De délice en action
Tous les calendriers l’annoncent depuis le début de l’année : ce Chabbat sera immédiatement suivi par la fête de Pourim. Ce n’est donc évidemment pas une nouveauté. Pourtant, il y a ici une occurrence qu’il faut souligner. De fait, le Chabbat est un moment particulier de la semaine, un peu comme son point d’orgue. Il élève tous les jours qui l’ont précédé et bénit ceux qui le suivent. Il est aussi ce temps de pur délice comme hors espace et hors temps. Nous le vivons avec une intensité encore renforcée par les observances qui lui donnent sa couleur et sa joie si caractéristiques. C’est dire comme, lorsqu’il se termine, chacun ressent profondément à la fois ce qu’il nous a apporté et le terrible manque entraîné par son départ. Une âme supplémentaire nous quitte alors et il faut nous en consoler.
Certes, cette semaine va voir se produire ce même phénomène mais, cette fois-ci, Pourim sera au rendez-vous et, d’une certaine façon, cela change la donne ! Bien sûr, le Chabbat reste irremplaçable mais, avec Pourim, apparaît le temps de la joie sans limites, de cette joie à nulle autre pareille qui bouscule tout sur son passage et porte celui qui la vit à des hauteurs insoupçonnées. Pourim, ce moment de merveilles où il n’est pas question de célébrer simplement une histoire héroïque mais bien de la porter en soi et d’en devenir un véritable acteur. Car il s’agit bien de cela : Pourim voit le peuple juif en exil, loin de sa terre, et son Temple détruit. Il le voit s’habituant aux mœurs du pays où il se trouve au point d’oublier peu à peu ce qu’il est et le pourquoi de sa présence dans ce monde. Et sa victoire finale ? Elle n’est que la traduction de sa brutale prise de conscience : l’histoire a un sens, elle avance vers un but par nos actions de chaque jour. Tout cela ne résonne-t-il pas de façon très contemporaine ?
Ainsi, nous allons passer du délice de Chabbat à l’infinie joie de Pourim, du temps du repos à celui de l’action. Nous allons vivre le jour hebdomadairement au-dessus du monde puis celui où l’œuvre à accomplir est de le transformer. Le programme peut paraître bien ambitieux. Mais c’est avec toute la puissance du Chabbat que nous avançons et c’est avec elle que Pourim nous accueille. Voici un jour d’une précieuse actualité. Il nous impose de ne pas tomber dans le piège de la commémoration. N’oublions donc pas que c’est notre histoire que nous vivons ainsi. Et n’oublions jamais que les héros ne sont pas que ceux du passé. A nous d’en être plus que les héritiers, les continuateurs.
Chaque prière est un progrès
Pour la Délivrance du peuple juif, une Délivrance éternelle qui ne sera suivie d’aucun autre exil, nous devons augmenter nos prières, les premières et les dernières générations. Les prières des premières générations aideront celles des dernières générations.
Ce sera plus facile pour les dernières générations qui sont plus proches de la Délivrance finale. Leurs prières seront plus acceptées que celles des premières générations. Puisque le sujet est si important, il doit y avoir une abondance de prières, génération après génération, afin que les prières pour la Délivrance soient acceptées.
(d’après Beth Elokim LéHamabit, Porte de la prière, chap. 17)
Tetsavé
D.ieu demande à Moché d’obtenir de la part des Enfants d’Israël de l’huile d’olive pure afin de nourrir la « flamme éternelle » de la Menorah qu’Aharon allume chaque jour, « depuis le soir jusqu’au matin ».
Les habits sacerdotaux portés par les Cohanim (Prêtres), lorsqu’ils servent dans le Sanctuaire, font l’objet d’une description. Tous les Cohanim portent :
- le ketonet, une longue tunique de lin, 2) les mi’hnassayim, des pantalons de lin, 3) le mitsnéfèt ou migbat : un turban de lin, 4) l’avnèt, une longue ceinture nouée au-dessus de la taille.
