Semaine 47

  • Vayichla’h
Editorial

Kislev : le mois hassidique

Certains mois semblent être marqués par un caractère particulier qui les distingue du cycle général du calendrier. Le mois de Kislev fait partie de ceux-là. S’il est un qualificatif apte à le définir, c’est sans doute celui de “mois ‘hassidique”, et d’abord par l’accumulation des dates dont le lien avec l’histoire de la Hassidout n’est plus à souligner.
Ainsi, ce mois commence par un Roch Hodech qui, dans les mémoires, les livres et les cœurs, est resté un jour particulièrement faste: celui où le Rabbi, après un malaise cardiaque survenu pendant les fêtes de Tichri, se montra, pour la première fois, en public. On sait que la période fut celle, non d’une absence, mais d’un redoublement de force et qu’elle introduisit, pour tous les Hassidim, à une ère d’initiatives renouvelées, d’enthousiasme et de dynamisme neufs. Dans le cours du mois, d’autres dates évoquent des événements plus anciens mais tous porteurs de messages précieux: le 9 Kislev, naissance du deuxième Rabbi de Loubavitch, l’Admour Haemtsaï, le 10 Kislev, anniversaire de sa libération des prisons tsaristes, le 14 Kislev, date du mariage du Rabbi, le 19 Kislev, date de la libération de prison du premier Rabbi de Loubavitch, l’Admour Hazaken, anniversaire désigné comme le Roch Hachana de la ‘Hassidout. Toutes ces dates sont comme mises tant en lumière qu’en perspective par la fête de Hanoucca, le 25 du mois.
On pourrait légitimement s’interroger sur la nécessité d’égrener ainsi le souvenir, de marquer des jours anciens. Ce serait pourtant commettre une erreur grave. Certes, le peuple juif est celui de la mémoire et ce trait est, chez lui, si caractéristique qu’il explique nombre de ses attitudes, de ses rites et de ses choix de vie. Cependant, loin de s’arrêter à cette idée, si juste et importante soit-elle, conserver ces jours comme autant de rendez-vous indispensables, c’est leur donner un sens qui la dépasse. De telles dates sont importantes d’abord parce qu’elles nous éclairent, scandant pour nous les jours d’une série d’accents toniques, au sens strict du terme. Il s’agit de savoir en tirer l’élan et la force nécessaires à toutes les réalisations à venir.
Ce n’est pas là qu’un vœu abstrait. Nous savons que notre temps réclame un effort supplémentaire, que parvenir au parachèvement le rend, plus que jamais, urgent. Ces jours nous sont, dans ce cadre, une inspiration. Jours de joie, jours propices, jours de lumière, ils nous tracent, du cœur de l’obscurité, le chemin vers la Délivrance finale, celle que le Machia’h nous apportera.

Etincelles de Machiah

Une nouvelle Torah?

Le Midrach (Vayikra Rabba 13, 3) paraphrasant la prophétie d’Isaïe (51,4) déclare que, lors de la venue de Machia’h, “une nouvelle Torah sortira de Moi”. Il est cependant clair que la Torah présente un caractère d’éternité absolue. Dès lors, que cela signifie-t-il?
Aujourd’hui, la Torah se présente sous l’apparence de récits tels que ceux de Lavan, de Bilam etc. En revanche, lorsque Machia’h viendra, les mystères qui s’y trouvent cachés apparaitront. Il deviendra manifeste que ces histoires font référence à D.ieu, à l’édification des mondes supérieurs. C’est pourquoi D.ieu annonce qu’alors la Torah sortira “de Moi”: la manière dont la Torah tout entière parle de D.ieu deviendra évidente à tous.

(D’après Kéter Chem Tov, sec. 84 et 242) H.N.

