Un regard de lumière
L'obscurité de l'époque paraît parfois si épaisse que rien ne parvient à la percer. C'est ainsi qu'elle peut régner sans partage sur les esprits et les cœurs au point de parvenir à refouler la réalité jusque dans les confins de la conscience. Nombreux sont ainsi les évènements qui, malgré la clarté de leurs enseignements, sont interprétés à l'inverse de l'évidence dont ils sont porteurs. Pour tous les hommes que la nuit des âmes et des intelligences s indispose, c'est là une expérience douloureuse.
Pourtant, comme un grand rythme qui dépasse les soubresauts du quotidien, voici revenu le mois de Kislev. Dès son ouverture, il a apporté ce qu'il recèle depuis toujours : une lumière sereine. C'est là, en effet, ce qui le caractérise. Mois de la fête de 'Hanoucca, il est celui où, d'abord spirituellement, l'ombre recule. Alors que nous n'en somme qu'à sa première moitié, son influence, déjà perceptible, redonne à la période les couleurs de l'espoir et de la vie. De fait, Kislev est ainsi un temps de ressourcement. Il est un mois où rien ne peut remettre en cause la puissance et la grandeur de la lueur qui monte.
Certes, en une époque de bouleversement, alors que le monde fait déferler toutes les formes du malheur des hommes et que la vérité et l'honnêteté semblent remisées pour longtemps au magasin des accessoires, ce n'est pas à une vision de lumière que nous sommes invités. Pourtant, elle est là présente, juste à la limite du regard. Elle grandit de jour en jour et laisse présager sa victoire éternelle. Car les choses sont ainsi faites : devant le jour qui se lève, la nuit ne peut que reculer. Plus encore, celle-ci n'a pour désir profond que de s'effacer peu à peu.
Nous sommes justement les acteurs de ce changement infini. Nous pouvons trouver la sérénité et l'harmonie reconquises. Nous pouvons être les hommes de la lumière qui font surgir, au cœur du monde, le bonheur de tous. Nous en possédons la clé. Vivre Kislev n'est-il pas aussi une affaire de regard ?
La division du fleuve
Isaïe (11 :15) prophétise que, lors de la venue de Machia'h, D.ieu "avec Son puissant vent, agitera Sa main sur le fleuve et le frappera en sept ruisseaux". Il est clair que cet épisode, qui rappelle l'ouverture de la mer rouge lors de la sortie d'Egypte, répond à une nécessité particulière, faute de quoi le prophète ne l'aura pas ainsi souligné.
En fait l'ouverture de la mer rouge correspondait spirituellement à la révélation surnaturelle de degrés de la Divinité habituellement masqués, qui intervint à ce moment. En ce sens, cet événement fut une préparation au Don de la Torah sur le mont Sinaï. De même, la division du fleuve préparera à la révélation des dimensions mystiques les plus profondes de la Torah qui interviendra aux temps messianiques.
(d'après Likouteï Torah, Tsav, p. 16d)
Vayichla’h : Double identité
Et (l’ange) dit : «Ton nom ne sera plus Yaakov; mais désormais Israël sera ton nom. Car tu as combattu avec le divin et avec l’humain et tu l’as emporté» Genèse 32 :29
Ainsi s’exprima l’ange avec lequel Yaakov avait combattu toute la nuit avant sa rencontre historique avec Essav. Plus tard, nous lisons que D.ieu Lui-même apparut à Yaakov et réitéra le changement de son nom en « Israël ».
Avraham lui aussi avait vu son nom changé par D.ieu. D’Avram il était devenu Avraham. Mais pour lui, le changement avait été absolu; le Talmud va jusqu’à dire «Tous ceux qui appellent Avraham «Avram» transgressent une interdiction de la Torah, comme il est écrit: ton nom ne sera plus Avram». A Yaakov également, il fut dit: «Ton nom ne sera plus Yaakov» et pourtant la Torah continue à utiliser les deux noms, alternant souvent entre Yaakov et Israël dans un même récit voire dans un même verset. Le peuple Juif qui porte le nom de son ancêtre est aussi appelé à la fois «Yaakov» et «Israël».
Le changement de nom d’Avraham, qui se produisit lorsqu’il se circoncit lui-même, observant alors l’injonction divine, marqua son élévation d’Avram («le père exalté») en Avraham («le père exalté d’une multitude ». Le nom Avraham inclut toutes les lettres et les significations d’Avram ; le changement consista en l’introduction d’une lettre supplémentaire ( la lettre Hé) et d’un rôle additionnel. Ainsi appeler Avraham «Avram», c’est le réduire à son être et sa signification précédents.
