De toutes les forces du moment !
Le mois de Nissan est, d’une certaine manière, une suite d’étapes précieuses qui s’enchaînent les unes aux autres, donnant sens et portée aux jours qui précèdent et souvent puissance à ceux qui suivent. C’est ainsi que nous sommes entrés dans cette nouvelle période si justement qualifiée de « mois de la Délivrance ». Jour après jour, et jusqu’à la veille de Pessa’h, nous y disons ce court paragraphe qui rappelle que c’est à ce moment que les chefs de tribus apportèrent leurs offrandes pour l’inauguration du Tabernacle dans le désert. Douze passages identiques se succèdent ainsi, le treizième faisant le total de ces offrandes. Ce sont douze passages qui ne diffèrent que par le nom de la tribu et de son chef. Mais voici que chacun d’eux se conclut par une courte prière où nous demandons à D.ieu de nous accorder les mêmes lumières spirituelles aujourd’hui et pour toutes les générations à venir. C’est là une bien grande ambition ! Quel titre avons-nous pour obtenir de telles grandeurs ? La formulation est cependant empreinte d’une absolue certitude : nous aurons bien ces lumières-là ! C’est ainsi qu’opère une certaine magie de Nissan, le mois du surnaturel, celui de tous les possibles.
Alors que Pessa’h approche ainsi, que déjà son message – la liberté enfin acquise – impose à tous sa vision au point que même les traditionnelles tâches de la période en prennent une signification renouvelée. De l’indispensable nettoyage avant Pessa’h, elles deviennent destruction du ‘Hamets, ce ferment matériel à valeur spirituelle, pour un lien libéré avec D.ieu. Et voici le 11 Nissan, anniversaire de la naissance du Rabbi de Loubavitch. « Evénement déjà ancien » diront certains, « commémoré d’année en année » ajouteront d’autres et qui peut n’apparaître que comme « une fête personnelle, privée ». Pourtant, voici qu’il anime la préparation en cours. N’a-t-on pas dit que toutes les étapes qui conduisent à notre liberté sont liées l’une à l’autre ? Celle-ci en est l’exemple parfait. En effet, le 11 Nissan, à quelques jours du début de la fête, marque le grand début d’une œuvre qui se confond avec son temps. Cette œuvre-là est vivante en chacun de nous, elle accompagne notre vie. Et l’histoire montre qu’elle a profondément transformé la vie juive, lui donnant à redécouvrir le bonheur. Une vraie révolution ! Cette notion n’est-elle pas la meilleure préparation qui soit à celle qui, au soir de la fête qui vient, ouvrira les portes de notre liberté ?
La coupe du Prophète Elie
Le soir du Séder, la coutume, respectée dans toutes les communautés, veut que l’on verse une coupe de vin pour le Prophète Elie. Cet usage est connu, il est même un des moments particulièrement attendus de la célébration de Pessa’h. Pourtant il n’est pas enseigné par le Talmud ou les premiers décisionnaires. Il a été instauré plus tardivement et cela n’est pas le fait du hasard.
En effet, cette coupe de vin se rattache à la foi en la venue de Machia’h et en celle du Prophète Elie qui sera son annonciateur. Or, plus on se rapproche du temps de cet avènement, plus la croyance en sa survenance et le sentiment d’attente grandissent dans le cœur de chacun.
C’est la raison pour laquelle la coutume de verser cette coupe s’est répandue dans les dernières générations. Elle est la traduction de cette avancée.
(D’après Likouteï Si’hot, vol. XXVII, p. 55)
Pessa’h : Etre libre
La nuit de Pessa’h, durant le Séder, nous sommes face à une multitude de gestes, de symboles, de coutumes et de rites compliqués et à plusieurs périodes de l’histoire juive.
A la base de toute cette richesse et de cette variété, réside néanmoins une idée centrale qui unifie les parties disparates du Séder en un tout harmonieux : « Autrefois nous étions esclaves, maintenant nous sommes libres. »
Cette idée de liberté trouve sa pleine expression le soir de Pessa’h, dans la Haggadah : à la fois dans son rituel, dans ses actes symboliques, dans sa poésie et dans l’ambiance générale de la soirée. La Haggadah n’est pas un traité philosophique et pourtant y sont exprimées des idées d’une profondeur inouïe, dans la forme la plus accessible, par des mots et des actes simples. La signification de ces actes est audacieuse et frappante et, que cela soit conscient ou non, elle se fraie un chemin dans les âmes de ceux qui y participent.
