Samedi, 14 novembre 2015

  • Toledot
Editorial

 Au lever du jour

S’il existe un élément de la création auquel le judaïsme se réfère avec constance, c’est bien la lumière. Métaphore pour la présence de D.ieu dans l’univers, pour la sagesse qui émane de chacun, pour la victoire du bien sur le mal, le concept est d’une telle richesse qu’on ne saurait l’épuiser. Cette préoccupation de la lumière est bien utile et significative, d’une part en cette saison automnale où les couleurs de l’été s’effacent peu à peu mais surtout en ces temps difficiles où ce sont les couleurs de l’espoir qui semblent avoir du mal à s’imposer. De fait, le peuple juif s’est toujours défini comme une sorte de «porteur de lumière». L’époque peut être paisible ou violente ; elle peut être sereine ou agitée, consciente de valeurs éternelles ou ayant fait le choix de l’oubli ; elle peut être lumineuse ou bien sombre, le peuple juif reste fidèle à sa mission. Pour lui-même et pour toutes les nations du monde, il entend diffuser cette chose si subtile et si belle mais aussi tellement nécessaire : la clarté du soleil du cœur, de l’esprit et de l’âme. Certes, parfois il n’est pas compris, il poursuit cependant son œuvre.

Justement, nous entrons à présent dans ce mois si particulier, qui nous renvoie à cette notion : le mois de Kislev, celui de ‘Hanoucca. Et la vision – même encore virtuelle –  des flammes qui brillent au sommet du chandelier de la fête et transpercent la nuit de leurs mille rayons en est la parfaite représentation. L’histoire juive est pleine de ces épisodes où, peu à peu, c’est une véritable nuit morale et spirituelle qui paraît s’installer durablement sur le monde. Dans de telles périodes, la condition de «porteur de lumière» peut devenir, d’une certaine manière, inconfortable. Ne sommes-nous pas alors à contre-courant de la pensée commune ? Mais le peuple juif sait voir au-delà de ces changements éphémères. Il sait voir que, profondément, tout conduit à un aboutissement – appelons-le « lever du jour ».

Et cet aboutissement-là est fait de nos actions de chaque jour. Vivre au quotidien en prenant la pleine conscience et la pleine mesure du combat – bien pacifique – que nous menons. Celui-ci a commencé il y a bien longtemps et il se poursuit de nos jours contre toutes les forces de la nuit, parfois des barbares qui ne reculent devant aucune cruauté, aucune laideur. L’entreprise peut paraître gigantesque mais sachons-le bien : la lumière a pour nature de vaincre l’obscurité. Et cette dernière peut lâcher ses dernières forces dans la lutte, elle ne peut jamais vaincre. Décidément, voici Kislev, un autre matin se lève.

Etincelles de Machiah

 Une question en «Barbaria»

Machia’h est déjà prêt à venir. Son retard n’est dû qu’à un sujet particulier qu’il doit terminer avec quelqu’un en «Barbaria». C’est ce qu’enseigne nos Sages (Chir Hachirim Rabba 2:10) : «L’un de vous est exilé en Barbaria etc.»

Chacun doit réfléchir : peut-être est-il celui-là ?

(D’après Sefer Hasi’hot Torat Chalom p. 15) 

Vivre avec la Paracha

 Toledot

Rav Its’hak de Cracovie désirait construire une nouvelle synagogue pour sa communauté mais il n’en avait pas les ressources financières. Une nuit, il rêva qu’un trésor était enfoui sous un pont de Prague. Le lendemain, il se mit en route, une pelle à la main, en direction de la capitale tchèque.

Quand il atteignit la ville, sa joie fut extrême. Le pont lui apparaissait exactement comme dans son rêve. Mais quand il commença à creuser, il sentit une main ferme attraper le bras.

-          Que fais-tu ? Tu n’as pas le droit de creuser ici, lui lança un garde.

Rav Its’hak raconta toute l’histoire au garde : son désir de construire une synagogue, son rêve de trésor caché et son voyage depuis la Pologne.

-          Stupide que tu es, se moqua le garde. Depuis plusieurs nuits, je rêve d’un trésor caché sous le poêle d’un juif appelé Its’hak qui habite à Cracovie. Et tu crois que je ferais tout le chemin jusqu’à Cracovie pour trouver ce trésor ?

