Dans morose, n’y a-t-il pas « rose » ?
Nous parlions ici-même la semaine dernière de « montée des périls » mais, quand ces mots furent écrits, personne ne savait encore de quel drame ils allaient être les annonciateurs. Pourtant nous y sommes. A la grisaille naturelle du temps s’est superposé le noir de la tragédie et de l’horreur. Comme toute émotion, aussi profondément ressentie soit-elle, celle-ci ne peut que redescendre, comme usée peu à peu par le déroulement du temps. Elle a probablement, du reste, déjà commencé à le faire même si, intellectuellement, les événements en question ne sont pas de ceux que l’on oublie facilement. De fait, après les cérémonies, proclamations, rassemblements, que reste-t-il ? Et surtout, quel sens trouver, ou donner, au quotidien, à ces mille petits riens qui font la trame des jours ?
Cela ressemble à un passage bien brutal des couleurs de de la vie, hier encore si fraîches, à la morosité de morals en berne. On a coutume de dire que le judaïsme n’est pas, à strictement parler, une religion car il ne se limite pas au seul respect de rites destinés à lier avec le Divin. Il est bien davantage un mode de vie car il recouvre tous les aspects de l’existence et donne une véritable vision globale du monde comme une grille de lecture des choses. Aussi sommes-nous conduits, pour ainsi dire naturellement, à réfléchir au climat ambiant. Cette année, nouvelle pour le calendrier juif, a-t-elle donc fait le choix de donner une tonalité de quasi désespérance à ses premiers pas ? Mais, s’il en est ainsi, comment vire pleinement la condition humaine ? Comment poursuivre notre chemin avec l’élan indispensable ?
En toutes choses, il existe une écorce et un cœur ou, si l’on veut, une écume et une profondeur. Les premiers sont l’apparence tandis que le réel se trouve au-delà de cette surface. Peut-être est-ce justement ainsi qu’il faut, aujourd’hui, regarder notre monde. L’époque est difficile et sombre ? Le percevant, nous y faisons entrer la lumière. Des barbares fanatiques mettent en cause l’harmonie, trop souvent balbutiante et inachevée, des sociétés et veulent étouffer la liberté de parole pour mieux éteindre celle de penser ? Dans cette tentative même, nous décelons le prodigieux trésor qu’elles constituent. Sachons regarder toutes les promesses que porte l’avenir et sachons en être les promoteurs voire les bâtisseurs. Quand les ombres montent, il est temps que chacun intensifie l’émergence de la lumière. Celle qu’il porte en lui, par son lien avec D.ieu, est certes la plus grande.
La lumière et le réceptacle
L’enseignement du Baal Chem Tov est la sagesse Divine qu’il a révélée et transmise en héritage à chaque Juif. C’est pourquoi il a un lien étroit avec la venue de Machia’h.
Machia’h est une « lumière essentielle » ; l’enseignement du Baal Chem Tov – la ‘Hassidout – est le réceptacle de cette lumière immense.
(D’après Likoutei Dibourim vol. 2 p. 572)
Lè’h Le’ha
D.ieu s’adresse à Avram lui ordonnant : « Pars pour toi de ta terre, de ton lieu de naissance et de la maison de ton père vers la terre que Je te montrerai ». Là, poursuit D.ieu, il deviendra une grande nation. Avram, accompagné de sa femme Saraï et de son neveu Loth, se rendent en Terre de Canaan où Avram construit un autel et continue à diffuser le message d’un D.ieu unique.
Une famine force le premier Juif à partir pour l’Egypte, où la belle Saraï est enlevée et conduite au palais du Pharaon. Avraham échappe à la mort parce qu’ils se présentent comme frère et sœur. Une plaie empêche le monarque égyptien de la toucher et le convainc de la rendre à Avram, en attribuant au frère, qui s’est révélé être le mari, de l‘or, de l’argent et du bétail.
De retour au pays de Canaan, Loth se sépare d’Avram et s’installe dans la ville impie de Sodome où il est fait captif quand les puissantes armées de Kédorlaomère et ses trois alliés conquièrent les cinq villes de la vallée de Sodome. Avram se met en route avec une petite troupe pour secourir son neveu, vainc les quatre rois et est béni par Malkitsédèk, le roi de Salem (Jérusalem).
D.ieu scelle « l’Alliance en les parties » avec Avram, dans laquelle l’exil et la persécution (Galout) du Peuple d’Israël sont prévus et la Terre Sainte leur est attribuée comme héritage éternel.