La liberté et l’esclavage paraissent être totalement opposés, chacun se définissant par l’absence de l’autre. L’esclavage est l’absence de liberté et la liberté est l’absence d’esclavage. Mais chacun de ces termes doit être compris en référence à l’autre.
Secouer ses ailes ne signifie pas que l’on soit devenu libre. L’esclavage représente cette situation dans laquelle une personne est toujours assujettie à la volonté d’un autre. La liberté, par ailleurs, est l’aptitude à agir selon sa propre volonté indépendante et à l’exécuter.
L’individu qui manque de volonté propre ne devient pas libre une fois qu’il s’est libéré de ses entraves : il est simplement un esclave sans maître ou, dans le cas d’un peuple, celui qui a été abandonné par son chef suprême.
Entre l’étape où il cesse d’être un esclave et celle où il acquiert la liberté, l’individu doit passer, dans sa progression, par un stade intermédiaire sans lequel il ne peut devenir véritablement libre : il doit développer par lui-même des qualités intérieures.
Le miracle de l’Exode ne fut pas accompli par le départ du peuple hébreu de la maison d’esclavage. Il avait besoin de se développer pour devenir un peuple véritablement libre et pas seulement des esclaves fugitifs.
La situation des Hébreux, alors qu’ils se tenaient sur les bords de la Mer Rouge, talonnés par l’armée du Pharaon, a été décrite par le commentateur médiéval, Ibn Ezra : les Enfants d’Israël ne pouvaient pas même concevoir une forme d’opposition au Pharaon car ils avaient grandi dans l’esclavage et y étaient tellement accoutumés que leurs anciennes attitudes de soumission réapparurent à la vue de leur ancien dominateur.
Ce n’est qu’une fois que toute la génération qui avait vécu sous l’esclavage eut péri dans le désert que ses descendants purent entrer en Terre d’Israël et s’y établir en peuple libre.
En d’autres termes, l’esclave est doublement asservi : il l’est tout d’abord à la volonté d’un autre mais aussi à son manque de volonté et de personnalité propres. Un être qui garde son propre caractère intrinsèque ne peut jamais être complètement assujetti. Et à l’opposé, celui qui ne possède aucune image indépendante de lui-même ne peut jamais être complètement libre.
Ce que nous avons dit de la relation entre l’esclavage et la liberté est encore plus vrai en ce qui concerne le lien entre l’exil et la rédemption. La fin d’un exil n’est pas suffisante pour constituer la rédemption, quelque chose d’autre doit avoir lieu.
Le sens du mot « exil » ne se limite pas à une définition physique. Tout comme en ce qui concerne l’esclavage, le sens et la signification pleine de ce mot résident dans le royaume spirituel. Etre en exil signifie que l’on s’est soumis à une échelle de valeurs, à des relations et à un mode de vie qui sont étrangers à la véritable nature de l’individu ou de la collectivité.
Quand le Peuple Juif, persécuté, dut partir en exil, il dut changer le mode de vie et les habitudes qui le définissaient. Autrefois agriculteur, il devait désormais se tourner vers le commerce ou les affaires. Autrefois libre et indépendant, il se retrouvait soumis à divers seigneurs. Autrefois maître de son propre mode de vie, il allait maintenant dans le sens de la mode environnante.
Tant qu’il maintint son caractère spirituel, ses principes religieux, sa direction spirituelle interne et son mode de vie distinct, en toute indépendance, le Peuple Juif ne fut jamais réellement asservi, tout au moins dans la dimension spirituelle de son existence.
L’obscurantisme et l’ignorance médiévaux ne réussirent en rien à altérer ou diminuer la créativité et la spiritualité du Peuple Juif en exil. Les Juifs de cette période étaient persécutés, humiliés et méprisés. Ils devaient admettre leur faiblesse et leur impuissance dans bon nombre de domaines de leur vie. Néanmoins, leur exil ne fut jamais réellement total car ils ne se considéraient ni comme méprisables ni comme inférieurs à quiconque puisqu’ils gardaient leur propre caractère essentiel. Leur monde spirituel n’était pas pour eux un simple réconfort. C’était réellement leur foyer, et dans cette dimension de leur vie, l’exil n’existait pas.
Paradoxalement, c’est la déjudaïsation qui rendit complet l’exil car lorsque le Juif se départit de son propre caractère distinctif, il renonça au dernier lambeau de son indépendance. C’est pourquoi, bien qu’il ait gagné sa liberté, en tant qu’individu, il se retrouva exilé, au plein sens du terme, au niveau national. Désormais c’était le monde extérieur qui déterminait ses valeurs, son caractère et ses relations, non seulement à un niveau superficiel mais dans les profondeurs de son cœur.
