Au temps du retour
Nous voici donc de retour ! Le mois de Tichri nous a entraînés dans une sorte d’au-delà du temps et du monde. Il nous a fait vivre des expériences inconnues jusque là. Il nous a emportés en un royaume où seule la préoccupation du spirituel importe. C’est ainsi qu’il nous a donné des forces nouvelles et que nous nous sentons aujourd’hui pleins d’une énergie que rien ne pourrait dompter. Pourtant tout cela doit prendre fin. Le cycle des choses a repris son cours pour ainsi dire naturel et le texte de la Torah même semble nous rappeler comme tout décidément recommence. Cet instant est, dès lors, crucial : saurons-nous passer d’un temps de merveilles à ce qui paraît n’être comparativement que routine quotidienne ? En d’autres termes, peut-on garder en cœur et en tête le sens du prodige quand la matérialité du monde fait sentir tout son poids ? Décidément, y a-t-il un avenir après les fêtes de Tichri et alors que le mois s’est bien achevé ?
Une telle question est loin d’être purement rhétorique. C’est que la vie ne peut se dispenser d’un projet, d’une direction qui permette de savoir comment la construire jour après jour. Les fêtes que nous venons de vivre ne peuvent donc rester de simples et agréables souvenirs ; elles doivent être des composants majeurs de notre nouvelle conscience, jusqu’à nous donner les moyens et nous indiquer les chemins d’une avancée infinie.
On a raison de dire que le texte de la Torah et le défilement de son cycle annuel nous donnent toujours de précieuses leçons. On a sans doute également raison de penser que, si l’occurrence de telle histoire dans ce cycle semble parfois le pur effet du hasard, cela n’est vrai qu’à nos yeux qui ont bien du mal à voir la réalité profonde des choses. Or, c’est justement cette semaine que retentit dans toutes les synagogues l’épopée de Noé : le Déluge. Une histoire fantastique : l’immoralité, la perte de soi et la disparition de l’humanité dans les eaux déchaînées du ciel et de la terre pour faire place à un nouveau commencement. Mais le Déluge n’est pas seulement la narration d’un événement antique, il est aussi histoire de notre temps. Le Déluge qui emporte tout sur son passage n’est-il pas ainsi la figure du vacarme du monde qui efface l’essentiel, comme les eaux recouvrirent la création ? Le Déluge n’est-il pas une image de la fin de la sérénité rayonnante qui a marqué le mois de Tichri ? Si c’est bien le cas, le remède est connu : l’arche. En hébreu, cela se dit « Téva », un terme qui peut aussi se traduire par « mot ». Entrer dans l’arche n’est plus simplement trouver refuge dans un bateau, c’est aussi embarquer dans les mots : ceux de la prière et de l’étude.
Au-dehors, le déluge gronde ? Le monde refuse de faire silence ? Il entend réoccuper la place dont les fêtes l’avaient chassé ? C’est dans les mots que tient notre réponse, celle de l’éternel Peuple du Livre.
La matérialité de l’homme
A l’époque du Beth Hamikdach, les Juifs, par nature, éprouvaient le désir profond et sincère de servir D.ieu. Pour eux, les affaires de ce monde n’étaient que nécessité, ils ne les recherchaient que de manière superficielle, sans ardeur particulière.
En temps d’exil, c’est l’inverse qui est vrai. L’homme, par nature, ressent une attirance pour l’aspect matériel du monde tandis que le service divin, l’amour de D.ieu n’aboutissent qu’au terme d’un effort intense.
C’est la situation antérieure que le Machia’h rétablira.
(d’après Likoutei Torah, Ki Tétsé, p.40a)
Noa’h
Dans un monde consumé par la violence et la corruption, D.ieu s’adresse au seul homme juste et lui demande de construire une « Téva » (« arche ») pour se protéger (ainsi que sa famille et des spécimens de chaque espèce animale) du déluge qu’Il va déverser sur la terre.
Après quarante jours et quarante nuits de pluie et cent cinquante jours d’accalmie, la Téva se pose sur le Mont Ararat. Noa’h constate que la terre a complètement séché, (trois cent soixante-cinq jours après le début du Déluge) et il obéit à l’ordre de D.ieu de sortir de l’arche et de repeupler la terre.
Noa’h construit un autel et offre à D.ieu des sacrifices de gratitude et D.ieu jure de ne plus jamais détruire l’humanité. Il fait naître un arc en ciel comme signe de cette nouvelle alliance.
D.ieu donne également à Noa’h sept lois destinées à l’humanité entière.
No’ah, devenu vigneron, est intoxiqué par l’alcool. Deux de ses fils, Chem et Yaphèt sont bénis pour l’avoir recouvert dans sa nudité, le troisième ‘Ham est puni de lui avoir manqué de respect.
