Jour de vie
Les grands événements ont ce point de commun de changer de nature au fil des années. Lorsqu’ils interviennent, leurs contemporains en perçoivent avec force toute la grandeur, le caractère exceptionnel et l’importance pour chacun. Puis arrive le premier anniversaire et tous revivent les péripéties – et parfois les vicissitudes – traversées et conviennent qu’une telle commémoration était nécessaire. Année après année, comme inéluctablement, les sentiments les plus vrais des hommes sincères finissent par s’user. La commémoration se maintient donc beaucoup par sens du devoir, un peu par habitude. Et vient le temps où l’on entend qu’il s’agit là d’histoire ancienne, que cela eut une importance évidente en son temps mais qu’il faut maintenant y lire, y comprendre autre chose. Les temps n’ont-ils pas changé ? De fait, tel est le destin des hommes et de leur mémoire – comme, du reste, de toute chose créée – l’éternité ne leur appartient pas.
Pourtant, voici que vient le 19 Kislev. Un jour de célébration comme les autres dira-t-on ? L’anniversaire de la libération de prison, dans la Russie tsariste, de Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi, l’auteur du Tanya, le fondateur de la ‘Hassidout ‘Habad au dix-neuvième siècle, déclaré Roch Hachana de la ‘Hassidout, précisera-t-on ? Cependant, voici qu’il revient non comme la commémoration obligée d’un jour jadis grandiose mais bien comme la fête de notre temps, la plus belle, celle du cœur et de l’esprit unis dans une célébration de liberté. Tout se passe comme si le passage des années n’avait pas de prise sur elle, plus encore, comme s’il ne faisait qu’y ajouter sens et puissance pour des couleurs d’émotion toujours plus fortes et une énergie de la pensée toujours plus grande.
Il est loisible de s’interroger. Pourquoi un tel jour n’en vient-il pas à vieillir ? Pourquoi chacun peut-il le vivre avec toute la solidité du passé, la certitude de l’instant présent et l’assurance de l’avenir ? Peut-être la réponse tient-elle en un mot ? La ‘Hassidout. Domaine d’étude et chemin du service de D.ieu, sens profond et essentiel de la Torah, véritable et puissante énergie apte à révéler profondément celle de l’âme, elle ne se plie pas aux catégorisations faciles de moderne ou d’ancien. Elle se contente d’être cette lumière sur le chemin, cette flamme qui nous guide et nous anime, cet écho dans un chant ‘hassidique ou cet enthousiasme au cœur du rite et de l’étude. Elle est l’héritage de tous et une clé : celle du temps de toute Sagesse, le temps de Machia’h.
Le cerveau et le cœur
Il est souvent expliqué que l’exil présente un certain nombre d’aspects positifs : il est «une chute pour permettre une élévation supérieure», il manifeste «la supériorité de la lumière qui provient de l’obscurité» etc. Toutefois, toutes ces explications s’adressent au cerveau. Pour les sentiments du cœur, l’amertume de l’exil les rend toutes inacceptables.
C’est pourquoi, bien que ces explications aient été données et comprises, le peuple juif ne cesse de demander que l’exil se termine enfin et que la Délivrance arrive.
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch –
Chabbat Parchat Nitsavim 5741) H.N.
Vayichlah : La richesse juive
Comment la Torah perçoit-elle la richesse ? Comment considère-t-elle celui qui travaille très dur pour amasser de la richesse ? Ne devrait-il pas passer son temps à se consacrer à des occupations exclusivement spirituelles ?
La Paracha de cette semaine qui commence avec la rencontre fatidique entre Yaakov et Essav apporte une réponse à cette question.
Bien des années auparavant, Yaakov avait fui son frère Essav pour échapper à sa colère. Essav ressentait à tort avoir été lésé de son droit d’aînesse et des bénédictions de son père et il voulait tuer Yaakov. Yaakov avait donc dû se rendre auprès de son oncle Lavane, très loin vers l’est, à ‘Haran. Il s’y était marié, avait fondé une famille et avait prospéré. Il avait amassé de grands troupeaux de moutons et de bétail. Maintenant, il retournait chez lui, à Canaan.
Sur le chemin du retour, il dut faire face à une confrontation avec son frère Essav. Seraient-ils en paix ? Certainement mais peut-être pas immédiatement. On informa Yaakov qu’Essav se dirigeait vers lui, à la tête d’une armée hostile. Il procéda à des plans d’urgence. Il décida de lui envoyer un cadeau de paix de plusieurs têtes de différentes espèces de bétail, accompagné d’un message de conciliation : «Ainsi parle ton serviteur Yaakov : j’ai vécu temporairement avec Lavane et j’y suis resté jusqu’à maintenant. Je possède des bœufs et des ânes, des moutons, des serviteurs et des servantes et je t’envoie ce présent pour trouver faveur à tes yeux».
