Editorial
10 Chevat : du bilan au projet10 Chevat, soixante ans plus tard. Ce pourrait être un titre, une annonce ou un slogan. C’est le début de cette semaine et c’est tout un programme. Il y a soixante ans, le précédent Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn, quittait ce monde. Son gendre, le Rabbi, prenait alors sa succession. Il y a soixante ans, le monde était bien différent de celui qui forme, aujourd’hui, notre cadre de vie. Nous étions en 1950 et le peuple juif, après les horreurs de la Shoa, commençait à peine sa reconstruction. Nul n’était certain de l’avenir du judaïsme et encore moins de sa pérennité. Beaucoup se demandaient pourquoi et comment ils étaient encore en vie. Rabbi Yossef Its’hak, arrivé en Amérique en 1940, avait d’emblée entrepris l’œuvre novatrice : aller à la rencontre de chacun, sans préalable ni exclusive, lui tendre la main, lui donner un chemin d’accès vers notre éternel héritage commun – la vie juive, le judaïsme.
En 1950, nul ne le savait encore, une autre époque allait commencer. Le gendre du précédent Rabbi, Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, assuma alors ce rôle essentiel. Sans s’arrêter sur les étapes du changement, chacun peut le constater par lui-même : les temps ont bien changé. Partout où nos yeux se portent, le judaïsme a retrouvé droit de cité. Où que nous allions, des représentants du mouvement loubavitch donnent un sens aux mots «bonheur et fierté d’être juif». Si on voulait résumer cette évolution rapide en une expression, il faudrait dire que nous avons vu là le «temps de la reconstruction». Après le désespoir, il y a eu l’espoir, comme une renaissance.
Et à présent ? Les grands anniversaires sont traditionnellement l’occasion de bilans. Chacun s’empresse alors de mesurer le chemin parcouru. Pour nous, Juifs, qui, parce que pénétrés d’un passé puissant et signifiant, vivons encore plus dans l’avenir que dans le présent, il s’agit bien moins de bilan que d’attente, bien moins d’inventaire que de projet. Nous sommes conscients que nous vivons un temps qui peut sembler porteur d’incertitudes – matérielles et spirituelles – un temps paradoxal, à la fois de dureté et d’instabilité. Nous sommes aussi conscients, car le 10 Chevat nous le montre et nous en donne la force, qu’au-delà de tout cela, la voie de la construction s’étend au devant de nous et qu’elle culmine dans le plus bel édifice qui soit : le troisième Temple que le Messie édifiera.
Etincelles de Machiah
La valeur d’un homme simpleDans la tradition juive, l’étude de la Torah est sans doute la valeur suprême, à telle enseigne que l’érudition est considérée comme une marque évidente d’élévation spirituelle. Cette idée, d’une légitimité incontournable, ne doit toutefois pas faire oublier la valeur de l’homme simple, de celui qui s’attache à D.ieu de tout son cœur avec la plus absolue sincérité.
A ce sujet, le Tséma’h Tsédek, le troisième Rabbi de Loubavitch, dit un jour que le Machia’h se réjouirait dans la compagnie de ces Juifs simples. Alors, précisa-t-il, une pièce leur sera réservée et les plus brillants érudits les envieront. Ainsi apparaîtra la vraie grandeur de ces Juifs qui servent D.ieu à l’infini.
(d’après une lettre du précédent Rabbi de Loubavitch,
Iguerot Kodech, vol. IV, p. 148) H.N.
Vivre avec la Paracha
Bechala’h : Les quatre factionsEt Moché dit au peuple : «N’ayez pas peur et voyez la délivrance que D.ieu vous montrera aujourd’hui. Car vous avez vu l’Egypte, ce jour, vous ne la reverrez plus jamais. D.ieu combattra pour vous et vous serez silencieux.»
D.ieu dit à Moché : «Pourquoi m’interpelles-tu ? Parle aux Enfants d’Israël, pour qu’ils avancent.» (Chemot 14 :13-15)
Nous avons tous vécu cette situation : nous nous réveillons un matin et réalisons que le monde ne tourne pas comme nous le voudrions.
Il est sûr que c’est une expérience que nous avons partagée mais chaque personne étant différente, elle réagit différemment. L’un s’embarquera dans une croisade chevaleresque pour changer le monde. L’autre considérera que le monde est perdu et se retirera entre des murs protecteurs qu’il construira pour lui-même et pour ceux qu’il aime. Un autre encore aura une approche dynamique, acceptant le monde comme il est et fera de son mieux dans les circonstances données. Enfin, le dernier reconnaîtra son inaptitude à faire face à la situation et pour y faire face cherchera des directives et de l’aide dans une puissance supérieure.
