La grande aventure de Nissan
Le calendrier juif est un véritable programme de vie ! Voici qu’après l’explosion de joie du mois d’Adar et sa capacité de radicale transformation, il nous est donné de vivre le mois de Nissan, celui des miracles. La proposition peut sembler surprenante à bon droit, il y aurait donc un mois dont la caractéristique essentielle serait le miracle ? Certes, avec Nissan, c’est à présent dans la période de Pessa’h que nous entrons. Cependant, même si les miracles de la sortie d’Egypte sont emblématiques, comme des archétypes, peuvent-ils donner cette couleur si particulière à tout un mois ? Son nom même, Nissan, apporte des éléments de réponse. Il contient justement le terme « Ness » comme pour nous indiquer qu’il détient cette nature, d’une certaine manière par essence.
Tout cela nous invite à réfléchir à la notion de miracle. Comment définir un tel événement autrement que comme l’irruption brutale du surnaturel au cœur du monde ? Nous sommes habitués à voir notre environnement conduit par des lois connues, analysées et relativement stables sur le long terme et voici que, soudain, c’est tout ce cadre rassurant qui éclate pour faire place à plus grand, comme si la structure interne, invisible des choses avait pris le pas sur toutes les apparences. Le miracle prend alors un rôle bien nécessaire. La condition humaine fait que nous nous satisfaisons de ce que nous connaissons, jour après jour. Du fait de nos capacités bien limitées, elle nous conduit parfois à considérer que tout est à notre ressemblance et que l’étroitesse de vue est le sort de la création. Elle nous entraîne ainsi à oublier que celle-ci a une Source. Et à ce que dont nous ne parvenons pas à comprendre le pourquoi, nous donnons le nom habile de « nature »…
Quand le miracle se produit, aussi prodigieux que la sortie d’Egypte ou miracle de tous les jours, tout se passe comme si un rideau se déchirait. Nous contemplons alors la réalité et prenons conscience que quelque chose nous dépasse. L’expérience peut parfois être douloureuse : voici qu’une assurance acquise de haute lutte disparaît. Mais elle est aussi profondément enrichissante. Nous prenons la pleine mesure à la fois de la petitesse et de la grandeur de ce que nous sommes : des créatures de D.ieu toujours en présence de leur Créateur. Et nous apprenons à regarder ce qui nous entoure avec les yeux émerveillés des hommes qui posèrent le pied pour la première fois sur la rive d’un monde nouveau. C’est maintenant notre tour : Nissan est là. Partons à la découverte !
Une nouvelle nature du monde
En conclusion du Michné Torah, décrivant le temps de Machia’h, Maïmonide écrit : « Et l’occupation du monde entier ne sera que de connaître D.ieu. » C’est dire que la nature même du monde aura changé puisque sa seule « occupation » ne sera que celle-là.
Maïmonide nous en donne la raison : « car la terre sera pleine de la connaissance de D.ieu comme l’eau recouvre les mers. » Cela signifie que « la connaissance de D.ieu » ne fera pas que remplir le monde qui restera dans son état par ailleurs. Bien plus, tout ce qu’il est changera : de « terre », il deviendra « mer » car celle-ci n’a pas d’existence propre, elle n’est que l’endroit où se trouve l’eau. Et même ainsi, il sera « recouvert ». En d’autres termes, tout ne sera plus que Divinité.
(D’après Séfer Hasi’hot 5752 p. 108)
Vayikra
D.ieu appelle Moché depuis la Tente d’Assignation et lui communique les lois des korbanot, offrandes animales et alimentaires apportées dans le Sanctuaire.
Elles incluent :
. « L’holocauste » (Ola), entièrement consacré à D.ieu, par un feu, en haut de l’autel.
. Cinq variétés d’ « offrandes alimentaires » (Min’ha), préparées avec de la farine fine, de l’huile d’olive et des encens.
. « L’offrande de paix » (Chelamim) dont la viande est consommée par celui qui apporte l’offrande, une fois que certaines parties en ont été brûlées sur l’autel et d’autres données aux Cohanim (Prêtres).
. Les différents types de « sacrifices expiatoires », apportés pour expier les transgressions commises de façon accidentelle par le Grand-Prêtre, toute la communauté, le roi ou un Juif ordinaire.