Les descendants de Noa’h défient le Créateur et construisent une tour, à Babel, pour affirmer leur invincibilité. D.ieu mêle alors tous leurs langages si bien que, faute de se comprendre, ils abandonnent leur projet et s’éparpillent sur la terre, se séparant en soixante-dix nations.
La fin de la Parachat Noa’h énonce la chronologie des dix générations séparant Noa’h d’Avram et le voyage de ce dernier depuis son lieu de naissance, Our Kasdim, vers ‘Haran, sur le chemin de la terre de Canaan.
La tour vide
« Et ils se dirent, l’un à l’autre : …Construisons pour nous-mêmes une ville et une tour dont le sommet atteindra les cieux ; et nous ferons un nom pour nous-mêmes, de peur d’être éparpillés sur la surface de toute la terre. » (Beréchit 11 :3-4)
L’histoire de la Tour de Babel, relatée en neuf versets concis, au onzième chapitre de Beréchit, constitue l’un des récits bibliques les plus énigmatiques.
Nous découvrons que les descendants des survivants du Déluge de Noa’h s’installèrent dans la ville de Chinar (Babylone) et s’attelèrent à la construction d’une ville et d’une tour qui devraient permettre de les unifier et de prévenir leur dispersion. Cependant, très rapidement, leur entreprise sombra dans l’arrogance, l’idolâtrie et la rébellion contre D.ieu. La réponse de D.ieu consista à semer la discorde parmi eux en embrouillant leurs langues si bien que « aucun homme ne comprenait le langage de son prochain. »
« D.ieu les dispersa de là sur la surface de la terre et ils s’arrêtèrent de construire la ville. C’est pourquoi elle fut appelée Babel (confusion) puisque c’est là que D.ieu sema la confusion dans les langues du monde ; et partir de là, D.ieu les dispersa sur la surface de toute la terre. » (Beréchit 11 :8-9)
Quel était leur péché ? Les raisons pour lesquelles ils construisirent une ville avec une tour « dont le sommet atteindrait les cieux » semblent tout à fait compréhensibles. L’humanité venait tout juste de se reconstruire après le Déluge qui avait effacé la race humaine dans son intégralité, mis à part Noa’h et sa famille. Pour que l’humanité naissante puisse survivre, l’unité et la coopération étaient d’une importance cruciale. C’est ainsi qu’ils se mirent à construire une ville unifiée qui les souderait en une communauté unique. Et en son centre, ils prévoyaient une tour qui serait visible à des kilomètres de là, un point de repère pour attirer l’attention de ceux qui s’étaient éloignés de la ville et un monument pour inspirer l’engagement au but commun : la survie. Tout ce qu’ils voulaient était de « faire pour nous-mêmes un nom » par assurer la perpétuité de la race humaine.
Et pourtant, leur projet de préservation de l’humanité se détériora et devint un rejet de tout ce que signifie l’humanité et une révolte ouverte contre le Créateur et Son projet. Leur quête d’unité résulta en la désintégration du genre humain en clans et en factions et à la genèse de millénaires d’incompréhension, de xénophobie et de crimes dans la division des races, des langues et de la culture. Où était la faille ?
Mais c’était précisément cette attitude qui constituait leur erreur. Ils considéraient la survie comme une fin en soi. « Faisons-nous un nom pour nous-mêmes », affirmaient-ils. Assurons-nous que les futures générations liront nos faits et gestes dans leurs livres d’histoire. Mais pourquoi survivre ? Dans quel but l’humanité devait-elle habiter la terre ? Quel était le contenu du nom et de l’héritage qu’ils œuvraient à préserver ? De cela, ils ne se préoccupaient pas, n’y pensaient pas et ne faisaient rien dans ce but. Pour eux, la vie seule était un idéal en soi et la survie seule une qualité.
C’est là le commencement de la fin. Aucun système matériel ne peut tolérer le vide et cela est également vrai des réalités psychologiques, sociales et spirituelles. Sans une âme ou une raison d’être remplies de contenus positifs, la corruption finira par s’insinuer. Un nom et une tour vides de sens finiront par devenir une tour de Babel.
Après le Déluge
Jamais la leçon de la Tour de Babel n’a été aussi pertinente pour notre peuple qu’aujourd’hui. Nous aussi appartenons à une génération qui se bat pour se recouvrer, après la Shoah*, une destruction qui a tenté de nous effacer de la surface de la terre. La reconstruction et la survie sont nos priorités et, avec l’aide du Tout Puissant, nous réussissons.
A une période comme celle-là, il est crucial de ne pas répéter l’erreur des constructeurs de Babel. Certes, nous devons reconstruire mais l’objectif doit être plus ambitieux qu’un nom durable, une ville plus grande, une tour plus haute. Si nous voulons survivre, nous devons donner de l’importance à notre survie, nous devons sonder à nouveau le « pourquoi » de notre existence. Nous devons remplir notre nom de valeurs, notre ville de sens et couronner le tout de notre renaissance avec le but ultime de notre création.