Toujours sans enfant, dix ans après leur arrivée dans le pays, Saraï dit à Avram d’épouser sa servante Hagar. Cette dernière doone naissance à un fils, Ichmaël, et devient insolente envers sa maîtresse puis fuit quand Saraï la traite durement. Un ange la convainc de revenir et lui dit que son fils engendrera une nation. Ichmaël naît alors qu’Avram est âgé de quatre-vingt-six ans.
Treize ans plus tard, D.ieu change le nom d’Avram en Avraham (« père de multitudes ») et celui de Saraï en Sarah (« princesse ») et promet qu’un fils leur naîtra. De ce fils, qu’ils appelleront Its’hak (« rira »), émergera une grande nation avec laquelle D.ieu établira un lien tout particulier. Avraham reçoit le commandement de se circoncire ainsi que ses descendants, « en signe d’alliance entre Moi et toi ». Avraham obtempère immédiatement, circoncisant sa propre personne et tous les hommes de sa maisonnée.
Du moi au moi
Une partie importante du livre de Beréchit est consacrée à la vie d’Avraham, le premier Juif. Cependant, assez curieusement, nous ne le rencontrons qu’assez tard puisque le premier élément de sa vie relaté en détails se produit alors qu’il est âgé de soixante-quinze ans.
Tout ce que nous avons appris d’Avram, comme il est appelé jusque-là, est qu’il est l’un des trois enfants de Téra’h et qu’il est né à Our Kasdim, marié à Saraï et réinstallé à ‘Haran.
Rien n’est dit sur la manière dont, ayant grandi dans une société païenne et hédoniste, tout seul, il en « vint à comprendre que le monde entier se trompait » et rechercha la vérité « jusqu’à ce qu’il comprît qu’il y avait un D.ieu Unique Qui dirigeait les sphères célestes, Qui créait toute chose et qu’il n’existait aucun autre dieu en dehors de Lui. »
Rien ne nous est rapporté de l’épisode au cours duquel il brisa les idoles à Our Kasdim, rien du fait qu’il fut jeté dans une fournaise pour avoir défié Nimrod ni de sa délivrance miraculeuse.
Il ne nous est pas non plus relaté la mission dans laquelle il s’embarqua pour révéler la vérité divine au monde, qui eut pour effet de ramener de nombreux hommes à la foi monothéiste et aux règles morales.
Tout cela est insinué dans la Torah et relaté dans le Talmud et le Midrach. Cependant, la Torah ne nous dit rien d’explicite sur les soixante-quinze premières années d’Avraham, années remplies de découvertes, de sacrifices et d’accomplissements.
Ce silence de la Torah nous envoie un message profond. Elle veut mettre l’accent sur l’événement crucial qui nous fait pénétrer dans la vie d’Avraham et qui éclipse tout ce qui a précédé, un événement qui marque l’avènement d’un nouveau phénomène : être juif, d’une nouvelle étape de l’histoire humaine et d’une redéfinition de l’aventure humaine.
Il s’agit de l’appel de D.ieu à Avraham : « Pars pour toi de ta terre, de ton lieu de naissance et de la maison de ton père vers la terre que Je te montrerai. »
Les premiers mots de cette injonction : Le’h Le’ha signifient littéralement : « pars vers toi ». Ils impliquent que ce voyage, qu’Avraham est appelé à entreprendre est à la fois éloigné de lui-même (« de ta terre, de ton lieu de naissance et de la maison de ton père ») et dirigé vers l’intérieur de lui-même.
D.ieu signifie à Avraham : maintenant que tu as complètement développé tes forces connues et conscientes, il faut t’engager dans un voyage vers ton moi profond. Je vais te montrer un lieu qui constitue l’essence de ton âme, un lieu à l’intérieur de toi-même qui est bien au-delà de la « terre », « le lieu de naissance » et la « maison de ton père » que tu connais.
L’inné, l’environnement et la raison
Les nombreux facteurs qui définissent ce que nous sommes peuvent s’inscrire dans trois catégories générales : ce qui est naturel, ce qui est gravé et ce qui est acquis.
Nous entrons dans la vie déjà programmés avec les penchants et les pulsions qui constituent notre psychisme et notre caractère.
Puis, à partir de notre naissance, s’amorce l’influence de notre environnement, par le biais de nos parents, de nos maîtres et de nos pairs.
Enfin, la maturité exerce sur nous une portée majeure.
L’être humain est le seul de toutes les créations divines à avoir été doté d’un intellect objectif qui lui permet, dans une grande mesure, de contrôler les stimuli auquel il est exposé et la manière dont il en est affecté.
Grâce à notre esprit, nous avons l’aptitude de nous développer au-delà, et parfois à l’encontre, de ce que notre moi génétique et conditionné nous dicte.
Tel est le sens profond des mots : « ta terre », « ton lieu de naissance » et « la maison de ton père », dans l’appel de D.ieu à Avraham.
