Samedi, 11 janvier 2025

  • Vaye’hi
Editorial

 Du 5 au 10 Tévèt

Il nous est donné de vivre une semaine bien contrastée, presque paradoxale. Nous l’avons entamée avec le 5 Tévèt, la fête de la « libération des livres » dont on a abondamment commenté le sens et la portée, et cela a donné une coloration festive à tous les jours qui ont suivi. Pourtant, voici qu’à sa conclusion, la même semaine débouche sur le jeûne du 10 Tévèt, jour grave car il marque le début de la chute de Jérusalem : c’est à cette date que le siège de la ville commença et on connaît l’aboutissement de cette terrible histoire. Sommes-nous donc condamnés à sauter d’une émotion à l’autre, sans même parvenir à voir la moindre continuité entre les événements qui les motivent ? Ou peut-être est-ce justement l’occasion d’y porter un autre regard ?

Le 5 Tévèt et son issue heureuse ont été précédés par un long temps d’inquiétude et d’incertitude. Nul ne savait quelle allait être la conclusion : les livres allaient-ils être restitués à leur lieu naturel, la bibliothèque du Rabbi, ou allaient-ils être réduits au statut de bien privé à valeur financière ? L’enjeu était d’abord spirituel et la victoire eut des implications du même niveau. Pendant toute la durée du combat, l’effort et la tension furent visibles, mais cela ne porta atteinte à aucun instant à la confiance profonde de chacun : le bien et la justice vaincraient. Et c’est ce qui se produisit effectivement.

Quant au 10 Tévèt, on a rappelé le drame qu’il représente, dont l’écho résonne jusqu’à aujourd’hui. Est-ce à dire que le désespoir, et donc le renoncement, doit l’emporter dans notre conscience ? Les mots employés par nos textes pour décrire ce jour répondent à la question, en traduction littérale : « en ce jour », disent-ils, « le roi de Babylone s’approcha de Jérusalem. » Le terme utilisé pour exprimer l’idée de mettre le siège est « s’approcha », qui peut signifier aussi « soutenir ». D’une certaine manière, cela dépend de nous : le négatif et le positif sont ainsi entre nos mains. Du drame peut naître la renaissance de la même façon que de la nuit apparaît la plus belle et la plus grande des lumières.

Il nous appartient donc de regarder l’avenir et de savoir y lire les avancées du bonheur et de la paix. Comme bien souvent, à nous d’agir !

Etincelles de Machiah

 « Pleine de rire »

Evoquant le temps de Machia’h, les Psaumes (126 : 2) annoncent : « Alors, notre bouche s’emplira de rire ». Il faut souligner que ce rire-là a un sens et une motivation profondes.

En effet, la valeur numérique du mot « rire » en hébreu est de 414. C’est aussi celle des mots « Ohr Ein Sof » qui signifient « Lumière Infinie » et font référence à l’Essence Divine. Cette équivalence indique que la signification véritable de ce « rire » est la révélation de D.ieu.

(d’après Likoutei Torah, Bamidbar, p. 19d)

Vivre avec la Paracha

 Vaye’hi

Yaakov passe les dix-sept dernières années de sa vie en Egypte. Avant de mourir, il demande à Yossef d’être enterré en Terre Sainte. Il bénit les deux fils de Yossef, Ménaché et Ephraïm, les élevant au même statut que ses propres fils : fondateurs des tribus de la nation d’Israël.

Il désire révéler la fin des temps à ses enfants mais il ne peut le faire.

Yaakov bénit ses fils, assignant à chacun son rôle en tant que tribu : Yehouda donnera naissance à des chefs, des législateurs et des rois. Les prêtres descendront de Lévi, des érudits d’Issa’har, des marins de Zevouloun, des enseignants de Chimone, des soldats de Gad, des juges de Dan, des producteurs d’olives d’Acher, etc.

Réouven est réprimandé pour avoir « dérangé la couche maritale de son père », Chimone et Lévi pour le massacre de Che’hem et le complot contre Yossef. A Naphtali est attribuée la rapidité d’un cerf, à Binyamine la férocité d’un loup et Yossef est béni de beauté et de fertilité.

Une grande procession, constituée des descendants de Yaakov, des ministres du Pharaon, des notables d’Egypte et de la cavalerie égyptienne, accompagne Yaakov dans son dernier voyage vers la Terre Sainte où il est enseveli, à ‘Hévron, dans la cave de Ma’hpéla.

Yossef meurt, lui aussi en Egypte, à l’âge de 110 ans. Il a également donné des instructions pour être enterré en Terre Sainte, mais cela ne se produira que bien longtemps après, lors de l’Exode des Juifs d’Egypte. Avant de mourir, Yossef confie aux Enfants d’Israël le testament d’où ils tireront espoir et foi, pendant les difficiles années à venir : « Il est sûr que D.ieu Se rappellera de vous et vous sortira de cette terre (pour vous mener) vers la terre qu’Il a jurée, à Avraham, Yits’hak et Yaakov ».

