Semaine 29

  • Pin’has
Editorial
Un homme libre

L’histoire est connue : Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn, le précédent Rabbi de Loubavitch, n’avait pas cessé, dans l’URSS de Staline, de lutter pour le maintien et le renforcement du judaïsme. Alors que les communautés juives ne savaient plus comment résister aux coups de boutoir de l’antisémitisme, Rabbi Yossef Its’hak multipliait les actions. Créant des écoles juives, des bains rituels, rouvrant des synagogues abusivement fermées, Rabbi Yossef Its’hak devint vite, pour le pouvoir soviétique, celui qu’il fallait abattre. Il fut arrêté et condamné à mort puis, miraculeusement, sa condamnation fut commuée en une peine de relégation dans un village reculé pour une longue période. Finalement, l’exécution de cette peine même ne dura que quelques jours et les 12 et 13 Tamouz devinrent les jours anniversaires de la libération de Rabbi Yossef Its’hak.
Au cours de cette histoire, un épisode doit être relevé. Sur les marches du train qui devait le conduire dans cet exil qu’on croyait alors devoir être bien long, Rabbi Yossef Its’hak s’adressa aux ‘Hassidim qui, négligeant tous les risques, étaient venus nombreux le saluer avant son départ. Sans peur, il prononça ces fortes paroles : “Seul notre corps a été envoyé en exil, notre âme est libre et n’est soumise à aucune domination étrangère”. Il invitait ainsi ses disciples à toujours conserver la noble et exigeante condition de l’homme libre.
Il est clair qu’aujourd’hui nous vivons des temps qui semblent plus faciles. Ce sont des temps où la conviction et la pratique religieuse ne soulèvent pas généralement la colère du pouvoir et ne sont pas liées à des risques insurmontables. Cependant, même dans ces conditions-là, l’homme peut ne pas ressentir pleinement l’étendue de sa liberté. Prisonnier de son milieu, de ses habitudes, il peut ne pas croire à sa liberté. Il peut, sans même s’en rendre compte, s’enfermer dans les contraintes du monde qu’il s’est créé et penser que cette situation-là est irrémédiable. C’est justement dans un tel cas que Rabbi Yossef Its’hak nous donne son exemple. La liberté est à conquérir et elle appartient à tous. Dans les pires conditions, personne ne peut nous la retirer car elle est l’éternel cadeau de D.ieu. Il suffit de l’accepter.
Etincelles de Machiah
La division du fleuve

Isaïe (11 :15) prophétise que, lors de la venue de Machia’h, D.ieu “avec Son puissant vent, agitera Sa main sur le fleuve et le frappera en sept ruisseaux”. Il est clair que cet épisode, qui rappelle l’ouverture de la mer rouge lors de la sortie d’Egypte, répond à une nécessité particulière, faute de quoi le prophète ne l’aura pas ainsi souligné.
En fait l’ouverture de la mer rouge correspondait spirituellement à la révélation surnaturelle de degrés de la Divinité habituellement masqués, qui intervint à ce moment. En ce sens, cet événement fut une préparation au Don de la Torah sur le mont Sinaï. De même, la division du fleuve préparera à la révélation des dimensions mystiques les plus profondes de la Torah qui interviendra aux temps messianiques.
(d’après Likouteï Torah, Tsav, p. 16d) H.N.
Vivre avec la Paracha
Pin’has : atteindre le plus profond

La lecture de cette semaine commence ainsi : «Pin’has, le fils d’Eléazar… a détourné ma colère des Enfants d’Israël en prenant avec zèle ma cause parmi eux… C’est pourquoi... Je lui ai accordé une alliance de paix. Lui et ses descendants posséderont une alliance éternelle de prêtrise parce qu’il a agi avec zèle au Nom de son D.ieu.»

Une question se soulève : «L’acte de Pin’has, l’exécution de Zimri décrite à la conclusion de la Paracha de la semaine dernière, impliquait un esprit de sacrifice de soi et du courage. Il est certain que cela méritait des louanges et une récompense. Néanmoins, il est curieux que Pin’has reçût «une alliance de prêtrise éternelle» comme récompense. Car la prêtrise ne peut être atteinte à travers des entreprises humaines : elle ne dépend pas d’accomplissements spirituels.
Comme le commente Rachi, tout comme l’on ne peut changer le matin en soir, l’on ne peut altérer la définition de la prêtrise. Puisque Pin’has n’était pas prêtre avant ces événements, comment sa conduite, quelque vertueuse qu’elle eût été, put lui gagner cette distinction ?

