Samedi, 22 mars 2025

  • Vayakhel
Editorial

 La libération en marche

Une fois de plus, nous avons célébré la victoire inattendue, le miracle surgissant au cœur du monde sans même qu’on y ait pris garde : la fête de Pourim. Puis nous sommes directement entrés dans le Chabbat, encore pleins de l’allégresse du jour précédent qui a pris ainsi une dimension nouvelle. « Et ensuite ? » a-t-on envie d’interroger. Que va-t-il se passer maintenant ? Peut-on vraiment redescendre simplement dans la vie quotidienne en nous contentant des souvenirs, même précieux, glanés dans la période ?

Il faut donc en prendre conscience dès à présent : si l’on doit définir le temps qui commence, c’est celui où nous passons d’une libération à l’autre, de celle de Pourim à celle, qui approche, de Pessa’h. Chacune des deux désigne un univers bien différent, tant géographiquement que spirituellement, l’empire perse pour le premier et l’Egypte antique pour le second. Pourtant leurs dates respectives les rapprochent et les sages les relient comme en une suite signifiante. De fait, malgré leur éloignement, il s’agit bien là de deux pôles d’expression du service de D.ieu.

A la gloire de Pessa’h qui montre D.ieu venant libérer Son peuple du sein de l’Egypte pour le mener vers sa mission éternelle répond, à Pourim, la volonté de ce même peuple qui refuse de plier devant ses ennemis et est prêt à sacrifier sa vie. Il est vrai que de nombreux siècles s’étendent entre ces deux points, mais l’idée reste toujours présente : l’histoire avance et ses chemins peuvent paraître souvent bien sinueux, mais le Peuple juif en a l’habitude. Il sait que, quelles que soient les conditions environnantes, quels que soient aussi les éventuels dangers de la route, le temps fait son œuvre. Au fil des jours, nous avançons et nous parvenons à la libération, jusqu’à la Délivrance ultime. Il ne dépend que de nous d’en faire la réalité de la vie.

Car, dans cette attitude, tient l’accomplissement des choses et des temps. Tout dépend des actions des hommes, créatures à qui le Créateur a confié le destin de l’univers. Alors que les préparatifs de Pessa’h commencent avec l’intensité nécessaire, nous sommes pleins de la grandeur du temps. A nous d’en tirer le plus noble parti.

Etincelles de Machiah

 La manière juive

Un jour, alors que le Tséma’h Tsédèk – le troisième Rabbi de Loubavitch – était encore un jeune homme, il s’assit parmi un groupe de ‘hassidim qui discutaient de la question : « Qui sait quand Machia’h va venir ? »

Il commenta : « Ce type de discours rappelle la manière de Bilaam, le prophète non-Juif qui déclara à propos de Machia’h : ‘Je le vois mais il n’est pas proche ; je le perçois mais pas dans l’avenir immédiat’ – comme si la Délivrance était lointaine. Un Juif, lui, doit espérer et attendre chaque jour que Machia’h arrive ce jour même ».

(d’après la tradition orale)

Vivre avec la Paracha

 Qu’est-ce que le ‘Hamets ?

Durant Pessa’h, on n’a le droit ni de posséder ni de consommer du ‘Hamets. Il faudra donc, avant le samedi 12 avril 2025 à 11h 30, se débarrasser de tout aliment à base de céréale fermentée comme par exemple : le pain, les céréales, les pâtes, les gâteaux, certains alcools, médicaments et produits d’hygiène. C’est pourquoi on a coutume de bien nettoyer la maison, le magasin, le bureau, la voiture etc… avant Pessa’h, afin d’éliminer toutes les miettes.

Pour éviter de posséder, même involontairement du ‘Hamets à Pessa’h, on remplira une procuration de vente, que l’on remettra à un rabbin compétent. Celui-ci se chargera alors de vendre tout le ‘Hamets à un non-Juif. Cette procuration de vente peut être apportée au rabbin ou lui être envoyée par courrier, fax ou Internet et devra lui parvenir au plus tard l’avant-veille de Pessa’h, cette année jeudi 10 avril 2025.

Il n’est pas nécessaire d’avoir terminé tout son ménage pour dresser la liste de ce qu’on envisage de vendre.

Durant tout Pessa’h, on mettra de côté dans des placards fermés à clé tout le ‘Hamets que l’on n’utilisera pas durant Pessa’h mais qu’on pourra « récupérer » une heure après la fête qui se termine le dimanche 20 avril 2025 à 21h 42 (horaires valables en Ile-de-France).