En outre, le Cohen Gadol (Grand Prêtre) porte : 5) le éphod : un habit, semblable à un tablier, fait de laines teintes en bleu, rouge et violet, avec des fils de lin et d’or, 6) le ‘hochène : un pectoral contenant douze pierres précieuses sur lesquelles sont inscrits les noms des douze tribus d’Israël, 7) le méil : un manteau de laine bleue, bordé de clochettes d’or et de grenades décoratives, 8) le tsits, une plaque d’or, portée sur le front, sur laquelle est écrite l’inscription « sanctifié pour D.ieu ».
Tetsavé comporte également les instructions détaillées concernant les sept jours d’initiation à la prêtrise d’Aharon et de ses quatre fils : Nadav, Avihou, Elazar et Itamar, et la fabrication de l’autel d’or sur lequel étaient brûlés les ketorèth (encens).
La lecture de cette semaine se concentre sur les habits sacerdotaux, comprenant également les huit vêtements du Grand Prêtre. Parmi eux, le manteau, dont il est dit : « Il y aura des clochettes d’or et des grenades tout au long de la bordure du manteau. Aharon le portera pendant son service. Leur son s’entendra quand il pénétrera dans le Sanctuaire devant D.ieu et quand il partira ».
Une question se pose : pourquoi le son des clochettes doit-il se faire entendre lorsque le Grand Prêtre pénètre dans le Sanctuaire ? Il semblerait plutôt que leur son présente un inconvénient, comme le reflète le verset se référant à la révélation de D.ieu au prophète Elie : D.ieu n’intervenait pas dans le bruit ». C’était plutôt « une silencieuse et tranquille voix » qui révélait la présence Divine.
Cependant, cette idée ne contredit pas ce que nous lisons dans cette Paracha dans la mesure où il s’agit de deux niveaux de Divinité. Le verset « D.ieu n’intervenait pas dans le bruit » fait allusion à un niveau de Divinité sublime, un niveau qui transcende les limites de l’existence matérielle. Mais lorsqu’il s’agit de niveaux moindres, ceux qui sont incorporés dans des créatures matérielles, le service Divin doit alors être associé au bruit.
Expliquons cette idée. « Une silencieuse et tranquille voix » reflète le service Divin d’une personne qui a complètement soumis son individualité à D.ieu. C’est pour cette raison qu’elle est silencieuse. Elle ne possède pas de voix, par elle-même, son identité étant effacée. Mais lorsque quelqu’un n’a pas atteint un tel niveau, dans son service Divin, et garde encore son individualité, il doit accomplir un service « bruyant ». Son égo rencontre des défis et des conflits, des vestiges, ou peut-être plus que des vestiges, des aspects négatifs de sa personnalité auxquels il doit se confronter. Ces conflits et ces confrontations provoquent, pour ainsi dire, du « bruit ».
Donnons un exemple concret. Quand des substances pures et raffinées brûlent, elles ne font que peu, voire pas, de bruit. Mais quand brûlent des matériaux bruts, ils font entendre des craquements très sonores. En fait, plus la substance est grossière, plus elle fait du bruit.
C’est sur cette base que nous pouvons comprendre la conduite du Grand Prêtre.
Le jour de Yom Kippour, lorsqu’il pénétrait dans le Saint des Saints, il ne portait pas son manteau mais une simple robe blanche qui n’avait pas de clochettes. Car alors, dans cette chambre où la Présence Divine se révélait ouvertement, le silence était de mise. Dans le Saint des Saints, il perdait tout sens d’individualité personnelle, suivant le modèle d’ « une silencieuse et petite voix ».
Par contre, tout au long de l’année, en accomplissant son service dans le Sanctuaire, il portait son manteau et se faisait entendre. Car alors, il agissait au nom de tout le Peuple juif, même de ceux dont le niveau spirituel n’était pas élevé. Son service comportait donc du bruit, c’est-à-dire le son qui résultait des conflits spirituels que rencontraient les individus avec lesquels il était lié.
A Yom Kippour, tout le monde était élevé au-dessus de ces conflits. Durant l’année, il était nécessaire d’y faire face.
