Semaine 6

  • Bechala’h
Editorial
Racines

Au cœur de notre hiver frileux, le 15 Chevat revient et, avec lui, c’est tout le frémissement de la vie qui saisit chacun. Certes, une telle date, Tou Bichevat, le nouvel an des arbres, peut paraître quelque peu étonnante. En ce temps de froidure, le début de renouveau annoncé semble nous échapper largement. Il est pourtant bien présent, même si c’est à d’autres latitudes, celle de la terre d’Israël, qu’il se réfère.
Apparent ou non, Tou Bichevat est donc célébré avec tout l’éclat qu’il mérite et cette célébration même fait question. Il est ainsi décrit un nouvel an des arbres et cela devient un jour souligné par les hommes, comme si ces derniers étaient directement concernés par l’événement ! De fait, c’est comme un étrange rapport qui se noue ici entre l’homme et l’arbre. Le texte de la Torah l’affirme en une sentence fameuse : “l’homme est un arbre des champs”. L’image est claire : l’arbre, fermement ancré sur ses racines, grandit en harmonie au fil des ans, sa beauté s’exprime dans ses fruits qui non seulement l’ennoblissent mais sont les garants de sa pérennité puisque c’est à partir d’eux que de nouveaux arbres naîtront. Un tel portrait ne peut manquer d’évoquer l’homme, décrivant les contours de sa vie : cet être créé par D.ieu, qui se développe, donne les plus merveilleux des fruits par ses actions et s’assure une forme d’éternité par ses enfants, cet être qui a tant besoin de ses racines pour continuer à vivre pleinement.
Notre époque est, bien souvent, celle de l’immédiateté. A tout vouloir dans l’instant, elle oublie parfois l’importance de la durée et que, sans passé, aucun avenir n’est possible. Peut-être est-ce là une des raisons qui la conduisent à négliger le sort des racines, celles des arbres et celles des hommes ? En proie aux atteintes du temps, elles en viennent à dépérir peu à peu sans qu’on s’en aperçoive et l’être qu’elles portaient, végétal ou humain, se rend compte alors comme elles lui étaient nécessaires. Voici revenu Toubichevat, le nouvel an des arbres : un jour aussi pour comprendre et mesurer sur quoi reposent croissance et progrès.
Etincelles de Machiah
Une œuvre double

Maïmonide, dans le Michné Torah (Hil’hot Mela’him, chap. 11, Hala’ha 4) décrit les accomplissements de Machia’h. Il indique notamment que celui-ci “construit le Beth Hamikdach… et rassemble les exilés d’Israël”.
Certes, ces étapes font partie intégrante du processus messianique, toutefois elles évoquent aussi l’effort spirituel à réaliser par chacun pour parvenir à ce moment. En d’autres termes, celui qui veut hâter la venue de Machia’h doit s’engager dans des actions qui correspondent à ce que celui-ci fera :
1/ “Construire le Beth Hamikdach”: cela signifie travailler sur soi-même. Chacun doit faire en sorte que son Beth Hamikdach intérieur, celui de son âme, se dresse au sommet de la colline et ne soit jamais détruit;
2/ “Rassembler les exilés”: cela signifie travailler sur les autres. Si un Juif est spirituellement en exil, il faut lui venir en aide pour qu’il en sorte.
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch)
Vivre avec la Paracha
Bechala'h


Le chant de Miriam

Et Miriam, la prophétesse...prit le tambourin dans sa main; et toutes les femmes la suivirent avec des tambourins et des danses

Et Miriam les appela: Chantez pour D.ieu... (Chemot 15:20-21)





Nous ne chantons pas quand nous avons peur, quand nous sommes désespérés, endormis ou après un repas trop lourd. Nous chantons quand nous nous rapprochons de quelqu'un que nous aimons, quand nous espérons des temps meilleurs, quand nous célébrons un accomplissement ou attendons une révélation.
Nous ne chantons pas quand nous sommes contents de nous. Nous chantons quand nous aspirons à quelque chose ou quand nous avons goûté à la joie et grimpons dans les cieux.
Le chant est une prière, l'engagement de s'élever au-dessus des petitesses de la vie et d'adhérer à la source. Le chant est la quête de la Rédemption.