Le Coin de la Halacha

 Vayakhel

Moché réunit le peuple d’Israël et réitère le commandement d’observer le Chabbat. Il transmet alors les instructions de D.ieu concernant la construction du Michkane (le Tabernacle). Le peuple fait don, en abondance, des matériaux requis, apportant de l’or, de l’argent et du cuivre, de la laine teinte en bleu, violet et pourpre, des poils de chèvre, du lin tissé, des peaux de bête, de la laine, du bois, de l’huile d’olive, des herbes et des pierres précieuses. Moché doit leur demander de cesser leurs dons.

Une équipe d’artisans au cœur sage construit le Michkan et son mobilier (comme cela a été décrit dans les Parachiot précédentes : Terouma, Tetsavé et Ki Tissa) : trois couches pour les couvertures du toit, 48 panneaux muraux plaqués d’or et 100 socles d’argent pour les fondations, la Paro’hèt (voile) qui sépare les deux chambres du Sanctuaire et le Massa’h (écran) pour le devant, l’Arche et son couvercle avec les Chérubins, la Table et ses Pains de Présentation, la Menorah à sept branches avec son huile tout spécialement préparée, l’autel d’or et les encens qui y sont brûlés, l’huile d’onction, l’autel extérieur pour les offrandes que l’on doit brûler et tout son équipement, les cintres, les poteaux, et les socles de fondation pour la cour et enfin le bassin et son piédestal, fait de miroirs de cuivre.

Qui a construit l'Arche Sainte (Le Arone Hakodèch) ?

La Torah décrit en détails, dans la Paracha de cette semaine, les diverses actions entreprises pour ériger le Michkane, le Sanctuaire portatif dans le désert. À plusieurs reprises, la Torah énonce : « et il a fait… », sans toutefois indiquer explicitement l’identité des responsables de chaque partie du Michkane. Ce manque de précision nous conduit à conclure qu'il s'agit du principal architecte du Michkane, Betsalel. Cependant, cela soulève une difficulté : pourquoi son nom n'est-il mentionné explicitement que dans le contexte de la construction de l'Arche ?

Rachi semble avoir anticipé cette question lorsqu'il déclare que « Betsalel s'est engagé avec une diligence supérieure à celle des autres Sages, ce qui explique sa nomination en son honneur ».

Toutefois la question demeure : pourquoi était-il plus assidu concernant l'Arche Sainte par rapport aux autres éléments du Michkane ?

Une explication réside dans le caractère véritablement singulier de l'Arche. Le Michkane a été édifié comme un lieu de résidence pour D.ieu, destiné à être l'endroit où tous ceux qui y pénétreraient ressentiraient la Présence divine de manière tangible. Néanmoins, c'est précisément à travers l'Arche que D.ieu communiquait avec Moché et qu’elle témoignait de Sa présence au sein du Michkane.

En outre, le Michkan avait été édifié comme un symbole de la réconciliation entre D.ieu et le peuple, consécutivement au péché du veau d'or, qui avait engendré un éloignement de la Présence divine. La construction du Michkane, et plus particulièrement celle de l'Arche, illustre que D.ieu leur avait accordé un pardon complet et était disposé à résider à nouveau parmi eux. Nous pouvons désormais comprendre pourquoi Betsalel manifestait un attachement particulier à l’édification du Michkane dans son ensemble ainsi qu’à celle de l'Arche en particulier. Rien n'était plus précieux pour lui que le retour de la Présence divine, rendue possible par l'Arche.

Le petit-fils de ‘Hour

Néanmoins, la question persiste. Il est indiscutable qu'il existait d'autres individus vertueux qui reconnaissaient la sainteté de l'Arche, ainsi que l'incroyable bonté et compassion de D.ieu, Qui était prêt à ignorer leurs erreurs passées pour renouer avec eux par le biais de l'Arche. Pourquoi, parmi toutes les personnes justes ayant joué un rôle essentiel dans la construction de l'Arche, Betsalel ressentait-il cet attachement émotionnel sans précédent ? 

La réponse réside dans la manière dont la Torah présente Betsalel : « Betsalel fils de Ouri, fils de ‘Hour ». Pourquoi la Torah mentionne-t-elle son grand-père pour établir son identité, alors que pour son compagnon Aholiav seule l'identité paternelle est précisée ? 