Rav Its’hak sourit et rentra chez lui. Il creusa sous son poêle, trouva le trésor et construisit sa synagogue.

Ce qu’il cherchait était enterré dans sa propre maison…

La Paracha de cette semaine commence par les mots : «Voici les générations d’Its’hak», se référant à Yaakov et Essav dont la naissance et les premières années sont relatées dans la lecture de la Torah. Le récit aborde un problème auquel bon nombre d’entre nous doit faire face. Its’hak était un homme d’une perfection absolue. Très tôt, il avait été prêt à donner sa vie en sacrifice à D.ieu sur le Mont Moriah. Et par la suite, bien qu’un bélier eût été offert à sa place, il fut toujours considéré comme saint, comme un sacrifice vivant. C’est pour cette raison que, contrairement aux autres Patriarches, D.ieu ne le fit pas quitter Israël. Il était saint et devait donc vivre en Terre Sainte.

L’un de ses fils, Yaakov, imita sa voie de sainteté. C’était un «résident des tentes», ayant choisi de fréquenter les maisons d’étude de l’époque. Mais son autre fils, Essav, était un chasseur, un homme de violence et de passion.

Et malgré tout, Its’hak aimait Essav

Certains avancent qu’Essav savait le tromper. En présence d’Its’hak, il paraissait saint et à son insu, il faisait ce qu’il voulait. Mais cela semble mésestimer Its’hak. Et cela va même à l’encontre de l’un des thèmes fondamentaux du travail de sa vie.

Il creusait des puits.

Quel est le secret de celui qui creuse des puits ? Ne pas accepter ce qu’il voit à la surface mais creuser profondément, enlever toutes les impuretés pour atteindre «l’eau de la vie».

Its’hak procédait ainsi, non seulement avec les puits mais avec chacune des expériences de sa vie. Il sondait jusqu’au fond et parvenait à apprécier la profondeur intérieure.

Si donc il agissait constamment ainsi, pourquoi ne le faisait-il pas avec son fils ?

Et si Essav le trompait, pourquoi l’aimait-il tant ?

C’est précisément pour cette raison elle-même. Quand on creuse, tout dépend jusqu’où l’on va. Si l’on ne fait que déblayer ce qui se trouve un peu plus loin de la surface, il se peut que l’on découvre des passions et des penchants qui ne sont pas si plaisants.

Mais si l’on aime réellement la personne en question, l’on ne s’arrête pas là. On creuse plus profondément encore jusqu’à trouver la part essentielle de Divinité qu’elle possède. Car l’âme de chacun est une réelle partie de D.ieu. Chez certains, elle brille de façon visible et chez d’autres, elle est très cachée. Puisqu’Its’hak aimait Essav, il ne se concentrait pas sur ses traits de caractère moins louables mais sur le bien qui était enfoui en lui.

Cela nous permet également de comprendre pourquoi il voulait lui accorder ses bénédictions. Il s’évertuait constamment à le motiver pour qu’il parvienne à exprimer son potentiel spirituel. Il ressentait qu’en déversant sur lui tant d’énergie positive, il parviendrait à réveiller le bien enfoui en lui pour qu’il domine sa personnalité.

Mais dans les faits, les bénédictions furent données à Yaakov. Car le travail qui consistait à révéler le bien en Essav ne pouvait s’accomplir en un laps de temps limité.

Il s’agit en fait du but de nos efforts dans l’histoire spirituelle du monde, y compris dans cet exil final auquel l’on se réfère comme à «l’exil d’Edom», autre nom d’Essav. Nous travaillons à révéler cette énergie spirituelle, ces «étincelles» investies dans l’expérience mondaine associée à Essav.

L’aboutissement ultime de ces efforts se produira à l’Ere de la Rédemption quand «les libérateurs monteront sur le Mont Sion pour juger la montagne d’Essav et la souveraineté sera celle de D.ieu ». Alors, la puissance des énergies spirituelles que possède Essav fera surface et s’exprimera de façon appropriée.

