L’héroïsme de la liberté
Voici venu le temps des réjouissances de commandes et des célébrations convenues, des guirlandes aux clignotements électriques dont l’artificielle lumière peine à percer la nuit. Le calendrier du monde occidental fait résonner ses rythmes propres comme un grand tam-tam rassemblant les foules qui prétendrait à l’universel. Le grand vacarme dissimule parfois une désespérante vacuité mais qu’importe? Le temps paraît être à l’oubli plutôt qu’à la conscience, au confort de l’instant plutôt qu’à l’éternité du questionnement, à la volonté d’absence plutôt qu’au bonheur de la recherche et de la découverte.
Cependant, il existe dans ce monde des héros. Peut-être n’est-il même pas trop audacieux de dire qu’il en existe tant qu’on a du mal à les reconnaître. Ils vivent parmi nous, dans ce pays, dans nos communautés. Ce sont les héros de notre temps, à la mesure de l’époque, complexés et démesurés. Cet héroïsme-là n’est pas celui des actions d’éclat, feu de paille qui brûle une heure et que les vents mauvais ont tôt fait d’éteindre. Il est celui de tous les jours, celui qui fait le tissu même de la vie. Ainsi, il y a de l’héroïsme à revendiquer son mode de vie, indissolublement lié à la Torah et aux Mitsvot, en une période d’intolérance subtile. Il y a de l’héroïsme à vouloir vivre comme on l’entend sans se soucier de ceux qui voudraient que se taise notre voix. Il y a de l’héroïsme à être fidèle à soi-même sans jamais se fermer aux autres en un temps où l’on oublie que le particularisme bien vécu est une des clés de l’universalisme authentique. Cet héroïsme-là, c’est celui du respect des lois juives et des rites du judaïsme, c’est celui de l’école juive et de la maison d’étude, c’est celui de toutes les heures du jour.
Quant aux héros, ils vivent nos vies, et peuvent être chacun d’entre nous. Il suffit de décider que, profondément, notre âme est libre et que rien, jamais, ne pourra la réduire en servitude, que celle-ci soit matérielle, morale, intellectuelle ou spirituelle. Cette liberté héroïque appartient à celui qui s’en saisit. Elle est le prélude à la liberté majeure, celle du temps de Machia’h.
Une nouvelle Torah?
Le Midrach (Vayikra Rabba 13, 3) paraphrasant la prophétie d’Isaïe (51,4) déclare que, lors de la venue de Machia’h, “une nouvelle Torah sortira de Moi”. Il est cependant clair que la Torah présente un caractère d’éternité absolue. Dès lors, que cela signifie-t-il?
Aujourd’hui, la Torah se présente sous l’apparence de récits tels que ceux de Lavan, de Bilam etc. En revanche, lorsque Machia’h viendra, les mystères qui s’y trouvent cachés apparaitront. Il deviendra manifeste que ces histoires font référence à D.ieu, à l’édification des mondes supérieurs. C’est pourquoi D.ieu annonce qu’alors la Torah sortira “de Moi”: la manière dont la Torah tout entière parle de D.ieu deviendra évidente à tous.
(D’après Kéter Chem Tov, sec. 84 et 242)
Vaéra : Le chemin long et court
La ligne droite est bien le plus court chemin entre deux points et, apparemment, le chemin le plus sûr vers la ville; mais en réalité, il conduit vers une impasse.
Le 24 Tévet (cette année le 29 décembre) était la date anniversaire de la disparition de Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, le fondateur du ‘hassidisme ’Habad.
Rabbi Yehochoua ben ‘Hananiah dit: “un jour, un enfant a obtenu le meilleur de moi-même.
J’étais en voyage et je rencontrai un enfant à un carrefour. Je lui demandai: “où est le chemin vers la ville?” et il me répondit: “ce chemin-ci est court et long, et ce chemin-là est long et court”.
J’empruntai le chemin “court et long”. J’atteignis bientôt la ville mais trouvai son abord obstrué par des jardins et des vergers. Je dus donc rebrousser chemin et dis à l’enfant: “Mon fils, ne m’as-tu pas dit que c’était là le plus court chemin?”.
L’enfant répondit: “Ne t’ai-je pas aussi dit qu’il était long?” (Talmud Erouvin 53b).
Dans la vie également, il y a un chemin “court mais long” et un chemin “long mais court”.