*Le Rabbi a adressé ce discours à un groupe d’activistes communautaires, en novembre 1959, moins de quinze ans après le meurtre d’un tiers du Peuple juif et la destruction de centaines de communautés.
Le contenu de ce message reste très instructif pour notre génération.
En quoi consiste la Mitsva de réjouir les mariés ?
De nombreuses histoires circulent sur la façon dont nos Sages se rendaient à des mariages et chantaient, dansaient, jonglaient etc… afin de réjouir les mariés.
- « Un mariage doit se passer dans la joie, car la joie bouscule toutes les limites et permet d’atteindre les plus hauts degrés spirituels » expliquait le Rabbi de Loubavitch.
- On participe à la joie des mariés en leur facilitant les préparatifs du mariage et en leur offrant des cadeaux (et de l’argent) pour les aider à établir leur foyer.
- On contribue à leur joie en leur exprimant le souhait de Mazal Tov et en leur souhaitant tout le bien possible. On leur adressera des compliments sur le choix de leur conjoint.
- Le fait qu’un mariage juif traditionnel soit célébré lors d’un repas avec une « Me’hitsa » (séparation entre les hommes et les femmes) souligne qu’il ne s’agit pas de danser pour s’amuser soi-même mais bien de danser pour honorer et réjouir chacun des mariés.
- Réjouir les mariés annonce, prépare et hâte la réjouissance ultime quand « on entendra… dans les villes de Yehouda et les faubourgs de Jérusalem… la voix de l’allégresse et la voix de la réjouissance, la voix du marié et la voix de la mariée », avec la venue de notre juste Machia’h.
A peine croyable
Pas de vacances pour les ‘Hassidim !
Au lieu de nous reposer au soleil, nous avons entrepris – comme quatre cents de nos compagnons d’études à la Yechiva – de sillonner les pays les plus improbables afin d’y découvrir des Juifs et de leur rappeler leurs origines et, plus important peut-être, leur avenir et celui de leurs descendants.
Nous sommes ainsi arrivés à Bar, dans le Monténégro. Nous y avons contacté un Juif trouvé par hasard dans l’annuaire – du nom de Jasa et il nous avait invités à lui rendre visite. Nous avons discuté avec lui pendant près d’une heure puis lui avons proposé de mettre les Téfilines.
- Bien sûr ! répondit-il avec enthousiasme.
Nous avons donc enroulé les lanières avec les boîtiers autour de son bras puis autour de sa tête. Je demandai alors à mon camarade Hillel son Sidour (livre de prières) qu’il gardait toujours dans sa poche. Mais justement cette fois-là, il l’avait laissé dans la voiture.
- Ne vous inquiétez pas, sifflota Jasa, moi j’ai un Sidour !
Il se rendit dans la pièce à côté et ramena son livre. Alors que j’en tournai les pages pour trouver la prière du Chema Israël, une ancienne photo du Rabbi de Loubavitch qui y était insérée tomba. Il la ramassa, récita les bénédictions et le Chema, se concentra avec ferveur puis nous raconta son histoire.
* * *
Je suis né en Serbie et j’ai immigré en Israël dans les années soixante.
Mon fils aîné avait quatorze ans quand il est revenu un jour à la maison en se plaignant d’une douleur à la jambe.
Nous n’y avons pas prêté trop attention, estimant que c’était sans doute la conséquence d’un entraînement intensif au tennis.
Les semaines passèrent et, loin de disparaître, les douleurs augmentaient au point qu’un vendredi après-midi, nous l’avons retrouvé dans sa chambre : il se roulait par terre tant il souffrait ! Il était temps de l’amener aux urgences.
Après lui avoir fait passer une radio, le médecin nous avertit, mon épouse et moi-même, que nous devions consulter d’autres professeurs. Nous devions laisser notre fils en observation à l’hôpital pour la nuit et, le lendemain, nous disposerions d’un diagnostic. Ceci nous rendit très nerveux mais que pouvions-nous faire ?
Quand nous sommes arrivés le lendemain, le médecin nous informa qu’on avait localisé une grosse tumeur dans la jambe de notre fils ; celle-ci se développait rapidement. Le seul espoir pour sauver sa vie était de l’amputer de la jambe, que D.ieu nous en préserve ! Ma femme devint hystérique, se mit à pleurer et saisit immédiatement le stylo pour signer qu’elle acceptait l’opération. Je déclarai pour ma part que je devais réfléchir quelques minutes et je sortis pour prendre de l’air. Je décidai de téléphoner à ma mère pour avoir son avis. Elle m’écouta attentivement puis déclara d’un ton ferme : « Avec l’aide de D.ieu, il vivra avec ses deux jambes ! Ne l’amputez pas ! »
- Mais le médecin affirme qu’il mourra si nous ne l’amputons pas !