La véritable tragédie de l’exil d’Egypte fut que les esclaves se mirent peu à peu à ressembler à leurs maîtres, pensant comme eux et faisant les mêmes rêves. Leur plus grand désespoir venait, en réalité, du fait que leurs maîtres ne leur permettaient pas d’accomplir le rêve égyptien. Il ne leur suffit pas de réaliser combien ils souffraient sous le régime de terreur auquel ils étaient soumis, il leur fallut décider qu’ils n’en voulaient plus.
Changer la structure sociale de l’Egypte, pour qu’eux aussi puissent aspirer à devenir officiers et maîtres, n’aurait pas suffi à les libérer de leur esclavage. Ce n’est qu’une fois qu’ils furent prêts à partir, non seulement de la terre matérielle d’Egypte mais également de l’esprit du monde dans lequel ils avaient vécu, qu’une fois qu’ils furent prêts à abandonner leur dévotion aux valeurs égyptiennes (et ils en donnèrent la preuve par ce premier agneau pascal), c’est seulement alors qu’ils purent être véritablement sauvés.
Pour parvenir à une véritable rédemption, et pas seulement à la fin de l’exil, il ne suffit pas que le Peuple Juif quitte « le désert des nations ». Il doit regagner sa propre essence, son caractère, son esprit, ses modes de pensée et de vie. Ce n’est qu’alors qu’il peut être réellement libre. Ce n’est qu’alors qu’il est réellement sauvé.
Grâce à toutes les lois, toutes les coutumes du soir du Séder, nous mettons vraiment l’accent sur ce qui nous concerne le plus profondément : « Autrefois nous étions esclaves, maintenant nous sommes libres ». Tout en traversant les rites du Séder, en lisant la Haggadah et en discutant du texte écrit et de ce qu’il implique, nous nous devons de comprendre encore plus profondément que nous ne sommes réellement libérés que lorsque nous entreprenons de satisfaire notre besoin de vivre selon notre mode de vie spécifique, c'est-à-dire nous libérer, dans le vrai sens du terme.
Qu’est-ce que le compte du Omer ?
C’est une Mitsva de la Torah de compter les quarante-neuf jours de l’Omer à partir du second soir de Pessa’h (samedi soir 31 mars 2018) jusqu’à la veille de Chavouot (vendredi soir 18 mai 2018 inclus). Si on n’a pas compté de suite après la prière du soir (Arvit), on peut encore compter durant la nuit jusqu’à l’aube. Si on ne s’en souvient que pendant la journée, on peut compter, mais sans réciter la bénédiction. Et le soir suivant, on continue de compter avec la bénédiction. Si on a oublié toute une journée, on devra dorénavant compter chaque soir sans la bénédiction.
Quelles sont les lois de cette période du Omer ?
Hommes et femmes ont l’habitude de ne pas entreprendre de « travaux » (tels que ceux interdits à ‘Hol Hamoed) depuis le coucher du soleil jusqu’à ce qu’ils aient compté le Omer.
On ne célèbre pas de mariage et on ne se coupe pas les cheveux, en souvenir de l’épidémie qui décima les 24.000 élèves de Rabbi Akiba à cette époque du Omer. Les Séfaradim respectent ces lois de deuil jusqu’au 19 Iyar (vendredi 4 mai 2018) ; les Achkenazim depuis le 1er Iyar (lundi 16 avril 2018) jusqu’au 3 Sivan au matin (jeudi 17 mai 2018) à part la journée de Lag Baomer (jeudi 3 mai 2018).
La coutume du Ari Zal, suivie par la communauté ‘Habad, veut qu’on ne prononce pas la bénédiction de Chéhé’héyanou (sur un fruit nouveau par exemple) durant toute la période du Omer et qu’on ne se coupe pas les cheveux jusqu’à la veille de Chavouot (cette année vendredi matin 18 mai 2018).
Un garçon qui aura trois ans après Pessa’h, fêtera sa première coupe de cheveux à Lag Baomer (jeudi 3 mai 2018) et celui qui aura trois ans après Lag Baomer la fêtera la veille de Chavouot (vendredi 18 mai 2018).
Il n’y aucune restriction sur les promenades ou les séances de piscine et baignade.
Un rêve à Darwin
C’était quatre jours avant Pessa’h, le 11 Nissan 2006. Avec mon ami Zevi Shusterman de la Yechiva ‘Habad de Melbourne, nous étions partis à Darwin, la capitale du territoire nord de l’Australie afin de rendre visite à des Juifs habitant de toutes petites localités. Notre tâche était de leur rappeler la fête qui approchait et, si possible, de les inviter à participer au Séder communautaire : pour cela, il fallait d’abord prendre contact avec les quelques 50 Juifs répertoriés dans la ville.