. « L’offrande de culpabilité » (Acham) apportée par celui qui s’est approprié, de façon indue, d’un bien du Sanctuaire, qui a un doute d’avoir transgressé une interdiction divine ou qui a commis une « trahison contre D.ieu » par un faux serment pour escroquer un autre homme.
Le cinquième supplémentaire
A la fin de la Paracha, nous étudions que si une personne a commis un vol, a retenu des fonds, etc., et le nie en faisant un faux serment, elle doit, si elle cherche à se faire pardonner pour son erreur, restituer la somme principale et y ajouter vingt pour cent supplémentaires.
Nos Sages expliquent que la raison du cinquième supplémentaire tient au fait que « l’argent n’a servi à rien pendant qu’il était en sa possession ». D’une manière générale, on utilise l’argent pour en tirer profit. En cherchant à le rendre, il faut donc que le voleur restitue non seulement la somme volée mais également de quoi réparer la perte du profit potentiel.
Cependant, nous lisons dans le Tanya que lorsqu’un individu se comporte mal à l’égard d’un autre, celui qui est lésé ne doit pas se mettre en colère contre celui qui lui a fait du mal. En effet, cette souffrance était prédestinée. Le mal se serait produit, en tout état de cause, et pas forcément par cet intermédiaire précis.
Bien que le coupable mérite d’être puni pour son méfait, il aurait pu, en effet, choisir de ne pas le faire, (et le Décret divin se serait accompli d’une autre manière puisque « D.ieu a de nombreux messagers »), cette estimation ne s’applique qu’à la personne qui a causé du tort et n’implique pas celui qui l’a subie.
En fait, si ce dommage n’avait pas été pré ordonné, la personne n’aurait pas souffert du tout, même si le malfaiteur voulait lui faire du mal. Le libre-arbitre de l’homme ne s’applique qu’aux actes le concernant personnellement. Personne ne peut faire de mal à l’autre sans le consentement Divin.
Ainsi, une question se soulève donc : le fait-même que le voleur ait volé une somme d’argent pendant un certain temps indique que cette perte était voulue par D.ieu. Aussi, même si le vol n’avait pas été commis, la victime aurait néanmoins été privée de cette somme durant cette période.
Pourquoi donc le voleur doit-il ajouter un cinquième de la somme à restituer ?
En réalité, la même question peut également se poser par rapport à la somme principale. Puisque les Cieux ont décrété que la victime devrait perdre l’usage de cet argent et puisque ce décret se serait réalisé même sans le voleur, pourquoi ce dernier doit-il rendre l’argent à la victime ? Pourquoi ne pas le donner à la charité ou à une œuvre de ce type ?
La réponse est évidente : le fait que la personne ait été privée de son argent n’indique pas nécessairement que cette situation doit être permanente. Que le décret s’applique momentanément ou durablement ne s’éclaircit que lorsque l’argent est rendu, le cas échéant. Si le voleur rend l’argent, il est alors évident que la perte ne devait être que temporaire. Si les biens volés n’apparaissent plus jamais, nous comprenons alors qu’il s’agit d’une perte définitive.
Puisque nous ne pouvons connaître la nature du décret, il est clair que le voleur n’a aucun droit de conserver l’argent (ou même de retarder le moment de le rendre) sous le prétexte fallacieux qu’en agissant ainsi, il fournit bien la preuve que la victime était destinée à souffrir d’une perte permanente.
Par le même biais, on ne peut porter atteinte à quelqu’un en justifiant notre action sous le prétexte qu’il devait souffrir.
Il en va de même pour le cinquième supplémentaire : puisque le fait d’ajouter un cinquième a pour conséquence que la victime ne subit aucune perte financière, il est tout à fait probable qu’elle devait en être privée jusqu’au moment de la restitution.
La discussion que l’on vient d’évoquer renferme une leçon d’une grande richesse à propos des relations humaines.
Quand quelqu’un agit mal vis-à-vis d’autrui, il pourrait être tenté de penser qu’il n’a pas besoin de s’excuser puisque de toutes les façons cette personne devait souffrir.