Un service illimité engendre une réponse illimitée
Pour répondre à cette question, il nous faut comprendre le trait par lequel la Torah loue Pin’has : le zèle. Pourquoi la Torah décrit-elle Pin’has par ce terme ? Tout d’abord, Pin’has risqua sa vie. Bien que Zimri fût soutenu par toute sa tribu, et qu’ils eussent pu facilement tuer Pin’has, ce dernier ne prit jamais en compte ce danger pour lui-même. Ce qui le préoccupait était le danger spirituel qui menaçait le Peuple Juif et il fut prêt à risquer sa vie pour en éliminer la menace.
Mais il y avait une dimension supplémentaire à l’engagement de Pin,’has. Nos Sages relatent que quand un homme Juif cohabite avec une femme non-juive, «le zélé a [le droit de]le frapper». Néanmoins, «bien que ce soit la loi, l’application n’en est pas faite». Cela signifie que si un individu venait à demander à une cour juive s’il doit tuer une personne qui a commis un tel acte, la cour ne l’instruirait pas d’agir dans ce sens.
Ainsi, non seulement Pin’has risqua-t-il sa vie, mais il le fit alors même qu’il n’en avait aucune obligation. S’il avait laissé passer la chose, personne ne l’en aurait critiqué. Au contraire, il prit de lui-même l’initiative et souleva la critique en franchissant ce pas. Nos Sages disent qu’il agit contre le désir des sages et si D.ieu ne l’avait pas loué comme cela a été mentionné plus haut, ils l’auraient placé sous le ban de la quarantaine.
Qu’est-ce donc qui motiva Pin’has ? Il voulait «détourner la colère de D.ieu des Enfants d’Israël». Il comprit ce qui devait être fait pour accomplir ce but et était prêt à prendre les risques impliqués, quels qu’ils soient.
Voilà ce qu’est le zèle : mettre de côté son propre bien être, à la fois spirituel et matériel et s’engager de façon illimitée pour accomplir la volonté de D.ieu. Quand une personne fait preuve d’un engagement sincère de cette nature, l’étincelle divine profonde, que chacun d’entre nous possède, s’exprime dans tout son éclat.
De la même façon, une telle approche suscite une réponse illimitée de D.ieu. Car quand un homme dépasse ses limites naturelles dans le service divin, D.ieu lui accorde une rétribution qui, elle non plus, n’est pas confinée dans la nature. C’est pour cette raison que Pin’has put recevoir le statut de Cohen.

Tempérer le zèle avec l’amour
Nos Sages identifient Pin’has comme étant le prophète Eliahou. Le service divin d’Eliahou se caractérisait également par le zèle, comme il est écrit : «J’ai été très zélé pour l’amour de D.ieu, le Seigneur des Hôtes». Par cette déclaration, toutefois, Eliahou opposait sa propre conduite à celle du peuple Juif en général qu’il critiquait pour avoir «abandonné l’alliance [de D.ieu]».
D.ieu refusa d’accepter ces paroles de critique. Il désigna Eliahou comme «ange de l’alliance» et le chargea d’assister aux circoncisions du Peuple Juif, pour tous les temps à venir, pour qu’il puisse attester de leur adhésion fidèle à l’alliance de D.ieu.
D.ieu enseignait ainsi à Eliahou que son zèle devait être tempéré d’Ahavat israël, d’amour pour chaque membre de notre peuple et qu’il devait s’engager à chercher les qualités de notre Peuple. Ces traits devinrent une telle part intégrante de la mission personnelle d’Eliahou que lorsque le prophète Mala’hi décrit le retour d’Eliahou pour annoncer le venue de la Rédemption, il déclare qu’Eliahou «tournera le cœur des pères vers les enfants et le cœur des enfants vers les pères.» Et quand le Rambam décrit la mission d’Eliahou, il déclare que «il viendra exclusivement pour établir la paix». Pour mettre d’emblée l’accent dans cette direction, D.ieu dit à Pin’has qu’en récompense pour son zèle, il lui était donné «une alliance de paix».