Vivre avec la Paracha

Vayichla’h : Comment se comporter avec Essav

Pour se préparer à la rencontre avec son frère Essav, Yaakov utilisa plusieurs tactiques. Il savait que son frère était beaucoup plus puissant que lui. Essav possédait quatre cents guerriers. En face de lui, Yaakov n’était accompagné que de ses femmes et de ses enfants. Et son fils aîné n’avait que douze ans. Ces enfants devaient devenir les fondateurs du futur peuple juif. Survivraient-ils ?
Yaakov tenta la conciliation, lui envoyant un imposant cadeau constitué de plusieurs espèces de bétail. Il réussit à convaincre Essav d’accepter ce présent. Cela impliquait une acceptation de la part d’Essav de l’existence de Yaakov et le fait qu’il était dans son droit quand il avait reçu la bénédiction de leur père. En même temps, Yaakov pria D.ieu dans une magnifique prière exprimant son humilité. Il exprimait son sentiment de n’être pas méritant de tous les bienfaits que D.ieu lui avait déjà attribués.
Enfin, il se prépara au combat. Sa tactique, consistant à diviser en deux son camp, faisait partie d’une stratégie militaire. Il était complètement dépassé par le nombre et haïssait également l’idée de faire du mal à autrui. Toutefois, pour protéger sa propre vie et la vie de ses femmes et de ses enfants, il était prêt à se battre.
Différents procédés sont possibles pour entrer en relation avec Essav, les ennemis du Peuple Juif à travers les âges. Ces approches doivent être utilisées aux différentes époques de notre longue histoire pour assurer notre survie.
Bien sûr, la prière se fait constamment, elle est toujours nécessaire. Trouver le bon équilibre entre la conciliation et les préparatifs au combat est la clé pour sauver les vies de tous ceux qui sont concernés. Le but est la paix et la sécurité, et la rencontre entre Yaakov et Essav donne un exemple d’une habile négociation qui rencontra un grand succès.

La richesse juive
Comment le Judaïsme envisage-t-il la richesse ? Comment considère-t-il quelqu’un qui travaille dur pour amasser une fortune ? Ne devrait-il pas consacrer plutôt son temps à des occupations spirituelles ?
La Paracha de cette semaine qui commence avec la rencontre fatidique entre Yaakov et Essav jette la lumière sur cette question.
Des années auparavant, Yaakov s’était enfui d’Essav pour échapper à la colère de son frère. Essav pensait qu’il avait été privé, à tort, de son droit d’aînesse et des bénédictions de son père. Il voulait donc tuer Yaakov. Ce dernier s’était réfugié dans la maison de son oncle Lavan, bien loin à l’est de ‘Haran. Là bas, il s’était marié, avait élevé une famille et prospéré. Il avait amassé de gros troupeaux de moutons et de bétail. Il revenait donc à Canaan, sa terre natale.
Sur le chemin du retour, il dut faire face à une confrontation avec son frère Essav. Y aurait-il la paix ? Finalement c’est ce qui se produisit, mais pas d’emblée. Yaakov fut tout d’abord informé qu’Essav avançait vers lui avec une armée hostile. Il prépara donc des plans d’urgence dont le plan de paix évoqué plus tôt. Son présent était accompagné d’un message de conciliation : «J’ai vécu temporairement avec Lavan et j’y suis resté jusqu’à présent. Je possède des bœufs et des ânesses, des moutons, des serviteurs et des servantes et je t’ai envoyé ce cadeau, pour trouver faveur à tes yeux».
Nos Sages demandent : pourquoi Yaakov mit-il l’accent sur le fait que son séjour chez Lavan avait été temporaire ?
Ils répondent que par ces mots : Yaakov était en train de dire quelque chose sur la nature de la richesse qu’il avait amassée. Il est vrai qu’il avait travaillé très dur et était devenu très riche. C’est pour cette raison, qu’il envoyait un cadeau important à son frère. Mais il voulait également lui signifier quelque chose à propos de son attitude par rapport à cette richesse. Les choses de ce monde sont très importantes mais elles ne sont que temporaires.
Yaakov disait à son frère : le but principal de la vie n’est pas la richesse en soi mais la manière dont on utilise chaque détail de la vie dans le service de D.ieu.
En fait, «j’ai vécu temporairement» s’exprime dans le texte hébreu de la Torah par un mot unique : Garti, qui a la valeur numérique de 613. Yaakov disait : «J’ai vécu avec Lavan, l’idolâtre, je me suis profondément consacré à pourvoir aux besoins de ma famille et je suis devenu très riche». Mais le véritable but en était d’observer les 613 Commandements.
Le Judaïsme nous enseigne que la richesse n’est pas le but, mais le moyen, celui de de créer une magnifique atmosphère dans la maison juive, avec des enfants heureux et des invités à sa table, d’être capable de partager avec les membres de la communauté et de jouer son rôle dans le bien-être de tous.
Voilà quel était le message de Yaakov à son frère Essav, parce qu’en dernier ressort, c’est là le message du Juif au monde.

Le Coin de la Halacha

Quel prénom donne-t-on à un enfant ?