Les perspectives

Le nom d’Its’hak est associé à la joie, car comme le relate la Torah, il reçut ce nom car «D.ieu m’a fait rire». Comme nous l’avons mentionné, le service divin d’Its’hak impliquait de pénétrer profondément dans les entités naturelles et faire jaillir à la surface leur quintessence divine. Et cette transformation de l’obscurité en lumière fait naître les plus grands plaisirs, les plus grandes satisfactions, la plus grande joie.

Le youd, la première lettre du nom hébraïque d’Its’hak, indique le temps futur. Car ce n’est qu’au Futur ultime que le bonheur se manifestera dans son sens plein. Au présent, bien que nous soyons conscients du fait que notre service divin raffine le domaine matériel, les fruits de ces efforts ne sont pas visibles. Dans le Futur, «la gloire de D.ieu se révélera et toute chair verra». Les effets bienfaiteurs des milliers d’efforts que l’humanité a consacrés au raffinement de l’existence matérielle seront apparents.

Its’hak, par les efforts qu’il a investis dans le monde matériel, pour pénétrer son essence et révéler «les eaux de la vie» sert d’exemple pour ce mode de service divin. C’est la raison pour laquelle nos Sages relatent que dans le Futur ultime, notre Peuple donnera la préséance à Its’hak lui déclarant : «Tu es notre ancêtre».

Malgré le fait que le service divin n’atteindra son expression entière que dans le futur, nous avons la possibilité d’avoir un avant-goût de l’Ere future, dès à présent : il suffit de regarder chaque entité comme elle existe réellement, au-dessus des fluctuations du temps, dans son véritable statut de perfection. Cette perception nous offre un éclairage qui nous guide, nous inspire et nous dirige dans notre tâche de raffinement et précipite l’avènement de l’Ere où la réalité spirituelle se manifestera véritablement dans notre monde matériel avec la venue de Machia’h.

Le Coin de la Halacha

 Quels sont les livres essentiels dans une maison juive ?

Il est écrit dans la Guemara (Avoda Zara 17 : 2) : « S’il y a un livre, il n’y a pas d’épée ». Il devrait se trouver dans chaque maison les livres de base du judaïsme et, en particulier :

- Un ‘Houmach (les Cinq Livres de Moïse)

- Un Tehilim (Psaumes du roi David)

- Un Sidour (livre de prières)

- Un Tanya (de Rabbi Chnéour Zalman).

Par ailleurs, chacun devrait posséder (et étudier dans) des livres de Hala’ha, afin de savoir parfaitement comment agir dans le cadre de la loi juive.

Il est souhaitable que la maison soit même remplie de livres saints au point que tous les objets contenus dans la maison soient imprégnés du sens de ces livres et que la maison devienne un point de ralliement pour les érudits en Torah.

Il convient aussi d’équiper tous les bâtiments communautaires de livres de Torah, de livres en bon état, avec une couverture solide qu’on posera dans des armoires spécialement réservées à cet usage. On en secouera régulièrement la poussière et on les traitera avec respect. On veillera en particulier à ne pas risquer de renverser de liquides ou d’aliments sur les livres.

Chaque enfant juif mérite de posséder personnellement les livres de base du judaïsme : Houmach, Tehilim, Tanya, Sidour, Haggada illustrée et Ma’hzor pour les jours de fête…

(d’après Hamitsvaïm Kehil’hatam – Rav Shmuel Bistritzky)

Le Recit de la Semaine

 Du découragement à la confiance

Mon père était né en Ukraine mais, à l’âge de vingt ans, en 1923, il émigra pour éviter d’être enrôlé dans l’armée soviétique. Il se rendit en Roumanie et prit un bateau, persuadé qu’il arriverait aux États-Unis mais, à cause de la politique des quotas, il se retrouva au Canada. Il y ouvrit un commerce de confection pour hommes dans lequel il prospéra.

En 1941, le premier groupe d’émissaires du Rabbi arriva au Canada, parmi lesquels Rav Greenglass avec qui mon père se lia d’amitié. Ce fut Rav Greenglass qui le persuada au début des années 50 d’aller demander conseil auprès du Rabbi quand il fut confronté à une grosse difficulté.

