dans la Torah qui ne reconnaissait que les héritiers mâles, ne permettaient pas d’attribuer sa part à ses descendantes. Ma’hlah, Noah, ‘Haglah, Milkah et Tirtsah refusèrent d’accepter ce fait et adressèrent à Moché une pétition : «Pourquoi le nom de notre père serait-il éliminé de sa famille, sous prétexte qu’il n’a pas de fils ? Attribue-nous un état parmi (les héritiers des) frères de notre père».
Moché présenta leur requête à D.ieu qui répondit : «Les filles de Tsélaf’had parlent justement. Donne-leur… la part de leur père». Et D.ieu instruisit Moché d’inclure la clause suivante dans les lois de l’héritage : «si un homme meurt et n’a pas de fils, tu transmettras sa part à sa fille».
Deux générations
L’exode et la conquête de la terre sont les deux événements qui encadrent les quarante années durant lesquelles nous fûmes forgés comme le peuple représentant les deux approches fondamentales de la vie.
«Sortir d’Egypte» représente la libération de l’âme de tout ce qui limite et inhibe sa véritable essence et son désir réel.
«Conquérir et s’installer en terre de Canaan» signifie conquérir le monde matériel et le développer pour en faire une «Résidence pour D.ieu», un environnement réceptif à la bonté et la perfection de son Créateur et qui exprime ces qualités.
La génération du désert réussit dans la première de ces entreprises mais échoua dans la seconde. Ils s’extirpèrent de la culture païenne et de la mentalité d’esclaves dans lesquelles ils étaient immergés, raffinant leur âme au point de mériter recevoir la Vérité des Vérités, directement de D.ieu, au Sinaï. Mais ils repoussèrent la tâche de «conquérir et s’installer dans le pays», refusant d’abandonner leur héritage spirituel dans le désert pour agripper la matérialité du monde, de se consacrer au travail nécessaire pour transformer «la terre de Canaan» en «Terre sainte». Il fut donc décrété qu’ils finiraient leur vie dans le désert, laissant à leurs enfants la tâche de s’installer sur la terre à leur place.
Au niveau individuel, chacun d’entre nous est confronté à ces deux tâches, au cours de notre vie : l’entreprise de libérer et de concrétiser le potentiel spirituel de notre âme et le défi de faire de notre environnement et de notre vie matérielle un lieu saint et divin. Nous devons tous lutter pour faire la transition entre une enfance et une jeunesse consacrées au développement et au perfectionnement de notre personne et une vie adulte où nous allons nous impliquer, de façon productive, dans le monde extérieur.
Une conquête différente
Mais les gens sont tous différents les uns des autres. Selon les mots du Talmud : «Tout comme leurs visages sont différents, leurs caractères sont différents». Il existe des caractères audacieux et des caractères soumis, des natures agressives et des dispositions passives. Certains sont prêts à relever tous les défis, d’autres évitent toutes les confrontations orageuses et sont dépourvus d’instinct combatif.
C’est là que réside le sens profond des lois de l’héritage comme elles furent ordonnées par D.ieu, en réponse à la pétition des filles de Tsélaf’had.
«Si un homme… n’a pas de fils» : si une personne reconnaît dans son moi intérieur un manque d’agressivité ou de combativité «viriles», elle pourrait en déduire qu’elle n’a pas de rôle à jouer dans «la conquête de la terre». Une telle personne peut être encline à consacrer toute son énergie à se raffiner elle-même et à laisser la tâche de sanctifier un monde impur à ceux qui ont «des fils».
La Torah stipule alors : la conquête et l’installation sur la terre ne sont pas des tâches exclusivement masculines. Chacune des âmes d’Israël possède une «part de la terre», un coin du monde matériel qu’elle a la force et la mission de posséder, de civiliser et de sanctifier. Il est de fait que c’est une tâche qui demande souvent de l’agressivité et la confrontation ; mais il existe aussi une approche «féminine» pour transformer la matérialité de notre vie et en faire une «Terre Sainte».
«Si un homme… n’a pas de fils, tu transmettras sa part à sa fille». Le fait même que, par nature, une personne soit dénuée de l’agressivité du «combattant masculin» indique qu’elle a été dotée de l’aptitude à transformer son entourage par le biais de «sa fille», utilisant l’aspect doux, compatissant et pacifique de son âme.
