Agir et vivre libres !
Nous nous préparons activement à vivre des temps intenses. Et on ne saurait mieux dire : c’est la fête de Pessa’h qui s’avance et elle va être, dès cette semaine, le cadre incontournable de toutes nos expériences de la période. Dans cette célébration, la liberté est à la fois un guide et un horizon indépassable. Elle nous entraîne, chante dans notre esprit et notre cœur, et, conquise à chaque instant, elle reste éternellement un point de repère autant qu’un but à atteindre. C’est que, pour la vision juive, cette liberté majuscule ne peut être statique. C’est précisément son dynamisme qui nous porte et, avec nous, toute l’humanité.
L’œuvre à accomplir est donc bien grande et la charge qu’elle représente pourrait impressionner la plupart. Sommes-nous vraiment aptes à nous saisir d’une telle liberté ? En sommes-nous seulement dignes ? La réponse à cette question, qu’il faut bien qualifier d’existentielle, nous est fournie par le nom même de la fête : Pessa’h qui renvoie, en hébreu, au verbe « sauter ». La raison d’une telle appellation est connue : D.ieu, dit le texte, « sauta » par-dessus les maisons juives pour frapper les maisons des Egyptiens lors de la plaie des premiers-nés qui mit définitivement fin à la servitude en Egypte. Mais l’expression possède un sens parallèle, plus profond. De fait, il existe deux manières d’avancer : la marche et le saut. Dans la première, le marcheur reste toujours lié par le rythme de ses pas, son évolution se fait régulièrement et sans qu’il puisse passer brusquement d’un point à un autre. En revanche, le sauteur s’élève d’un seul effort, il parvient à un niveau infiniment supérieur sans transition.
Dans cette vision, la fête de Pessa’h apparaît avec sa grandeur propre. Elle est le temps de ce « saut » d’élévation. Ce chemin-là fut ouvert par D.ieu en Egypte, au cœur de la puissance matérielle du monde, toujours oublieux de son Créateur. Là, dans de telles contraintes, le « saut » spirituel fit de nous le peuple libre qui suivit D.ieu dans le désert vers le Don de la Torah sept semaines plus tard. Lorsque revient le temps de la célébration et que nous rappelons cette histoire, ce sont les mêmes forces qui sont présentes, en nous et dans le monde. A nous de réaliser enfin cette liberté tant espérée au fil des siècles. A nous d’en faire la réalité quotidienne. Nous sommes conscients que chacun en a le plus urgent besoin. A nous d’agir, pour le bien !
Le temps du rire
En référence à la venue de Machia’h, les Psaumes (126 : 2) annoncent : « Notre bouche se remplira de rire ». Si ce verset décrit parfaitement la joie qui s’emparera de nous en ce nouveau temps, il n’en reste pas moins qu’une question se pose. En effet, dans la mesure où la venue de Machia’h s’accompagnera d’une intense révélation de la Lumière Divine, littéralement sans précédent, quelle importance peut avoir le fait que « notre bouche s’emplira de rire » ?
L’idée est, au contraire, essentielle. A ce moment, la joie et le plaisir de D.ieu se révèleront, ils seront la conséquence de l’accomplissement par les Juifs du service divin. C’est cette joie-là qui, justement, s’exprimera. Ainsi, le mot « vie » en hébreu a pour valeur numérique 414. C’est aussi celle de l’expression « Lumière infinie ». Cette identité souligne la vraie raison de ce « rire » : le plus grand plaisir de D.ieu.
(d’après Séfer Hamaamarim 5700, p. 68
et Likouteï Torah, Bamidbar, p. 19d)
Pessa'h : Comment l’exil conduit à la Rédemption
Le paradoxe de l’exil
Peut-être que la dimension la plus difficile de l’exil tient à la manière dont il domine tout notre processus intellectuel.
Après tant d’années d’esclavage en Égypte, nos ancêtres avaient du mal à imaginer un autre type d’existence. Quand la promesse de rédemption de Moché Rabénou ne se matérialisa pas sur le champ, le Peuple juif « n’écouta pas Moché parce qu’ils étaient oppressés par une dure servitude » (Chemot 6 :9). Aujourd’hui aussi, après des milliers d’années d’exil, de nombreux Juifs ressentent les concepts de Machia’h et de Rédemption comme des notions étrangères.
Cependant, lorsque l’on étudie de plus près les idées de l’exil et de la rédemption, cette position change et se soulève alors la question de la raison d’être elle-même de l’exil.