Nos ancêtres se trouvèrent face un tel réveil brutal le septième jour après leur libération d’Egypte.
Dix plaies dévastatrices avaient brisé la puissance des Egyptiens et les avaient obligés à libérer le Peuple Juif. Après deux siècles d’exil et d’esclavage, les Enfants d’Israël se dirigeaient vers le Mont Sinaï et leur alliance avec D.ieu. En fait, il s’agissait là de la raison même de l’Exode, comme D.ieu l’avait dit à Moché : «Quand tu sortiras cette nation d’Egypte, vous servirez D.ieu sur cette montagne. »
Mais soudain, la mer se trouvait là, devant eux et les armées du Pharaon se rapprochaient dans leur dos. L’Egypte était bel et bien vivante, la mer également et ils semblaient menacer l’existence même de la nation qui venait de naître.
Comment réagirent-ils ? Le Midrach nous relate que le Peuple Juif se divisa en quatre camps. Il y eut ceux qui s’écrièrent «jetons-nous dans la mer», ceux qui s’exclamèrent «retournons en Egypte». Le troisième groupe argua «combattons les Egyptiens» alors que les derniers plaidèrent «prions D.ieu».
Pourtant, Moché rejeta les quatre options, disant au Peuple : «N’ayez crainte, attendez et vous verrez la délivrance que D.ieu vous montrera aujourd’hui. Car tout comme vous avez vu l’Egypte aujourd’hui, vous ne la reverrez plus jamais. D.ieu combattra pour vous, et vous serez silencieux».
«N’ayez crainte, attendez et vous verrez la délivrance de D.ieu», explique le Midrach, était la réponse de Moché à ceux qui désespéraient de vaincre la menace égyptienne et voulaient plonger dans la mer. «Tout comme vous avez quitté l’Egypte aujourd’hui, vous ne la reverrez jamais» s’adressait à ceux qui voulaient se rendre et retourner en Egypte.
«D.ieu combattra pour vous» était destiné à ceux qui proposaient de combattre les Egyptiens.
Enfin, «et vous serez silencieux» visait ceux qui déploraient : «Tout cela nous dépasse. Tout ce que nous avons à faire est de prier».
Que doit donc faire le Juif qui se trouve pris entre une foule hostile et une mer féroce ?
«Parle aux Enfants d’Israël», dit D.ieu à Moché au verset suivant, «pour qu’ils avancent».
Le Tsaddik dans son manteau de fourrure
La route vers le Mont Sinaï était semée d’embûches et de défis à surmonter. Il en va de même pour la route depuis le Sinaï, notre voyage de trois mille ans consacré à l’implantation de l’idéal de la Torah dans notre monde.
Maintenant comme alors, plusieurs réponses sont possibles face à un monde adverse. On peut adopter l’approche qui consiste à se jeter à l’eau, l’approche désespérée de ceux qui renoncent à affronter et encore plus à transformer ce monde. «Plongeons-nous dans la mer du Talmud, la mer de la piété, la mer de la vie religieuse. Construisons des murs de sainteté pour nous protéger des vents qui tempêtent autour de nous et gardons en sécurité l’héritage du Sinaï».
Une ancienne parole ‘hassidique se réfère à ce type d’individu comme au «Tsaddik qui s’enroule dans son manteau de fourrure». Quand il fait froid, en hiver, il y a deux manières de se chauffer : vous pouvez faire un feu ou vous envelopper dans votre propre fourrure. Quand on demande à ce Tsaddik isolationniste pourquoi il ne se préoccupe pas de faire du feu pour que les autres aient chaud, il répond : «A quoi cela sert-il ? Je ne peux pas chauffer le monde entier !» C’est un Tsaddik, il est parfait mais dans sa vie, il n’y a pas de place pour des solutions partielles. «C’est sans espoir !» soupire-t-il.
L’esclave et le guerrier
Une seconde faction suggère : «retournons en Egypte». Plonger dans la mer n’est pas une option, dit ce Juif docile. C’est ce monde où D.ieu nous a placés et notre mission n’est pas d’y échapper mais de nous y plier. Il nous faut simplement diminuer nos attentes. Comment pouvions-nous espérer nous libérer de ses lois et de ses contraintes ? N’oublions pas que nous sommes en minorité et que nous dépendons du bon vouloir des Pharaons qui régissent le monde. Faisons donc de notre mieux dans ces circonstances.