La réponse à cet argument indique qu’en demandant pardon, on diminue la peine de l’autre. Personne n’a le droit d’infliger encore plus de douleur en ne s’excusant pas car aucune preuve n’existe pour affirmer que cette personne devait tant subir. Il nous faut faire tout ce qui est en notre possibilité pour amoindrir la souffrance d’autrui.
Comment agir, cette année, lorsque la veille de Pessa’h tombe un Chabbat ?
- Le jeûne des premiers-nés est avancé au jeudi 12 Nissan (25 mars 2021). Les premiers-nés essaient de se rendre quittes du jeûne en assistant à un Siyoum d’un traité talmudique ou en écoutant un Siyoum par téléphone.
- On recherche le ‘Hamets (levain) à la lumière de la bougie jeudi soir 25 mars à partir de 19h 50 (horaire en Ile-de-France).
- On brûle le ‘Hamets vendredi 26 mars avant 11h 45.
- Vendredi après-midi, on peut encore se couper les ongles et les cheveux ainsi que procéder aux lessives et au repassage.
- On aura préparé la maison avant vendredi matin et la cuisine sera entièrement cachère pour Pessa’h.
- A partir de vendredi matin, la vente du ‘Hamets devient effective et on ne peut plus rien ajouter dans les placards ou pièces vendues.
- Vendredi avant 18h54, les femmes et jeunes filles allumeront les bougies de Chabbat et ajouteront une bougie de 48 heures (afin d’allumer les bougies de samedi soir 27 mars et dimanche soir 28 mars).
- On aura gardé des ‘Hallot pour les repas de vendredi soir et Chabbat matin mais on les mangera (samedi avant 10h45) de façon à ce qu’aucune miette de ‘Hamets ne touche la vaisselle de Pessa’h Le ‘Hamets qui resterait samedi sera émietté et éliminé dans les toilettes avant 11h45.
- Chabbat (samedi) matin, l’office à la synagogue commence très tôt de façon à ce que les fidèles puissent rentrer chez eux, procéder au Kiddouch et manger le ‘Hamets avant 10h45.
- Samedi 27 mars, à partir de 20h 02, les femmes et jeunes filles allumeront les bougies de la fête. On peut commencer le Séder.
- Samedi soir, il y aura le changement d’heure en France. Il sera cependant interdit de changer l’heure des montres jusqu’à lundi soir 29 mars après 21h05 (heure à partir de laquelle on peut procéder à la Havdala).
(d’après Rav Abichid)
Le Rabbi ne commet pas d’erreurs
Appelons-le Chimon. Ce ‘Hassid tenait à passer la fête de Pessa’h, chaque année, chez son Rabbi. C’était un aubergiste qui fermait son débit de boisson pendant Pessa’h puisque ses alcools étaient ‘Hamets. Chaque année, il nettoyait sa maison bien en avance, distribuait des sommes considérables pour les familles nécessiteuses de sa ville, laissait ses enfants mariés s’occuper de sa famille tandis que lui-même se rendait chez son Rabbi.
La première nuit de Pessa’h, peu après la prière de Maariv, le secrétaire lisait la liste des 20 personnes qui auraient le privilège d’être invitées à la table du Rabbi. Certains étaient systématiquement invités chaque année et Chimon en faisait partie, lui qui était si attaché à son Rabbi et participait généreusement à ses campagnes en faveur des pauvres.
Le second soir, un autre groupe de vingt personnes se joignait à la table du Rabbi tandis que Chimon célébrait le Séder avec les autres ‘Hassidim et leur répétait les commentaires qu’il avait entendus la veille car, non seulement Chimon était riche mais il excellait aussi dans la compréhension des profonds concepts développés par son Rabbi.
Or une année, alors que, comme d’habitude il avait confié au secrétaire sa contribution généreuse aux œuvres charitables, Chimon eut la surprise de ne pas entendre son nom annoncé sur la liste ! Alors que les ‘Hassidim dont les noms avaient été appelés rayonnaient d’une joie profonde, lui se sentait misérable. Quelque chose ne tournait pas rond, il devait y avoir une erreur ! Après tout, depuis quatorze ans il avait toujours figuré parmi les heureux élus !
- C’est une erreur ! bredouilla-t-il.
- Le Rabbi ne commet pas d’erreurs, remarqua laconiquement le secrétaire. Si votre nom ne figure pas sur la liste c’est que le Rabbi veut que vous vous joigniez aux autres ‘Hassidim ce soir !