Dans son Tanya, Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi jette les fondements de l’approche ‘hassidique ‘Habad de la vie. Sur la page de garde de sa “Bible du ‘hassidisme”, il définit son ouvrage ainsi:
“(Ce livre) est basé sur le verset (Deutéronome 30 :14) ‘Car [la Torah et ses préceptes] est quelque chose qui est très près de toi, dans ta bouche, dans ton cœur, que tu peux faire’ pour expliquer, avec l’aide de D.ieu, combien c’est véritablement excessivement près, d’une façon longue et courte”.
La Torah et ses commandements constituent le plan divin de la Création, traitant de la manière précise dont Il veut que la vie soit vécue et Son but à accomplir dans la Création. Mais peut-on réellement mener une vie comme l’ordonne la Torah? Peut-on s’attendre de manière réaliste à ce que “Monsieur tout le monde” conduise chacun de ses actes, chacune de ses paroles et de ses pensées en accord avec les prescriptions les plus exigeantes de la Torah ?
La Torah elle-même est assez claire sur le sujet : “Car la Mitsva que Je t’ordonne en ce jour ne t’est pas inaccessible ou éloignée de toi. Elle n’est pas dans les cieux… ni au-delà de la mer… Elle est plutôt très proche de toi, dans ta bouche, dans ton cœur, pour que tu puisses l’accomplir”. La Torah n’est pas un idéal abstrait, un point de référence vers lequel tendre, mais un but concret et accessible .
Mais comment ?
Dans le Tanya, Rabbi Chnéour Zalman développe l’approche ‘Habad, une approche de la vie dans laquelle l’esprit et l’intellect jouent un rôle essentiel et directif. Tout d’abord, l’homme doit étudier, comprendre et méditer sur les vérités essentielles de l’existence: la réalité de D.ieu qui transcende tout, qui embrasse tout et qui pénètre tout; la racine et l’essence de l’âme et son lien intrinsèque avec le Créateur; la mission de l’homme dans la vie, les défis qui lui sont lancés et les ressources dont il dispose pour l’accomplir. Puisque ces concepts sont extrêmement subtils et abstraits, il faut peiner, exercer “une tâche de l’âme et de la chair” pour les saisir et établir avec eux un lien.
L’étape suivante dans cette approche est de traduire cette connaissance et cette compréhension dans les émotions. Parce que le Créateur a empreint la nature humaine d’une supériorité innée de l’esprit sur le cœur, la compréhension, l’assimilation et la méditation sur ces concepts divins suscitent le développement des émotions appropriées dans le cœur : l’amour et la crainte de D.ieu. L’ “amour de D.ieu” est défini par Rabbi Chnéour Zalman comme un désir insatiable de s’unir à Lui et d’être joint à Son essence; la “crainte de D.ieu” est la répulsion absolue envers tout ce qui fait une barrière entre Lui et l’homme.
En dernier ressort, quand une personne a orienté ainsi son esprit et ainsi transformé son cœur, son observance de la Torah ne devient pas seulement possible mais un besoin pressant. Il aspire à l’accomplissement des Mistvot dans chaque fibre de son être puisqu’elles constituent le pont entre lui et D.ieu, les moyens, et les seuls moyens, par lesquels il peut se lier à son Créateur. Et chaque transgression de la volonté de D.ieu, aussi attractive soit-elle pour sa nature physique, est littéralement révoltante pour lui, puisqu’elle rompt sa relation avec D.ieu et va à l’encontre de sa véritable nature.
Mais l’on peut arguer: pourquoi passer ma vie à suivre ce régime contraignant de l’esprit et du cœur ? Pourquoi devrais-je lutter pour comprendre et ressentir ? Pourquoi ne pas emprunter l’approche directe: ouvrir les livres et suivre les instructions ? Je suis un simple Juif et atteindre un état si spirituel comme la “compréhension du Divin”, l’ “amour de D.ieu” et la “crainte de D.ieu” sont loin de mes aptitudes. Je connais la vérité, je sais ce que D.ieu veut de moi, la Torah édicte les “fais” et “ne fais pas” de la vie très clairement. J’ai une nature matérialiste et égocentrique ? Une inclination innée au mal et aux désirs auto-destructeurs ? Je peux les contrôler. Ma foi, ma détermination et ma volonté feront le travail.