Par contre, Yaakov et Israël sont deux noms différents, qui ont chacun une signification qui lui est propre. S’il est vrai qu’Israël représente un état d’être plus élevé que Yaakov, ( si bien que l’élément Israël dans Yaakov « n’est plus Yaakov »), l’«être Yaakov» possède certaines qualités qu’Israël ne peut posséder. Ainsi Yaakov reste-t-il un nom à la fois pour le troisième Patriarche et pour le peuple Juif en tant qu’entité. Il se peut qu’Israël représente une étape plus élevée que Yaakov dans le développement du Juif mais la grandeur du peuple Juif réside dans le fait qu’il y a à la fois des «Juifs Yaakov» et des «Juifs Israël», et que Yaakov et Israël sont des éléments que l’on retrouve dans chaque Juif individuellement.
Le guerrier spirituel
L’une des différences entre les personnalités de Yaakov et d’Israël est offerte par Bilaam, le prêtre païen qui fut invité à maudire le peuple Juif et qui, au lieu de cela, exprima l’une des plus belles odes à la vie et la destinée juives, contenues dans la Torah.
Dans la seconde des malédictions transformées en bénédictions de Bilaam, on peut lire un verset dans lequel il proclame: «D.ieu ne voit aucune culpabilité en Yaakov, aucune peine en Israël ».
Cela implique que Yaakov éprouve de la peine, bien que ses combats et ses difficultés ne résultent pas, aux yeux de D.ieu, de sa culpabilité. Israël, à l’inverse, jouit d’une vie tranquille, dénuée non seulement de culpabilité mais aussi de peine.
La Torah nous donne deux interprétations du nom Yaakov. Yaakov naquit en agrippant le talon de son frère jumeau aîné, Essav. C’est la raison pour laquelle il fut appelé «Yaakov», nom qui signifie: «au talon ». Des années plus tard, quand Yaakov se déguisa en Essav pour recevoir les bénédictions que son père Yits’hak avait l’intention de donner à son aîné, Essav proclama: «Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il soit appelé «Yaakov» (« fourbe»). Deux fois il m’a trompé : il a pris mon droit d’aînesse et maintenant il a pris mes bénédictions».
Yaakov représente le Juif toujours dans le cœur même de la bataille de la vie : une bataille dans laquelle il est souvent «au talon», ayant à affronter les aspects les plus bas de sa propre personnalité et de son environnement, une bataille qu’il doit mener avec discrétion et ruse car il est en territoire ennemi et où il doit déguiser ses véritables intentions pour pouvoir manœuvrer ceux qui tentent de le prendre au piège. Menacé par un monde hostile, ployant sous ses propres faiblesses et penchants négatifs, le Juif Yaakov n’a pas encore transcendé la condition fondamentale de son humanité, le fait que «l’homme est né pour le labeur» et que la vie humaine est un chemin de défis et d’obstacles à sa propre intégrité.
D.ieu ne voit pas de culpabilité en Yaakov, car malgré tout ce à quoi il est confronté, il lui a été donné la capacité de faire face à chacun de ses détracteurs. Même s’il succombe passagèrement à certains défis intérieurs ou extérieurs, il ne perd jamais sa bonté et sa pureté intrinsèques, qui finiront par se révéler, quelle que soit la répression qu’elles subissent dans les aléas de la vie. Car même s’il est libre de tout péché, il n’est jamais libéré des labeurs, du combat pour maintenir son état insouillé. Pour Yaakov, la guerre de la vie continue à faire rage, quel que soit le nombre de batailles remportées.
Israël («le maître divin»), par contre, est le nom qui fut donné à Yaakov quand «il eut combattu avec le divin et l’humain et qu’il l’eut emporté». Israël est le Juif qui a dominé sa propre mondanité, intériorisant si profondément la perfection intrinsèque de son âme qu’il est désormais imperméable à tous défis et tentations. Il a dépassé le décret divin selon lequel «l’homme est né pour le labeur», se forgeant une existence tranquille dans le tumulte de la vie.
C’est pourquoi, Yaakov est le nom qui nous est réservé pour nous désigner comme «serviteurs » de D.ieu, alors qu’«Israël» est le nom choisi par D.ieu quand Il parle de nous comme de Ses «enfants». L’élément qui caractérise la vie du serviteur est son service pour son maître. L’enfant sert également son père, mais leur relation est telle que ce service n’est pas un labeur mais un plaisir. Ce qui, pour le serviteur, est un travail imposé sur un moi et un environnement qui résistent , est pour l’enfant la réalisation harmonieuse de son identité en tant qu’extension de l’essence de son père.
