Le moment de renaître
Trois semaines. Cela peut paraître bien court et pourtant il n’y a peut-être pas de période dont le déroulement semble aussi long que celle-ci. C’est qu’il s’agit de ces trois semaines-là qui s’écoulent entre le 17 Tamouz, jour de la première brèche dans la muraille de Jérusalem, et le 9 Av, jour où le premier et le second Temple furent détruits – le même jour à des siècles de distance. Trois semaines comme des jours lugubres entre les limites d’un drame unique : l’exil de la Présence Divine, l’exil du peuple juif. Trois semaines sans fêtes, chargées de marques de deuil. Faut-il pourtant s’arrêter là ? Certes, la ritualisation des tragédies spirituelles et historiques est une des caractéristiques du peuple juif, à la fois cause et conséquence de sa longue mémoire, fidélité au passé et gage d’avenir. Mais le seul souvenir du malheur n’est jamais une solution. Il ne doit être que l’élément déclencheur qui permettra de le dépasser pour toujours. Que faut-il donc faire de ce temps ?
L’histoire comme les textes nous disent qu’il est celui de la destruction. A cela, il n’existe qu’un seul remède : construire. Mais, dira-t-on, c’est de la destruction du Temple de Jérusalem qu’il s’agit et, si nous espérons tous que le troisième Temple se dresse sans attendre sur sa colline au cœur de la Ville Sainte dans l’harmonie des nations et des peuples, force est hélas de constater que, pour l’instant, ce n’est pas le cas. Mais le peuple juif sait depuis bien longtemps que le livre et l’esprit sont plus puissants que l’épée. Sa propre existence l’a prouvé : les grands empires, conquérants du monde, ont disparu tandis que lui déroule toujours le fil de son histoire. C’est donc d’étude qu’il est question.
Etudier la structure du Temple dans le texte de la Michna Midot, dans les « Lois de la Maison d’élection » dans le Michné Torah de Maïmonide, deux textes qui existent en traduction française. Les étudier et les connaître comme si l’on était les bâtisseurs du Temple, c’est déjà le construire. En connaître les chemins, c’est déjà le parcourir. Voici donc un enjeu pour la période : faire d’un temps de drame un espace de découverte. Le renouveau est toujours au bout de l’effort. Ici, c’est de renaissance qu’il s’agit.
Le voyage
La Délivrance approche chaque jour davantage. Mais, pendant ce voyage dont nous vivons la fin prochaine, on se lait de sottises et de futilités. Il faut donc, dès à présent, se laver et changer de vêtements.
(D’après Likoutei Dibourim vol. 3 p. 1034)
Pin’has
Le petit-fils d’Aharon, Pin’has, est récompensé de son acte zélé par lequel il a tué le prince Zimri, de la tribu de Chimon, et la princesse de Midian avec laquelle ce dernier avait gravement fauté. D.ieu lui accorde une alliance de paix et la prêtrise.
Un recensement du peuple dénombre 601 730 hommes de vingt à soixante ans.
Moché reçoit les instructions concernant le partage de la terre entre les tribus et les familles d’Israël, sous forme de tirage au sort.
Les cinq filles de Tsélof’had organisent une requête où elles demandent à Moché le droit d’hériter de la terre de leur père, mort sans laisser de fils. D.ieu accepte leur demande et l’incorpore dans les lois d’héritage.
Moché habilite Yehochoua pour lui succéder et mener le peuple vers la Terre d’Israël.
La Paracha se conclut avec une liste détaillée des offrandes quotidiennes et des offrandes additionnelles apportées le Chabbat, Roch ‘Hodech (le premier jour du mois) et lors des fêtes de Pessa’h, Chavouot, Roch Hachana, Yom Kippour, Soukot et Chemini Atsérèt.
Une erreur de jugement
La Paracha Pin’has commence par la déclaration de D.ieu à Moché : « Pin’has, fils d’Élazar, fils d’Aharon le Prêtre, a détourné Mon courroux contre les Enfants d’Israël quand il a manifesté de la colère, à leur encontre, en Mon nom… » (Bamidbar : 25 :10)
Pin’has détourna le courroux divin en tuant Zimri qui agissait de façon immorale.