« Érets », le mot hébreu pour « terre », possède la même étymologie que le mot « Ratson » : volonté et désir. Ainsi « ta terre » peut également signifier : « tes désirs naturels ».
« Moladeté’ha », ton lieu de naissance, est une référence à l’influence de la maison et de la société.
« Beth Avi’ha », la maison de ton père, se réfère à l’intellect et à son aptitude à transcender le moi naturel et conditionné et à forger l’esprit de l’homme, son caractère et son comportement selon des objectifs rationnels.
On a l’habitude de considérer que l’aboutissement des réalisations humaines se traduit par le développement des instincts naturels, l’assimilation de vérités observées et étudiées et l’accomplissement de soi-même sous l’arbitrage objectif de l’esprit.
Mais en réalité, l’intellect lui-même est sujet aux limites et aux échecs de notre statut d’être humain.
Certes, il peut dépasser les limites de ce qui est inné en nous ou de ce que nous avons acquis mais il n’en reste pas moins qu’il n’est jamais libéré des exigences de notre égo et de ses préjugés.
En revanche, l’être humain possède un moi supérieur, un moi libre de tout ce qui nous définit et nous limite. C’est « l’étincelle de D.ieu » qui est au cœur de notre âme, l’essence divine que D.ieu a insufflée en nous, « l’image de D.ieu » selon laquelle nous avons été créés. C’est cela le « Erèts » que D.ieu a promis de montrer à Avraham.
Dans son voyage de découverte, il est évident qu’Avraham doit quitter sa « terre, son lieu de naissance et la maison de son père », sa Mésopotamie native. Il est impératif qu’il rejette la culture païenne d’Our Kasdim et de ‘Haran. Mais il ne s’agit pas du seul voyage dont D.ieu parle. En fait, Avraham a déjà entendu cette injonction, bien des années auparavant, puisqu’il a renoncé aux cultes idolâtres de sa famille et de son environnement, a reconnu D.ieu et a marqué sa société d’un impact profond.
Et pourtant, il est dit : « pars » ! Pars de ta nature, pars de tes habitudes, pars de ta rationalité et de ta logique. Après avoir abandonné tes origines négatives et idolâtres, tu dois également transcender ton passé positif et fructueux. Va au-delà de toi-même, quelque parfait que tu sois.
La partie supérieure de chaque être humain, celle qui incarne la gloire de son être : son intellect, n’en appartient pas moins à la réalité et est donc sujette aux limitations.
D.ieu nous invite à expérimenter ce qui est bien au-delà de toutes limites et de toute définition : Lui-même.
Mais pour ce faire, nous devons d’abord « partir ».
Tel est le premier commandement de D.ieu au premier Juif : « quitte ton moi limité et viens vers le moi que Moi seul peux te montrer : cette partie de toi qui forme un avec Moi. »
Quelques lois et coutumes liées à la Brit Mila (circoncision)
- Le père a l’obligation de circoncire son fils à l’âge de huit jours. S’il ne sait pas comment procéder, il nomme un Mohel compétent comme son Chalia’h (émissaire).
- On ne retarde pas la circoncision si l’enfant est en bonne santé.
- La circoncision s’effectue le jour et non la nuit. Si possible, on y procédera tôt le matin car « ceux qui aiment les Mitsvot s’empressent de les accomplir ». Cependant, s’il n’est pas possible de réunir la famille et les invités très tôt, on pourra procéder à la Brit Mila tant qu’il fait jour.
- Un garçon qui naît un Chabbat de façon naturelle (et non par césarienne) sera circoncis le Chabbat suivant ; on aura pris soin de préparer tout ce qui est nécessaire (instruments, pansements…) avant Chabbat.
- Si un jumeau est plus faible que l’autre, on procédera d’abord à la Brit Mila de celui qui est en bonne santé et, éventuellement quelques jours plus tard, de celui qui était trop faible.
- Le père de l’enfant est appelé à la Torah le Chabbat précédant la circoncision.
- La nuit précédant la Brit Mila, on a la coutume d’amener auprès du bébé des enfants qui réciteront le Chema Israël et d’autres versets pour augmenter la protection. La coutume est qu’on reste éveillé cette nuit-là pour étudier certains passages du Zohar.
- Tout Juif qui n’a pas été circoncis au huitième jour a le devoir de se faire circoncire à sa majorité et de ne pas retarder l’accomplissement de cette Mitsva.
(d’après Chéva’h Habrit – Rav Shmuel Hurwitz)
Cinq Brit Mila à Hong Kong
La crise du Covid 19, comme on le sait, n’a épargné aucun pays dans le monde - et certainement pas en Asie. Or, il existe des communautés juives qui ont été particulièrement touchées, avec la quasi-impossibilité d’organiser des circoncisions pour leurs nouveaux-nés le huitième jour.