Ce « bruit » présente un autre avantage en rapport avec la dissémination de la Torah. Dans un monde où tout est publié de manière sonore, et c’est là la manière d’attirer l’attention, des techniques similaires, qui se proposent de permettre un raffinement, doivent être utilisées pour disséminer la Torah. Il nous faut aller dans le domaine public, sans être gênés, animés par notre désir d’attirer les gens à la Torah et proclamer son message haut et fort.
Perspectives
La lecture de la Torah commence par le commandement de préparer de l’huile d’olive pour la Menorah, le candélabre utilisé dans le Beth Hamikdach. La Torah indique que l’huile doit être « écrasée pour la lumière ». Nos Sages expliquent que l’olive est une métaphore du Peuple juif. Quand ils sont « écrasés », pressés jusqu’au cœur, ils produisent de l’huile « pour la lumière », « la lumière de la Rédemption ».
Il existe cependant une différence dans la manière dont ce thème s’applique dans notre génération par rapport aux générations précédentes. Auparavant, cette « pression » était extérieure. Persécutions après persécutions, pogroms après pogroms, exils après exils, l’enveloppe extérieure du Peuple juif fut brisée et leur intériorité Divine révélée.
De nos jours, D.ieu merci, de telles pressions n’existent généralement plus. Dans la grande majorité, le Peuple juif vit dans la paix et la prospérité et n’est plus persécuté par les nations du monde. Et pourtant, nous nous sentons « (op)pressés ». Le fait même que nous soyons en exil, que Machia’h ne soit pas encore venu et que le monde n’ait pas atteint son apogée constitue une prise de conscience écrasante, qui secoue chacun de nous dans notre essence-même et nous motive à produire notre « huile » pour « la lumière de la Rédemption ».
Que fait-on à Pourim (cette année samedi soir 11 et dimanche 12 mars 2017) ?
Jeudi 9 mars, c’est le jeûne d’Esther (avancé) qui débute à 5h 43 (horaire de Paris) et s’achève à 19h 25. Dans l’après-midi, avant la prière de Min’ha, on donne trois pièces de Ma’hatsit Hachékel (50 centimes) à la Tsedaka ; on ajoute le passage Anénou dans la Amida.
Samedi soir 11 mars, on écoute attentivement la lecture de la Méguila. On n’est pas quitte avec une lecture entendue par téléphone, magnétophone, Internet ou à travers un poste de radio.
Dimanche 12 mars, dans la journée, on écoute encore une fois la lecture de la Méguila. Quand le ‘Hazane (lecteur) prononce les bénédictions, on pense à se rendre quitte également des autres Mitsvot du jour.
Michloa’h Manot : On distribue à au moins une personne deux mets comestibles cachères, si possible en passant par un intermédiaire.
Matanot Laévionim : On distribue à au moins deux pauvres une pièce (ou un billet ou plusieurs billets…).
Michté : dans l’après-midi, on prend un bon repas, le festin de Pourim.
Les enfants se déguisent dans l’esprit de la fête. Les adultes mettent les vêtements de Chabbat pour écouter la Méguila.
On ajoute le passage « Veal Hanissim » dans la Amida et le Birkat Hamazone.
(d’après Cheva’h Hamoadim)
Les cuillères de soupe
Les combats entre l’armée allemande et les forces alliées faisaient rage. Bien que la Seconde guerre mondiale approchât de sa fin, les Nazis redoublaient de férocité. Refusant de céder et de s’incliner devant les vainqueurs, ils se montraient de plus en plus nerveux et insistaient pour imposer leur ordre partout où des populations étaient soumises à leur autorité.
Je suis arrivé à Birkenau un Chabbat, la veille de Chavouot 1944. J’avais quinze ans. Quand nous sommes descendus des wagons plombés qui nous avaient menés comme du bétail en Pologne, nous avons eu droit à notre première « sélection » : le médecin nazi se prenait pour D.ieu et, d’un hochement de tête, d’un geste de la main, décidait « qui vivrait et qui mourrait » en envoyant les uns à droite, les autres à gauche.