- Peut-être le Rabbi ne sait-il pas que je suis là ? se hasarda Chimon.
- Le Rabbi sait que vous êtes là, je lui ai remis votre lettre et je l’ai vu la lire et commenter, joyeusement : cette année, nous pourrons encore aider davantage de personnes pour la fête !
Chimon était bouleversé. Le secrétaire avait certainement raison, d’ailleurs lui-même avait souvent répété ces mots à d’autres visiteurs… Il rejoignit donc les autres ‘Hassidim mais ne parvint pas à ressentir leur joie. « En quoi ai-je démérité ? Ai-je peut-être commis quelque terrible faute ? Ou peut-être, le Rabbi a-t-il l’intention de m’inviter plutôt demain soir ? ». Il se força donc à sourire et à chanter avec les autres convives.
Le lendemain soir, il se mit en avant pour être sûr que le Rabbi le verrait et ne l’oublierait pas. Mais une fois de plus, son nom ne fut pas appelé !
- Etes-vous sûr que... ? balbutia-t-il, hébété, devant le secrétaire lui-même étonné.
- Regardez vous-même le papier !
- Ce doit être une erreur !
- Chimon ! Vous connaissez la grandeur de notre Rabbi ! Le Rabbi ne commet pas d’erreurs ! Il doit y avoir une raison mais qui sommes-nous pour comprendre le Rabbi ? Il voit ce que nous ne pouvons pas voir…
Pour Chimon, ce fut plutôt Yom Kippour que Pessa’h. Certainement le Rabbi avait perçu quelque mauvais décret divin contre lui et ne pouvait pas l’annuler malgré toutes ses prières. Oui, il devait faire Techouva et, ce soir, ce serait quelqu’un d’autre qui raconterait ce qu’il avait entendu la veille à la table du Rabbi. Il s’assit à un bout de table, perdu dans ses pensées, lisant machinalement les mots de la Haggada.
Soudain, le secrétaire l’appela : le Rabbi l’invitait !
Enfin ! Quand il entra, le Rabbi lui fit signe de s’approcher et lui tendit une bouteille vide. Lentement, le Rabbi versa dans cette bouteille les gouttes qu’on verse de sa coupe de vin quand on énumère les 10 Plaies d’Égypte ! Puis le Rabbi prit soin de fermer la bouteille et annonça à Chimon : « Garde-la précieusement ! Tu peux maintenant retourner à ton Séder ! ».
Si Chimon était triste auparavant, il était maintenant très triste : le Rabbi lui confiait toutes les malédictions associées à ces dix plaies !
Quand il rentra chez lui, il répéta sans conviction quelques paroles qu’il avait entendues de la bouche des ‘Hassidim mais eut trop honte de raconter ce qui lui était arrivé. Quant à la bouteille, il décida de la placer tout en-haut sur une étagère, là où il gardait les bouteilles d’alcool les plus chères.
Un jour, trois hommes entrèrent dans l’auberge et demandèrent une bouteille de la meilleure qualité en posant l’argent sur la table pour prouver qu’ils en avaient les moyens. Puis, alors qu’il grimpait sur une échelle pour attraper encore d’autres flacons, les brigands se ruèrent sur lui, le ligotèrent et se saisirent de « meilleure bouteille », celle qui était cachée tout au fond, celle des « Dix Plaies » du Rabbi ! Tout heureux de leur trouvaille, ils trinquèrent à leur bonne chance, avalèrent une gorgée et, bizarrement, s’assoupirent comme drogués et incapables de se réveiller. Chimon en profita pour se dégager de ses liens et prévenir la police qui arrêta les « dormeurs » qu’elle recherchait en fait depuis longtemps.
« Oui, le Rabbi ne se trompe pas ! Il savait que je serais en danger et me donna ce vin pour me sauver. Il savait aussi que je devais faire Techouva pour mériter d’être sauvé et c’est pour cela qu’il ne m’a pas invité à son Séder ! Ce que je croyais être une punition n’était qu’une bénédiction ! ».
L’année suivante, Chimon fut de nouveau invité à la table du Séder de son Rabbi…
Rav Shalom DovBer Avtzon
Traduit par Feiga Lubecki