Le Midrach relate dix chants importants dans l'histoire d'Israël, dix occasions où notre expérience de la rédemption trouva son expression dans la mélodie et les paroles. Les neuf premiers furent les chants qui retentirent la nuit de l'Exode d'Egypte (Yichayahou 30:29), le Cantique de la Mer (Chemot15:1-21), le Chant du puits (Bamidbar 21:17-20), le chant de Moché quand il eut accompli l'écriture de la Torah (Devarim 31-32), le chant par lequel Yehochoua arrêta le soleil (Yehochoua 10:12-13), le chant de Dvorah (Choftim 5), le chant du roi David (Chmouël II :22), le chant d'inauguration du Beth Hamikdach (Tehillim 30) et le Cantique des Cantiques du Roi Chlomo, exprimant l'amour entre le marié Divin et son épouse Israël (Chir Hachirim).

Le dixième chant, poursuit le Midrach sera le chir 'hadach, le "nouveau chant" de la Rédemption Ultime, une Rédemption qui sera entière et absolue, une Rédemption qui annihilera toute la souffrance, l'ignorance, la jalousie et la haine de la surface de la terre, une Rédemption qui prendra de telles proportions que l'impatience qu'elle suscite et la joie qu'elle apporte requièrent un "chant nouveau", un vocabulaire musical tout à fait original, pour pouvoir capturer la voix de l'ultime aspiration des Créations.

Bis

Le chant de Rédemption le plus célèbre des dix est Chirat Hayam, le "Chant de la mer" chanté par Moché et les enfants d'Israël quand ils eurent traversé la Mer Rouge. Nous récitons ce chant chaque jour dans nos prières du matin et le lisons publiquement à la synagogue deux fois par an: le septième jour de Pessa'h ( l'anniversaire du miracle de la Mer Rouge) et un Chabbat d'hiver, dans le cours des lectures hebdomadaires de la Torah, un Chabbat qui se distingue donc avec le nom: Chabbat Chirah, le "Chabbat du Chant".

Le " Chant de la Mer" glorifie D.ieu pour la rédemption miraculeuse d'Israël quand Il ouvrit la Mer Rouge pour eux et noya les Egyptiens qui les poursuivaient. Il exprime le désir d'Israël que D.ieu les guide vers leur pays et repose Sa présence sur eux dans le Saint Temple. Il se conclut avec une référence à la Rédemption Ultime quand " D.ieu régnera à jamais".

En fait, " le chant de la mer" présente deux versions, une version masculine et une version féminine. Quand Moché et les Enfants d'Israël eurent chanté leur chant, "Miriam la prophétesse, la soeur de Moché, prit le tambourin dans sa main; et toutes les femmes suivirent avec des tambourins et des danses. Et Miriam les appela: " Chantez à D.ieu, car Il est le plus Saint; le cavalier et son cheval, Il les a jetés dans la mer..."
Les hommes chantèrent puis les femmes chantèrent, jouèrent du tambourin et dansèrent. Les hommes chantèrent, chantèrent leur joie devant la délivrance, chantèrent leur aspiration à une rédemption encore plus parfaite mais quelque chose manquait. Une dimension que seule une femme pouvait apporter.

Le sentiment et la foi

Miriam, la soeur aînée de Moché et d'Aharon, suscita et dirigea ce "bis" du "Chant de la mer", Miriam qui avait été appelée " amertume" (mar en hébreu signifie "amer") parce qu'au moment de sa naissance, le Peuple Juif était entré dans la phase la plus difficile de l'exil égyptien, Miriam qui, lorsque le nourrisson Moché avait été placé dans une corbeille, sur le bord du Nil, "se tenait, l'observant pour voir ce qu'il adviendrait de lui" (Chemot 2:4).

Car c'était Miriam qui, avec son puits profond de sentiment féminin, éprouva dans toute sa réalité l'amertume du galout (exil et persécution). Ce fut Miriam, avec son aptitude féminine à l'endurance, à la persévérance et à l'espoir, qui se tint, seule, pour observer la petite vie tendre qui fuyait dans une corbeille au bord de la rivière monstrueuse. Et ce fut encore Miriam, dont la vigilance devant ce qui allait devenir et devant sa mission envers son peuple, ne faillit jamais.