- Si D.ieu veut, il vivra avec deux jambes !
Je retournai dans le bureau du docteur ; la voix de ma mère raisonnait encore dans ma tête et je déclarai refuser l’amputation.
Le médecin pensa que j’étais fou. Il insista en disant qu’il fallait l’amputer sinon il mourrait dans les semaines à venir. Mais je n’acceptai toujours pas. Finalement il renonça : « C’est votre fils, c’est à vous de choisir ! Mais nous allons néanmoins procéder à une biopsie ».
Après la biopsie, il fut décidé de transférer mon fils dans un hôpital plus grand, avec un service spécialisé d’oncologie. Mais le protocole stipulait qu’il devait rester sur place au moins une semaine et le transfert fut donc planifié pour le vendredi suivant.
Ma vie n’en était plus une : mon fils gisait sur son lit, ma vie n’avait plus de sens. Je déambulais comme un zombie, je ne dormais plus, je ne mangeais plus, je ne parvenais même pas à réfléchir.
Le mardi, je retournai au travail mais étais incapable de me concentrer. Je travaillais pour ce qui s’appelle « La Lichka », au département du Ministère de la Sécurité Israélienne. Un de mes collègues était un ‘Hassid de Viznitz. Remarquant que j’étais préoccupé, il me demanda gentiment quel était le problème. Je lui expliquai la situation et il me montra une photo du Rabbi de Loubavitch. Il inscrivit un numéro de téléphone au dos et me confia que, comme il n’était pas aisé de parvenir au secrétariat du Rabbi, notre bureau possédait un numéro privé à n’utiliser que pour des cas urgents touchant à la sécurité du pays.
Je téléphonai et une voix douce me répondit (de fait, c’était le regretté Rav Hodakov, le secrétaire personnel du Rabbi). Je demandai que le Rabbi prie pour mon fils et il conclut : « Rappelez-moi vendredi matin avec des bonnes nouvelles ! »
A vrai dire, j’ai cru que cet homme était fou ! Le médecin affirmait qu’il ne restait plus à mon fils que quelques semaines à vivre et lui me demandait de rappeler vendredi avec de bonnes nouvelles ?
Je retournai à l’hôpital le vendredi et le médecin demanda qu’on refasse une radio puisque la précédente datait déjà d’une semaine et qu’il fallait mesurer la propagation de la maladie : j’amenai mon fils, amaigri, en chaise roulante et, après la radio, le technicien m’appela, furieux : « Pourquoi vous moquez-vous de moi avec des mots si sérieux ? Pourquoi prétendez-vous qu’il a ‘la maladie’ alors qu’il n’a absolument rien ? »
- De quoi parlez-vous ? protestai-je, exaspéré et à bout de nerfs. Mon fils est atteint de « la maladie », le médecin l’a confirmé !
Il répliqua que la radio ne montrait aucune trace de tumeur ! Nous retournâmes ensemble chez le médecin qui, incrédule, procéda lui-même à une nouvelle radio. Persuadé que la machine était peut-être à incriminer, il procéda à une opération d’urgence : il ouvrit la jambe mais ne trouva qu’une petite pierre, sans aucune cellule maligne. Stupéfait, il recousut la jambe et nous expliqua que les fils tomberaient d’eux-mêmes d’ici deux mois.
Deux semaines plus tard, les fils étaient déjà tombés et mon fils marchait normalement !
Bien entendu, je rappelai immédiatement le bureau du Rabbi ce vendredi pour annoncer la bonne nouvelle, raconter le miracle qui était arrivé et remercier le Rabbi. La même voix neutre se contenta de commenter : « Merci ! » et raccrocha.
* * *
Hillel et moi-même étions stupéfaits d’entendre une telle histoire. Alors que nous nous levions pour prendre congé, Jasa nous retint : « J’ai oublié de vous raconter comment tout cela a commencé !
Quand mon fils a atteint l’âge de la Bar Mitsva, j’avais demandé à ce même collègue où lui acheter des Téfilines. Il m’avait conseillé de m’adresser à un scribe qu’il connaissait, un homme très pieux qui habitait à Kfar ‘Habad. Mais, au lieu de l’écouter, j’ai eu la paresse de me rendre jusque là-bas et achetai les Téfilines au marché de Tel-Aviv…
Après l’angoisse puis le miracle qui était arrivé à mon fils, j’apportai les Téfilines à Kfar ‘Habad pour les faire vérifier. On découvrit alors que pour les mots « afin que ta vie et celle de tes enfants soient rallongées », les lettres n’étaient pas formées correctement, ce qui rendait les Téfilines non-cachères !
Décidément, mon collègue connaissait les bonnes adresses ! »
Shimon Sabol et Hillel Piekarski