Plus de banquets ; vous êtes désormais seuls

Vers la fin de la Paracha de cette semaine, Vaye’hi, la Torah relate qu’après le décès de Yaakov, les frères de Yossef craignaient qu’il ne cherche à se venger d'avoir été vendu en Égypte. Ils vinrent donc vers lui et lui dirent : 

« Ton père a donné cet ordre avant sa mort, en ces termes : ‘ainsi vous direz à Yossef, je t’en prie, pardonne l'offense de tes frères et leur péché ; car ils ont agi mal envers toi. Et maintenant nous te prions, pardonne l'offense des serviteurs du D.ieu de ton père. » (Vaye’hi 50 : 16-17).

Lorsque Yossef prit connaissance des soupçons de ses frères à son égard, il pleura et leur fit comprendre sans ambiguïté qu'il ne les tenait pas responsables de ses souffrances. 

Il est étonnant qu'après dix-sept années passées ensemble, depuis le moment où il leur révéla être le vice-roi d'Égypte jusqu'au décès de Yaacov, ils continuaient à craindre que Yossef ne cherche à se venger. Yossef avait tout fait pour montrer son amour et son affection envers eux en les soutenant matériellement et affectivement. Cela montrait qu'il n'éprouvait aucune rancune à leur égard. Qu'est-ce qui put provoquer un tel changement après la mort de Yaakov ? 

Rachi aborde cette question et répond qu'aussi longtemps que Yaakov était vivant, il partageait des repas avec ses frères. Après leur retour de l’enterrement de Yaakov, Yossef cessa de les convier à sa table. Cela fut perçu par ces derniers comme un indicateur d’une évolution dans l'attitude de Yossef. Tant que Yaakov vivait, ils supposaient que Yossef faisait preuve de tolérance et feignait l'affection afin de préserver l'unité familiale aux yeux de leur père. Mais avec le décès de celui-ci, leur crainte du désir de vengeance de Yossef ressurgit. 

Cependant, la réponse de Rachi soulève une question supplémentaire : pourquoi Yossef changea-t-il son habitude d'inviter ses frères à sa table ? S’il éprouvait véritablement amour et respect pour eux, pourquoi s'éloigna-t-il en ne les recevant plus comme auparavant ?

Le Midrach - qui constitue vraisemblablement la source du commentaire de Rachi ici - fournit une réponse simple à cette interrogation. Voici des mots librement adaptés du Midrach :  

Respect pour le père

Lorsque Yaakov était vivant, il veillait à ce que lors de ces repas communs, Yossef - en tant que roi - soit assis à la tête de la table. Cette situation plaçait Yossef dans un profond inconfort car il ne souhaitait pas occuper une meilleure place que ses aînés. Bien qu'il eût prédit un jour que ses frères se prosterneraient devant lui, son humilité - et peut-être la crainte que cela ravive l'ancienne animosité chez ses frères - le rendait mal à l’aise face à cette disposition. Toutefois, il n'avait guère le choix ; c'était le désir exprimé par son père. Par respect pour celui-ci, il s’assit donc à la place d'honneur.

Mais maintenant que son père n’était plus présent parmi eux, il ne pouvait se résoudre à affirmer sa supériorité sur ses frères. Pour éviter une situation embarrassante quant à savoir qui devrait occuper cette position honorifique lors des repas familiaux, il décida donc de cesser les invitations.

Le retour de la famine

On pourrait également suggérer que la décision de Yossef d'interrompre ses invitations adressées à ses frères pourrait être attribuée à un autre facteur très pragmatique : la principale responsabilité de Yossef consistait à assurer la subsistance non seulement pour l’Égypte mais aussi pour les nations voisines, touchées par la famine dévastatrice qui sévissait alors. Il n'avait guère le temps ni l'opportunité de célébrer des banquets ou mener une vie sociale active. Depuis l'arrivée de Yaakov en Égypte et jusqu'à sa mort, la famine avait miraculeusement cessé avant de revenir avec toute sa rigueur à son décès.

Ainsi pouvons-nous comprendre pourquoi Yossef ne convia plus ses frères aux repas comme auparavant ; tant que Yaakov était présent parmi eux, Yossef pouvait concilier sa responsabilité essentielle envers le peuple égyptien tout en ayant encore suffisamment du temps pour entretenir des relations familiales chaleureuses autour d'un dîner royal. Désormais, face au retour imminent de la famine, Yossef devait renoncer aux plaisirs sociaux.