Prendre l’initiative
Ces deux élans de zèle et de paix sont d’une importance fondamentale aujourd’hui. Bon nombre des membres de notre peuple vivent étrangers à leurs racines juives et pourtant, notre futur national dépend d’un engagement zélé pour maintenir notre héritage. Car c’est cette conviction intérieure émergeant de l’étincelle de Divinité que nous possédons tous qui pénètre le cœur d’autrui. Un cœur s’ouvre à un cœur ; c’est un engagement zélé, tempéré par une approche pleine de chaleur et d’amour qui donne aux autres l’envie de découvrir l’étincelle juive à l’intérieur d’eux-mêmes.
On peut encore relever une autre dimension au zèle de Pin’has. Pin’has n’était pas le chef du Peuple Juif : Moché, Eléazar et les Anciens occupaient des positions hiérarchiques plus élevées. Et pourtant, quand le besoin s’en fit sentir, Pin’has n’attendit pas d’être guidé par les dirigeants mais prit lui-même l’initiative.
La même chose s’applique en ce qui concerne chaque individu aujourd’hui, car chacun d’entre nous a une contribution unique à faire. Avec la confiance qui vient de la vérité de notre conviction intime, nous devons tous prendre l’initiative de disséminer le bien et la paix.
Ces efforts hâteront l’arrivée d’un temps où Eliahou identifié avec Pin’has reviendra. Et alors, «la voix du héraut annoncera de bonnes nouvelles», la venue de Machia’h et la Rédemption pour notre peuple et pour toute l’humanité.
Le Coin de la Halacha
Il est bien entendu interdit de voler. Celui qui a néanmoins volé est-il obligé de rendre l’objet même ou peut-il en rembourser la valeur pécuniaire ?

Si l’objet volé a complètement changé de forme et ne peut être remis en l’état initial, le voleur qui se repent remboursera la valeur de l’objet neuf. Mais si l’objet est encore dans le même état, le voleur doit le restituer. Il ne sera pas quitte de la Mitsva de «Il restituera l’objet volé qu’il a dérobé» (Lévitique 5. 23) s’il le garde et se contente d’en donner la valeur financière au propriétaire lésé.