Ceci est néanmoins le chemin court mais long. Comme la droite, ligne la plus directe entre deux points, elle nous conduit de façon erronée le plus directement à la ville ; mais en réalité, cette approche directe nous mène vers une impasse. Comme pour la route que Rabbi Yehochoua choisit en premier lieu, elle semble mener tout droit vers la ville, mais en fait elle n’y mène jamais jusqu’au bout. Car c’est une voie de bataille incessante, la scène d’un duel perpétuel entre l’âme animale tournée vers elle-même et l’âme Divine qui aspire à la spiritualité. En réalité, l’homme a reçu le libre arbitre, l’endurance morale et la force spirituelle nécessaires pour relever chacun de ses défis moraux ; mais la possibilité de l’échec, à D.ieu ne plaise, existe aussi. Quel que soit le nombre de ses triomphes, demain il sera confronté à une nouvelle épreuve. Dans la voie courte mais longue, il se peut qu’il gagne bataille après bataille, mais jamais une victoire décisive dans la guerre de la vie.
Par contre, la “voie longue mais courte” est tortueuse, escarpée, fatigante et longue comme la vie elle-même. Elle est pleine de hauts et de bas, de déceptions et de frustrations. Elle exige chaque mesure de résistance intellectuelle et émotionnelle que peut rassembler l’être humain. Mais c’est une route qui conduit régulièrement et sûrement à la destination désirée. Quand on finit par acquérir une aptitude et un goût intellectuel pour le Divin, quand on développe un désir pour le bien et une répulsion pour le mal, la guerre est gagnée. La personne s’est transformée en quelqu’un dont chaque pensée, chaque action et chaque acte sont naturellement harmonisés avec sa nature essentielle et son but dans la vie.
Qu’est-ce que la Ketouba ?
La Ketouba est un document écrit (d’où son nom) en Araméen, qui stipule en détails les obligations du mari envers son épouse. Ainsi, il s’engage à “ travailler pour elle, l’honorer, pourvoir à ses besoins en accord avec la pratique traditionnelle des époux juifs qui travaillent pour l’honneur de leurs femmes et pourvoient à leurs besoins sur une base de vérité ”.
Ce document est destiné à affirmer et renforcer le statut de la femme juive et à lui conférer certains privilèges. Il est également utile pour faire valoir ses droits lors d’un divorce, que D.ieu préserve.
La remise de ce document démontre que les mariés ne scellent pas seulement une union physique et sentimentale mais également une association humaine et financière qui définit les obligations du mari envers son épouse selon la loi juive ; il souligne les droits inaliénables de la femme juive.
Par ailleurs, la Ketouba signée par deux témoins respectueux de la loi juive atteste la validité du mariage et est considérée comme un témoignage de la judéité des époux, et donc de leurs enfants. C’est pourquoi la Ketouba est nécessaire pour permettre l’entrée des enfants à l’école juive ; la Ketouba des parents est nécessaire pour le mariage des enfants et, éventuellement, pour l’installation définitive en Israël (la “Alyah”).
La Ketouba, après valoir été lue sous le dais nuptial, est remise à la mariée qui la conservera précieusement. Si ce document venait à être perdu, le couple ne pourrait plus vivre ensemble tant qu’une nouvelle Ketouba ne serait pas écrite.
La remise de la Ketouba rappelle que lors du mariage entre D.ieu et le peuple juif au moment du don de la Torah, “Moïse prit le livre de l’alliance (la Torah)” et le lut devant tout le peuple juif réuni sous le “dais nuptial” qu’était le mont Sinaï.
F. L.
Nous nous rencontrerons encore une fois
Mon beau-père, un ‘Hassid de Belz, habitait en Autriche dans les années 30. Après son mariage, il ouvrit un magasin dans la ville où il vivait. Un matin, alors qu’il était déjà parti travailler, la police se présenta à son domicile pour le chercher.
Sa femme, consciente de la gravité de la situation, répondit : “Il est déjà parti depuis longtemps et ne reviendra pas avant quelques heures”. L’officier lui demanda de transmettre à son mari, dès son retour, qu’il devait venir le voir au commissariat. Puis les policiers partirent.
Après avoir attendu un instant, sa femme se précipita au magasin. En entendant la nouvelle, mon beau-père comprit que ce brusque intérêt de la police à son égard n’était pas de bon augure et il demanda à sa femme de retourner à la maison, d’emballer un maximum d’affaires et d’emmener les enfants pour fuir le pays.