La troisième réponse à ce monde non coopératif est de lui faire la guerre. Il ne faut pas lui échapper ni s’y soumettre. Il faut lui faire la guerre.
Ce Juif guerrier traverse sa vie en combattant les pécheurs, les antisémites, les Juifs pacifiques. Il sait que sa cause est juste, que D.ieu est de son côté et qu’il finira par triompher.
Le spiritualiste
Enfin, il y a le Juif qui contemple le monde, qui contemple les trois autres groupes, secoue sa tête, lève ses yeux au ciel. Il sait que les autres n’ont pas la bonne solution parce que, affirme-t-il, «nous ne sommes pas régis par les lois de la nature, notre monde est celui de l’esprit, de la parole». Il prie car la prière est la plus sûre des forteresses.
Aller de l’avant
Et quelle est la réponse de D.ieu ? « Parle aux Enfants d’Israël pour qu’ils avancent» !
Certes, il est important de garder et sauvegarder tout ce qui est pur et saint dans l’âme juive, de créer un sanctuaire pour D.ieu inviolable, dans notre cœur et dans notre communauté. Certes, il est des situations où nous devons nous confronter au monde dans ses propres termes. Certes, il nous faut mener la guerre contre le mal et reconnaître qu’on ne peut le faire tout seul.
En fait, chacune des quatre approches a son temps et son lieu. Mais aucune d’entre elles ne propose une vision qui nous permette de guider notre vie et définir notre relation avec le monde que nous habitons. Quand un Juif se dirige vers le Sinaï et rencontre un monde hostile ou indifférent, sa réponse essentielle doit être d’aller de l’avant.
Il ne s’agit pas d’échapper à la réalité, de s’y soumettre, de la combattre ni de la considérer que sous un regard spirituel. Il faut aller de l’avant. Faire une autre Mitsva, allumer une autre âme, faire encore un pas vers notre but. Les chars du Pharaon sont à nos trousses ? Une mer glaciale et impénétrable barre notre chemin ? Ne regardons pas en haut, regardons au loin. Regardons la montagne du Sinaï, avançons vers elle.
Et quand nous avancerons, nous verrons les barrières insurmontables céder et les menaces s’évanouir. Nous verrons qu’en dépit de toutes les preuves du contraire nous possédons à l’intérieur de nous-mêmes la force d’atteindre notre but. Même s’il nous faut ouvrir des mers.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que Tou Bichevat ?Le 15 (« Tou ») du mois juif de Chevat est un jour particulier : il est un des quatre «Roch Hachana» (début de l’année), en l’occurrence le Roch Hachana des arbres. On ne récite pas la prière de Ta’hanoune (supplication).
Ce samedi 30 janvier 2010, on mangera davantage de fruits, en particulier des fruits qui font la fierté de la terre d’Israël : blé, orge, raisin, figue, grenade, olive et datte. On s’efforcera également de manger des caroubes ainsi que des fruits nouveaux. On n’oubliera pas de réciter les bénédictions adéquates avant et après manger.
On aura soin de prélever la «Terouma» et le «Maasser» des fruits provenant d’Israël, avant Chabbat.
La Torah compare l’homme à un arbre des champs : lui aussi est supposé produire des fruits, c’est-à-dire des Mitsvot, des bonnes actions. De même que le fruit peut produire des arbres qui produiront des fruits etc…, de même nos Mitsvot entraînent d’autres Mitsvot, encouragent d’autres Juifs à assumer leur judaïsme, à retrouver leurs racines et à s’enraciner dans un sol riche d’étude de la Torah et de pratique des Mitsvot. C’est ainsi que le peuple juif se perpétue, se développe et produira d’autres fruits.
À Tou Bichevat, nous mangeons des fruits, nous «produisons» des fruits, nous plantons des graines de bonnes actions.
F. L.
De Recit de la Semaine
Des arbres qui enseignentA Jérusalem, le quartier Har Nof est habité par de nombreux immigrants originaires des Etats-Unis. C’est là que le Rabbi de Boston, Rabbi Lévi Yits’hak Horowitz – que son mérite nous protège – résidait six mois par an.
Ce quartier a la particularité d’être construit sur des collines assez raides et les immeubles d’habitation sont entourés d’allées et de jardins bien au-dessus du niveau de la rue.