Rachi explique que ce verset retrace la lignée de Pin’has jusqu’à Aharon, celui qui aimait la paix, parce que les tribus affirmaient que l’acte de Pin’has découlait de la personnalité de son grand-père (du côté maternel) qui engraissait le bétail devant être sacrifié aux idoles. En discréditant Pin’has, les tribus tentaient de sauver l’honneur du Peuple juif et de Moché, car seul Pin’has avait fait preuve de zèle à cette occasion.
Ils prétendaient donc que le geste de Pin’has n’était pas motivé par un zèle sincère pour l’amour de D.ieu mais qu’il se justifiait par le fait que son ascendance remontait à quelqu’un qui avait engraissé des veaux dans le seul but de les abattre.
C’est donc la raison pour laquelle la Torah retrace sa lignée jusqu’à Aharon, nous informant que les tendances profondes de Pin’has faisaient écho à celles de son grand-père Aharon, adepte de la paix. S’il avait tué Zimri, c’est qu’il était mû par la colère et le zèle pour honorer D.ieu.
Nous pouvons dégager de cet épisode un certain nombre de leçons nous concernant.
Lorsqu’on est témoin d’actes positifs accomplis par une personne dont nous savons pertinemment qu’elle a des motifs ultérieurs, nous ne devons pas dévaloriser ses gestes.
Quand bien même il serait vrai que la personne agit pour une raison égocentrique, s’impose néanmoins la loi : « Il doit toujours s’occuper de Torah et de Mitsvot, même si ce n’est pas avec l’intention la plus pure, car cela finira par le conduire [à les accomplir] avec les plus pures des intentions » (Pessa’him 50b).
Cela va encore plus loin. Prendre à la légère les bonnes actions d’une personne présente le risque de l’affecter négativement. Elle peut en arriver à interrompre son étude de la Torah ou l’accomplissement de bienfaits. Il est donc bien préférable d’encourager un tel individu et de le pousser à agir avec de pures intentions.
Mais ce qui est encore plus important est que nous ne pouvons jamais réellement savoir ce qui se cache dans le cœur d’un homme. Bien que les tribus aient semblé posséder de larges preuves du fait que l’acte de Pin’has était né d’autre chose que d’une motivation saine, le Tout Puissant Qui « voit dans le cœur » fit savoir que l’action de Pin’has n’était motivée que par son empressement à l’égard de D.ieu.
L’on peut également aborder une autre perspective. Lorsqu’on dénigre autrui, prétendant qu’il se comporte bien parce qu’il a des arrière-pensées, l’on peut se fourvoyer soi-même. Celui qui fait ce reproche peut très bien faire l’erreur de penser que sa critique naît d’une attitude sainte. Il peut se dire à lui-même que puisqu’il est si humble, il ne peut supporter de voir quelqu’un d’autre agir de manière hautaine. Ainsi, lorsqu’il voit quelqu’un étudier la Torah avec un grand enthousiasme ou accomplir une Mitsva d’une manière admirable, actes que, lui, attribue à de l’égocentrisme, il est incapable de tolérer un tel comportement.
La vérité est, en fait, que de telles attitudes critiques ne naissent pas d’un sens profond d’humilité mais bien au contraire d’une arrogance certaine.
Il est possible que ce qui dérange en réalité le détracteur est le fait que l’autre possède une qualité raffinée dont lui-même est privé. Il en est donc jaloux. S’il était entièrement honnête avec lui-même, il prendrait des leçons du comportement d’autrui. Mais puisque son propre orgueil se combine avec une certaine nonchalance, il tente de désavouer le comportement de l’autre plutôt que de l’imiter.
La leçon à en tirer est la suivante : il faut toujours juger l’autre favorablement et tirer un enseignement de ses bonnes actions.
Le lien entre un zèle vengeur et la paix
Un dirigeant juif se doit, d’une part, d’être zélé et de combattre avec véhémence ceux qui menacent la pérennité de la Torah ou tentent de dégrader ou de démoraliser le Peuple juif.
Mais par ailleurs, quand cela est nécessaire, il doit être « celui qui aime la paix et recherche la paix » et fait tout ce qu’il peut pour promouvoir l’harmonie et l’unité.
Un dirigeant juif doit présenter ces deux traits de caractère antithétiques et les exercer quand cela est nécessaire.