Douze directions

Il pourrait exister une troisième raison plus profonde justifiant le changement d'attitude adopté par Yossef envers ses frères.

Yossef percevait chez eux des tempéraments variés, représentant ainsi différentes approches face aux défis existentiels. Il savait pertinemment que ces individus constitueraient le noyau fondateur d'une nation juive, non seulement destinée à recevoir la Torah mais également investie du devoir sacré de transformer le monde en une Résidence divine. Yossef comprenait également que pour réaliser cette mission, il fallait douze approches distinctes. Effacer les différences individuelles sous prétexte d’unité s’avérerait nuisible tant pour eux-mêmes que pour notre monde et serait finalement contre-productif par rapport à l’objectif même visant cette unité. D.ieu souhaite voir nos talents individuels pleinement cultivés.

Par ailleurs, il est tout aussi crucial de veiller à ce que nos divers talents ainsi que nos approches divergentes ne donnent jamais lieu à une disharmonie. Il est impératif qu’il existe un sentiment partagé selon lequel ces douze voies doivent converger vers une finalité commune : faire émerger dans notre monde la Présence Divine révélée. Telle est effectivement notre vision juive concernant l'Ere Messianique. Pour favoriser cette unité, il est impératif de se remémorer notre origine commune ; nous sommes tous issus d’Avraham, Yits’hak et Yaakov, que ce soit sur le plan spirituel ou biologique.

Ainsi, tant que Yaakov demeurait parmi eux, il était essentiel qu’ils partagent leurs repas afin de favoriser une compréhension mutuelle qui leur permettrait de reconnaître qu’ils forment véritablement un seul peuple. Toutefois, Yossef était également conscient que si jamais ils restaient constamment réunis sous son aura puissante et omniprésente, cela entraverait leur développement individuel. Yossef craignait que sa présence écrasante ne provoque un étouffement identitaire. Afin de remédier à cela, Yossef opta plutôt de laisser chacun mener son existence individuelle.

Multidimensionnels mais unis

Nous vivons actuellement une période décisive. Toutefois, nous formons un peuple multiple car chaque individu exprime la lumière infinie divine selon une manière unique.

Néanmoins, deux éléments sont essentiels. Tout d’abord, nos disparités ne doivent jamais conduire à un sentiment de fragmentation, à une division entre nous. Nous devons toujours garder conscience de notre origine historique et de notre destinée commune.

Par ailleurs, il demeure essentiel de réaliser que tant nos différences que notre unité doivent reposer sur un objectif commun : amener le Machia’h, par la pensée, les paroles et les actions conformes à la Volonté divine. Surtout durant ces périodes critiques, nous devons tous nous engager à renforcer l’observance du Judaïsme, dans un esprit de solidarité et d’unité.

Le Coin de la Halacha

 Comment se conduire dans une synagogue ?

On se conduit correctement dans une synagogue, même quand il ne s’y déroule pas un office. On veillera à avoir des vêtements corrects : les garçons et les hommes se couvriront la tête d’une Kippa ou d’un chapeau ; les femmes mariées se couvriront entièrement les cheveux. On veillera à la correction de ses paroles ; on n’y discutera pas de sujets futiles ni, bien sûr, de médisance. On ne mange pas et on ne boit pas dans une synagogue sauf si c’est pour se restaurer pendant qu’on étudie la Torah et qu’on ne veut pas perdre de temps de son étude ou dans le cas d’un repas de Mitsva.

Celui qui veut appeler un ami dans la synagogue prononcera au préalable un verset ou une parole de Torah ou demandera à un enfant présent de lui raconter ce qu’il a appris à l’école juive ce jour. A tout le moins, on restera assis quelques instants par respect.

On ne se servira pas de la synagogue pour un spectacle ou une réunion futile sans rapport avec la sainteté du lieu.

On ne se réfugiera pas dans une synagogue pour se protéger du froid, de la chaleur, de la pluie ou de la neige - à moins d’y réciter des paroles de Torah. De même, on ne s’en servira pas pour raccourcir son trajet ou pour attendre quelqu’un.

(d’après Rav Yossef S. Ginsburgh – Si’hat Hachavoua N° 1853)

Le Recit de la Semaine

 Lever de soleil

Sa mère avait eu de mauvaises expériences dans son enfance et en avait retiré une aversion pour toute forme de religion. Donc Danny grandit sans aucune connaissance de base du judaïsme. Adolescent, il déménagea en Utah où il rencontra le mouvement Loubavitch : il s’intéressa, participa à des cours de Torah et à des fêtes comme Pessa’h, Roch Hachana et les repas de Chabbat. Par la suite, il déménagea encore et, en route, perdit le peu de judaïsme qu’il venait d’acquérir.