Mon père possédait une vieille bâtisse à Montréal : son magasin était situé au rez-de-chaussée et il louait les étages à de petits industriels. L’un d’entre eux décida qu’il était plus lucratif de provoquer des incendies pour toucher les dédommagements des assurances que de vendre des marchandises. C’est ce qu’il fit plusieurs fois jusqu’à ce que les assurances décident : «Soit vous installez un système de sécurité dans tout ce vieux bâtiment soit vous le détruisez et en construisez un nouveau. Mais tant que vous n’aurez rien fait, votre assurance est annulée !».

Bien sûr, mon père avait besoin d’une assurance car toute sa marchandise était hautement inflammable. Cependant, installer un système de sécurité était très onéreux. Il loua les services d’un architecte mais ne voyait pas de solution. Il en devint très déprimé.

Courbé en deux par les soucis, il avait perdu toute confiance en lui et avait vraiment l’air d’une loque quand il nous emmena, mon frère et moi, pour demander conseil au Rabbi. Il était l’image de la déchéance mentale. Il posa ses mains sur le bureau du Rabbi comme pour y trouver un appui.

Le Rabbi le regarda et lui ordonna presque :

- Reb Nathan ! Tenez-vous droit !

Mon père enleva ses mains du bureau et se redressa.

Il raconta au Rabbi combien il avait peur de ne pas être couvert par une assurance. Le Rabbi écouta puis demanda à voir le plan du bâtiment que mon frère tenait derrière son dos et posa des questions comme s’il était un architecte :

- Comment se fait-il que le plafond de la cave soit si bas ?

Mon père répondit que le sol était en pierres et qu’il était très onéreux de creuser plus profondément.

- Les fondations ne suffisent que pour trois étages. Pourquoi ? continua le Rabbi.

- Parce que je n’ai pas assez d’argent pour plus de trois étages, répondit mon père, surpris. De plus, je n’ai jamais pensé à construire plus que cela.

- Vous devriez augmenter la hauteur de plafond de la cave, suggéra le Rabbi et renforcer les fondations pour ajouter d’autres étages – même si vous ne disposez pas des fonds nécessaires ! Plus le «récipient» est grand, plus les bénédictions du Tout Puissant seront grandes !

Et, en souriant, le Rabbi conseilla à mon père d’être heureux, de se considérer comme un soldat partant au combat – qui ignore le résultat mais qui a confiance qu’il gagnera. Mon père devait rentrer à Montréal, se rendre chez son banquier en étant totalement assuré que D.ieu était de son côté et que tout irait bien.

En quelques minutes, mon père avait complètement changé : de soucieux et même complètement découragé, il était devenu sûr de lui ! Au point qu’à son retour à Montréal, il entra très décidé et la tête haute dans la banque et obtint un prêt à un taux très avantageux. Il entama les travaux. Le Rabbi lui avait redonné tant de confiance en lui qu’il fut capable de prendre des initiatives audacieuses – comme demander ce prêt qu’il négocia au taux de six pour cent alors qu’il s’élevait normalement à douze pour cent. C’est ainsi qu’il fut capable de financer le projet de reconstruction en développant considérablement son entreprise.

Quelques temps plus tard, un de ses fournisseurs lui proposa d’acquérir avec lui un terrain dans une zone extérieure à la ville. Soupçonneux, mon père hésitait mais l’homme insistait. Finalement, mon père demanda conseil au Rabbi qui l’encouragea à accepter et même à vendre sa maison pour cet investissement. Mon père accepta cette proposition audacieuse mais, quand ma mère entendit cela, elle refusa au début puis se laissa persuader et accepta même que mon père emprunte de l’argent auprès de ses enfants. Telle était la confiance que mon père plaçait dans le Rabbi.

Quand mon père et son associé acquirent le terrain, c’était une zone fermière, les impôts étaient très bas et rien ne s’y passait. Mais rapidement, tout changea et la valeur de ce terrain augmenta considérablement : durant vingt ans, mon père et son associé vendirent les parcelles une à une : ce qu’ils avaient acheté pour cinq centimes en valait alors cent fois plus et les profits furent considérables. Grâce à cet investissement, mes parents purent acheter une maison en Israël où ils s’installèrent en 1978 et vécurent heureux – grâce au Rabbi.

M. Elimelech Leiman – JEM

Traduit par Feiga Lubecki