En réalité, cette interrogation permet d'éclairer le lien singulier que Betsalel entretenait avec l'Arche. ‘Hour, le grand-père de Betsalel, était l'un des dirigeants du Peuple juif. Fils de Miriam, sœur de Moché, il jouissait de la confiance de ce dernier. Lorsque Moché gravit la montagne pour recevoir la Torah, il confia à ‘Hour et Aharon la responsabilité du peuple, comme cela est consigné dans le Livre de Chemot. Après l'épisode du veau d'or, son nom ne réapparaît plus. Que lui est-il donc arrivé ?

Nos Sages nous enseignent qu'au moment où les instigateurs du veau d'or se sont approchés de lui avec leur projet de construction, il a exprimé une opposition ferme à cette initiative. Ils n'ont pas supporté sa position militante contre le veau d'or et l'ont tué. En d'autres termes, ‘Hour a sacrifié sa vie dans sa tentative d'empêcher le péché grave lié au veau d'or, qui éloignait D.ieu du Peuple juif. Betsalel, par conséquent, ressentait un attachement particulièrement profond envers tout ce qui annulait les effets néfastes du veau d'or. Il éprouvait ainsi une grande affinité pour l'Arche, véritable antithèse du veau idolâtre. Betsalel était imprégné de dévotion envers la Présence de D.ieu dans ce monde, à l’instar son grand-père ‘Hour. C'est pourquoi son nom est mentionné comme celui qui a construit l'Arche.

Notre génération en mode inverse

Cette dévotion à la construction de l'Arche, en tant que renversement du veau d'or, revêt une importance particulière pour la mission de notre génération. Nous avons été témoins de l'éloignement le plus significatif de la Présence divine dans ce monde, résultat des nombreux mouvements antireligieux et anti-juifs qui ont émergé au cours des deux derniers siècles. 

Tous ces « ismes », parfois portés par des Juifs révoltés, constituent une version moderne du Peuple juif érigeant un veau d'or pour lui rendre culte ; ils représentent, à bien des égards, une réactualisation des débâcles liées au veau d'or. La Présence divine a été « chassée » de la conscience collective mondiale en raison de ces mouvements. 

Cependant, il existe de nombreux ‘Hour et Betsalel qui ont consacré leur vie à inverser cette tendance, en s'opposant à ces mouvements et en édifiant des Sanctuaires et des Arches, tant littéralement que figurativement, afin de réintroduire D.ieu dans le monde et le monde à D.ieu. Ce sont ces efforts qui permettront l'avènement du Machia’h, la reconstruction du Beth Hamikdach, le Saint Temple de Jérusalem et la restauration de l'Arche Sainte à sa place. 

À ce moment-là, une mention honorable sera faite aux « ‘Hour » du monde qui ont combattu les forces anti-divines de la société, et tout particulièrement aux « Betsalel » qui ont agi activement pour préparer le chemin vers le Machia’h ; ceux qui ne renoncent pas à leurs prières envers D.ieu ni à leurs actions divines visant à apporter la Rédemption et à faire du monde un « lieu de résidence » pour Lui.

Le Recit de la Semaine

 L’adresse

Les nazis avançaient profondément en Russie et Ne’hama devait absolument s’enfuir de Babrouisk. Son mari avait été enrôlé de force dans l’armée soviétique et sans doute tué dans les combats : comme pour tant d’autres victimes innocentes, elle ne le saurait jamais. Avec son bébé âgé de quelques mois et ses deux filles, Mina et Batcheva âgées de 8 et 10 ans, elle décida de fuir vers Tachkent, très loin de Moscou, en Ouzbékistan, là où une petite communauté juive s’était installée et se développait. Le train était bondé, une fois par des soldats nazis, une autre fois par des soldats soviétiques, tous plus sauvages les uns que les autres. Mais elle n’avait pas le choix, elle se réfugia dans un coin, espérant ne pas attirer l’attention de qui que ce soit avec ses enfants. Pourtant, il fallait trouver de quoi manger… Au bout de quelques jours, le bébé succomba et, quelques jours plus tard, elle aussi très affaiblie rendit l’âme. Les deux fillettes restèrent seules au monde ! Le train continuait sa route et nul ne s’occupait du sort de qui que ce soit. Le train passa par Tachkent mais ne s’arrêta que des centaines de kilomètres plus loin, sans doute au bout du monde ! Les deux fillettes apeurées furent envoyées dans un orphelinat où on s’occupa d’elles et de centaines d’autres orphelins dans des conditions effroyables mais, au moins, elles survécurent ensemble. A la fin de la guerre, le directeur rassembla les enfants : Mina avait maintenant douze ans et Batcheva dix. L’orphelinat allait fermer ses portes puisque la guerre était finie et chaque enfant pourrait enfin rejoindre sa famille : pour cela, il fallait donner l’adresse d’un parent, d’une connaissance à qui le directeur pourrait envoyer une lettre afin que chacun vienne récupérer son enfant. A douze ans, Mina réalisait que sa vie et celle de sa petite sœur dépendait d’une adresse et elle cherchait désespérément dans sa mémoire ! Elle n’avait que sept ans quand la guerre avait éclaté et n’avait jamais pensé à mémoriser une adresse ! Et même si elle pouvait retrouver leur adresse à Babrouisk, cela ne servirait à rien puisque les deux parents étaient morts dans des circonstances terribles. Et elle ne se souvenait d’aucune autre adresse… Pourtant, elle voulait absolument retrouver une communauté juive, pour manger cachère comme ses parents lui avaient appris et, de plus, elle se sentait responsable de sa petite sœur ! Elle se tournait et se retournait dans son lit en priant pour que D.ieu lui envoie une solution.