Plus de vingt ans passèrent sans Séder de Pessa’h, sans lecture de la Méguila, sans repas de Chabbat jusqu’à ce qu’il nous rencontre et renouvelle son intérêt pour le judaïsme. Ce fut assez bluffant de le voir revenir à toute allure avec les gestes, la façon de parler et de prier qui lui avaient été si familières, comme si vingt ans ne s’étaient pas écoulés, comme s’il avait toujours baigné dans cette atmosphère si chaleureuse. Il participait à tous nos cours, tous nos projets, toutes nos initiatives en faveur de notre petite communauté.

A Roch Hachana, Danny s’engagea à mettre les Téfilines tous les jours. Il s’acheta une belle paire et tint à les mettre chaque jour avant d’aller au travail. Il s’était engagé et tint fidèlement sa promesse.

Une fois, Danny décida de prendre un jour de vacances pour rendre visite à sa famille à quelques heures de là. Comme il aimait la nature, il se leva très tôt et se dirigea vers la plage dans l’espoir de jouir d’un magnifique lever de soleil sur la plage. Les autoroutes étaient vides, c’était un vrai plaisir de conduire tout en admirant le paysage si serein et silencieux. Soudain, il se souvint : les Téfilines ! Il était parti si tôt le matin qu’il n’y avait même pas pensé. Retourner les chercher, cela signifiait encore une heure aller, une heure retour, donc deux heures de perdues dans son programme et le risque de rater le spectacle somptueux du soleil levant auquel il s’était réjoui de pouvoir assister. Il ne pouvait pas retourner en arrière, il était trop tard.

Il continua donc sa route, le cœur lourd, ne pouvant s’empêcher de penser aux Téfilines et à sa bonne résolution de Roch Hachana. Finalement, il arriva à la plage qu’il avait repérée sur la carte alors que le soleil se levait majestueusement : mais il ne pouvait même pas apprécier cet instant magique à cause de son sentiment de culpabilité.

Danny avait été certain que la plage lui appartiendrait si tôt le matin, que personne d’autre ne se serait levé aussi tôt. Quelle ne fut pas sa surprise d’apercevoir une silhouette debout sur la plage, sans doute aussi fascinée par ce lever de soleil. Danny regarda de plus près et n’en crut pas ses yeux : mais oui, on aurait dit, enfin c’était vraiment la forme d’un homme portant Talit et Téfilines et se penchant d’avant en arrière comme s’il priait…

Le cœur battant, Danny se frotta les yeux puis courut vers lui, attendit qu’il finisse sa prière puis lui tapa gentiment sur l’épaule. Surpris, l’homme se retourna vers Danny et pâlit quand celui-ci lui demanda :

- Comment allez-vous ? Puis-je vous emprunter vos Téfilines ?

Soulagé, l’homme sourit et prêta ses Téfilines à Danny non sans constater avec satisfaction que celui-ci savait les mettre, savait prier et n’oubliait pas de les plier correctement puis de les embrasser avant de les ranger dans leur pochette en velours. Tous deux se photographièrent devant le soleil levant, se serrèrent la main puis retournèrent chacun dans sa voiture. Danny arborait maintenant un sourire éclatant, ne parvenant pas à croire dans sa « chance », dans l’ange envoyé du ciel qui lui avait permis d’honorer sa bonne résolution.

Par la suite, quand il raconta son histoire, il fut facile de déduire que « l’ange » était un fidèle de la communauté de Rav Zirkind de la ville de Fresno (Californie). Rav Zirkind me raconta que cet homme et sa femme étaient en route vers le sud et s’étaient arrêtés près de la plage déserte pour prier.

- Je ne me sens pas très à l’aise de prier en public, avait remarqué l’homme. Il y a tellement d’antisémitisme autour de nous en ce moment. Je vais juste prier rapidement dans la voiture.

- Mais non ! avait protesté sa femme. Crois-tu vraiment que le Rabbi serait content de toi pelotonné dans la voiture au lieu d’afficher fièrement ton judaïsme à l’extérieur ?

Pas vraiment convaincu, l’homme l’avait pourtant écoutée et avait prié avec Talit et Téfilines sur la plage qui, finalement, n’était pas si déserte… Quand Danny lui avait tapé sur l’épaule, il avait d’abord craint d’être agressé par un rôdeur. Mais ce n’était que Danny, un coreligionnaire à qui il pouvait rendre un immense service…

Chacun avait agi comme un messager envoyé du ciel pour l’autre. Danny avait pu accomplir sa promesse et l’autre homme avait constaté avec stupéfaction la puissance de l’inspiration causée par sa fierté juive.

Rav Mendel Liberow – South County Morgan Hill (Californie) - COLlive

Traduit par Feiga Lubecki