Sans transition
Cette fois, le passage est brutal, sans transition. Certes, la nouvelle année a commencé depuis presque un mois. Cependant, occupés à passer de fête en fête, d’élévation en élévation, nous nous étions éloignés du quotidien sans même nous en rendre vraiment compte. Seul le spirituel occupait notre pensée. C’est ainsi que nous avons vécu la grandeur de Roch Hachana puis la solennité de Yom Kippour, la confiance absolue de Souccot puis la joie sans limites de Sim’hat Torah. Revenir au monde, reprendre conscience de la pesanteur du matériel, de ses contraintes présente toujours, à ce moment, une difficulté particulière mais quelques jours, en général, ménagent une sorte de transition. Cette année, il n’y en a donc pas. Nous sommes passés des fêtes au premier Chabbat, où a retenti le récit de la création. Puis la semaine a commencé, dans notre environnement sans doute trop habituel. Dans le cycle annuel de lecture de la Torah, c’est le déluge qui nous est raconté. Et c’est bien un certain type de déluge qu’il nous faut affronter, celui de la quotidienneté qui revendique tout le champ de notre réflexion et de nos sentiments. Pleins de la puissance des fêtes, encore inentamée, nous sommes capables de relever ce nouveau défi. Reste à savoir comment.
L’histoire de Noé est, à cet égard, très instructive. Devant la montée des eaux tumultueuses – ces eaux qui vont tout recouvrir, détruire les plus beaux édifices, anéantir tout ce qui avait fait jusqu’ici la fierté et l’espoir des hommes – Noé, obéissant à l’ordre de D.ieu, se réfugie dans son « arche ». C’est ce bateau de bois qui va lui servir d’abri dans la tempête et assurer ainsi un avenir à l’humanité. Devant le déluge qui nous assaille, nous avons le même moyen. Bien sûr, il ne nous est ni donné ni demandé de construire une arche matérielle. Mais, en hébreu, l’expression qui la désigne est « Téva ». Or ce terme a un homonyme qui signifie « mot ». Pour un Juif, le mot-refuge existe. Il est dans l’étude de la Torah et dans la prière. C’est la raison pour laquelle, au sortir des fêtes, nous ne craignons rien : ni l’obscurité du temps ni les grondements ni les menaces de toutes sortes. Nous avons notre forteresse et celle-ci possède une puissance nouvelle : elle n’est pas que le dernier rempart. Elle est le lieu d’où jaillit la lumière pour faire que le monde même change. Pour faire que, en ce temps de recommencement des choses, il se transforme en espace de bonheur et de liberté pour tous.
Ce n’est pas ici l’expression d’un idéal rêvé. C’est de la concrétisation d’une attente qu’il s’agit. L’année 5778 commence à peine et nos accomplissements spirituels peuvent se déployer. Leur aboutissement viendra – et, nous le savons, il est proche : la venue de Machia’h.
Une œuvre parfaite
Pendant le temps de l’exil, l’offrande de sacrifices est impossible du fait de l’absence de Beth Hamikdach. Certes, les Sages ont instauré les prières en remplacement de ces cérémonies. Cependant, un tel remplacement est, semble-t-il, imparfait comme l’exprime la liturgie : “Et là, (dans le Beth Hamikdach, après la venue de Machia’h) nous ferons devant Toi…. Selon l’ordre de Ta volonté”.
C’est précisément cette idée qui pose question. L’œuvre spirituelle accomplie par la prière est supérieure à celle des sacrifices, la première s’attachant à l’âme de l’homme tandis que la seconde porte sur son aspect animal. Pourquoi, dès lors, souligner l’importance primordiale des sacrifices ?
En fait, l’impossibilité d’offrir un sacrifice en temps d’exil a également un sens spirituel : comme l’homme est attaché “en bas”, il n’a pas la force d’élever “l’animal” et doit se contenter d’agir sur l’âme par la prière. En revanche, lorsque le Machia’h viendra, l’homme parviendra à la plénitude et son œuvre pourra englober tous les aspects.
(d’après Torah Or, Vaye’hi 46b)
Noa’h
Dans un monde consumé par la violence et la corruption, D.ieu s’adresse au seul homme juste et lui demande de construire une arche pour se protéger (ainsi que sa famille et des spécimens de chaque espèce animale) du déluge qu’Il va déverser sur la terre.
Après quarante jours et quarante nuits de pluie et cent cinquante jours d’accalmie, l’arche se pose sur le Mont Ararat. Noa’h constate que la terre a complètement séché, (trois cent soixante-cinq jours après le début du Déluge) et il obéit à l’ordre de D.ieu de sortir de l’arche et de repeupler la terre.
