Samedi, 14 janvier 2017

  • Vaye’hi
Editorial

 Pouvoir de l’homme

Après la lumière de ‘Hanoucca, suivant la célébration du 5 Tévèt, la semaine a commencé par une date porteuse de messages opposés : 10 Tévèt, jour de jeûne, anniversaire du début du siège de Jérusalem par les armées venues de Babylone. On connaît la suite dramatique : l’exil qui s’ensuivra. Pourtant, le jour même du 10 Tévèt présente une ambivalence qu’il faut relever. Le texte descriptif de l’événement indique qu’en ce jour « le roi de Babylone s’approcha de Jérusalem ». Le mot « s’approcha », à prendre ici au sens de « mettre le siège », peut se traduire aussi par « soutenir ». Il s’agit là de bien plus que d’une ambigüité. Le « roi de Babylone », indique les commentateurs, pouvait venir pour soutenir. Si les Juifs du temps l’avaient mérité, sa volonté de guerre se serait transformée en volonté de soutien. Certes, c’est malheureusement l’inverse qui se produisit mais, potentiellement, ce soutien existait bien. Comment comprendre cette double signification ?

Il y a ici, de façon implicite, une problématique très contemporaine.  Face à l’adversité, l’homme de ce temps est enclin à invoquer pêle-mêle la dureté de l’époque, la perversité ambiante ou les infortunes du hasard. Autant de démarches qui, malgré la part d ‘exactitude qu’elles peuvent détenir, n’en sont pas moins des façons plus ou moins subtiles d’éviter la question essentielle : qu’y puis-je vraiment, quel est mon pouvoir d’action ? Car il nous appartient de garder en tête cette notion : l’évolution des choses n’est jamais simplement une donnée externe, elle dépend de chacun. Le monde, son avenir ne sont que ce que nous en faisons. Tout événement est ainsi porteur de divers possibles, il convient alors de l’orienter dans le sens désirable. C’est là le pouvoir et la responsabilité de tout homme tant la liberté que D.ieu a donnée à Ses créatures est absolue.

Aujourd’hui, quand, à bien des égards, les ombres semblent monter, les choses devenir plus complexes que par le passé, l’idée est encore plus précieuse et nécessaire. L’homme est décidément au cœur de toute chose. A nous de choisir le bien, dans notre vie personnelle comme dans l’existence commune, le monde en sera changé, et les jours de jeûne transformés en jours d’allégresse.

Etincelles de Machiah

 La justesse du jugement

Isaïe (11 :4), décrivant l’œuvre de Machia’h, déclare : “Il jugera le pauvre avec justesse”. Le pauvre est ici désigné, en hébreu, par le terme “dal”. Il est celui qui ne parvient pas à se contrôler. Il sait discerner le bien et le mal mais il manque de la détermination nécessaire pour traduire cette compréhension dans la pratique quotidienne. Le mot qui le désigne, “dal”, souligne ce manque. La Torah (Lévitique 14 :21) le traduit ainsi : “Celui dont la main n’atteint pas”.

Cet homme spirituellement pauvre qui ne parvient pas à “se prendre en main” sera jugé par Machia’h, annonce le prophète. Mais ce jugement sera mené avec “justesse” car Machia’h relèvera ses circonstances atténuantes.

(d’après Likouteï Dibourim, vol. II, p. 645) 

Vivre avec la Paracha

 Vaye’hi

Yaakov passe les dix-sept dernières années de sa vie en Egypte. Avant de mourir, il demande à Yossef d’être enterré en Terre Sainte. Il bénit les deux fils de Yossef, Ménaché et Ephraïm, les élevant au même statut que ses propres fils : fondateurs des tribus du peuple d’Israël.

Il désire révéler la fin des temps à ses enfants mais il ne peut le faire.

Yaakov bénit ses fils, assignant à chacun son rôle en tant que tribu : Yehouda donnera naissance à des chefs, des législateurs et des rois. Les prêtres descendront de Lévi, des érudits d’Issa’har, des marins de Zevouloun, des enseignants de Chimon, des soldats de Gad, des juges de Dan, des producteurs d’olives d’Acher etc. Réouven est réprimandé pour avoir « dérangé la couche maritale de son père », Chimon et Lévi pour le massacre de Ch’hem et le complot contre Yossef. A Naphtali est attribuée la rapidité d’un cerf, à Binyamin la férocité d’un loup et Yossef est béni de beauté et de fertilité.

Une grande procession, faite des descendants de Yaakov, des ministres du Pharaon, des notables d’Egypte et de la cavalerie égyptienne, accompagne Yaakov dans son dernier voyage vers la Terre Sainte où il est enseveli, à ‘Hevron, dans la grotte de Ma’hpéla.