L’âme de chaque Juif est une étincelle de D.ieu, un potentiel sans limites, qui reflète l’infinitude de D.ieu. En outre, où que les Juifs soient conduits en exil, la Che’hina, la Présence Divine, les accompagne (Meguilah 29a). Comment donc l’infinitude de D.ieu peut-elle être enfermée dans les restrictions de l’exil ? Force nous est de constater que si cette situation paradoxale existe, c’est seulement parce que D.ieu le veut et le désire. D.ieu seul a la puissance de limiter Sa révélation et de Se confiner, Lui ainsi que le Peuple juif, dans l’exil. Il n’aurait pas choisi ce cours des événements sans un dessein bien précis qui ne pouvait être accompli sans nous envoyer en exil.
Acquérir la richesse de l’Égypte
Le but que D.ieu veut atteindre en créant la condition de l’exil peut être compris en analysant le premier exil : celui d’Égypte.
Dans Son alliance avec Avraham, D.ieu avait décrété : « Tes descendants seront des étrangers sur une terre qui n’est pas à eux. Ils les serviront et ils souffriront à cause d’eux pendant quatre cents ans… Je jugerai également la nation qu’ils servent et par la suite, ils partiront avec de grandes richesses » (Beréchit 15 :13-14). Ce décret fut appliqué quand le Peuple juif descendit en Égypte.
La conclusion « par la suite, ils partiront avec de grandes richesses » est la clé qui permet de comprendre la finalité de l’exil. Avant l’Exode d’Égypte, D.ieu commanda à Moché : « Je t’en prie, parle aux oreilles du peuple et que chaque homme demande à son voisin et chaque femme à sa voisine des ustensiles d’argent et des ustensiles d’or » (Chemot 11 :2).
L’expression « Je t’en prie » indique une requête. Nos Sages expliquent qu’avec cette requête, D.ieu disait : « Ne permets pas à ce Tsaddik (Avraham) de dire : « La prophétie selon laquelle : ‘ils les serviront et ils souffriront à cause d’eux’ a été réalisée mais la promesse que ‘par la suite, ils partiront avec de grandes richesses’, ne l’a pas été ». L’acquisition de la richesse de l’Égypte était donc un objectif non seulement pour les Juifs mais, pour ainsi dire, pour D.ieu Lui-même.
Révéler la Divinité de l’intérieur
L’acquisition de la richesse de l’Égypte fait partie de la mission spirituelle générale du Peuple juif dans le monde et nous aide à comprendre le but de l’exil. La force vitale divine qui soutient l’existence du monde se cache dans sa substance matérielle. Le Peuple juif a été assigné à la tâche de révéler cette Divinité intérieure en utilisant des objets matériels dans un projet divin. Comme le demande une prière ‘hassidique traditionnelle : « D.ieu, accorde à Ton peuple des bénédictions matérielles et ils Te montreront comment ils peuvent les transformer en spiritualité ». En utilisant nos bénédictions matérielles pour servir D.ieu, nous faisons du monde entier une résidence pour Lui.
A chaque étape de l’histoire, le Peuple juif a reçu pour mission d’élever une dimension spécifique du monde. Par la servitude en Égypte, ils purent révéler la force vitale divine latente en Égypte. Une fois, cette tâche accomplie, ils purent acquérir toute la richesse de l’Égypte.
Les Juifs ont été investis d’une mission similaire dans les exils qui ont suivi. Nos Sages affirment que D.ieu a exilé le Peuple juif pour que les convertis puissent le rejoindre (Pessa’him 87b). La ‘Hassidout élargit le sens du mot « converti » de sorte qu’il ne signifie pas seulement « ceux qui acceptent le Judaïsme » mais également les étincelles de la force vitale divine qui sont cachées dans la matérialité du monde et sont révélées par le service de notre Peuple.
De la même façon, les Juifs ont erré, au cours de l’histoire, de pays en pays, accomplissant une unique mission Divine, révélant les étincelles de Divinité éparpillées dans les terres différentes, en utilisant la substance matérielle pour l’accomplissement des Mitsvot.
Préparer le monde pour l’Ère de la Rédemption
Chaque Juif a été investi d’une mission personnelle : révéler la Divinité dans la partie du monde que la Providence Divine lui a assignée. Puisque cette mission est nécessaire pour l’accomplissement du but ultime du monde, nos âmes ne parviennent pas à la réalisation parfaite tant que nous n’avons pas achevé ce travail qui nous a été confié. Quand une personne s’isole et ne participe pas au développement du monde, quand bien même elle se consacre à une vie de prière et d’étude, elle ignore cette intention fondamentale de D.ieu.