C’est là la loi révélée par les filles de Tsélaf’had : toutes les conquêtes ne trouvent pas le succès en dominant son adversaire. Parfois, la réceptivité et l’empathie sont bien plus efficaces pour surmonter l’hostilité de «l’ennemi» et transformer sa nature elle-même. L’absence d’ «héritier masculin» dans l’âme peut en réalité indiquer la présence d’un moi «féminin» tout aussi capable de réclamer la part de son âme dans le monde et de la transformer en Résidence pour D.ieu.
Le Coin de la Halacha
Quand commencent «les neuf jours» ?A partir de Roch 'Hodech Av (cette année dimanche soir 15 juillet 2007) et jusqu’au lendemain du 9 Av inclus (donc mercredi 25 juillet 2007 après-midi), on ne mange pas de viande et on ne boit pas de vin (sauf Chabbat) en souvenir des jours terribles qui aboutirent à la destruction du Temple de Jérusalem il y a presque 2.000 ans.
On ne fait pas de couture, on ne lave pas de linge (sauf pour les petits enfants ou les grands malades) et on ne repasse pas. On ne met pas de vêtements fraîchement lavés et repassés, sauf s'ils ont déjà été portés quelques instants avant cette période. On ne prend pas de bain et on évite les pratiques sportives dangereuses (par exemple la baignade en piscine ou à la mer).
On évite de passer en jugement.
On multiplie les dons à la Tsedaka (charité) comme il est dit : «Tsion sera racheté par le jugement et ses habitants par la Tsedaka».
Qu'est-ce qu'un Siyoum ?
Un «Siyoum» est une fête qu'on organise lorsqu'on a achevé l'étude d'un traité talmudique. Le Rabbi avait demandé qu'on organise un Siyoum pendant chacun des «neuf jours» puisqu'une telle joie sainte est permise durant cette période. On peut participer à un Siyoum en écoutant du lundi 16 juillet au mardi 24 juillet inclus à la radio juive une personne qui achève l'étude d’un traité du Talmud. Restez à l'écoute !
F. L.
De Recit de la Semaine
Jamais sans mes Téfilines !Moché Zilberman est responsable de l’approvisionnement alimentaire dans une célèbre compagnie d’aviation. Il se rend souvent dans le Beth Habad, le stand tenu par les ‘Hassidim de Loubavitch à l’intérieur de l’aéroport international Ben Gourion de Tel-Aviv pour y mettre les Téfilines. D’habitude, il le fait chez lui à la maison mais, quand il part trop tôt, c’est impossible et il profite donc des facilités offertes par le Beth Habad : «Il ne se passe pas un jour ouvrable sans que je ne mette les Téfilines, explique-t-il avec un sourire. C’est ainsi que j’ai été éduqué par mon père !»
Effectivement, Yochoua Zilberman, son père, un Juif traditionaliste âgé d’environ soixante-dix ans, confirme : «J’avais cinq ans quand les Nazis se sont emparés de mon pays natal, la Grèce. Au début, ils n’en avaient conquis que le sud mais très vite tout le pays fut à leur merci. Nous habitions à Larissa, une ville située au centre de la Thessalie. Mon père Moché Zilberman était un homme intelligent et avisé, professeur de langues et aussi parfois ‘Hazane (chantre) dans la synagogue locale.
Comme tant d’autres, lui aussi ne parvenait pas à croire à l’imminence et à la gravité du danger. Mais quand la dure réalité apparut dans toute son horreur et que les Nazis s’approchèrent de Larissa, Moché et son épouse s’enfuirent avec six de leurs huit enfants vers le nord, vers les montagnes.
(Le fils aîné, Gabriel, était marié et possédait une petite affaire : il était donc indépendant et savait prendre soin de lui et de sa famille. Le second fils, Nissim, avait déjà pris le maquis et combattait l’occupant aux côtés des partisans cachés dans les forêts).