En conséquence, quand D.ieu fut témoin que Pin’has excellait dans la « kanaout », « le zèle vengeur » et agissait avec empressement pour détruire le peuple qui tentait de faire pénétrer l’immoralité au sein du Peuple juif, Il dit : « Je lui donnerai ‘Briti Chalom’, Mon alliance de Paix, c’est-à-dire que Je le bénirai de l’aptitude à faire régner la paix, et ainsi, il sera un dirigeant juif accompli. »
Selon nos Sages, Pin’has était le prophète Eliahou. Quel est le lien entre ces deux personnages ?
Eliahou fut l’un des zélotes extraordinaires de l’histoire. Il protesta avec véhémence contre les faux prophètes de Baal et leur lança le défi d’une confrontation au Mont Carmel. Après avoir prouvé avec succès leur malhonnêteté, il les abattit (Rois I, 18). Mais par ailleurs, la dernière Michna du traité Edouyot dit que l’un des rôles d’Eliahou, quand il viendra annoncer la révélation du Machia’h, sera de « faire la paix dans le monde » et de réunir le Peuple juif. Aussi, en recevant la bénédiction divine de la paix, Pin’has incorpora-t-il les deux traits de caractères contrastés dont fera preuve le grand prophète Eliahou.
Avant qu’Eliahou ne monte au ciel dans un chariot de feu, son fidèle disciple et successeur Elicha lui demanda : « Que ma force de prophétie soit le double de la tienne » (Rois II, 2 :9). Une telle adresse émanant d’un élève à son maître n’est-elle pas empreinte d’audace ?
Elicha avait pris conscience qu’il devrait succéder à son Maître bien-aimé, en tant que prophète et dirigeant du Peuple juif. Il avait une admiration éperdue pour les doubles traits de caractère de son maître Eliahou et réalisa que c’était une qualité indispensable pour un dirigeant. C’est ainsi, qu’avec l’humilité la plus profonde, il supplia son maître de le bénir pour que « le double esprit », c’est-à-dire l’aptitude d’être à la fois zélé et pacificateur dont il était l’exemple parfait, réside également sur lui.
Qu’est-ce que le 17 Tamouz ?
Cette année, le jeûne du 17 Tamouz tombe le dimanche 27 juin 2021.
On ne mange ni ne boit depuis le matin (à 3h05, heure de Paris) jusqu’à la tombée de la nuit (22h51 à Paris). On récite la prière « Avinou Malkénou » le matin et l’après-midi.
C’est en ce jour que Moché Rabbénou (Moïse notre Maître) brisa les premières Tables de la Loi à la suite du péché du veau d’or. Bien plus tard, le sacrifice quotidien fut interrompu lors du siège de Jérusalem. Une première brèche apparut ce jour-là dans les murailles de la ville sainte. Enfin, Apostomos installa une idole dans le Temple et brûla un rouleau de la Torah, toujours un 17 Tamouz.
Durant les trois semaines suivantes, jusqu’au 9 Av (dimanche 18 juillet 2021), on augmente les dons à la Tsedaka. On évite d’acheter de nouveaux vêtements et on ne prononce pas la bénédiction « Chéhé’héyanou » (par exemple pour un fruit nouveau). On ne se coupe pas les cheveux et on ne célèbre pas de mariage. On évite de passer en jugement.
Suite à l’appel du Rabbi, à partir du 17 Tamouz, nous intensifions l’étude des lois de la construction du Temple (dans le livre d’Ezékiel, le traité Talmudique Midot et le Rambam – Maïmonide).
Durant les neuf jours qui précèdent le 9 Av (à partir du samedi soir 10 juillet 2021), on ne mange pas de viande et on ne boit pas de vin. Par contre, on assistera à un Siyoum (ou on l’écoutera à la radio juive), ce qui est une joie permise durant cette période.
Un médicament nommé… Rambam
Un seul mot pour définir mon oncle Rav Zushé Feldman : c’est un ‘Hassid. Arrivé aux États-Unis en 1961, il n’a jamais quitté New York ! Pendant plus de 60 ans ! Et il n’a jamais pris la peine d’apprendre l’anglais : le Rabbi parle en yiddish, ses étudiants à la Yechiva parlent en yiddish, alors pourquoi se fatiguer à apprendre une autre langue ? Nullement affecté par le pays dans lequel il vit, mon oncle Zushé est demeuré un éternel étudiant de la Yechiva du village de Loubavitch comme s’il n’en était jamais sorti.