Noa’h construit un autel et offre à D.ieu des sacrifices de gratitude et D.ieu jure de ne plus jamais détruire l’humanité. Il fait naître un arc-en-ciel comme signe de cette nouvelle alliance.
D.ieu donne également à Noa’h sept lois destinées à l’humanité entière.
No’ah, devenu vigneron, s’enivre. Deux de ses fils, Chem et Yaphèth sont bénis pour l’avoir recouvert dans sa nudité, le troisième ‘Ham est puni de lui avoir manqué de respect.
Les descendants de Noa’h défient le Créateur et construisent une tour, à Babel, pour affirmer leur invincibilité. D.ieu mêle alors tous leurs langages si bien que, faute de se comprendre, ils abandonnent leur projet et s’éparpillent sur la terre, se séparant en soixante-dix nations.
La fin de la Paracha Noa’h énonce la chronologie des dix générations séparant Noa’h d’Avram et le voyage de ce dernier depuis son lieu de naissance, Our Kasdim, vers ‘Haran, sur le chemin de la terre de Canaan.
La Mitsva de « croître et se multiplier »
Mettre au monde des enfants : l’existence pérenne du monde
Tout juste après avoir créé l’homme, D.ieu lui commanda de « croître et se multiplier ». C’est ainsi que nous pouvons lire, au début de Beréchit : « D.ieu les créa, mâle et femelle… Il leur dit : ‘fructifiez et multipliez-vous, peuplez la terre et conquérez-la’ ».
Puisque le commandement d’avoir des enfants est le tout premier de la Torah, il va de soi qu’il est d’une importance primordiale.
Nos Sages s’y réfèrent également comme à « une grande Mitsva » ce qui indique que, parmi toutes les Mitsvot de la Torah, celle-là est considérée comme l’une des plus importantes.
La raison en est simple. D.ieu créa le monde pour qu’il soit habité et peuplé par l’humanité, « Il ne le créa pas en vain mais pour qu’il soit habité ». L’existence perpétuelle de l’humanité dépend bien évidemment de la naissance incessante d’enfants.
Il est donc évident qu’immédiatement après la Création, D.ieu ordonna d’avoir des fils et des filles afin de remplir le monde.
Le même commandement fut donné après le Déluge.
C’est même la toute première injonction de D.ieu à Noa’h : « Quittez l’arche, toi et ton épouse… Et D.ieu bénit Noa’h et ses enfants en ces termes : ‘Croissez et multipliez-vous et remplissez la terre’ ».
Car bien évidemment, toute humanité ayant été effacée de la surface de la terre, durant le Déluge, il revenait à Noa’h de la repeupler.
L’aspect sublime du fait de faire naître des enfants
Le commandement « Quittez l’arche… croissez et multipliez-vous » nous indique qu’au-delà de l’importance de repeupler le monde, le fait d’avoir des enfants revêt une importance spirituelle extraordinaire.
Car, a priori, l’ordre que D.ieu adresse à Noa’h de quitter l’arche peut nous laisser extrêmement perplexes.
L’arche avait des dimensions exigües, puisqu’elle ne mesurait que quelques centaines de mètres carrés. Noa’h, sa femme, leurs enfants et leurs familles subirent cette vie, dans des quartiers restreints, pendant près d’une année, en compagnie d’innombrables animaux.
N’importe quelle personne normale se serait précipitée à l’extérieur, dès que possible.
Pourquoi fut-il donc nécessaire que D.ieu ordonne à Noa’h de quitter l’arche ?
Par ailleurs, Rachi, dans son commentaire indique que D.ieu dit à Noa’h : « S’ils ne veulent pas quitter l’arche de leur propre gré, force-les à le faire ». Il apparaît donc évident qu’il y avait quelque chose de particulier qui les retenait dans l’arche, au point que, sans le commandement de D.ieu, tous ses habitants auraient choisi d’y résider indéfiniment.
De quoi s’agissait-il donc ?
Bien que les conditions matérielles fussent loin d’être optimales, l’arche était un lieu de paix et de tranquillité. La nourriture était toujours disponible et une atmosphère de sainteté et de spiritualité y dominait. Ainsi, les commentateurs de la Torah, et tout particulièrement de la Kabbale et de la ‘Hassidout, expliquent que l’arche possédait un tel niveau de sainteté qu’il était comparable à celui qui existera au temps de Machia’h !
