L’un des principes fondamentaux du Judaïsme est akarath hatov, l’appréciation et la reconnaissance pour le bien dont D.ieu nous gratifie constamment. Et comme dans le cas de l’appréciation de notre prochain, il ne s’agit pas seulement de mettre l’accent sur la dimension matérielle de la bonté divine mais également sur l’amour et le soin que D.ieu accorde à chacun.

C’est dans cette veine que nous pouvons apprécier le déroulement de notre Paracha. Ki Tavo commence par la description de la mitsva des bikourim, les premiers fruits que les Juifs apportaient au Beth Hamikdach, puis elle évoque immédiatement une alliance concernant la Torah tout entière (Devarim 26 :16…).

Quel lien unit-il ces sujets différents ?

La mitsva des bikourim fut instituée pour nous permettre d’exprimer notre gratitude pour tous les bienfaits que D.ieu nous accorde et pour Lui montrer que nous apprécions «qu’Il nous octroie toutes les bénédictions de ce monde» (Devarim 11 :12).

Et cette reconnaissance ne s’exprime pas simplement par des mots de remerciement mais également par des actes. Chacun choisissait les prémices de ses fruits et faisait un voyage tout exprès, qui le conduisait à Jérusalem, pour les offrir en gage de reconnaissance à D.ieu. Cela allait plus loin encore, ces premiers fruits étaient ainsi consacrés, indiquant qu’un lien durable avec la sainteté de D.ieu avait été établi.

C’est ici que réside la relation avec toute la Torah. Car au sens large, chaque aspect de la vie d’une personne peut devenir des bikourim comme expression de remerciement pour la bonté de D.ieu. A chaque instant, nous nous tenons devant D.ieu et pouvons démontrer que toute notre existence est liée à Lui.

Plus qu’une Terre géographique

En guise de préparation à la mitsva des bikourim, la Torah nous enjoint : Ki tavo el haérets, «quand tu entreras sur la terre que D.ieu… te donne en héritage». La faculté d’apporter des bikourim dépend de l’entrée en Erets Israël, la terre dont il est dit : «les yeux de D.ieu sont sur elle, depuis le début de l’année jusqu’à la fin de l’année».

Quand une personne entre en Erets Israël et permet à Erets Israël d’entrer en elle, sa sensibilité s’en trouve aiguisée au point qu’elle peut accomplir le service spirituel des bikourim et, de fait, voir ce mode de service caractériser son approche de la Torah et des mitsvot en tant qu’entité.

Une entrée totale

On peut comprendre plus profondément les concepts que nous venons d’évoquer en considérant les implications hala’hiques («légales») du mot tavo, «entrer». Nos Sages expliquent que ce mot implique de pénétrer entièrement, sans qu’aucune partie du corps ne reste à l’extérieur. Cela va également nous permettre de comprendre une différence d’opinion entre nos Sages, concernant le moment précis où les Juifs devaient apporter les bikourim.

Le Sifré, dans son exégèse du verset : «quand tu entreras dans la terre» statue que les Juifs devaient apporter immédiatement les fruits. Dès qu’un individu recevait sa propre portion de la Terre en héritage, il avait l’obligation d’en apporter les premiers fruits.

Mais le Talmud (Kidouchin 37b) établit, quant à lui, que l’obligation d’apporter les prémices ne survint qu’après la fin des quatorze années durant lesquelles les Juifs conquirent Erets Israël et la divisèrent entre les douze tribus.

La différence entre ces deux approches s’interroge sur l’importance de «l’entrée» requise. Le Sifré maintient que dès que chacun reçut sa part d’Erets Israël, son entrée fut complète et il devait donc apporter son offrande. Les Sages du Talmud, par contre, maintiennent que tant que le Peuple tout entier n’eut pas pris possession d’Erets Israël, l’entrée de personne n’était complète. Ce n’est qu’après que chaque membre du Peuple eut établi son foyer que tous les individus purent considérer qu’ils étaient pleinement entrés en Erets Israël.

Deux niveaux de remerciements

L’on peut proposer, en guise d’explication, que ces deux opinions reflètent deux phases dans l’expression de notre reconnaissance à l’égard de D.ieu.

On peut observer un parallèle dans le service quotidien de la prière. Dès que nous nous réveillons, nous commençons la journée en prononçant le modé ani, le remerciement adressé à D.ieu pour nous avoir rendu notre âme de la «petite mort» qu’est le sommeil. Cette expression de gratitude est naturelle et spontanée, émanant de l’essence-même de notre âme. Néanmoins, elle est peu développée car elle n’a pas encore été cultivée par la pensée.

Dans nos prières, nous culminons avec la bénédiction de la Amidah modim. Nous offrons alors une expression de gratitude plus complète. Les sentiments intuitifs de l’âme sont embellis par notre prière, notre méditation consciente sur les multiples bénédictions dont nous jouissons.

De la même façon, en ce qui concerne l’obligation d’apporter les bikourim, entrer en Israël signifie aller de plus en plus profondément dans les dimensions spirituelles de la Terre jusqu’à pouvoir apprécier la bienveillance immanente de D.ieu. Cela ne peut se faire immédiatement mais requiert un engagement à long terme pour grandir et se développer.

Anticiper l’entrée en Israël

Moché donna aux Juifs la promesse de ki tavo, qu’ils entreraient en Erets Israël, alors qu’ils étaient toujours dans le désert. Ces mots servent de titre à une portion entière de la Torah car la promesse d’entrer en Israël suffit pour nous inspirer à nous engager à observer les mitsvot mentionnées dans cette Paracha.

Les mêmes idées s’appliquent aujourd’hui. Car nous a été donnée la promesse que bientôt «nous entrerons dans la terre que D.ieu… te donne en héritage», conduits par Machia’h. Prendre conscience de cette promesse devrait susciter un solide engagement à surmonter les derniers écueils de l’exil. Et cela nous conduira à l’époque où nous apporterons à nouveau les fruits comme offrandes à D.ieu dans le Beth Hamikdach, en guise de remerciement pour Sa bienveillance.

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