Les Sages s’interrogent : pourquoi Yaakov souligna-t-il que son séjour avait été temporaire ?
Ils répondent qu’ainsi Yaakov disait quelque chose sur la nature de la richesse qu’il avait amassée. Il est vrai qu’il avait travaillé dur, très dur et qu’il était devenu très riche. C’est pour cette raison qu’il envoyait un cadeau généreux à son frère. Mais il voulait également lui transmettre quelque chose sur son attitude par rapport à sa richesse. Les choses de ce monde sont importantes. Mais elles ne sont que temporaires.
Yaakov indiquait à son frère que le but principal de la vie n’est pas la richesse en soi mais la manière dont on peut en utiliser le moindre détail dans son service divin.
En fait la phrase : «j’ai vécu temporairement» s’exprime en hébreu par un terme unique : garti, qui possède la valeur numérique de 613. Yaakov disait ainsi : «j’ai vécu chez Lavane, l’idolâtre, je me suis consacré à subvenir aux besoins de ma famille et je suis devenu très riche. Mais le véritable but en était d’observer les 613 Commandements».
Dans l’esprit du Judaïsme, la richesse n’est pas le but, elle est le moyen ; le moyen de créer la belle atmosphère d’une maison juive, avec des enfants heureux et des invités réunis autour de sa table, le moyen de pouvoir donner du temps, de l’attention, de l’amour, une éducation juive, la charité, de pouvoir être capable de partager dans la communauté et de jouer son rôle pour le bien-être de tous.
Tel était le message de Yaakov à son frère Essav, parce qu’en dernier ressort, il s’agit du message du Juif au monde.
Une cause au-delà de l’entendement
Treize ans est l’âge auquel un garçon juif devient bar mitsva («fils du commandement»). A cette étape de sa vie, son esprit atteint le niveau de daat, la maturité de la conscience et de la compréhension qui rend l’individu maître de ses actes. A partir de là, il est un «homme», astreint aux commandements divins qui rendent un être humain responsable pour remplir sa mission dans la vie.
L’âge de daat prend sa source dans Béréchit, au chapitre 34, verset 25 où la Torah se livre au récit de la destruction de la ville de Ch’hem, entreprise par Chimone et Lévi en représailles pour l’abus commis sur leur sœur, Dina. Le verset narre : «au troisième jour… les deux fils de Yaakov, Chimone et Lévi, les frères de Dina, prirent chacun leur épée, et attaquèrent la ville avec confiance…». Le mot «homme» (ich) est utilisé comme s’appliquant aux deux frères, dont le plus jeune, Lévi, était alors âgé d’exactement treize ans. C’est donc ici que la Torah considère qu’un jeune homme de treize ans est un homme. (Nos Sages calculent qu’en ce qui concerne les jeunes filles qui mûrissent plus tôt, douze ans est l’âge du discernement.)
Mais le contexte d’où cette loi est tirée, semble quelque peu surprenant. L’acte de Chimone et de Lévi apparaît difficilement comme un exemple de daat. En effet, Yaakov, lui-même le dénonça comme irrationnel et immature et comme posant une question légitime quant au respect de la loi de la Torah dans des termes sévères : « Et Yaakov dit à Chimone et à Lévi : ‘vous m’avez sali, en me rendant odieux aux yeux des habitants du pays… Je suis surpassé par leur nombre, ils vont se grouper contre moi et me châtier et je serai détruit, moi et ma maisonnée’» (Beréchit 34 :30) et « Chimone et Lévi sont frères : instruments de la violence dans leur combat. Que mon âme ne se soumette pas à leur conseil, que mon honneur ne s’unisse pas à leur assemblée ; car dans leur colère, ils ont puni un homme et de manière délibérée, ils ont estropié un bœuf. Maudite soit leur colère, car elle est féroce et leur furie car elle est cruelle » (ibid., 49 :5-7).
Et pourtant, c’est ce même événement que choisit la Torah pour nous enseigner quel est l’âge de la raison, de la maturité, de la responsabilité et de l’engagement dans l’accomplissement des Mitsvot !
Le fondement
Comme le répondirent Chimone et Lévi à Yaakov, la situation qui occasionna leur acte ne leur permettait pas le luxe de considérations raisonnables et des conséquences. L’intégrité d’Israël était en jeu et les frères de Dina n’eurent aucune pensée à l’égard de leur propre personne, à la menace qui pèserait sur leur intégrité physique ou sur leur intégrité spirituelle à cause de la violence de leur acte. En fin de compte, leur réaction instinctive, émanant du plus profond de leur âme, plus profond que la raison, plus profond que la préoccupation personnelle, fut validée : D.ieu toléra leur action et leur vint même en aide.