Quel bien peut-elle atteindre par ces élévations spirituelles, si la Volonté de D.ieu n’a pas été exaucée ? Le but auquel chaque personne doit aspirer n’est pas exclusivement le raffinement individuel mais plutôt le raffinement du monde entier.
Disons-le clairement : l’implication dans les choses du monde présente un défi puisqu’elle crée la possibilité de la recherche du plaisir et du déclin spirituel. Cependant, en restant conscient du but pour lequel D.ieu nous a envoyés en exil, nous pouvons relever ce défi et parvenir au succès matériel et au succès spirituel.
Les nombreuses années d’esclavage en Égypte constituaient une étape nécessaire dans le processus qui nous mena à l’Exode. De la même façon, le but de l’exil présent est la Rédemption ultime. Puisqu’alors, la Divinité sera révélée en tous lieux et dans toutes choses, le service qui y prépare doit également tout inclure.
C’est donc pour cette raison que notre peuple a été dispersé de par le monde et s’est impliqué dans tous les aspects de l’existence. En dernier ressort, les efforts de chaque individu pour faire de son environnement un lieu de résidence pour D.ieu prépare le monde entier à l’Ère où « la terre sera remplie de la connaissance de D.ieu tout comme les eaux couvrent le fond de l’océan. »
Qu’est-ce que le compte du Omer ?
Il est une Mitsva de compter les quarante-neuf jours de l’Omer à partir du second soir de Pessa’h (jeudi soir 6 avril 2023) jusqu’à la veille de Chavouot (mercredi soir 24 mai 2023 inclus). Si on n’a pas compté de suite après la prière du soir (Arvit), on peut encore compter durant la nuit jusqu’à l’aube. Si on ne s’en souvient que pendant la journée, on peut compter, mais sans réciter la bénédiction. Et le soir suivant, on continue de compter avec la bénédiction. Si on a oublié toute une journée, on devra dorénavant compter chaque soir sans la bénédiction.
Quelles sont les lois de cette période du Omer ?
Les Hommes ont l’habitude de ne pas entreprendre de « travaux » (tels que ceux interdits à ‘Hol Hamoed) depuis le coucher du soleil jusqu’à ce qu’ils aient compté le Omer.
On ne célèbre pas de mariage et on ne se coupe pas les cheveux, en souvenir de l’épidémie qui décima les 24.000 élèves de Rabbi Akiba à cette époque du Omer. Les Séfaradimes respectent ces lois de deuil jusqu’au 19 Iyar (mercredi 10 mai 2023) ; les Achkenazim depuis le 1er Iyar (samedi 22 avril 2023) jusqu’au 3 Sivan au matin (mardi 23 mai 2023) à part la journée de Lag Baomer (mardi 9 mai 2023).
La coutume du Ari Zal, suivie par la communauté ‘Habad, veut qu’on ne prononce pas la bénédiction de Chéhé’héyanou (sur un fruit nouveau par exemple) durant toute la période du Omer et que l’on ne se coupe pas les cheveux jusqu’à la veille de Chavouot (cette année jeudi matin 25 mai 2023).
Un garçon qui aura trois ans après Pessa’h, fêtera sa première coupe de cheveux à Lag Baomer (mardi 9 mai 2023) et celui qui aura trois ans après Lag Baomer la fêtera la veille de Chavouot (jeudi 25 mai 2023).
Il n’y a aucune restriction sur les promenades ou les séances de piscine et baignade.
Grande ouverture, grande fermeture ?
Né à New York en 1904, Jan Peerce (de son vrai nom Jacob Pincus Perelmuth) fut « découvert » par le cantor de sa synagogue : ce fut pour lui le début d’une fabuleuse carrière de chanteur d’opéra en compagnie du chef d’orchestre Arturo Toscanini. Il s’efforçait de respecter le Chabbat - à sa manière - durant ses nombreux voyages, ne sortant de sa chambre d’hôtel que pour ses concerts. Engagé au Metropolitan Opera House, ce ténor d’exception y chanta durant 27 ans et se produisit dans plus d’une trentaine de pays y compris l’Union Soviétique, et devant plusieurs présidents américains, tout en respectant scrupuleusement les règles de la cacherout.
Quand le mouvement Loubavitch, à Manchester, le sollicita pour un concert de bienfaisance, il accepta et proposa une liste de chants. Ce fut un franc succès. Cependant, le Rabbi, Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, depuis Brooklyn, regretta qu’on n’ait pas encouragé Jan Peerce à sélectionner dans son répertoire d’authentiques mélodies juives. Ce fut par ailleurs le début d’une relation épistolaire de qualité entre le Rabbi et le ténor qui se mit à apprécier les Chabbat passés auprès de divers Chlou’him (émissaires Loubavitch). Le Rabbi lui offrit aussi de nombreux conseils de santé, en particulier au sujet de sa vue qui déclinait inexorablement.