Je me souviens avoir passé chez lui un Chabbat, très exactement le 6 Tichri 1992. Alors que le dessert avait déjà été servi, vendredi soir, oncle Zushé s’assoupit à table. Un peu gêné, je craignais que c’était parce que notre compagnie, celle de mon épouse et moi-même, l’ennuyait mais, après tout, il était bien compréhensible qu’il s’endorme avec toutes les responsabilités qu’il exerçait dans la semaine. Son épouse tenta de le réveiller : « As-tu déjà étudié Rambam ? » et, sans attendre sa réaction, elle prit sur l’étagère le volume de Rambam correspondant aux trois chapitres étudiés ce jour-là par de nombreux ‘Hassidim de par le monde. Je m’émerveillais de ce dévouement de la part de Tante ‘Hanna Etka mais ma femme me raconta alors ce qui avait été longtemps tenu secret dans la famille (de peur que la mère de Rav Zushé l’apprenne) :
« Un jour, raconte Rav Zushé, j’ai ressenti une violente douleur. J’attendis quelques jours en espérant que cela passerait mais cela ne fit qu’empirer. Je consultai un docteur à Crown Heights (je ne dévoilerai pas son nom pour des raisons que vous comprendrez). Le docteur m’examina et diagnostiqua… LA maladie, celle dont on n’ose même pas prononcer le nom. La tumeur avait déjà « la taille d’un Etrog » selon ses dires. Il m’indiqua un autre docteur à l’hôpital qui ne put que confirmer son diagnostic. La situation était grave.
Bien sûr, ma première réaction a été de m’asseoir et d’écrire au Rabbi en citant les noms des docteurs. Une heure plus tard, le regretté Rav Binyamin Klein (un des secrétaires du Rabbi) me téléphona : le Rabbi conseillait d’aller consulter un autre docteur, lui aussi un ‘Hassid habitant Crown Heights. C’était très étonnant : ces deux docteurs étaient des médecins de famille, honorables certes mais non spécialisés, agréés par les caisses de sécurité sociale. Aucun d’eux n’exerçait dans un hôpital. Si le Rabbi avait demandé de consulter un médecin spécialisé, j’aurais compris mais, dans ce cas précis, il n’y avait apparemment aucune différence entre les deux : même le secrétaire Rav Klein fut très surpris mais… « Le Rabbi a dit… ».
De fait, il s’avéra que le Rabbi avait voulu que je passe par les voies de la nature : le médecin qu’il me conseilla proposa un autre spécialiste qui, lui, œuvrait selon une méthode différente des deux premiers. Entretemps, je subis une série d’examens et mon épouse rencontra alors le premier spécialiste qui, tout de go, la prépara au pire : il ne me laissait aucune chance de survie, D.ieu préserve.
Affolée, ma femme écrivit au Rabbi, décrivit la situation et la peine qu’elle ressentait en concluant : « Je ne sais plus comment agir ! ». Le Rabbi répondit en encerclant ces mots et en ajoutant : « 1) Qu’il étudie Rambam et ‘Hitat car les lois de D.ieu sont droites et réjouissent le cœur avec toutes les conséquences qui en résultent, comme on le comprend 2) Je le mentionnerai sur le Tsion (tombeau du Rabbi précédent) pour une grande réussite ; il annoncera de bonnes nouvelles ».
Il y avait donc un remède à LA maladie : étudier le Rambam…
Depuis ce jour et jusqu’à maintenant, en souhaitant à chacun une longue vie, j’étudie chaque jour les trois chapitres du Rambam selon le programme institué par le Rabbi en 1984.
Il s’est écoulé 36 ans, donc deux fois 18 (valeur numérique du mot ‘Haï, vie) : LA maladie a disparu et n’est jamais revenue. Je suis absolument certain que c’est grâce au médicament extraordinaire du Rabbi : l’étude quotidienne de l’œuvre maîtresse du grand médecin que fut Maïmonide ».
Ari Samit - Kfar Chabad N° 1912
Traduit par Feiga Lubecki