Elle se souvint alors d’une journée, la journée la plus énervante qu’elle avait vécue dans sa courte enfance. Une année, quelques jours avant Pessa’h, le Cho’het (sacrificateur rituel) était venu à Babrouisk et avait abattu des oies pour la fête : outre leur chair, ces volatiles étaient précieux pour leur Schmalz, la graisse, la seule matière grasse que se permettaient les familles de ‘Hassidim pendant la fête. Ne’hama, la mère de Mina avait une sœur, Mme Raskin qui habitait à Petersburg et à qui elle envoyait, chaque année avant Pessa’h cette fameuse graisse d’oie, indispensable pour toute maîtresse de maison. Un jour, Ne’hama avait demandé à Mina de l’accompagner au bureau de poste mais, justement ce jour-là, l’employé avait été encore plus désagréable que d’habitude et il refusa de prendre en charge la caisse contenant le précieux aliment, prétendant que celui-ci allait se renverser, salir tout le wagon, attirer toutes sortes de bestioles… Ne’hama eut beau implorer, supplier qu’il ait pitié de sa sœur qui ne pourrait rien cuisiner pour Pessa’h sans cette graisse d’oie… Finalement, on trouva un compromis : Ne’hama rentrerait chez elle, apporterait d’autres tissus et cartons pour envelopper la graisse pendant que Mina attendrait au bureau de poste avec la lourde caisse. Elle n’avait pas le choix et la petite Mina âgée de sept ans dut patienter à la poste pendant trois heures avec cette caisse mal emballée. Que pouvait-elle faire durant ces trois heures ? Aucune distraction… Elle lut et relut l’adresse écrite sur la caisse, une fois, deux fois, dix fois, cent et une fois certainement, la mémorisant bien malgré elle…

Maintenant à l’orphelinat, elle se souvenait parfaitement de cette adresse à Leningrad et demanda au directeur d’envoyer la lettre à cette fameuse tante. Ce qu’il fit. Mais il n’y avait plus personne à Leningrad pour recevoir la lettre, tous s’étaient enfuis et dispersés dans l’immensité de l’Union Soviétique en guerre…

Quelques mois plus tard, un des membres de la famille se retrouva « par erreur, par hasard » à Leningrad et, bien qu’il sache que plus personne de sa famille n’habitait plus sur place, il se rendit néanmoins dans son ancienne demeure, pour éventuellement ramasser du courrier ! C’est ainsi qu’il découvrit la lettre de l’orphelinat. Et l’oncle des deux orphelines, bouleversé à l’idée de ces fillettes seules survivantes de la famille de sa sœur, entreprit un voyage de plus de 5000 kilomètres dans des conditions éprouvantes pour les récupérer et les sauver !

Par la suite, elles purent monter avec lui en Israël, se marièrent ; Mina Rivkin et Batcheva Althaus fondèrent deux très belles familles ‘hassidiques à Kfar ‘Habad.

Elles avaient été sauvées grâce à ces quelques heures éprouvantes passées à ne rien faire au bureau de poste afin de rendre service à cette tante qui, finalement, leur rendit bien service à son tour !

Cessons de nous plaindre pour les petits tracas de la vie quotidienne, rien n’est dû au hasard : certainement, quand nous éprouvons des moments difficiles, D.ieu est en train de préparer de grands événements heureux pour nous et tout le Peuple juif.

Rav Shneor Ashkenazi

traduit par Feiga Lubecki