La première partie de la vie de Yaakov fut consumée par ses affrontements avec son frère Essav, affrontements qui commencèrent dans le giron de leur mère et se poursuivirent avec la querelle sur la be’horah (droit d’aînesse), les bénédictions de leur père et culminèrent dans la bataille de toute une nuit avec l’ange d’Essav et le face à face du lendemain entre les deux frères. Dans l’intervalle, Yaakov avait aussi passé vingt ans de labeur à s’occuper des troupeaux de Lavan « le Fourbe », des années à propos desquelles il s’écria: «la chaleur me consumait le jour et le gel la nuit, et le sommeil avait fui mes yeux » et il dut devenir le «frère en fourberie» de Lavan. Le changement du nom de Yaakov en Israël marque le point où il passa de l’état de serviteur de D.ieu à celui de l’enfant de D.ieu, d’une existence définie par les luttes et les batailles à une réalisation harmonieuse de sa relation avec D.ieu.
Doux et amer
Et pourtant après qu’il eut été nommé Israël, Yaakov continua à être également Yaakov. La Torah continue à se servir de son ancien nom de concert avec le nouveau. Les événements de sa vie incluent maintenant des périodes de tranquillité (comme les neuf années de son retour de ‘Haran en Terre Sainte jusqu’à la vente de Yossef, et les dix-sept années qu’il passa en Egypte) mais aussi des périodes de bataille ( comme les vingt deux ans où il porta le deuil de son fils bien-aimé Yossef).
En tant que père du peuple d’Israël, Yaakov fut le modèle des deux états du Juif : l’enfant tranquille de D.ieu, en paix avec lui-même, son D.ieu et sa société, celui dont la vie harmonieuse est une source de lumière et de clarté pour son environnement ; et le serviteur combattant de D.ieu, en corps à corps avec son moi et sa personnalité, sa relation avec D.ieu et sa place dans le monde. Car l’«état Yaakov» n’est pas seulement une étape pré requise vers l’accomplissement de l’«état Israël», mais une fin en soi, un rôle indispensable dans le plan du Créateur de la vie sur terre.
Selon les mots de Rabbi Chnéour Zalman de Liadi: «il existe deux types de plaisirs devant D.ieu. Le premier vient d’une soumission totale du mal et de sa transformation d’amertume en douceur et d’obscurité en lumière par les Tsaddikim [les Justes parfaits]. Le second (plaisir) vient lorsque le mal est repoussé alors qu’il est encore dans toute sa force et sa vigueur…par l’initiative des Beïnonim…[les hommes intermédiaires]
On peut utiliser une analogie avec la nourriture physique dans laquelle on trouve deux sortes de délicatesses qui flattent le palais : les premières sont celles que l’on tire de mets sucrés et agréables et les secondes d’aliments acides et épicés préparés de telle sorte qu’ils deviennent des mets délicats qui font revivre l’âme».
Adapté d’un discours du Rabbi 10 Chevat 5718 ( 31 janvier 1958).
Quand dit-on " Amen " ?
Si quelqu'un prononce une bénédiction, on répond " Amen " (" je le crois ").
Nos Sages affirment : " Celui qui répond Amen a plus de mérite que celui qui prononce la bénédiction ".
Quand on dit " Amen ", on doit y croire et être intiment persuadé que la bénédiction prononcée est exacte. Quand il s'agit d'une prière qui est en même temps une demande, on répond Amen pour signifier qu'on est convaincu qu'elle va se réaliser. On répond aussi " Amen " après la bénédiction prononcée par un enfant.
" Celui qui répond avec ferveur " Amen Yehé Chemé Rabba… " (" Que le grand Nom soit béni pour toujours et pour toute éternité ") lorsque l'officiant prononce le Kaddich verra les décrets pris contre lui déchirés (annulés). Le fait de dire cette phrase à voix haute brise tous les arguments accusateurs et annule les mauvais décrets. On habituera également les enfants, même très jeunes, à répondre " Amen " et " Amen Yehé Chemé Rabba… " dans la synagogue à toutes les bénédictions et au Kaddich.
Si quelqu'un formule des bénédictions envers un autre Juif, on répondra " Amen ", ce qui signifie qu'on souhaite vraiment qu'elles se réalisent.
