Quand le monde fut créé…
Alors que nous approchons de Roch Hachana à vive allure et que l’atmosphère est emplie de cette sensation d’attente si particulière aux jours qui arrivent, voici que nous traversons, presque sans y prendre garde, la date du 25 Elloul. Moins d’une semaine avant nos rendez-vous spirituels majeurs, ce Chabbat, c’est de l’anniversaire de l’univers qu’il s’agit puisque cette date fut le premier jour de la création. Beaucoup a été dit sur le fait que Roch Hachana, début de tout, ait été fixé au jour anniversaire de la création de l’homme et non à celui de la création du monde. Ce choix de D.ieu souligne, s’il en était besoin, le rôle essentiel de l’homme, créature qui donne sens à l’ensemble.
Pourtant, ce premier jour de l’existence de l’univers garde un caractère profondément bouleversant. Avant qu’il arrive, disent nos textes, D.ieu est l’existence unique. Il choisit donc, à ce moment, de – pour ainsi dire – restreindre Sa présence afin que le créé puisse se percevoir comme une entité autonome. Cette véritable « contraction » de la lumière Divine ouvre ainsi un espace à l’action des créatures et à leur liberté. Cependant, il ne faut pas s’y tromper : l’Existence qui soutient toutes les autres est bien celle du Créateur. Pour reprendre les termes de Maïmonide, D.ieu est « l’Existence première et de Lui proviennent toutes les existences… S’Il n’existait pas, rien n’existerait… » C’est dire que la création ne cache la lumière Divine que devant notre conscience et qu’il nous appartient de déchirer ce voile.
Justement, le 25 Elloul, alors que l’univers revit le jour de sa création, il nous est donné de prendre la pleine mesure de cette réalité. Il est enseigné que « l’homme est l’associé de D.ieu dans l’œuvre de création ». Cela implique que son rôle est réel et constant, comme la création même. Cela veut dire aussi qu’il prend sa place complète lorsqu’il assume sa noble condition. En substance, cela revient à dire qu’il nous faut faire vivre l’œuvre Divine en n’oubliant jamais qu’au cœur de la création ne se trouve que le Créateur. Et même si le monde a repris son tumulte quotidien, toute trêve terminée, chacun est capable de faire que le vacarme social n’éteigne pas la voix intérieure qui n’est autre que celle de son âme.
En cette période où nous espérons une nouvelle année bonne et douce, un chemin nous est tracé. Comprendre, reconnaître, savoir : les maîtres mots de la conscience pour une vie de bonheur et de grandeur.
« Pleine de rire »
Evoquant le temps de Machia’h, les Psaumes (126 : 2) annoncent : «Alors, notre bouche sera pleine de rire». Il faut souligner que ce rire-là a un sens et une motivation profondes.
En effet, la valeur numérique du mot «rire» en hébreu est de 414. C’est aussi celle des mots «Or Ein Sof» qui signifient « Lumière Infinie » et font référence à l’Essence Divine. Cette équivalence indique que la signification véritable de ce « rire » est la révélation de D.ieu.
(d’après Likoutei Torah, Bamidbar, p. 19d)
Nitsavim-Vayélè’h
La Paracha Nitsavim comporte certains des principes fondamentaux de la foi juive.
L’unité d’Israël : nous nous tenons tous devant D.ieu, depuis les chefs de tribus jusqu’aux puiseurs d’eau.
La Rédemption future : l’exil et la désolation seront suivis de la réunion de tous sur la terre de nos pères.
La pratique de la Torah : elle nous est accessible, elle est proche de nous et nous avons la capacité de nous y adonner.
Le libre-arbitre : devant nous sont la vie et le bien, la mort et la mal. Marchons dans les voies de D.ieu, gardons Ses commandements, choisissons la vie.
La Paracha Vayélè’h relate les événements du dernier jour de la vie de Moché sur cette terre. Il transfère sa gouvernance à Yehochoua et écrit un rouleau de la Torah qu’il confie aux Léviim afin qu’ils le conservent dans l’Arche de l’Alliance.
On y lit la Mitsva du Hakhel : au cours de la fête de Souccot, lors de l’année qui suit celle de la Chemita, le Peuple entier se réunira au Saint Temple où le Roi lira la Torah.
La Paracha s’achève avec la prédiction que le peuple se détournera de D.ieu Qui cachera Sa face mais également avec la promesse que les mots de la Torah ne seront pas oubliés par ses descendants.