Yossef meurt, lui aussi en Egypte, à l’âge de 110 ans. Il a également donné des instructions pour être enterré en Terre sainte, mais cela ne se produira que bien longtemps après, lors de l’Exode des Juifs d’Egypte. Avant de mourir, Yossef confie aux Enfants d’Israël le testament d’où ils tireront espoir et foi pendant les difficiles années à venir : « Il est sûr que D.ieu Se rappellera de vous et vous sortira de cette terre (pour vous mener) vers la terre qu’Il a jurée, à Avraham, Its’hak et Yaakov ».

La Paracha de cette semaine renferme la bénédiction traditionnelle que donnent les parents à leurs fils, dans les foyers juifs : « Que D.ieu vous fasse semblables à Ephraïm et à Ménaché ».

Pourquoi cette bénédiction est-elle particulièrement choisie ?

Yaakov était descendu en Egypte où son fils Yossef occupait la fonction de vice roi. Il y constata que les fils de Yossef, Menaché et Ephraïm, se comportaient comme des enfants juifs, en dépit du fait qu’ils avaient été élevés au sein de la luxure égyptienne. Dans une vision prophétique, il vit que ses descendants, le Peuple juif au cours des âges, vivraient de longues périodes de leur histoire en exil. Il ordonna alors que les parents bénissent leurs fils pour qu’ils adoptent la conduite de ces deux enfants.

Quand Yossef conduisit ses fils auprès de son père pour qu’ils reçoivent sa bénédiction, il les plaça devant Yaakov selon l’ordre de leur naissance : Menaché à droite et Ephraïm à gauche. Mais Yaakov croisa ses mains et plaça sa main droite sur la tête d’Ephraïm. Quand Yossef protesta que Menaché était plus âgé, Yaakov lui répondit que Menaché serait grand mais qu’Ephraïm le surpasserait.

La clé, pour comprendre ce récit, réside dans les noms des deux frères. Menaché reçut son nom qui signifiait : « D.ieu m’a fait oublié… la totalité de la maison de mon père ». Menaché évoque le Juif qui ne cesse de se rappeler qu’il n’appartient pas à la terre sur laquelle il vit, que son véritable foyer est « la maison de son père », en Erets Israël. Il se peut que « la maison de son père » soit oubliée et qu’en pratique, il n’en sache que peu de choses. Mais il sait que là-bas est son foyer. Cette prise de conscience le distingue, le différencie des gens parmi lesquels il vit.

Ephraïm fut ainsi nommé parce que Yossef s’écria : « D.ieu m’a fait fructifier dans la terre de mon oppression ». Il est bien conscient qu’il se trouve « dans la terre de mon oppression » mais cela ne le gène pas. Au contraire, « il fructifie », transformant l’obscurité de son environnement en lumière, utilisant les éléments de la terre sur laquelle il vit pour avancer encore davantage en matière de Torah et de Mitsvot.

C’est pour cette raison que Yaakov donne la plus grande bénédiction à Ephraïm car il réalise que le but ultime est de faire briller l’exil lui-même. Si, en exil, il ne s’agissait que de nous rappeler notre situation antérieure, D.ieu ne nous y aurait alors pas envoyés. S’Il l’a fait, c’est parce que l’exil lui-même peut comporter des avantages. Utiliser ce qu’il renferme à des fins spirituelles permet de révéler la Divinité qui y est latente. Tel est le but des Juifs envoyés en exil et c’est Ephraïm qui permet la réalisation de ce projet.

Mais par ailleurs, il y a une raison pour laquelle Yossef veut souligner les qualités de Menaché.

En effet, quand Ephraïm peut-il réussir à transformer l’obscurité de l’exil en lumière ? Quand il sait qu’il a un frère, Menaché, qui, sans cesse, lui rappelle son identité et ses racines juives. Livré à lui-même, Ephraïm pourrait être englouti par l’exil. Après tout, il s’y intègre bien. Menaché lui permet de prendre conscience que s’il est là, c’est qu’il y a un but et cela facilite l’accomplissement de ce dessein.

Au niveau de l’action, nous devons accomplir le service divin à la fois de Menaché et d’Ephraïm. Nous commençons notre journée par la prière et l’étude, établissant le lien avec notre identité juive, le service de Menaché. Et puis nous nous livrons à nos activités quotidiennes, menant à bien le service d’Ephraïm et transformant l’obscurité en lumière.