Dans les grandes villes où des communautés juives s’étaient développées comme Salonique et Larissa, les Nazis commencèrent à concentrer les Juifs dans des ghettos. Les maisons, les magasins et tous les biens furent rapidement confisqués. A une vitesse stupéfiante, les Juifs furent rassemblés dans des camps puis transférés en trains vers les camps d’Auschwitz, Birkenau et Tréblinka…
La famille Zilberman fuyait de village en village tandis que le père se tenait informé par la radio de l’avance des Allemands. Il finit par arriver avec sa famille dans une baraque en bois située dans un minuscule village, au sommet d’une montagne. Là, pensait-il, il était à l’abri de toute rafle car personne ne viendrait le chercher dans un endroit aussi éloigné de toute civilisation.
Mais un matin, deux officiers S.S. leur ordonnèrent de les suivre. A peine tout le monde sorti, ils mirent le feu à la baraque.
La montagne était couverte de neige et les enfants se retrouvèrent en pyjamas dans le froid glacial. Certains d’entre eux étaient même pieds nus. La mère, Hanna Zilberman, avait eu la présence d’esprit de prendre deux couvertures dans lesquelles elle enveloppa les plus jeunes. Toute la famille fut détenue non loin de là dans une pièce située dans un bâtiment réquisitionné.
Le lendemain, les deux officiers réapparurent. Ils intimèrent à Moché l’ordre de les suivre pour interrogatoire : «Attendez-moi un instant, répondit Moché avec sang-froid. C’est le matin et je n’ai pas encore prié !» Et devant leurs yeux stupéfaits, il sortit de son sac ses Téfilines et son Talit !
«Comment ? Tu te crois dans une synagogue ? s’écria l’officier le plus haut gradé. Sais-tu à qui tu as affaire ?»
Cet officier mesurait presque deux mètres. A tout moment, il pouvait dégainer son arme et tuer sur place ce Juif effronté. Mais Moché ne perdit pas son assurance : «J’ai combattu sur le front lors de la Première Guerre mondiale. Mes camarades sont morts dans mes bras et j’ai moi-même vu la mort en face tant de fois ! Plus rien ne peut me faire peur !»
Il s’enveloppa de son Talit, enroula ses Téfilines autour du bras gauche puis sur sa tête et se mit calmement à prier.
L’officier ordonna à ses hommes d’attendre que Moché termine sa prière. Puis ils l’emmenèrent à l’interrogatoire. Le soir, il fut libéré et put rejoindre sa famille.
Le lendemain, l’officier frappa à nouveau à la porte de la chambre des Zilberman. A cette époque, Moché gagnait sa vie en roulant du tabac pour les cigarettes. Il en proposa une à l’officier qui se présenta comme le Colonel Stauerman. «Tu t’es conduit comme un homme hier» déclara ce dernier avec respect.
Moché connaissait bien la langue allemande et une conversation animée s’engagea entre eux : «Votre Führer (chef) est un fou ! affirma-t-il d’une voix tranquille. Il va bientôt être vaincu, vous serez traînés en justice et vos familles en paieront le prix. Vous feriez mieux de mettre toutes les chances de votre côté et de retourner chez vous !»
Un soir, Stauerman retourna voir Moché. «J’ai réfléchi. Tu as tout à fait raison et je ferais mieux de ne pas mettre ma vie en danger pour le Führer». Et il ajouta : comme en révélant un grand secret : «Après-demain matin, nous allons nous enfuir ! Ce jour-là, rassemble toute ta famille dans ta maison et veille à ce qu’aucun des enfants ne sorte dans la rue !»
Deux jours plus tard, Moché comprit le sens de cette étrange recommandation. Avant de quitter les lieux, les Nazis avaient mis le feu à toutes les maisons et fait sauter tous les ponts de la région. Un seul bâtiment resta intact : celui qui abritait la famille Zilberman. Stauerman avait décidé de sauver Moché et les siens !
«Vous comprenez ? conclut Yochoua Zilberman qui se souvenait très bien du visage de Stauerman. Ce sont les Téfilines qui ont sauvé toute notre famille !»
«Et c’est la raison pour laquelle il ne se passe pas un jour de semaine sans que je ne mette les Téfilines», ajoute son fils avec un grand sourire, son fils Moché, celui qui porte avec fierté le nom de son grand-père, l’homme qui sut impressionner le pire ennemi du peuple juif…
Zalman Ruderman
Sichat Hachavoua
traduit par Feiga Lubecki
Les noms ont été changés par la Rédaction