La dernière adresse qu’on nous avait donnée était 30/55 Parap Road : c’était un bâtiment sans âme, occupé ou plutôt squatté par des chômeurs et autres « accidentés de la vie », certains d’entre eux consommant ouvertement des substances interdites. Surmontant nos sentiments et préjugés, nous avons demandé à un jeune s’il connaissait Joseph de Backer : un Juif de la ville nous avait signalé qu’il avait fait la connaissance de cet homme par hasard à la poste. On nous fit signe de monter dans les étages car, oui, il s’y trouvait un certain Joseph.
En tenant précieusement la boîte de Matsot Chmourot, nous avons frappé à la porte ornée d’une petite Mezouza et avons annoncé : « Joseph ! Nous vous avons apporté des Matsot ! ».
Un vieil homme, visiblement fatigué de vivre, nous ouvrit la porte en pleurant. Avant même de parler, il nous tâta les bras : « Je n’arrive pas y croire ! » répéta-t-il encore et encore tout en nous dévisageant avec incrédulité. Nous étions intimidés, ne sachant comment réagir. Puis il se calma et nous fit signe d’entrer et de nous asseoir à table.
- J’ai survécu à Auschwitz. Après la guerre, j’ai fui cette Europe de folie aussi loin que possible et je me suis installé en Australie, à Perth. J’ai épousé une non-Juive et nous avons eu un fils. Mes affaires ont périclité, nous avons divorcé et je n’avais plus rien à faire à Perth. Ma seule raison de vivre est mon fils qui sert dans l’armée australienne et qui est basé ici à Darwin. Je me suis donc installé dans cette maison communale. Petit à petit, j’ai perdu contact avec le monde extérieur : je n’ai ni Internet, ni email ni même de téléphone. Je ne sors de chez moi que pour quelques rares courses indispensables. Même mon fils ne vient presque plus me voir.
Je me suis souvenu que, quand j’étais petit, il y avait une fête juive en mars ou avril. Mes souvenirs sont très vagues, on ne mangeait pas de pain mais des espèces de crackers tout plats. Dernièrement, ces souvenirs sont justement revenus à la surface et m’ont déprimé. J’ai eu du mal à m’endormir hier soir mais, quand j’ai enfin dormi, j’ai rêvé que deux rabbins m’apportaient ces crackers pour célébrer la fête. C’est pourquoi quand vous avez frappé à la porte et que je vous ai vus, j’ai cru que j’hallucinais et je vous ai touché pour être sûr que vous étiez bien réels.
Nous étions stupéfaits de la tournure des événements : le récit de Joseph était très émouvant. Nous avons passé des heures à parler avec lui et à écouter cet homme oublié de tous. Il pleura des larmes de joie quand nous l’avons aidé à mettre les Téfilines et à réciter le Chema dont il se souvenait vaguement.
Avant de repartir, nous lui avons laissé – outre les Matsot bien entendu – les nombreux dépliants dont nous disposions afin qu’il puisse apprendre les principes fondamentaux du judaïsme. Nous lui avons aussi donné à tout hasard une brochure intitulée : « Hommage au Rabbi » qui comprenait plusieurs articles sur le Rabbi de Loubavitch et quelques photos.
Joseph nous accompagna jusqu’en bas et nous remercia du fond du cœur pour notre visite qui l’avait réconcilié avec la vie.
Un an plus tard, je suis retourné à Darwin pour y retrouver tous les Juifs que nous avions contacté l’année précédente : nous leur avions fait part de l’existence de Joseph et ils l’avaient aidé du mieux qu’ils pouvaient. J’appris ainsi que sa situation s’était beaucoup améliorée. Quand je suis entré chez lui, il m’embrassa chaleureusement et me raconta combien la communauté juive de Darwin s’était bien occupée de lui.
Je remarquai qu’il avait tapissé ses murs des photos du Rabbi qu’il avait découpées dans la brochure que nous lui avions laissée la dernière fois : sans doute avait-il estimé que ces photos étaient particulièrement jolies. Mais il m’expliqua d’un ton grave :
- Vous vous souvenez de mon rêve ? C’est grâce à cet homme que j’ai repris contact avec le judaïsme après tant d’années et c’est grâce à lui que je me sens tellement mieux ! C’était bien la moindre des choses que d’avoir sa photo sur le mur !
Rav Yaacov Chaiton - bina.com.au
Traduit par Feiga Lubecki