Perspectives

La conclusion de la lecture de la Torah de cette semaine, qui conclut également tout le livre de Béréchit (la Genèse), relate la façon dont Yossef dit à ses frères : « Je meurs. D.ieu se souviendra assurément de vous et vous fera sortir de cette terre (pour vous mener) vers la terre qu’Il a juré (de donner) à Avraham, Its’hak et Yaakov ».

Yossef affirme clairement à ses frères que malgré les réalisations positives que l’on peut exécuter en exil, cela n’en reste pas moins l’exil. Ce n’est pas un lieu naturel pas plus qu’un lieu ultime. Ce n’est qu’une résidence temporaire. Il est évident que pendant que nous y sommes, nous devons utiliser tous les moyens possibles dans une intention divine, comme cela a été exposé plus haut, mais cela ne correspond pas à ce que nous sommes vraiment.

C’est encore plus vrai aujourd’hui, alors que nous nous trouvons au seuil de la Rédemption, et véritablement dans le processus qui consiste à traverser ce seuil. Nous devons être conscients de la nature temporaire de notre exil et de son but ultime : raffiner le monde et le préparer pour la Rédemption. 

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que le jeûne du 10 Tévet (cette année dimanche 8 janvier 2017) ?

En ce jour funeste commença le siège de la ville sainte de Jérusalem par l’armée babylonienne, sous les ordres de Nabuchodonosor en 3336 (425 ans avant le début de l’ère commune).

A cause de sa gravité – puisqu’il marque le début de la destruction et de l’exil – il ne peut être repoussé à une date ultérieure (comme les jeûnes du 17 Tamouz et du 9 Av) ou avancé à une date précédente (comme le jeûne d’Esther). C’est le seul jeûne qui peut tomber un vendredi - donc veille de Chabbat. Du fait de sa gravité, il aura d’ailleurs une place de choix quand les jours de jeûne seront transformés en jours de joie avec la venue de Machia’h.

Le but du jeûne est que même le corps physique ressente « la diminution de la graisse et du sang ». On ne mange pas et on ne boit pas. On ne se rince pas la bouche. Mais on peut se laver sans restriction.

Les enfants qui n’ont pas encore atteint l’âge de la Bar ou Bat Mitsva (les filles dès 12 ans et les garçons dès 13 ans) ne jeûnent pas. Les personnes fragiles, les femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher ou qui allaitent ne jeûnent pas. Même ceux qui ont la permission de manger s’abstiendront de manger des friandises.

Le jeûne commence à l’aube, dimanche 8 janvier 2017 (7h00 heure de Paris) et se termine à la tombée de la nuit (17h57 heure de Paris).

Dans la prière du matin, on récite les Seli’hot spéciales de ce jour après le Ta’hanoun ainsi que « le grand Avinou Malkénou ». Puis on lit dans la Torah le passage Vaya’hel (Chemot - Exode 32 : 11 jusqu’à 34 : 1). Seul celui qui a jeûné peut être appelé à la Torah.

Durant la prière de Min’ha (l’après-midi), on lit dans le rouleau de la Torah le chapitre Vaya’hel. Dans la Amida, on ajoute le passage Anénou (« Réponds-nous, Éternel au jour de notre jeûne car nous sommes dans une grande peine… »).

On récite le Ta’hanoun et « le grand Avinou Malkénou ».

Comme tous les jours de jeûne, on procédera à un examen de conscience approfondi et on évitera de se mettre en colère. On augmentera les dons à la Tsedaka (charité). Rabbi Chnéour Zalman explique qu’un jour de jeûne est aussi un jour de bienveillance divine. Comme ce jeûne du 10 Tévet est particulièrement important, on comprend que la Techouva (retour à D.ieu) procurée par ce jeûne est aussi d’un niveau plus élevé.

Dans de nombreuses communautés, ce jeûne est associé au souvenir des martyrs de la Shoah. 

Le Recit de la Semaine

 Croyez-vous dans les coïncidences… ?

Il y a exactement 28 ans, en novembre 1988, Aharon Amzalag de Sydney (Australie) se rendit à New-York. Il venait officialiser les fiançailles de sa fille Miryam avec un jeune homme originaire du Venezuela, Moché Moskowitz.

Le jour où les deux jeunes gens décidèrent de se fiancer (après un Chidou’h en bonne et due forme donc plusieurs rencontres organisées par leurs parents respectifs), Aharon Amzalag partit informer le Rabbi de la bonne nouvelle. Des milliers de gens se pressaient chaque jour pour apercevoir le Rabbi, lui demander des bénédictions et recevoir de sa main un dollar à distribuer à la Tsedaka (charité). Durant les quelques secondes où chacun se trouvait face à face avec le Rabbi, il pouvait en profiter pour poser une question ou exprimer une courte requête : le Rabbi répondait brièvement tandis que la ligne progressait et que d’autres personnes se présentaient devant le Rabbi.