L'image de cette jeune femme cachée dans l'épaisseur des buissons au bord du fleuve, animée par l'espoir de la rédemption, persévérant en dépit de l'amertume de l’exil dans son coeur, n'est pas sans évoquer l'image d'une autre Matriarche qui observe: Ra'hel. Comme le Prophète Yrmiahou le décrit, c'est Ra'hel qui, dans sa tombe solitaire sur le chemin de Bethléhem à Jérusalem, pleure sur la souffrance de ses enfants en exil. C'est elle, plus que les Patriarches ou les leaders d'Israël, qui ressent la profondeur de notre douleur. C'est son intervention devant D.ieu qui, après que la leur a échoué , apporte la Délivrance.

Miriam et son chœur apportèrent au " Chant de la mer" l'intensité du sentiment et de la profondeur de la foi spécifiques aux femmes. Leur expérience de l'amertume de l'exil avait été beaucoup plus intense que celle des hommes et pourtant leur foi avait été plus forte et plus durable. Ainsi leur aspiration à la rédemption avait été beaucoup plus poignante. Et c'est également pour cette raison que leur joie, lorsque celle-ci se réalisa, et leur aspiration à ce qu'elle soit définitive s'exprimèrent avec encore plus d'intensité par les tambourins et les danses.

Aujourd'hui

Le grand Cabbaliste, Rabbi Yits'hak Louria ( le Ari, zal) écrit que la dernière génération avant la venue de Machia'h sera la réincarnation de la génération de l'Exode.
Aujourd'hui, alors que nous tenons au seuil de la Rédemption Ultime, ce sont à nouveau les femmes dont le chant est le plus poignant, dont le tambourin est le plus porteur d'espoir, dont la danse est la plus joyeuse. Aujourd'hui, comme alors, l'aspiration des femmes pour Machia'h, une aspiration qui est plus profonde que celle des hommes, inspire et emporte, forme les accents dominants de la mélodie de la Rédemption.
Le Coin de la Halacha
Qu'est-ce que Tou Bichevat ?

Le 15 ("Tou") du mois juif de Chevat est un jour particulier: il est un des quatre "Roch Hachana" (début de l'année), en l'occurrence le Roch Hachana des arbres. On ne récite pas la prière de Ta'hanoune (supplication).
Ce Chabbat 7 février 2004, on mangera davantage de fruits, en particulier des fruits qui font la fierté de la terre d'Israël: blé, orge, raisin, figue, grenade, olive et datte. On s'efforcera également de manger des caroubes ainsi que des fruits nouveaux. On n'oubliera pas de réciter les bénédictions adéquates avant et après manger.
La Torah compare l'homme à un arbre des champs: lui aussi est supposé produire des fruits, c'est-à-dire des Mitsvot, des bonnes actions. De même que le fruit peut produire des arbres qui produiront des fruits etc…, de même nos Mitsvot entraînent d'autres Mitsvot, encouragent d'autres Juifs à assumer leur judaïsme, à retrouver leurs racines et à s'enraciner dans un sol riche d'étude de la Torah et de pratique des Mitsvot. C'est ainsi que le peuple juif se perpétue, se développe et produira d'autres fruits.
A Tou Bichevat, nous mangeons des fruits, nous "produisons" des fruits, nous plantons des graines de bonnes actions.