F. L.
(d’après Rav Ehoud HaCohen Kavine – Michpa’ha Hassidit)
De Recit de la Semaine
C’est lui qui m’a influencée !

A l’âge de quinze ans, j’avais lu un livre qui avait profondément modifié ma vue du monde et ma façon de vivre : écrit par le professeur d’hydrodynamique magnétique, Herman Branover, il s’appelait : «Techouva», retour. C’était sa biographie ; il racontait comment, malgré son éducation communiste au pays des Soviets, il avait été attiré par la chaude ambiance des réunions ‘hassidiques clandestines auxquelles il avait été convié. Ses rencontres par la suite avec le Rabbi de Loubavitch avaient attisé ma curiosité. Ce livre m’avait bouleversée au point que j’avais décidé d’en connaître davantage sur le judaïsme. Le fait que l’harmonie cosmique était aussi juive que les boulettes de Matsa m’avait encouragée à rechercher la vérité.
A dix-huit ans, je me rendis en Israël pour les vacances d’été. J’avais déjà adopté certaines traditions de la Torah et certains comportements orthodoxes mais j’étais encore loin du style de vie de ma cousine Léa chez qui je m’étais installée entre mes différentes excursions.
Un soir après le dîner, Arié, le mari de Léa, m’a demandé où j’en étais dans le domaine des Chidou’him, des rencontres arrangées en vue d’un mariage. Mon hébreu était encore approximatif et je n’étais donc pas certaine d’avoir compris cet homme aux yeux bleus et à l’épais accent russe.
- Oui ! Un Chidou’h ! répéta-t-il.
- Non, non, Arié ! Pas pour moi ! Pas maintenant !
- Ne vous inquiétez pas, continua-t-il. La personne à laquelle je pense est un Loubavitch !
Je pouffai de rire : «Un Loubavitch ! Et quoi encore ?» Non ! A mon âge, je n’étais certainement pas prête à rencontrer «ce gars extraordinaire, vraiment le mari qu’il te faut» tel que me le décrivait Arié.
C’est cette année que je rencontrai Rav Kesselman qui, par ses cours, ouvrit devant moi le monde de la ‘Hassidout et m’encouragea à me rendre à Crown Heights, le cœur du mouvement Loubavitch à Brooklyn. Pour la première fois, je trouvai que le monde autour de moi avait un sens. Il y avait des cours et des réunions et, bien sûr, le Rabbi et ses enseignements. Et les Chad’hanim, les marieurs semi-professionnels. En nombre infini…
Dès que j’arrivai, les propositions affluèrent mais je répondais comme je l’avais fait avec Arié : «Non ! Pas pour moi ! Pas maintenant !»
Un dimanche matin, comme des milliers d’autres Juifs venus du monde entier, je fis la queue pour passer devant le Rabbi. Devant moim se tenait une dame âgée, récemment sortie de Russie. Elle portait un foulard orange et pourpre sur ses cheveux.
Quand je passai devant le Rabbi, il me dit quelque chose que je ne compris pas. Ce n’était ni de l’anglais, ni du yiddish, ni de l’hébreu ni du français. Je me suis demandée si je n’avais peut-être qu’attrapé la fin de la conversation qu’il avait eue avec la grand-mère russe.
Encore une fois le Rabbi prononça des mots que personne ne comprit.
«Characho Yisvestia» «Bessorot Tovot» conclut le Rabbi.
Ah ! «De bonnes nouvelles !» En russe et en hébreu ! Telle était la bénédiction du Rabbi.
Avant même que j’ai pu demander des précisions, je me retrouvai dehors. D’autres vies, d’autres cœurs brisés ou peut-être des personnes folles de joie continuaient de passer devant le Rabbi. Des rencontres mystérieuses que même nous, les participants, ne pouvions pas comprendre.
J’achetai le reportage vidéo de cette brève entrevue. C’est là que j’appris que «Characho Yisvestia» signifie «De bonnes nouvelles» en yiddish. Quant aux premiers mots que le Rabbi avait prononcés, nul ne put me les traduire.
L’été passa et des amis me proposèrent un jeune homme russe, originaire de Riga dont le nom avait été prononcé par le directeur de l’école dans laquelle je travaillais.
Quand je rencontrai Avraham pour la première fois, je ne pus me détacher de ses yeux gris – bleu si profonds, si doux. Ma première pensée fut : «Merci, mon D.ieu, de m’avoir envoyé l’autre moitié de mon âme !»
Quelques temps plus tard, nous étions fiancés. Le Rabbi nous souhaita de «construire un édifice éternel parmi le peuple juif».
Bien sûr j’appelai ma famille et tous mes amis pour leur annoncer la bonne nouvelle. Quand je téléphonai à Léa et Arié en Israël, ils s’écrièrent «Mazal Tov !» puis me demandèrent le nom de l’heureux élu.
- Avraham Tzukernik !
Silence à l’autre bout du fil.
- Shimona ! finit par murmurer Arié. Si tu m’avais écouté à l’époque, tu aurais déjà fondé une grande famille !
J’étais stupéfaite ! Avraham était le même Loubavitch «ce gars extraordinaire, vraiment le mari qu’il te faut !» dont Arié m’avait parlé sept ans plus tôt ! Il existe donc un moment pour chaque chose, pour que les âmes se rencontrent enfin ! Le Rabbi m’avait patiemment guidée vers l’âme qu’il fallait au moment et à l’endroit qu’il fallait.
Les années passèrent. Un été, j’eus le privilège de passer les vacances avec ma petite famille dans les montagnes du Catskills, près de New York. Un des conférenciers invité était justement le professeur Herman Branover. J’étais très excitée. Son humilité et l’excellence de ses propos étaient à la hauteur des souvenirs que j’avais de son autobiographie, celle qui m’avait tant impressionnée quand j’avais quinze ans.
Après la conférence, je tins à le saluer et à le remercier. Il me demanda mon nom :
- Shimona Tzukernik.
Etonné, il me regarda attentivement comme pour trouver dans sa mémoire la case qui me correspondait. Le nom de famille de mon mari n’est pas commun mais il répéta : Tzukernik ? - Etes-vous en famille avec Aharon Leib Tzukernik de Riga ?
- Voici Aharon Leib ! dis-je en lui présentant mon bébé : il porte le nom de son défunt grand-père !
Les yeux du professeur Branover s’embuèrent de larmes : «Oy Oy Oy ! Aharon Leib Tzukernik ! Ainsi il n’est plus de ce monde ! Nous avons passé tellement de temps ensemble à Riga ! C’est lui qui m’a influencé pour que je retourne au judaïsme ! Combien de temps nous avons étudié ensemble, chanté ensemble, discuté ! Ce fut l’un des ‘hassidim qui a changé ma vie !»

Shimona Tzukernik
www.chabad.org
traduit par Feiga Lubecki