Quand M. Amzalag arriva devant le Rabbi, il annonça avec un sourire radieux : « Ma fille est devenue Kalla (fiancée) aujourd’hui ! ». Le Rabbi lui donna un dollar et, comme à son habitude, le bénit pour que le mariage se passe dans les meilleures conditions possibles, dans un « moment favorable ».

Heureux de cette bénédiction, Aharon Amzalag se remit à marcher en serrant le dollar dans sa main tandis que la personne suivante dans la queue arrivait devant le Rabbi : il s’agissait de Rav Mendel Itkin de Los Angeles. Ni l’un ni l’autre ne se connaissaient. A ce moment, le Rabbi rappela Aharon Amzalag, tout en tendant un dollar supplémentaire qu’il désirait apparemment lui remettre en l’honneur des fiançailles de sa fille. Mais M. Amzalag n’entendit pas qu’on l’appelait et il y eut alors un moment de confusion : le Rabbi tendait le dollar, la queue s’interrompit, M. Itkin s’arrêta net lui aussi. Il cherchait à rappeler M. Amzalag mais celui-ci avait déjà avancé et lui ne savait trop comment agir.

Finalement, le Rabbi donna le fameux dollar destiné initialement à M. Amzalag à M. Itkin.

C’est alors que M. Amzalag entendit qu’on le rappelait et retourna sur ses pas ! Le Rabbi lui tendit alors un autre dollar en précisant : « Celui-ci est pour la jeune fiancée ». Puis le Rabbi prit un troisième dollar et le tendit à M. Amzalag : « Pour le fiancé ! ». Mais avant de le remettre à M. Amzalag, le Rabbi prit un quatrième dollar et lui tendit les dollars numéros 3 et 4 en lui demandant : « Kest ? » (un mot en yiddish qui signifie : la dot, l’argent nécessaire pour le mariage ou plutôt l’aide financière que le beau-père est supposé fournir à son gendre pour les premières années).

Ravi, M. Amzalag sourit en recevant ces deux dollars supplémentaires puis avança. Le Rabbi semblait sourire, rire même en remarquant : « Il ne sait pas ce que signifie le Kest ! ». Quant à M. Itkin, il avait donc déjà reçu son dollar et il continua son chemin lui aussi.

Récapitulons : le Rabbi avait donné quatre dollars à M. Amzalag : un pour lui-même, un pour sa fille et deux pour son gendre. Tandis qu’un cinquième dollar que le Rabbi avait eu l’intention de lui donner fut finalement donné à quelqu’un de Los Angeles, M. Itkin…

Cet échange mystérieux n’avait rien d’une erreur ! Ce n’est que treize ans plus tard, en 2001 que ce M. Mendel Itkin de Los Angeles se maria avec Aviva, l’autre fille de M. Amzalag !

Ainsi le dollar qui avait été destiné à la première fille de M. Amzalag parvint au mari de la seconde fille ! Qui aurait pu imaginer que dans cette foule de milliers de personnes qui se pressaient dans la synagogue du Rabbi, deux personnes que le destin unirait treize ans plus tard se suivraient ainsi dans la queue - « par hasard »… ! Le dollar supplémentaire « pour le fiancé » était destiné au prochain fiancé dans la maison de M. Amzalag car au Ciel, un autre mariage avait déjà été prévu dans cette famille…

Et c’était pour cela sans doute que le Rabbi ne put s’empêcher de rire car, à l’époque, personne ne pouvait comprendre ce qui se passait - sauf lui…

Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! Tout ceci avait été enregistré par la vidéo et les personnes que nous évoquons n’en étaient pas conscientes jusqu’il y a quelques semaines… quand quelqu’un visionna cet extrait vidéo sur YouTube, reconnut les personnes impliquées et leur envoya la cassette. Les futurs beau-père et gendre s’étaient tenus côte à côte devant le Rabbi sans le savoir mais le Rabbi savait ! Il avait même déjà arrangé le Chidou’h des années en avance !

Le moment choisi par la Providence Divine ne pouvait mieux tomber puisque quelques jours après cette découverte, Mendel Itkin décédait à la suite d’une grave maladie. Mais il avait encore pu réaliser combien le Rabbi s’était occupé de lui des années auparavant. Ce fut sans doute la dernière bonne nouvelle qui adoucit quelque peu ses derniers moments sur terre.

Ceci nous démontre une fois de plus (si c’était nécessaire) que le hasard n’existe vraiment pas…

Traduit par Feiga Lubecki

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