F. L. (d'après le Kitsour Choul'hane Arou'h)
A pied ou à cheval ?
(Le 19 Kislev est l’anniversaire de la libération de Rabbi Chnéour Zalman).
Les ‘Hassidim venaient de partout vers la petite ville de Lyozna où habitait Rabbi Chnéour Zalman, fondateur du mouvement ‘Habad.
Celui qui se présenta ce jour-là dans le bureau du Rabbi, avait le cœur lourd ; il éclata en sanglots : « Rabbi ! Mon fils s’est détourné de la voie que nous lui avons enseignée. Il n’observe plus les commandements et je crains qu’il ne s’éloigne complètement du peuple juif ! Je vous en prie, Rabbi, aidez-moi à le ramener sur le bon chemin ! »
Le Rabbi ressentait la peine de son ‘Hassid et il resta un moment silencieux. Puis il se reprit : « Penses-tu que tu pourras amener ton fils à se rendre chez moi ? »
- « Ce sera difficile, soupira le ‘Hassid. Vu la façon dont il agit actuellement, je crains qu’il ne m’écoute plus. Il s’est lié avec des jeunes gens peu recommandables et n’écoute presque plus ses parents ! »
- « Et cependant, j’insiste pour que tu trouves un moyen de le faire venir à Lyozna. Une fois qu’il sera dans la ville, on trouvera bien le moyen de me l’amener ! »
La perspective que le Rabbi s’occuperait personnellement de son fils insuffla de l’espoir dans le cœur du ‘Hassid. Il retourna chez lui de bien meilleure humeur qu’il n’était parti. Durant tout le voyage de retour, il avait réfléchi comment persuader son fils de se rendre à Lyozna. Soudain il eut une excellente idée : à son grand regret d’ailleurs, son fils adorait monter à cheval et ne perdait aucune occasion pour parader en ville, même dans le quartier juif où ce spectacle n’était vraiment pas bien vu. Maintenant il fallait utiliser cette passion pour amener son fils à se rendre à Lyozna : il n’avait qu’à lui demander de chercher pour lui un objet quelconque dans la ville du Rabbi !
Le fils accepta, mais à une condition : qu’il puisse y aller à cheval ! A la grande surprise du fils, le père accepta !
Le jeune homme s’élança allègrement vers Lyozna sans savoir que les amis de son père l’attendaient pour l’amener gentiment chez le Rabbi.
Effectivement, dès qu’il arriva, on le conduisit dans le bureau de Rabbi Chnéour Zalman, l’auteur du Tanya et du Choul’hane Arou’h HaRav.
- « Je suis content de te voir, dit le Rabbi. Mais dis-moi, pourquoi t’es-tu fatigué à venir à cheval plutôt que dans un carrosse ?
- « Je vais vous dire la vérité : j’adore monter à cheval. Et mon cheval est vraiment une bête magnifique. Pourquoi n’en aurais-je pas profité ?
- « Vraiment ? Dis-moi, quels sont les avantages d’un tel animal ?
- « Très simple, Rabbi ! Il galope très vite ! Dès que je monte en selle, il démarre en trombe et, en très peu de temps, on est arrivé à destination ! » répondit le jeune homme, enthousiaste.
- « C’est vrai, c’est un grand avantage, remarqua le Rabbi. Encore faut-il être sur le bon chemin… Parce que si on se trompe de chemin, on ne fait qu’aller plus vite dans la mauvaise direction !
- « Quand bien même ! rétorqua le jeune homme. Comme le cheval court vite, il suffit de lui indiquer la bonne direction dès qu’on s’aperçoit qu’on s’est trompé de chemin et il rattrape très vite le temps perdu !
- « Ah, je vois ! dit le Rabbi en martelant ses mots. Quand tu réalises que tu es sur le mauvais chemin, avant qu’il ne soit trop tard, tu peux revenir très vite sur la bonne voie… »
Les mots du Rabbi, prononcés si lentement et si posément, percèrent la carapace désinvolte du jeune homme comme une bombe et les yeux du Rabbi semblèrent voir tout ce qui agitait malgré tout sa conscience. Le jeune homme s’évanouit.
On le ranima et, d’un ton suppliant, il demanda à Rabbi Chnéour Zalman la permission de rester à Lyozna pour reprendre ses études de Torah et permettre à ses parents d’être à nouveau pleinement satisfaits de sa conduite.
Traduit par Feiga Lubecki