C’est là le message que la Torah souhaite transmettre quand vient l’âge de raison et l’obligation des Mitsvot. Rares sont les individus appelés à agir comme Chimone et Lévi. Ce n’est pas la norme, bien plus la norme l’interdit. Mais l’essence de cet agissement devrait imprégner notre vie rationnelle. Chacune de nos Mitsvot doit être imprégnée du même sacrifice de soi et de la même profondeur dans l’engagement que ceux qui animèrent Chimone et Lévi.
Quelques lois sur le prêt sans intérêt (suite).
- L’emprunteur ne doit pas placer l’argent prêté dans des investissements à risques – (et certainement pas dans des activités douteuses).
Cependant il peut le faire s’il en a informé le prêteur auparavant.
- L’emprunteur ne gaspillera pas l’argent prêté pour des achats inutiles et veillera à pouvoir rembourser en temps voulu.
- Dès qu’arrive la date prévue pour le remboursement, l’emprunteur a l’obligation de rendre l’argent, ainsi que le dit le Roi Salomon dans les Proverbes (3. 28) : «Ne dis pas à ton ami : ‘Reviens, demain je te rembourserai’ alors que tu disposes de l’argent».
- Si l’emprunteur n’a pas de quoi rembourser, il doit vendre tous ses biens – et même sa maison – pour s’acquitter de sa dette. Il ne peut garder pour lui-même que les nécessités de base. Il doit même vendre ses livres saints et même, éventuellement, son rouleau de la Torah afin d’être quitte.
- Celui qui ne peut pas rembourser – ni en argent ni en objets – ne peut pas être obligé de travailler pour le prêteur. Mais il doit être conscient que, tant qu’il n’a pas remboursé, il est appelé «un homme méchant qui emprunte et ne rembourse pas».
Pour éviter cela, on s’efforcera de travailler et de rembourser toutes les échéances.
- Tout salaire perçu pour un travail doit être utilisé pour rembourser la dette (à part l’argent absolument nécessaire pour nourrir la famille) et certainement pas pour prendre des vacances ou s’offrir des objets superflus.
- Il est évident qu’il est préférable d’abord de rembourser ses dettes plutôt que de donner l’argent à la Tsedaka (charité) – à part évidemment «le Maasser», le dixième des revenus qui doit être donné aux œuvres charitables.
- Si on sait que l’emprunteur n’a pas de quoi rembourser, on ne peut exercer des pressions sur lui, pas même marcher devant lui pour lui rappeler sa dette.
F. L. (d’après Rav Arye Citron – www.chabad.org/reeh)
Oui, la prière !
Ce genre d’histoire ne peut arriver qu’aux émissaires du Rabbi, cette grande armée pacifique décidée à rendre le judaïsme aux Juifs même les plus lointains, géographiquement peut-être mais certainement pas intrinsèquement…
En l’année 2000, Rav Wilhelm, émissaire du Rabbi à Jitomir (Ukraine), se rend à Londres à l’occasion d’une fête familiale. Là, l’épouse d’un de ses amis, apprenant qu’il habite en Ukraine, lui demande s’il peut se renseigner sur les origines de sa famille, dans un village inconnu, Tchoraïché.
De retour en Ukraine, Rav Wilhelm se rend dans ce village, accompagné d’un ami fidèle, un ancien de la communauté, Reb Hirsch Schreibman. Le village s’avère être situé à quelques kilomètres de Berditchev, la ville du célèbre Rabbi Lévi Its’hak, celui qu’on appelait «le défenseur du peuple juif», toujours prêt à trouver du mérite à chaque Juif. Le village n’est pas non plus très loin de la ville de Rougine, qui abrita une dynastie ‘hassidique florissante. Une fois sur place, Rav Wilhelm et son accompagnateur localisent le cimetière juif et collectent toutes les informations possibles sur les ancêtres de la dame.
Une fois cette mission accomplie, Rav Wilhelm décide que, puisqu’ils sont déjà là, ils devraient s’informer s’il reste aussi des Juifs vivants dans ce village. Effectivement, on leur indique l’adresse d’une très vieille dame d’origine juive. En arrivant, Rav Wilhelm et Reb Hirsch aperçoivent dans la cour un homme et une femme, jeunes, avec une petite fille. Chacun se présente : les deux jeunes gens sont frère et sœur, les petits enfants de la vieille dame qui, malheureusement, très malade, vit probablement ses derniers instants.