Il réussit à se procurer une voiture et à emmener sa famille en Suisse. En route, ils informèrent le Rabbi de Belz de leur situation et celui-ci envoya une bénédiction bien explicite : bien que les Nazis continueraient à le poursuivre, le Rabbi de Belz assurait mon beau-père qu’il aurait toujours une longueur d’avance sur eux.
De la Suisse, il passa en France et s’établit à Paris : il ouvrit un petit restaurant dans le quartier juif, le “Pletzel”, de la rue des Rosiers. Un jeune homme entrait souvent dans cet endroit pour discuter de Torah et de Hala’ha (la loi juive) avec les différents convives. Comme mon beau-père est très sociable et aime connaître ses clients, il demanda à ce jeune homme qui il était ; mais celui-ci refusa gentiment et, avec un sourire, il répondit : “Nous nous rencontrerons encore une fois!”.
Un jour, deux vieux ‘Hassidim accompagnèrent le jeune homme et on voyait qu’ils s’adressaient à lui avec beaucoup de respect. Comprenant que ce jeune homme devait effectivement être une personnalité extraordinaire, mon beau-père demanda à ces ‘Hassidim qui il était, mais le jeune homme leur fit signe de ne rien révéler de son identité.
Au printemps 1940, le jeune homme entra dans le restaurant et prit congé de mon beau-père : “Je m’apprête à quitter la ville et je voudrais vous remercier pour votre hospitalité”.
Mon beau-père profita de cette occasion : “Puisque maintenant vous nous quittez, dites-moi donc qui vous êtes !”.
Le jeune homme répondit: “Partir sans rien est impossible, dit le Talmud. Alors je vous raconterai une histoire du saint Rabbi de Rougine”. Il relata donc un incident qui était arrivé et, à la fin, le Rabbi de Rougine disait: “Nous nous rencontrerons encore une fois!” Et il partit.
La guerre fut longue et douloureuse et mes beaux-parents s’établirent en Angleterre. Un de leurs fils (donc mon beau-frère) se maria et s’installa à New York.
Un jour, mon beau-père qui était parti lui rendre visite, tomba malade: la pneumonie. Mais comme il était également diabétique, cela posait à l’époque un gros problème: les médicaments qui pouvaient guérir une de ses maladies étaient incompatibles avec ceux de l’autre maladie. On l’amena d’urgence à l’hôpital, mais aucun médecin ne savait comment le soigner.
Sa situation empira.
Il dit à son fils: “Tout est entre les mains du Créateur. Va chez ces trois Rebbeïm – celui de Satmar, celui de Klausenbourg et celui de Loubavitch – et demande leur bénédiction!”.
Mon beau-frère s’acquitta avec empressement de cette mission et rapporta les réponses: “Le Rabbi de Satmar te bénit pour “une guérison complète” - ce sont ses mots exacts et le Rabbi de Klausenbourg dans les mêmes termes. Le Rabbi de Loubavitch a répondu : “Nous nous rencontrerons encore une fois”.
Alors que cette dernière phrase signifiait bien sûr qu’il guérirait et sortirait de l’hôpital, mon beau-père était peiné que le Rabbi de Loubavitch n’ait pas donné une bénédiction directe.
Le lendemain matin, quelqu’un frappa à la porte de sa chambre d’hôpital. Un inconnu entra, se présenta comme médecin et expliqua qu’il était venu à la demande du Rabbi de Loubavitch. Il examina le dossier médical de mon beau-père et sourit: “Il se trouve que votre cas est justement l’objet de ma spécialité: d’ici quelques jours, vous serez complètement rétabli et pourrez quitter l’hôpital !”.
Le personnel soignant suivit respectueusement les directives de ce spécialiste et, effectivement, mon beau-père put quitter l’hôpital peu de temps après et décida de se rendre chez le Rabbi de Loubavitch pour le remercier de s’être intéressé à son cas en lui envoyant le bon médecin.
En entrant dans le bureau du Rabbi, il eut un choc et se tint, pétrifié, alors qu’il avait reconnu le jeune homme qui venait de temps en temps dans son restaurant à Paris. Maintenant il comprenait le sens de cette bénédiction si particulière.
Le Rabbi sourit et lui dit calmement: “Je vous avais dit que nous nous rencontrerions encore une fois !”.
Reb Y. Goldberg
traduit par Feiga Lubecki