C’est le père et la mère ensemble qui donnent le nom à l’enfant et nul ne doit s’interposer à ce sujet.
Dans certaines communautés, le père choisit le nom du premier enfant et la mère celui du second et ainsi de suite mais d’autres communautés pratiquent l’inverse : la mère choisit le nom du premier enfant et le père celui du second.
Si on donne à un enfant les noms de ses deux grands-pères, on nomme d’abord le grand-père paternel.
On n’annonce le nom de l’enfant ni avant sa naissance ni avant sa Brit Mila (circoncision). Pour une fille, le père ne l’annonce que lorsqu’il est appelé à la Torah. Il n’est pas nécessaire d’attendre le Chabbat pour monter à la Torah et le père peut le faire lundi, jeudi ou Roch ‘Hodech (le nouveau mois juif). On offre un repas (Seoudat Mitsva) en l’honneur de la naissance d’une fille.
Il est recommandé de donner à son enfant le prénom de son père (ou de sa mère) ou de son Rav. Les Achkenazim ne donnent ces prénoms qu’après la mort de ces personnes, contrairement aux Sefaradim. Le père ne donnera pas son propre prénom à son enfant.
On raconte que Rav Chlomo Klouger fut un jour honoré lors d’une Brit Mila. Le père de l’enfant était mourrant et certains estimaient qu’il valait mieux attendre la mort du père afin de donner son prénom à l’enfant. Mais Rav Chlomo Klouger s’y opposa et affirma que le mérite de la Brit Mila sauverait le père et c’est effectivement ce qui arriva !
On a la coutume d’ajouter un prénom (comme ‘Haïm (la vie), Raphaël (l’ange de la guérison) ou Alter («vieux» en yiddish) au prénom d’un malade en grand danger.
On demandera à une autorité rabbinique compétente 1) si on peut donner les prénoms de deux personnes différentes à un enfant. Si oui, on appellera effectivement l’enfant avec ses deux prénoms.
2) si on peut donner à l’enfant le prénom de quelqu’un qui est mort jeune et dans des circonstances tragiques.
Si, au moment de la Brit Mila (ou de l’appel à la Torah pour la naissance d’une fille) le père a prononcé un autre prénom que celui qu’il avait prévu, l’enfant portera le prénom qui a été effectivement prononcé et non celui qui avait été prévu.

F. L. (d’après «Ziv Hachemot» de Rav Ychaiou Zussia Wilhelm)

De Recit de la Semaine

Grâce à quoi ? Non ! Grâce à qui !