La plupart de mes camarades de classe du ‘Héder (l’école juive) furent envoyés à gauche. Nous ignorions alors ce que cela signifiait et ce n’est que plus tard que nous apprîmes qu’ils n’étaient déjà plus de ce monde et qu’ils avaient été assassinés de la manière la plus horrible jamais inventée.
Au bout de trois jours, on nous transféra au camp de Monowitz-Buna, non loin d’Auschwitz. J’y suis resté cinq mois avant d’être envoyé au camp d’Einstrachtutte à Katowice.
Durant l’hiver 1944 - 1945, les Allemands trouvèrent une solution radicale au « problème » posé par les survivants des camps : devant l’avance des forces russes, il fut décidé de rapatrier ces rescapés vers l’intérieur de l’Allemagne et de l’Autriche. En l’occurrence, avec mes camarades de détention, je fus envoyé au camp de Mauthausen, un des pires camps (désigné par l’Institut Yad Vashem comme un camp d’extermination) où, malgré mon expérience des conditions effroyables, je constatai que je n’avais plus aucune chance de survivre. De redoutables maladies se répandaient parmi les détenus à cause du manque d’hygiène et les autorités ordonnèrent de séparer les malades des autres. En temps normal, on accorde aux malades des soins pour leur permettre de reprendre le dessus mais ici, il n’y avait plus aucune raison de s’occuper des malades puisqu’ils étaient promis à une mort certaine et ne représentaient plus aucune utilité.
Quand je contactai une inflammation des mâchoires, on me transféra d’office à « l’hôpital » où nous sommes restés sans soins, sans vêtements, pratiquement sans nourriture : tous les jours, on évacuait une cinquantaine de cadavres…
C’est dans ces conditions que j’ai fait la connaissance de Rav Pin’has, fils de Rav Hillel Weinberg, chef du tribunal rabbinique de Dunaszerdahely en Slovaquie. Nous gisions côte à côte et, un matin, il m’informa : « C’est Pourim aujourd’hui ! ». Il avait réussi à garder en tête le compte des mois et des jours malgré l’absence de repères. Comment espérait-il célébrer la fête ? Il se mit à réciter des passages de la Méguila dont il se souvenait par-cœur, avec l’intonation qui me rappelait une autre période, des siècles auparavant quand, dans une autre vie sans doute, j’écoutais attentivement cette lecture à la synagogue. Au moment du « repas », on nous servit un liquide infâme appelé « soupe ». Mon voisin Pin’has me surprit encore une fois en répétant : « C’est Pourim aujourd’hui ! » tout en me tendant une cuillère de soupe en précisant : « Je t’offre Michloa’h Manot » ! Étonné, j’acceptai tout en lui demandant : « Et que puis-je te donner comme Michloa’h Manot ? Sans hésiter, il me conseilla : « Donne-moi une cuillère de ta soupe ! ».
A l’époque, je n’ai pas compris le sens de sa demande (à quoi pouvait bien servir cet échange de « bons procédés » ?) mais je lui ai obéi.
Quelques jours plus tard, nous étions libérés et les circonstances nous ont séparés. Un an plus tard, j’avais repris mes études talmudiques à la Yechiva des ‘Hassidim de Viznitz à Grossvardein. Rav Pin’has passa avec nous un Chabbat et j’en profitai pour lui rappeler que nous nous connaissions déjà : il fut très heureux quand je lui racontai comment nous avions échangé nos cuillères de « soupe » dans l’infirmerie.
Je suis monté en Israël après bien des aventures. Je m’y suis marié et j’ai élevé mes enfants. Je profite de ma retraite pour étudier au Collel pour seniors dans la ville de Karne Shomron. Un jour, nous avons étudié un passage de Guemara (Méguila 7b) qui m’a ramené soixante ans en arrière : « Abbayé bar Avine et ‘Hanina bar Avine avaient l’habitude d’échanger leurs repas le jour de Pourim afin d’accomplir la Mitsva de Michloa’h Manot ».
C’était donc cette Mitsva de Pourim que Rav Pin’has avait tenu à accomplir – quelles que soient les circonstances !
Yitzchak Gerchouni – Sichat Hachavoua N° 1106
Traduit par Feiga Lubecki