Les animaux eux-mêmes bénéficiaient de cette vie idyllique. Ils recevaient leurs portions alimentaires sans avoir à s’en préoccuper et vivaient dans un climat de calme et de paix, à tel point que les bêtes de proie et les animaux sauvages eux-mêmes « ne se faisaient absolument aucun mal les uns aux autres ». Cela ressemble à l’ère messianique où « le loup résidera avec l’agneau… ils ne se blesseront ni ne se détruiront… »
Malgré tout ce qui précède, D.ieu ordonna à Noa’h de « quitter l’arche », car en ayant des enfants (ce qui avait été interdit dans l’arche), Noa’h et ses enfants atteindraient des niveaux spirituels encore plus élevés que ceux qu’ils avaient atteints dans l’arche.
Transcender la nature par la force de l’âme :
le mariage de l’homme et de la femme
C’est le mariage qui permet tout cela. Pourquoi ?
Chaque Juif possède une âme Divine « une partie de D.ieu En Haut ». C’est par le mérite de son âme que le Juif possède une part de l’Infini qui lui permet d’avoir des enfants. Ce n’est qu’après le mariage que les deux moitiés d’âme s’unissent pour former une âme complète et que le couple entre dans un partenariat entier avec D.ieu. Il mérite alors la bénédiction de Sa force infinie qui lui permet de faire venir une nouvelle vie dans le monde.
Qu’est-ce que Roch ‘Hodech ?
Roch ‘Hodech est la tête, le début du mois hébraïque, calculé d’après le renouveau de la lune. Des calculs très précis, basés sur l’observation des phénomènes célestes mais aussi sur leurs incidences au niveau pratique, président à la fixation du calendrier juif (qui a été fixé définitivement par Hillel l’Ancien, au 4ème siècle de l’ère commune).
Roch ‘Hodech peut compter un ou deux jours : dans ce dernier cas, le premier jour de Roch ‘Hodech est, de fait, le dernier et trentième jour du mois précédent.
Cette année 5778, Roch ‘Hodech Mar’hechvane commence jeudi soir 19 octobre 2017 et se termine samedi soir 21 octobre 2017.
Il est permis de travailler Roch ‘Hodech ; cependant, dans certaines communautés, les femmes s’abstiennent dans la mesure du possible de tous travaux de couture, repassage, lessive… et c’est une bonne coutume. En effet, les femmes n’ont pas participé au péché du Veau d’Or et ont refusé de donner leurs bijoux pour la confection de l’idole. D.ieu les récompense donc en leur donnant une sorte de demi-fête chaque Roch ‘Hodech. Cependant, si ces travaux constituent la source de leur Parnassa (le seul moyen de gagner leur vie), elles peuvent les effectuer Roch ‘Hodech.
On évite de se couper les cheveux et les ongles Roch ‘Hodech.
Il est interdit de jeûner ce jour et il est d’usage d’augmenter la quantité et la qualité des repas de Roch ‘Hodech.
(d’après Pinat Hahala’ha - Rav Yossef Ginsburgh)
Le livreur
Après notre fuite d’Union Soviétique en 1946, mes parents avaient d’abord trouvé refuge dans un camp de « Personnes déplacées » puis aux États-Unis. Mon père fonda la première épicerie cachère fermée le Chabbat dans le quartier ‘hassidique de Crown Heights. Tous ses amis avaient prédit qu’il ferait rapidement faillite s’il fermait son magasin deux jours de suite (samedi et dimanche) ; il demanda au Rabbi s’il devait abandonner ce commerce mais le Rabbi confirma qu’il devait persister et, bien sûr, continuer d’observer Chabbat.
Au début des années cinquante, j’avais neuf ans et je devins le livreur attitré du magasin. Je manipulais une sorte de brouette à trois roues pour apporter les provisions à nos clients. Et quels clients ! Entre autres, le Rabbi et son épouse, la Rabbanit ‘Haya Mouchka, sa mère, la Rabbanit ‘Hanna ainsi que la Rabbanit Ne’hama Dina, la veuve du Rabbi précédent. Et d’autres comme les Rabbis de Koshnitzer, de Bobov, de Kozlover et de Novominsker.
Le magasin ne rapporta jamais la fortune mais nous travaillions dur pour nouer les deux bouts. Moi-même je me levais à cinq heures du matin pour préparer les commandes ; mon père se levait encore avant moi et restait au magasin jusqu’à 23 heures !
