Moché parla au peuple en ces termes: “armez vos hommes en une armée, pour mener la guerre contre Midian… (des hommes) de toutes les tribus d’Israël vous enverrez au combat” (Nombres 31 :3-4)

“De toutes les tribus d’Israël” y compris la tribu de Lévi (Rachi)

La tribu de Lévi ne reçut “ni part ni héritage parmi ses frères” en terre d’Israël. Alors que l’ensemble de la nation est appelée à se battre contre les défis de la vie matérielle, la tribu de Lévi est l’aile spirituelle de l’armée d’Israël, “désignée pour servir D.ieu et pour enseigner Sa loi à la communauté…”. Ils doivent donc être séparés des lois du monde: ils ne doivent pas faire la guerre avec le reste du peuple d’Israël, ne doivent pas hériter la terre, ni obtenir quoi que ce soit par leur force physique… D.ieu Lui-même subvient à leurs besoins comme il est dit : “Je suis votre portion et votre lot”.
Il y eut pourtant une guerre à laquelle la tribu de Lévi participa, la guerre d’Israël contre Midian, décrite en détails dans le 31ème chapitre des Nombres. Car il ne s’agissait pas d’une guerre pour conquérir un territoire ou pour aller à l’encontre d’une menace, mais d’une guerre pour “appuyer la vengeance de D.ieu contre Midian” pour le dommage moral qu’ils avaient infligé au peuple juif.

La politique du cœur
“Le monde également Il l’a placé dans leurs cœurs” dit le plus sage des hommes. Chaque être humain est un monde virtuel de personnalités et de traits de caractère, un globe de “nations” dans lequel les territoires et les ressources du corps et de l’âme sont constamment en conflit. L’amour combat l’orgueil, la colère combat l’empathie, la volonté combat la paresse, l’esprit combat le cœur. Et là aussi la guerre contre Midian est particulière, une guerre différente de toutes les autres dans le champ de bataille de l’âme humaine.
Le mot hébreu pour Midian signifie “combat”. La guerre contre Midian n’est pas alors un conflit impliquant quelque région de l’univers humain; c’est une guerre contre la guerre elle-même, contre le phénomène même de la dichotomie et de la discorde à l’intérieur de l’homme. Car l’homme, par essence, est un monde uni, harmonieux, une communauté intégrée avec un but commun. C’est le “Midian” dans l’homme qui est la source de toutes les disharmonies et des combats, à l’intérieur et l’extérieur.
Midian est la fragmentation de l’âme humaine, la rupture de ses multiples “nations” et “factions” de leur source unificatrice dans la quintessence de l’homme. La guerre brise le cœur de l’homme quand ses différents composants perdent de vue l’objectif unique qui leur donne naissance, de sorte que chacun assume un ego et un programme de lui-même.
La même chose s’applique au niveau interindividuel. Nos Sages parlent de “haine sans fondement”. Les raisons avancées par les hommes pour se détruire et se haïr ne sont que les façades multiples du “moi” de Midian, l’ego qui dénie la source commune et le but de l’humanité et considère l’existence d’autrui comme une menace pour lui-même.
En règle générale, la tribu de Lévi reste étrangère aux combats prosaïques pour la vie. Il en va de même pour le Lévi dans chaque individu, ce sanctuaire de spiritualité que chacun de nous arbore dans l’essence de son âme. Alors qu’aucune vie n’est dénuée de combat, nous maintenons une île inviolable de sainteté dans notre vie, qui ne doit jamais être souillée par la matérialité. Mais quand vient la guerre contre Midian, chaque tribu et chaque facette de l’âme doivent prendre les armes. C’est d’ailleurs grâce à la seule participation du Lévi intérieur, de l’élément de la personne le plus profond de l’âme individuelle que cette guerre contre la guerre peut être victorieuse.
Pour remporter cette guerre, il nous faut nous concentrer sur chaque individu, ses différences mais au lieu de les nourrir dans le sens de la division, les utiliser dans la construction d’un monde harmonieux par sa richesse et sa diversité.
Il nous faut introduire dans le monde un élément fondamental: l’harmonie. Nous pouvons évoluer de la singularité ultime (de D.ieu) à la pluralité et la diversité, mais la diversité n’a pas besoin de se désintégrer en guerre. Elle doit au contraire former les ingrédients différents de l’harmonie, une harmonie qui reflète la singularité qui a permis la naissance de ce processus.
Les Sages s’interrogent sur la phrase qui constitue la pierre angulaire de la foi juive: la première phrase du Chema: “Ecoute Israël l’Eternel notre D.ieu, l’Eternel est Un”. Pourquoi le mot “E’had” (Un) est-il utilisé pour évoquer l’unité de D.ieu? “Un” peut impliquer une série (un, deux, trois…) ou une unité composée de plusieurs éléments (un morceau de pain, un être humain, une communauté…). N’aurait-il pas été plus judicieux d’utiliser le mot “Ya’hid” (singulier, unique)?
Mais la singularité est une unité qui peut être obscurcie par l’émergence de la pluralité. Cependant le Juif accomplit le but de sa vie en permettant une véritable expression de l’unité de D.ieu, celle du “E’had” qui ne nie pas la pluralité mais au contraire utilise cette pluralité du monde qu’Il a créé. Et en dernier ressort se manifeste l’Harmonie Divine par une synthèse et une unanimité du projet divin dans une création diversifiée.

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