Cette année, les Parachiot de Nitsavim et Vayélè’h sont lues ensemble. Apparemment, elles présentent deux postures diamétralement opposées. Nitsavim signifie « se tenir debout » et, plus précisément, adopter une position forte, droite et constante. Dans son commentaire sur le verset : « Datane et Aviram sortirent Nitsavim », Rachi interprète le terme Nitsavim comme signifiant « se tenant droit ». De la même façon, le livre de Mela’him (1, 22 :48) utilise l’expression Nitsav Mélè’h. Mélè’h signifiant « roi », représente la force ultime, comme le déclarent nos Sages : « La parole du roi déracine des montagnes ».
A l’opposé, Vayélè’h a pour sens « et il alla ». « Aller » est l’antithèse-même de Nitsavim. Cela représente le changement et le progrès. Le véritable sens du progrès est d’abandonner totalement sa position antérieure.
Et pourtant, ce Chabbat, Nitsavim et Vayélè’h sont lues ensemble et considérées comme une seule Paracha.
Cette contradiction apparente peut ainsi se résoudre : les approches de Nitsavim (la fermeté) et de Vayélè’h (le progrès) sont toutes deux nécessaires dans le service de D.ieu. Ce concept s’exprime au tout début du Choul’han Arou’h (Code de Lois Juives). Son premier statut est : « Yehouda ben Teima déclare : ‘Sois effronté comme un léopard, léger comme un aigle, rapide comme une biche et fort comme un lion, pour accomplir la volonté de ton Père dans le Ciel’ ». « Effronté comme un léopard » et « fort comme un lion » représentent l’approche de Nitsavim alors que « léger comme un aigle » et « rapide comme une biche » celle de Vayélè’h.
Bien qu’il paraisse difficile qu’une même personne puisse entreprendre ces deux sortes d’approches, une telle combinaison est possible dans le service de D.ieu. Le Sifri écrit qu’en général il est impossible d’avoir de « l’amour à la place de la crainte ou de la crainte à la place de l’amour ». Cependant, c’est une Mitsva d’aimer et de craindre D.ieu, tout à la fois.
De la même façon, les deux types de services mentionnés plus haut sont accessibles au même individu. Toutefois, parce que cela est difficile, on les accomplit généralement à des moments différents. (C’est pour cette raison que très souvent Nitsavim et Vayélè’h sont lues lors de deux semaines différentes).
Mais le niveau ultime du service divin permet de les combiner lorsqu’on s’y adonne complètement. La ‘Hassidout explique que lorsqu’un serviteur s’investit totalement dans le service de son maître, les forces de son maître deviennent siennes. Il en va de même dans le service divin d’un Juif. A ce niveau d’investissement, les forces de son maître, D.ieu, deviennent les siennes.
D.ieu a le potentiel de combiner les contraires. Ainsi ce potentiel se reflète-t-il dans l’individu et il est à même d’unifier ces deux services en un seul.
Cette idée peut se clarifier dans les termes de l’explication de la différence d’opinion entre Rabbi Akiva et Rabbi Ichmaël à propos de la réponse du Peuple juif aux Dix Commandements. Rabbi Ichmaël maintient que les Juifs répondirent « oui » aux commandements positifs et « non » aux commandements négatifs. Rabbi Akiva, quant à lui, soutient qu’ils répondirent « oui » à tous les commandements, ce qui impliquait un engagement à se conformer à la volonté Divine, quelle qu’elle soit.
Rabbi Ichmaël considère la Torah avec la perspective de l’homme. Ainsi un commandement positif requiert un « oui » et un commandement négatif, un « non ».
La position de Rabbi Akiva représente l’état d’un engagement absolu de l’homme à D.ieu. Pour lui, toutes les formes de service sont donc identiques. L’accomplissement des commandements négatifs possède également une intention positive : le service de D.ieu.
Par le même biais, la ‘Hassidout engage à une combinaison des deux sortes de service. D’une part, comme le déclarait le Rabbi précédent, la manière d’établir une relation avec un Rabbi est d’étudier la Torah qu’il étudie.
Par ailleurs, les Rabbis ont toujours mis l’accent sur le commandement d’ « aller ». Aller vers un Juif qui ne connaît pas le Judaïsme ou ignore la ‘Hassidout. La Torah et la ‘Hassidout doivent se diffuser dans soixante-dix langues dans un effort pour atteindre chaque Juif, et leurs enseignements doivent être adaptés de manière à être compris par chaque Juif.
Il est évident que lorsque l’on est impliqué dans le monde et que l’on se bat contre son insensibilité, notre statut personnel change. Cependant, c’est en s’impliquant dans le monde que l’on devient le Chali’ah (émissaire) du Rabbi et comme l’affirment nos Sages : « Un chalia’h est considéré comme l’individu (celui qui l’envoie) lui-même ».