Un hiver, un des habitants ajouta un balcon à son appartement et pour cela, coupa tout le haut d’un arbre voisin qui, sans doute, lui cachait la vue. Il déposa fièrement son trophée dans une allée où il se trouva au même niveau que le sommet d’un arbre fruitier planté plus bas sur la colline et là ils se dressaient tous deux, côte à côte, tous deux sans feuillage durant tout l’hiver.
Un jour le Rabbi de Boston passa devant ces arbres et remarqua devant un de ses ‘Hassidim : «Ces deux arbres nous enseignent une grande leçon de Moussar, de morale. Tous deux semblent stériles mais seulement parce que c’est l’hiver. Vous verrez au printemps, celui qui n’est que posé sur l’allée restera sans feuillage ; mais celui qui est planté en contrebas et qui a des racines s’épanouira et produira feuilles, bourgeons et fruits».
Ce qu’il voulait dire, c’est que tout au long de l’hiver, de l’exil, tous les Juifs semblent partager le même sort, peu enviable, qu’ils soient ou non enracinés dans l’étude de la Torah et la pratique des Mitsvot. Mais à l’époque de Machia’h (le printemps), la différence entre les deux choix de vies sera visible : les Juifs attachés au mode de vie juive traditionnelle porteront des fruits et s’épanouiront dans la spiritualité tandis que ceux qui n’ont pas de profondes racines n’en produiront pas.
Des moineaux s’étaient gaiement installés sur les branches vides et le Rabbi de Boston en profita pour raconter à son ‘Hassid une autre parabole : «Les feuilles sur l’arbre étaient heureuses. Elles étaient nourries de la sève qui montait du tronc, jouissaient d’une vue magnifique sur le paysage et se balançaient au rythme de la brise. Un jour, des moineaux se perchèrent sur une branche. Certaines feuilles remirent leur sort en question et devinrent jalouses. Pourquoi devaient-elles rester toute la journée clouées à la même place ? Pourquoi ne pouvaient-elles pas, elles aussi, quitter la branche et s’envoler gracieusement dans les airs comme les oiseaux ?
Leur jalousie augmenta de jour en jour jusqu’à ce que se lève une puissante tempête : un vent violent balaya justement ces feuilles et les arracha de l’arbre.
Leur rêve s’était réalisé ! Elles s’élevèrent au gré du vent, dansèrent joyeusement en s’interpelant l’une l’autre : «Comme c’est magnifique ! Quelle liberté ! Maintenant nous ressemblons aux autres, aux oiseaux, aux abeilles ! Regardez comme je monte gaiement vers les cieux, je vois enfin d’autres horizons ! C’est cela, la vie !»
Mais brusquement, le vent cessa de souffler et les feuilles tombèrent piteusement bien en dessous des oiseaux et des arbres, au sol. Là elles demeurèrent dans la boue, incapables de se relever à jamais».
Il en va de même pour ceux qui quittent notre tradition, avec ses contraintes mais aussi ses avantages. Ils peuvent s’élever et voler très haut «comme tous les autres» mais pas pour longtemps. La vraie vie, la vie spirituelle ne peut s’obtenir que si on demeure fermement attaché à l’Arbre de Vie.
Ces paraboles étaient puissantes, même un peu moralisatrices et sujettes à réflexion. Tous deux continuèrent de marcher en silence jusqu’à la synagogue, chacun étant plongé dans ses propres pensées.
Les semaines passèrent, le printemps arriva et Jérusalem se couvrit de verdure. Une fois encore, le Rabbi de Boston et le ‘Hassid se rendirent à la synagogue et passèrent devant «les arbres moralisateurs». Effectivement l’arbre bien enraciné arborait des branchages et des feuillages luxuriants mais l’autre aussi ! Que s’était-il passé ?
Une vigne avait grimpé le long du mur et son feuillage s’était enroulé sur les branches asséchées de l’arbre déraciné, le recouvrant complètement de feuilles et de fleurs.
«Voyez-vous, expliqua le Rabbi de Boston, même un arbre sans racines – un Juif coupé de ses racines de Torah – a la capacité de produire de beaux fruits, d’une certaine manière, s’il sert de support à ceux qui étudient la Torah, s’il aide – par exemple financièrement – ceux qui se consacrent à une vie de Torah ! »
Yerachmiel Tilles
« And The angels laughed » (Mesorah)
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traduit par Feiga Lubecki