En 1953 ou 1954, un certain Yankel Lipsker annonça à mon père qu’il désirait lui aussi ouvrir une épicerie non loin de la nôtre. Mon père objecta : « Il n’y a pas assez de clients pour nourrir une famille ; comment y en aurait-il pour deux familles ? De plus, les distributeurs de produits cachères n’accepteront pas de vous livrer puisqu’ils le font déjà pour moi ! ». Mais l’homme insista et, ensemble, ils résolurent de porter l’affaire devant le Rabbi. Le Rabbi écouta les deux parties et déclara : « Normalement, M. Stilerman a raison. Il n’y a pas assez de business pour nourrir deux familles. Mais je vous assure que le Tout-Puissant vous procurera de quoi vivre à tous les deux ».
Comme mon père avait une foi parfaite dans le Rabbi, non seulement il laissa M. Lipsker ouvrir son commerce mais, de plus, lui prêta l’argent nécessaire ! Quand il lui manquait un produit, mon père le lui procurait ! Je m’en souviens bien puisque c’était moi qui livrais M. Lipsker ! Je ne comprenais pas la logique de toute cette affaire mais le fait est qu’effectivement, les deux épiceries s’en sortaient à peu près, comme le Rabbi l’avait promis.
La Rabbanit ‘Hanna, la mère du Rabbi, était particulièrement sympathique et m’offrait chaque fois un verre de lait : froid en été et chaud en hiver. J’aimais beaucoup me rendre chez elle, elle affichait toujours un sourire et je me sentais chez elle comme auprès d’une grand-mère aimante et joyeuse. Elle s’occupait vraiment de moi alors que je n’étais qu’un petit livreur. Elle me demandait : « Comment va ta maman ? Et ton papa ? ». Quand ce n’était pas moi qui effectuais la livraison, elle téléphonait à mon père pour s’assurer que j’allais bien.
Pendant que je buvais le lait, elle me demandait de lui raconter des histoires. Donc je lui racontais ce que j’avais lu dans le magazine Conversations avec les Jeunes et elle semblait vivement les apprécier. Un jour, je lui demandais :
- Rabbanit ! J’ai lu une histoire bizarre et je me demande si elle est véridique. Le Rabbi précédent, quand il était jeune, avait demandé à son père (le Rabbi RaChaB) si les anges pouvaient compter. Son père avait avoué qu’il ne connaissait pas la réponse mais qu’il savait que, chaque fois qu’on récite un Tehilim (psaume), on crée un ange et que cet ange allume un chandelier qui brûle au ciel en-haut et sur terre ici-bas. Est-ce vrai ?
- Non seulement c’est vrai, remarqua-t-elle, mais c’est ce qui se passe réellement.
- Dans ce cas, continuai-je, je vais réciter un Psaume. Je ne lirai pas tout le livre de Tehilim mais j’en lirai un ou deux parce que je voudrais aussi un chandelier !
- Pour avoir un chandelier, sourit-elle, il faut une maison. Sais-tu comment on construit une maison ? Il faut d’abord avoir une solide fondation de Torah et de Mitsvot, ensuite tu pourras construire la maison et tu pourras réfléchir comment obtenir le chandelier.
Une autre fois, je lui demandais – et j’avoue que j’ignore encore aujourd’hui comment j’ai eu cette idée – quelle était la prière préférée du Rabbi, son fils.
- Toutes les prières sont importantes, répondit-elle mais, effectivement, il doit y en avoir une qui est plus importante que les autres. La prochaine fois que le Rabbi viendra ici, je lui poserai la question de ta part.
La semaine suivante, quand j’effectuai ma livraison hebdomadaire, elle était si heureuse d’avoir une réponse pour moi.
Elle se tut un moment tandis que j’attendais avec impatience et une grande curiosité :
- C’est une prière très courte. C’est la première prière que nous prononçons le matin : Modé Ani Lefané’ha ! « Je reconnais devant Toi, Roi vivant et éternel, que Tu m’as rendu mon âme avec compassion ; grande est Ta fidélité ».
- Ah bon ? m’étonnais-je.
- Oui, c’est sa prière favorite, répéta-t-elle.
J’étais surpris mais aussi très heureux de l’entendre. Et, bien entendu, j’en fis ma prière préférée moi aussi.
Un an plus tard, j’entendis le Rabbi prononcer un discours sur cette prière de Modé Ani et expliquer qu’elle signifie que D.ieu a une énorme confiance en nous : nous ne devons donc pas Le décevoir. Et comment savons-nous que D.ieu a confiance en nous ? Parce qu’Il nous a accordé encore un jour de vie, bien qu’Il n’y soit absolument pas obligé.
C’est devenu le but de ma vie : ne pas décevoir D.ieu dans tout ce que j’accomplis dans la journée. Je l’avais appris du Rabbi, grâce aux bons offices de sa mère, la Rabbanit ‘Hanna.
Rav Nachum Stilerman - JEM
Traduit par Feiga Lubecki