« Pourquoi un artiste impliqué dans la vie mondaine ne mettrait-il pas les Téfilines ? Pourquoi ne pourrais-je pas être Loubavitch bien que je sois un artiste ? » raisonnait Jan Peerce.
Quand, juste avant la Guerre des Six Jours en juin 1967, le Rabbi initia la campagne mondiale des Téfilines, Jan Peerce annonça fièrement que, depuis sa Bar Mitsva, il avait mis les Téfilines tous les jours de semaine. Il admirait les jeunes Loubavitchs qui, inlassablement, parcouraient les rues des grandes villes et aidaient d’autres Juifs à les mettre, même pour juste prononcer une courte bénédiction avec le Chema Israël, affirmant ainsi leur foi en un D.ieu unique.
Une nuit, après un concert, Jan Peerce rencontra un groupe de fans. Il leur raconta histoire après histoire, par exemple comment, invité une fois à la Maison Blanche, il avait rencontré des dizaines de Juifs, avec barbe, chapeau et costume noirs, proposant aux Juifs présents sur place de mettre les Téfilines, entre autres au conseiller du président Bob Lipshutz. « De fait, ils m’ont même demandé à moi de les mettre mais je leur ai répondu fièrement que je les avais déjà mis ce matin-là – comme tous les matins ».
A sa manière, le ténor participait activement à la campagne du Rabbi. Souvent, il remettait de l’argent à Rav Okunov de Berkeley subventionnant ainsi l’achat de nouvelles paires de Téfilines pour les étudiants qui n’en possédaient pas.
Une autre fois, dans le public assistant à sa performance, quelqu’un demanda qu’il chante des airs de ‘Hazanout (liturgiques) :
- J’entends qu’on crie : « ‘Hazanout ! », annonça Peerce. Mais j’ai une question pour vous, jeune homme : Avez-vous mis les Téfilines aujourd’hui ? Moi, je n’ai jamais raté un jour depuis ma Bar Mitsva et, si vous me promettez d’agir de même, je vous en achèterai une paire !
Effectivement, le jeune homme accepta le marché et Jan Peerce lui offrit des Téfilines.
Une autre fois, un grand philanthrope de Houston demanda au ténor de venir chanter à la Bar Mitsva de son fils : ce serait la Bar Mitsva du siècle, en présence de tous les notables de la ville. Mais Jan Peerce ne se laissa pas impressionner : « Je ne me produis pas lors des Bar Mitsva ». L’homme insista et, finalement, Jan Peerce suggéra qu’il amène l’enfant à l’un de ses concerts, ce qu’il fit. Après la soirée, le ténor demanda à parler seul à seul avec le jeune garçon : s’il promettait de mettre par la suite les Téfilines tous les jours de semaine, lui accepterait de chanter à la réception. Il illustra cela par une vieille plaisanterie juive : un nouvel immigrant, parlant mal la langue du pays, désirait ouvrir une affaire aux États-Unis. Il visita Orchard Street dans le Lower East Side et remarqua que les magasins proposaient plus ou moins les mêmes marchandises. Cependant, deux d’entre eux attiraient plus de clients que les autres.
Sur l’un d’eux, une grande pancarte annonçait : « Grande Ouverture ! » tandis que l’autre annonçait : « Grande Fermeture ! ». Comme il ne comprenait pas trop l’anglais, il ouvrit sa propre boutique en affichant les deux slogans pour plus de garantie : « Grande Ouverture, Grande Fermeture ! ». Inutile de décrire les éclats de rire qui accueillirent cette présentation.
« En Amérique, expliqua Jan Peerce au jeune garçon, il est devenu de tradition de célébrer la Bar Mitsva au cours d’une grande réception. Chacun veut un grand chanteur, un super orchestre, des chants et des danses. Mais immédiatement après, on procède à la « grande fermeture », sans donner de continuation à l’enseignement juif et la pratique des Mitsvot. Si ta Bar Mitsva doit ressembler à cela, je ne veux pas en faire partie ! ».
Le jeune garçon comprit, s’engagea sérieusement à continuer à étudier la Torah même après la Bar Mitsva et à mettre les Téfilines chaque matin.
Jan Peerce accepta de se produire lors de sa Bar Mitsva.
Dovid Zaklikowski – Dear Rebbe – Hasidic Archives
Traduit par Feiga Lubecki