Les frontières de l’immense métropole qu’est Hong Kong ont été fermées à toute personne qui ne possédait pas de visa de résident en avril 2020. Alors qu’il n’y avait jamais eu de problème auparavant pour faire venir un Mohel expérimenté, cela devenait soudain impossible. Et la fermeture des frontières s’avérait interminable et de plus en plus stricte, avec contrôle de la température dans les aéroports et quarantaines scrupuleusement vérifiées.
Avec le temps, plusieurs bébés naquirent dans les familles juives mais aucun Mohel ne pouvait entrer dans l’enclave. Des notables de la communauté tentèrent d’obtenir auprès des autorités un visa pour un Mohel mais en vain. Certains finissaient par soupirer qu’il faudrait se résoudre à faire appel à un médecin. Mais Rav Morde’haï Avtzon, Chalia’h principal du Rabbi à Hong Kong ne pouvait accepter une telle éventualité. Après de nombreuses discussions et des nuits sans sommeil, quelqu’un trouva la solution : il existait une loi depuis longtemps oubliée stipulant qu’un médecin local pouvait inviter un médecin de l’étranger si celui-ci savait procéder à une opération pour laquelle il n’y avait pas de spécialiste à Hong Kong. Ce fut le premier rayon d’espoir.
En général, les circoncisions étaient effectuées à Hong Kong par des obstétriciens. Rav Avtzon en connaissait un qui justement s’était rapproché de ses origines juives et qui accepta de soumettre au gouvernement une demande d’invitation pour un docteur qui serait aussi un Mohel afin que celui-ci lui « enseigne » les spécificités de la circoncision juive.
Avec l’incroyable assistance de Rav Yaakov Herzog, partenaire de l’organisation Brit Yossef Yits’hak en Israël, un Mohel qui était également un chirurgien hors pair fut recruté : Dr Binyamin Raskin et la demande de visa suivit son cours. Ce n’était pas aussi simple qu’il y paraît : les autorités locales entreprirent des recherches sur Internet et certains en vinrent à la conclusion que tout ceci était - au mieux - questionnable et - au pire - suspect aux yeux de fonctionnaires trop zélés qui tentèrent de bloquer la procédure.
Rav Avtzon a derrière lui une longue histoire familiale de Messirout Néfech, de détermination face à la bureaucratie communiste la plus pointilleuse et, armé d’une patience infinie, parvint à obtenir le visa tant convoité pour le Mohel. Mais même une fois le visa obtenu, de nouvelles complications arrivèrent en Israël avec de nouvelles restrictions sur les voyages, dues au virus. Le Consulat d’Israël, le Ministre de l’Intérieur et des membres de la communauté de Hong Kong intervinrent eux aussi avec leur expertise, leur détermination et leur assistance financière. Enfin, Dr Raskin put atterrir à Hong Kong mais dut encore respecter le délai de deux longues semaines de quarantaine, de solitude dans ce pays étrange avant de pouvoir procéder en trois heures à la Brit Mila de quatre bébés, âgés d’un à quatre mois.
Mais… n’avons-nous pas indiqué dans le titre qu’il y avait eu cinq Brit Milot ? Oui il y en a eu une cinquième, une qui marqua les esprits et les cœurs de ceux qui furent impliqués : il s’agissait de celle d’un jeune garçon âgé de onze ans qui, de lui-même, avait demandé à être circoncis. Il en avait parlé à Rav Avtzon qui lui avait raconté le privilège que représentait cette procédure à l’image d’Avraham notre patriarche et, deux jours plus tard, cet enfant entra lui aussi dans l’alliance d’Avraham notre père. Sans doute ému par ce récit, cet enfant choisit le prénom hébraïque… Avraham.
A ce moment, il eut la surprise de recevoir un appel par Face Time d’un des plus prestigieux directeurs du mouvement Loubavitch international, Rav Avraham Shemtov aux États-Unis (le père de Mme Goldie Avtzon). Celui-ci le félicita d’avoir choisi ce prénom avec tout ce que cela représentait.
Et, pour célébrer l’occasion, Rav Morde’haï Avtzon et son épouse Goldie lui offrirent un précieux billet d’un dollar du Rabbi. A l’époque, le Rabbi leur avait donné 18 de ces billets « pour la communauté de Hong Kong », quand, il y a plus de trente ans, il semblait juste impossible d’établir une communauté juive dans cette immense ville-état. Qui méritait plus que ce courageux Avraham de recevoir un de ces dollars ?
COLlive
Traduit par Feiga Lubecki