Avec beaucoup d’égards, le frère et la sœur proposent à Rav Wilhelm de lui rendre visite. Dès que la vieille dame aperçoit Rav Wilhelm, elle reconnait qu’il s’agit d’un rabbin et elle exprime sa joie de le voir. Tous deux parlent en yiddish, une langue que la vieille dame n’avait plus pratiquée depuis des années mais qu’elle maitrise parfaitement puisque c’est sa langue natale : Rav Wilhelm lui fait évoquer ses souvenirs d’enfance et elle décrit volontiers la vie d’avant, les fêtes, le Chabbat avec ses parents. Rav Wilhelm lui fait réciter le «Chema Israël», ce qu’elle accepte avec ferveur et émotion.
Pendant ce temps, ses petits-enfants observent la scène avec étonnement et respect. En partant, Rav Wilhelm leur laisse des prospectus sur les fêtes juives et le judaïsme en général, ainsi que ses coordonnées.
Le même soir, Reb Hirsch téléphone à ces petits-enfants et apprend que la grand-mère vient de décéder. Bien vite, il contacte les services adéquats de la communauté et la grand-mère peut ainsi être enterrée dans le cimetière juif.
* * *
En 2006, l’école juive de Zhitomir organisa une soirée pour les dames avec une conférence sur l’importance de la prière.
Madame Rivka Nimoui, épouse d’un des émissaires du Rabbi dans la ville, expliqua, raconta… puis demanda si une des participantes connaissait un cas où la prière avait été exaucée. Une dame se leva, Natalya Pogoroy : elle venait d’inscrire sa fille à l’école juive.
«Mon frère et moi-même avons vécu dans le village de Tchoraïché, notre mère était décédée très jeune et nous avons donc été élevés par notre grand-mère. Dans ce village, il n’y avait pas de Juifs et notre grand-mère ne nous avait jamais parlé de judaïsme.
Elle était née en 1912 ; c’était une femme dévouée et aimante. Elle vivait parmi les non-Juifs et ne semblait pas différente d’eux. Par la suite, je suis partie vivre dans une autre ville, je me suis mariée et j’ai mis au monde ma fille. Mais je restai en contact avec ma grand-mère et nous allions souvent lui rendre visite.
Quelques heures avant son décès, il est arrivé quelque chose de très étonnant et c’est ce que je voudrais raconter maintenant : un matin, mon frère me téléphona et me demanda de venir immédiatement chez notre grand-mère car le médecin et l’infirmière qui s’occupaient d’elle l’avaient prévenu que sa fin était imminente. J’ai pris ma fille, à l’époque âgée de deux ans, avec moi et nous sommes parties. Arrivées à son chevet, nous avons tenté de lui parler mais elle ne répondait que difficilement. Soudain, elle s’est tournée vers nous et s’est mise à parler avec une détermination que nous ne lui connaissions pas. C’était apparemment un sujet qui lui tenait à cœur : «Toute ma vie, j’ai caché le fait que j’étais juive, j’avais peur d’être différente des gens autour de nous. Mais maintenant je ne vous demande qu’une chose : enterrez-moi dans un cimetière juif !»
Puis elle se tut. On sentait que cette requête lui coûtait beaucoup d’efforts mais elle semblait plus calme et reposée ; comme soulagée. Après avoir entendu cela, nous nous sommes regardés, stupéfaits, mon frère et moi et sommes sortis dans la cour pour discuter comment régler cette question. C’est alors que, certainement envoyé par le bon D.ieu, la porte de la cour s’est ouverte et un rabbin est entré !
Il portait un chapeau noir et arborait une longue barbe. Il désirait parler à notre grand-mère !
Au début, nous étions persuadés qu’elle lui avait demandé de venir mais quand nous avons vu combien elle-même était sous le choc de cette visite, nous avons compris que tout ceci était une incroyable «coïncidence». Ils ont parlé dans une langue que nous ne comprenions pas.
A peine une heure après le départ du rabbin, notre grand-mère a rendu l’âme. Le rabbin envoya une équipe s’occuper de l’enterrement et c’est ainsi que la dernière demande de notre grand-mère, sa dernière prière a été exaucée puisqu’elle a été inhumée dans le cimetière juif.
Tout ceci m’a conduit à me poser un certain nombre de questions et à m’intéresser au judaïsme. J’appris que j’étais juive moi-même puisque la mère de ma mère l’était et j’ai décidé d’inscrire ma fille à l’école juive !
En rendant service à une dame de Londres, Rav Wilhelm avait pu honorer la dernière prière d’une grand-mère en Ukraine et, par cela, ramener toute une famille au judaïsme.
Sicha Hachavoua n°1193
traduit par Feiga Lubecki