«D.ieu veut le cœur» (Talmud, Sanhédrin 106b)

Il y a trois cents ans, le Baal Chem Tov utilisait cet adage pour déclencher un changement révolutionnaire dans l’esprit juif : «bien que vous puissiez y consacrer vos mains habiles et même votre processus intellectuel, n’omettez pas de donner à D.ieu un morceau de votre cœur».
Quand le Baal Chem Tov entra en scène, à l’aube du XVIIIème siècle, une grande partie du judaïsme européen était en état de grande souffrance. Des siècles de persécutions et de violent antisémitisme avaient trouvé leur apogée dans les massacres de Chmielnitzki, au cours des années 1648-1649, et avaient annihilé environ six cent mille Juifs et laissé en lambeaux l’infrastructure juive, au point de vue économique et social. Tout espoir de stabilité fut éradiqué devant les massacres perpétrés par les Cosaques, sous le regard impassible de leurs voisins.
Et puis s’installa un engourdissement émotionnel collectif. Bien que la plupart des Juifs se soient accrochés aux rites religieux, leur cœur était blessé et leur pouls était bien lent.
La passion n’appartient qu’à ceux qui sont en sécurité et prospères. Les survivants essaient tout simplement de vivre, au jour le jour.
Le Baal Chem Tov consacra sa vie à réveiller cette passion. Il savait que le peuple juif ne pouvait survivre sans enthousiasme, sans idéalisme et sans amour de D.ieu. S’il nous manquait l’esprit qui donne vie à l’observance des rites et nous permet de résister constamment, nous risquions de nous effacer et de disparaître en tant que peuple.
C’est ainsi qu’il voua sa vie à réchauffer les cœurs juifs refroidis. Il s’accroupit pour parler avec amour aux enfants et il encouragea leurs parents avec des histoires tirées du Talmud. Il incita à la danse, aux chants et à la prière enthousiaste. Et doucement, les cœurs commencèrent à guérir. S’engager dans une véritable relation avec D.ieu parut sain, attirant même.
Cette histoire n’était pas nouvelle. Elle avait déjà eu lieu, en Egypte. Moché, lui-aussi, avait fait face à un peuple profondément blessé, désabusé et épuisé. Quitter l’Egypte ne constituait pas seulement une émigration. Cela représentait une transition psychologique, de l’oppression à l’affranchissement. C’était un défi bien plus important. 
Il était relativement aisé de sortir le Juif de l’Egypte, mais le serait-il tout autant de sortir l’Egypte du Juif ?
La mission de Moché était de rendre cette rédemption possible.
L’une des méthodes qu’il utilisa, à l’injonction de D.ieu, fut d’orchestrer les Dix Plaies. Par ce processus en dix étapes, il affaiblit le mal de la culture égyptienne et commença à guérir l’esprit des Juifs.
Le premier remède supposait une transformation visible des eaux du Nil en sang. Et simultanément, une transformation intangible fut enclenchée. 
Alors même que les eaux froides du fleuve égyptien devenaient du sang bouillonnant, et cela dura sept jours, l’apathie glaciale, que manifestaient les Egyptiens envers la spiritualité et la souffrance humaine, subissait un traitement de réchauffement. Aux racines de la culture et de la brutalité égyptiennes se trouvait le Nil, adoré pour ses eaux fertiles et minéralisées, qui dansaient sur les rives et irriguaient les sols. 
Le flux et le reflux de la rivière géraient l’économie du pays et lui avaient permis de devenir une superpuissance. Tout le monde vénérait le Nil.
La nature-même du fleuve avait rendu les Egyptiens bien trop froids, indifférents et arrogants pour qu’ils se soucient d’un D.ieu Juif : «Qui est ce D.ieu que je devrais écouter ?» rugit le Pharaon à Moché et Aharon. Je suis trop froid pour votre D.ieu et trop glacial pour ressentir la souffrance de mes esclaves juifs !».
D.ieu ordonna alors à Moché de soigner l’Egypte de son indifférence, en attaquant la racine de son disfonctionnement : le Nil charria du sang brûlant. Cette chaleur gagna également les Juifs et fit fondre la froide apathie qu’avait nourrie l’esclavage égyptien.
La sortie d’Egypte reste le modèle classique de transformation intérieure. «Egypte» ou Mitsrayim, en hébreu, partage la même racine que le mot métsarim qui signifie «limitations». L’exode personnel signifie que l’on quitte le statu quo, que l’on ne se définit plus par ses limitations précédentes. A un stade plus développé, l’exode implique abandonner une sphère exclusivement centrée sur soi-même pour une relation plus proche avec D.ieu.
Ce modèle souligne le premier pas accompli pour parvenir à la libération et la croissance : la transformation de l’eau froide en sang chaud. Le sang représente la vie, le plaisir, la vitalité. On peut agir parfaitement bien mais si c’est sans chaleur, les rites vont dépérir et les accomplissements manqueront d’âme.
L’étude de la Torah permet cette croissance émotionnelle et spirituelle. Mais il y faut de la chaleur et de l’amour. Si nous pouvons transformer l’eau froide en sang, l’apathie en chaleur et enthousiasme, le terrain est alors fertile et nous sommes en route pour la libération.

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