Lors d’une réunion ‘hassidique animée, Rav Avraham Zaltsman raconta ses souvenirs d’enfance. Comme on le verra, il n’était pas vraiment ce qu’on appelle un élève sage…
A douze ans, il était devenu si agité qu’il lui était très pénible de s’asseoir pour étudier la Torah. On lui donna alors de petites tâches manuelles à accomplir pour la Yechiva, à lui ainsi qu’à deux autres élèves tout aussi hyperactifs.
Par exemple, on les envoyait traire quelques chèvres dans une ferme voisine, afin que les élèves puissent boire du lait cachère, frais et nourrissant.
Mais cela aussi devint terriblement fastidieux et ennuyeux pour les trois garçons qui trouvèrent une idée géniale : ils parvinrent à attraper une des chèvres et à la forcer à boire de la vodka. Puis ils la traînèrent jusque dans la grande salle d’études de la Yechiva, dans le village de Loubavitch, alors que tous les élèves étaient engagés dans une étude approfondie du Talmud et de la ‘Hassidout.
Apparemment peu conscient de la sainteté de l’endroit, l’animal se rua vers les tables, sauta gaiement d’un banc à l’autre, encorna quelques rabbins et professeurs présents et répandit les pages des précieux livres un peu partout. Qui peut décrire l’affolement puis la colère des étudiants et de la direction ? Il fallut plusieurs heures de rangement pour que les élèves puissent reprendre leurs esprits et leurs études. Bien entendu, il n’était nullement besoin de former une commission d’enquête pour trouver les coupables.
Les trois garçons furent convoqués par le directeur de la Yechiva, Rabbi Yossef Its’hak Schneerson, le fils de Rabbi Chalom Dov Ber, fondateur de la Yechiva. Celui-ci leur ordonna de faire leurs valises et de retourner chez leurs parents.
Penauds, ils s’exécutèrent et, quelques heures plus tard, ils se rendirent à la gare pour prendre le train à Rodna, la ville voisine.
Mais soudain, Avraham se tourna vers ses comparses et déclara : «Vous rendez-vous compte de ce que nous faisons ? Nous ne pouvons pas partir comme cela ! Quitter la Yechiva ! Nous devons retourner et demander pardon !»
Mais conscients de la gravité de leur faute, les deux autres secouèrent tristement la tête : «C’est impossible ! Nous avons vraiment exagéré ! Tu as vu le visage du directeur ? Il ne veut plus nous revoir ! Nous sommes définitivement rejetés !» L’autre garçon renchérit : «Nous étions déjà peu appréciés et on ne nous avait gardés jusque là que par pitié, à l’essai ! C’est impossible !»
Mais Avraham s’entêta et, avant l’arrivée du train, il parvint à convaincre un des garçons de tenter une dernière chance. Ils attendirent le départ de leur ami pour revenir à Loubavitch.
Non, ils ne pouvaient pas retourner intercéder auprès du directeur. Ni auprès de son père, le Rabbi : celui-ci ne pouvait décemment pas annuler une décision de son fils qu’il avait nommé responsable de la Yechiva.
La seule solution était la Rabbanit Rivka, la mère du Rabbi et la grand-mère de (Rabbi) Yossef Its’hak. Elle avait un cœur d’or et était une véritable maman pour les garçons de la Yechiva : elle leur faisait la cuisine, recousait leurs vêtements déchirés, se préoccupait de leur santé… Elle seule pouvait les aider.
Les deux «vauriens» se rendirent chez elle, frappèrent timidement à la porte, entrèrent et expliquèrent en rougissant ce qu’ils avaient fait pour mériter une telle punition.
Elle était intelligente : «Je ne peux pas m’opposer à la décision de mon petit-fils : c’est lui le directeur. Le seul qui pourrait agir en votre faveur, c’est mon fils, le Rabbi. Mais je ne peux pas me mêler de tout cela. Cependant, je peux vous donner un conseil : chaque matin, à dix heures, mon fils le Rabbi est assis dans son bureau et boit un verre de thé. Venez demain matin, je vous montrerai l’endroit, mais c’est à vous de plaider votre cause !»
Trop heureux, les deux garçons ne se plaignirent pas de devoir dormir sur les bancs de la synagogue et, le lendemain matin, le jeune Avraham se présenta tout seul chez la Rabbanit : son ami avait trop peur et préférait attendre à l’extérieur.
Elle lui mit le verre de thé dans les mains et le poussa à l’intérieur du bureau tout en murmurant à son oreille : «Bonne chance !»
La porte était ouverte, il se tenait là avec le verre de thé, trop effrayé de sa propre audace pour oser entrer. Le Rabbi le regarda fixement et lui demanda ce qu’il voulait.
«Je veux étudier dans la Yechiva du Rabbi !» parvint-il à déclarer, sur le point de pleurer.
«Loubavitch ? remarqua le Rabbi en souriant. Mais il existe de nombreuses autres Yechivot : Slabodka, Novardok…» Il cita ainsi une vingtaine de noms de Yechivot plus prestigieuses les unes que les autres.
« Mais moi je veux étudier à Loubavitch !» s’écria Avraham, en essuyant les larmes de ses yeux. Le Rabbi sourit et Avraham pleura encore plus fort. Puis le Rabbi reprit son visage sérieux et décida : «Nous allons y réfléchir ! Reviens ce soir !»
Avraham se dirigea à reculons vers la porte pour sortir mais soudain il s’arrêta.
«Que se passe-t-il ?» demanda le Rabbi, étonné.
«Heu… J’ai un ami dans le même cas que moi, il attend à l’extérieur !»
«Un ami ? Bien, nous allons réfléchir à son sort à lui aussi. Reviens ce soir !»
«Et voilà ! conclut Reb Avraham. L’histoire se termina bien. Nous retournâmes le soir-même chez le Rabbi, celui-ci nous amena, tremblants, chez son fils, murmura quelques mots et sortit. Son fils nous condamna certes à une forte amende : nous devions apprendre par cœur dix pages de Guemara et de ‘Hassidout. Mais il nous reprit ! Et voilà comment mon cœur brisé nous ramena à la Yechiva !»
Tous les participants à la réunion ‘hassidique se taisaient, essayant de visualiser ces souvenirs, enviant l’époque où de jeunes garçons pouvaient plaider leur cause auprès de deux Rabbis…
Mais Reb Mendel Futerfass qui avait lui aussi écouté attentivement l’histoire fut le premier à apporter son commentaire.
«Dis-moi, Reb Avraham, pourquoi crois-tu que le Rabbi t’a repris dans la Yechiva ?»
«Je vous l’ai bien expliqué ! C’était parce que je désirais tellement apprendre la ‘Hassidout, à Loubavitch. C’est ainsi qu’il faut vouloir apprendre ! Au point d’en pleurer et d’en avoir le cœur brisé !»
«Pas du tout ! reprit Reb Mendel. Ce n’est pas ton cœur brisé qui t’a ramené à la Yechiva ! Mais c’est parce que tu plaidais pour ton ami ! Tu as fais preuve d’Ahavat Israël, d’amour pour un autre Juif ! Et c’est cela qui t’a permis de rester à Loubavitch !»

Rav Tuvia Bolton
www.ohrtmimim.org
Traduit par Feiga Lubecki

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