C’est ainsi que la force de Nitsavim et le progrès de Vayélè’h sont réunis en une seule forme de service.
Pratiquement parlant, cela implique que l’on fournisse des efforts dans les Mivtsaïm : Ahavat Israël (l’amour du prochain), ‘Hinou’h (l’éducation), Torah (l’étude de la Torah), Tefilines, Mezouza, Tsedaka (la charité), Bayit Malé Sefarim (une maison remplie de livres de Torah), Néroth Chabbat Kodèch (les bougies de Chabbat), Cacherout, Taharat Hamichpa’ha (les lois de pureté familiale), la rectification de Mihou Yehoudi (la définition de « qui est Juif ? »), l’institution de Kollels (des centres d’étude) pour les hommes plus âgés, pour les femmes, pour les jeunes et également aider les nécessiteux dans leurs besoins. Tout le monde doit sentir que le Rabbi précédent lui adresse directement ces paroles. Ainsi nous entrerons dans cette nouvelle année avec de la joie, confiants que nous l’emporterons dans le jugement et que nous sortirons accueillir Machai’h qui nous conduira à la véritable et complète Rédemption dans l’allégresse et le bonheur.
Qu’est-ce que les Seli’hot ?
Les Seli’hot sont des prières de supplications qui rappellent les besoins de l’homme mais aussi sa petitesse et ses faiblesses. En récitant les Seli’hot, le Juif procède à une introspection approfondie qui lui permet d’aborder la nouvelle année avec la crainte, l’humilité mais aussi l’assurance et la joie requises.
Dans les communautés ashkénazes et ‘hassidiques, on commence à réciter les Seli’hot à partir du samedi soir précédant (d’au moins quatre jours) la fête de Roch Hachana : cette année samedi soir 16 septembre 2017 vers 1 heure 30. Puis on dit les Seli’hot, à partir du lundi 18 septembre, avant la prière du matin. On aura au préalable récité les « bénédictions du matin » ainsi que les bénédictions de la Torah.
On s’efforcera de réciter les Seli’hot en présence de dix hommes adultes (plus de treize ans) afin de pouvoir prononcer le Kaddich.
Si possible, on reste debout pendant les Seli’hot, au moins lorsqu’on prononce les « Treize Attributs de Miséricorde » et le « Vidouï » (confession des fautes). Celui qui ne prie pas avec un Minyane (dix hommes) ne prononce ni les « Treize Attributs » ni les prières en araméen.
L’officiant s’enveloppe d’un « Talit » (châle de prière). S’il fait encore nuit, il ne prononcera pas la bénédiction : il serait alors préférable qu’il emprunte un Talit à un ami ou à la synagogue.
L’endeuillé (durant les sept premiers jours) ne sort pas de chez lui et ne peut donc aller à la synagogue pour les Seli’hot, excepté la veille de Roch Hachana (mercredi 20 septembre) où les Seli’hot sont particulièrement longues.
Les pérégrinations du Choffar noir et du Choffar blanc
Chaque Roch Hachana, Rabbi Lévi Its’hak Schneerson, le père du Rabbi de Loubavitch, sonnait dans un Choffar noir qu’il avait hérité de Rabbi Chmouel, le cinquième Rabbi de Loubavitch.
En 1940, Rabbi Lévi Its’hak fut arrêté par la police secrète soviétique sous prétexte d’activités contre-révolutionnaires, torturé puis condamné à l’exil au Kazakhstan. Dès qu’elle le put, son épouse, la Rabbanit ‘Hanna le rejoignit pour adoucir ses dernières années. Après la mort de Rabbi Lévi Its’hak, la Rabbanit ‘Hanna confia le précieux Choffar à Rav Yaakov Yossef Raskin qui en sonna jusqu’en Elloul 1950. Il reçut alors la visite de Rav Dov Ber Haskind : celui-ci l’informa qu’à New York, le Rabbi désirait, en tant qu’héritier légitime, récupérer ce Choffar. Rav Yaakov Yossef n’hésita pas et se sépara, le cœur gros, de ce trésor auquel il avait veillé jalousement. Cependant, il demanda un « dédommagement » en échange : le Rabbi lui fit parvenir un mouchoir qu’avait utilisé Rabbi Yossef Its’hak, le précédent Rabbi de Loubavitch. Ce mouchoir pourrait lui servir à recouvrir son propre Choffar quand il soufflerait dedans.
Mais le Rabbi sonnait aussi parfois d’un autre Choffar, blanc. Quelle était son histoire ?