F. L.
De Recit de la Semaine
Les fruits d'Israël

Il y a très longtemps, habitait en Eretz-Israël, un homme qui vivait avec sa famille dans une petite maison de pierres, semblables à toutes les autres, avec une exception : à côté de sa demeure, Rav Nissim possédait un arbre qui produisait de splendides grenades. Les gens venaient de loin pour se procurer les "fruits de Nissim", ces fruits de qualité quasi-miraculeuse ("Nissim"). D'ailleurs la vente de ces grenades assurait pratiquement les revenus annuels de la famille.
Cependant, une année, l'arbre ne produisit rien. Alors qu'il était habituellement chargé des fruits lourds et gorgés de jus, il était cette fois désespérément vide. Rav Nissim demanda néanmoins à son fils aîné de grimper à l'aide d'une échelle jusqu'au sommet de l'arbre : effectivement le garçon découvrit trois magnifiques grenades, plus belles que tous les fruits que cet arbre avait produits jusqu'alors.
Quand Chabbat arriva, Rav Nissim posa deux grenades sur la table, en l'honneur du Chabbat. Il réserva la troisième pour la fête de Tou Bichevat, le Nouvel An des Arbres.
La situation de la famille devenait difficile: l'arbre qui assurait d'habitude son indépendance financière n'avait produit aucune récolte. La femme de Rav Nissim lui suggéra de se rendre en-dehors d'Eretz-Israël afin de rapporter un peu d'argent, mais Rav Nissim ne pouvait se résoudre à quitter la Terre Sainte. Il ne voulait pas "faire honte" à cette terre qui n'avait pas pu assurer sa subsistance cette année-là. Il tenta de se lancer dans différentes affaires mais en vain. "Tant pis, admit-il, je partirai, mais ne révélerai à personne que je viens de la Terre Sainte".
Durant de longs mois, il voyagea de ville en village, mais en chaque endroit, on privilégiait les pauvres locaux, comme le précise le Code de Lois juives. Certainement, si Rav Nissim avait raconté qu'il venait de la Terre Sainte, on l'aurait aidé avec beaucoup d'honneurs mais il se refusait à utiliser la sainteté de sa terre natale pour son profit personnel.
A Tou Bichevat, il arriva en Turquie, dans la ville de Kouchta. Alors qu'il entrait dans la synagogue, pensant y trouver l'atmosphère de fête habituelle ce jour-là, il vit que les Juifs étaient assis par terre, pleuraient et récitaient Psaumes et supplications : " Que se passe-t-il ici ? " demanda-t-il, presque scandalisé.
" Le fils du sultan est très malade, expliqua le responsable de la communauté. Le sultan a décrété que, puisque les Juifs sont d'excellents médecins, ils doivent trouver le traitement ou le médicament qui guérira le prince, sinon il expulsera toute la population juive!"
A ce moment, le secrétaire du rabbin s'approcha de Rav Nissim et lui dit respectueusement: "Notre rabbin déclare qu'il serait très honoré d'avoir un invité venu d'Eretz-Israël!"
Rav Nissim était de plus en plus étonné. Comment le rabbin avait-il pu savoir d'où il venait ? Lui-même n'en avait jamais parlé à quiconque!
Il décida de demander directement au rabbin qui lui répondit: "Vous êtes accompagné d'un parfum très spécial, certainement l'odeur de la Terre Sainte!"
- C'est sans doute l'odeur de la grenade que j'ai apportée pour la fête. Je vous en prie, partagez-la avec moi ".
- Comment vous appelez-vous ? demanda le rabbin.
- Rav Nissim.
Le rabbin sourit alors. "C'est certainement la Providence Divine qui vous a amené ici. En l'honneur de Tou Bichevat, j'ai étudié dans les livres de Kabbala la signification des différents fruits. Le mot " Rimonim " qui désigne les grenades est l'acrostiche des mots : " Refouat Méle'h Oubeno, Nissim Yavih Méhéra ", c'est-à-dire : " La guérison du roi et de son fils, c'est Nissim qui l'apportera rapidement ". Venez, nous allons verser un peu du jus de votre grenade dans la bouche du prince. Peut-être le mérite des fruits de la Terre Sainte apportera-t-il la guérison et donc la délivrance de notre communauté ! "
Les deux hommes furent admis dans la chambre du prince qui avait sombré dans le coma.
Avec la permission du sultan, désespéré, ils réussirent à introduire quelques gouttes du jus de grenade dans sa bouche. Soudain, son visage si pâle devint légèrement rosé. Encore quelques gouttes et on remarqua que ses paupières bougeaient légèrement.
Le sultan saisit la main de son fils bien aimé tandis que des larmes de joie coulaient de ses yeux. Il se tourna vers les deux Juifs et promit: " Je n'oublierai jamais ce que vous avez fait pour mon fils".
Le lendemain, Rav Nissim et le rabbin furent appelés au Palais. Le prince souriant était assis sur son lit. Les serviteurs du sultan apportèrent des sacs et des sacs chargés d'or et de pierres précieuses qu'ils remirent à Rav Nissim: "Ce n'est qu'une infime partie de ce que je vous dois car vous avez sauvé mon fils. Quant aux Juifs de Kouchta, ils peuvent rester ici, prospérer et faire prospérer le pays en paix ".
Rav Nissim retourna chez lui, chargé de richesses. L'été suivant, l'arbre produisit à nouveau une extraordinaire récolte de grenades. Sans doute la disette d'une année n'avait-elle eu lieu que pour sauver toute une communauté…

Traduit par Feiga Lubecki