A Alma Ata (où il vécut les derniers mois de sa vie en exil), son père Rabbi Lévi Its’hak avait connu un Juif simple du nom de ‘Haïm Ber qui, après le décès de Rabbi Lévi Its’hak, s’installa à Tchernovitz. Durant son dernier mois d’Elloul sur cette terre, ‘Haïm Ber, affaibli, appela Rav Yossef Nimotin et lui demanda de sonner dans un Choffar blanc qu’il possédait mais dans lequel il n’avait jamais osé sonner lui-même. Et pour cause : ce Choffar revêtait une sainteté spéciale puisqu’il avait appartenu au Rabbi Tsema’h Tsédek, le troisième Rabbi de Loubavitch. Saisi de crainte respectueuse, Rav Nimotin refusa. Cependant, à Roch Hachana, quand Rav Nimotin rendit visite à ‘Haïm Ber, celui-ci insista :
- T’es-tu trempé au Mikvé aujourd’hui ?
- Oui, répondit Rav Nimotin.
- Alors, je t’en supplie, sonne de ce Choffar pour moi !
Il insista tant et si bien que Rav Nimotin fut obligé de sonner dans ce Choffar blanc du Rabbi Tséma’h Tsedek. Quand il s’apprêta à quitter la maison, ‘Haïm Ber l’interpela : « Prends ce Choffar pour toi ! ». Surpris (car il savait combien ‘Haïm Ber tenait à son trésor), Rav Nimotin accepta néanmoins et promit de prendre soin de cet objet inestimable. ‘Haïm Ber avait dû sentir que ses jours étaient comptés et qu’il devait laisser le Choffar à quelqu’un de confiance : il mourut peu après.
Quant à Rav Nimotin, il fut lui aussi arrêté et condamné aux travaux forcés au bagne du Goulag. Durant six ans. Effrayée d’être peut-être un jour arrêtée elle aussi, son épouse confia le précieux Choffar à Rav Hillel Liberow qui y veilla jusqu’au retour de Rav Nimotin. Celui-ci passa Roch Hachana dans une synagogue tenue par des Juifs iraniens : le cœur battant, il s’apprêtait à prier quand, tout à coup, une main déposa un objet devant lui. Il se retourna et ne put qu’apercevoir le dos de Rav Hillel qui s’enfuyait. Rav Nimotin constata alors que l’objet en question n’était autre que le Choffar blanc ! Très ému de le récupérer juste à ce moment crucial de la prière, Rav Nimotin était néanmoins très étonné de cet incident.
Quand ils se rencontrèrent par la suite, Rav Hillel expliqua ce qui s’était passé. Ce matin de Roch Hachana, il avait emporté ce Choffar blanc à la synagogue avec l’intention d’en sonner devant tous les fidèles, sans cesse menacés par la police secrète et tourmentés dans leur vie quotidienne à cause de leur fidélité au judaïsme. Mais, en arrivant à la synagogue, il s’était aperçu avec horreur qu’il l’avait perdu. Choqué, il réalisa que l’objet avait dû tomber de son sac. Le cœur battant, il résolut de revenir sur ses pas et reprit le chemin : effectivement, il aperçut le Choffar dans la rue. Mais juste à ce moment, un bus arriva et se dirigea droit vers l’objet encore à terre. Horrifié, Rav Hillel voyait les roues se rapprocher de plus en plus mais, finalement, il ne s’en valut que de quelques centimètres : le Choffar était resté intact ! Il le ramassa prestement et en déduisit qu’il n’était certainement pas digne de conserver ce Choffar en sa possession. Et c’était pour cela qu’il l’avait rendu en toute hâte à Rav Nimotin.
En 1946, de nombreux Juifs russes purent quitter l’Union Soviétique en se faisant passer pour des Juifs polonais. Parmi eux, Rav Sim’ha Gorodetsky : il avait demandé à Rav Nimotin de lui confier le Choffar afin de le faire remettre au Rabbi à New York. Tout ceci impliqua encore de nombreuses aventures mais les miracles continuèrent et Rav Sim’ha put finalement traverser les frontières et enfin remettre le Choffar blanc au Rabbi, lui-même descendant direct du Rabbi Tséma’h Tsedek.
C’est ainsi que, chaque année, à Roch Hachana, le Rabbi disposait de deux Choffars, un noir et un blanc, tous deux ayant appartenu à ses ancêtres et dans lesquels il soufflait pour assurer au peuple juif une bonne et douce année, matériellement et spirituellement.
Chabad.org
Traduit par Feiga Lubecki