Semaine 46

  • Toledot
Editorial
Des mois et des hommes

Le calendrier est bien loin d’être sans influence profonde et réelle sur la vie des hommes. Il est clair qu’il modèle d’abord les rythmes sociaux et que son avancée indique à tous à quelle activité particulière ils doivent préférablement se livrer dans la période. En ce qui concerne, plus spécifiquement, le calendrier juif, il va bien au-delà de ce type de considération. Car il n’est pas qu’un instrument de suivi des jours qui passent mais il est étroitement lié à la structure même des choses. Ce n’est ainsi pas en vain que les Sages y ont associé des significations spirituelles essentielles et ont su montrer comment la coloration de chaque mois correspond à une déclinaison différente du Nom de D.ieu.
Le mois de Kislev, qui commence à présent, ne fait pas exception à cette règle. Mois de lumière, il est à la fois celui de ‘Hanoucca et celui du 19 Kislev, Roch Hachana de la ‘Hassidout. Même si plusieurs siècles séparent l’apparition de ces deux célébrations, plus d’un trait leur est commun. De fait, dans un cas comme dans l’autre, c’est de lumière qu’il s’agit. Dans un cas comme dans l’autre, les forces de l’obscurité redoublent d’efforts pour empêcher son émergence et, dans un cas comme dans l’autre, elles sont défaites. A ‘Hanoucca, c’est l’empire grec qui veut détacher les Juifs de leur attachement éternel à D.ieu et à Sa Torah. Le 19 Kislev, c’est l’enseignement du ‘Hassidisme, donné par Rabbi Chnéor Zalman, l’auteur du Tanya, que l’on veut entraver. Nous connaissons la suite : par nature, la victoire appartient toujours à la lumière…
C’est ainsi que nous entrons dans le mois de Kislev. Nous sommes armés de l’expérience du temps, nous savons que rien ne peut empêcher que, jour après jour, la clarté gagne. Dans la période où nous sommes, cela donne à chacun une force et une résonnance nouvelles. Nos actes peuvent être ceux de «porteurs de lumière». Si certains pouvaient, jusqu’ici, avoir l’impression de difficultés sur leur chemin, celles-ci, à présent, doivent s’évanouir, chassées par le jour qui se lève. Il suffit, finalement, de savoir regarder les choses. Car, si le mois recèle une puissance, nous en sommes les acteurs. A l’orée de ce nouveau temps, il nous revient d’en saisir tout ce qu’il nous apporte. Afin que nos jours ne soient plus que ceux de la Lumière.
Etincelles de Machiah
La Techouva et la Délivrance

Maïmonide enseigne : «Israël finira par se repentir et sera immédiatement libéré» (Michné Torah, Hile’hot Techouva 7:5).
Maïmonide précise ainsi que la Délivrance arrive grâce au repentir, à la Techouva. Cela n’est pas simplement dû au fait qu’ainsi toutes les fautes sont effacées. C’est le processus même de la Délivrance qui nécessite l’œuvre spirituelle en question car celle-ci est, par essence, l’expression du niveau le plus élevé de l’âme appelé «Yé’hida», seul à même d’effacer toute trace d’une faute éventuelle. Or, la venue de la Délivrance est justement une manifestation du niveau Divin équivalent, qui transcende toutes les limites du monde matériel. C’est ce degré-là dont il nous faut, par nos actes, susciter la révélation.
(D’après Likoutei Si’hot, vol. IV, p. 1071)
Vivre avec la Paracha
Toledot : Yaakov et Essav

Le récit que fait la Torah de la vie de la famille d’Its’hak semble, par bien des aspects, une répétition de celle d’Avraham. De nombreuses années passées sans enfants sont suivies par la naissance de deux fils, l’aîné, un impie, et le cadet, un juste. Its’hak accorde la préférence à son fils aîné, Essav, tout comme son père est solidaire de son fils aîné, Yichmaël , alors que son épouse Rivkah persévère dans ses efforts pour assurer que le plus jeune sera reconnu comme l’héritier légitime d’Avraham et l’unique ancêtre de la «grande nation» que D.ieu a promis de fonder à partir de sa descendance.
Cependant, une différence majeure oppose les deux paires de frères.
Its’hak et Yichmaël sont nés de mères différentes : Yichmaël est le fils d’Hagar, une ancienne princesse égyptienne alors qu’Its’hak est le fils de la juste Sarah. Plus encore, Yichmaël est né alors qu’Avraham était encore Avram et non circoncis. On peut dire qu’il appartient au passé imparfait de son père. Its’hak, quant à lui, a été conçu après qu’Avraham a atteint la perfection comme l’implique le changement de son nom en Avraham et sa circoncision.
Par contre, Essav et Its’hak sont des jumeaux, nés de la même mère, femme juste, et élevés dans le même environnement saint. Leur père, Its’hak, était « un sacrifice ardent, sans tache », circoncis au huitième jour de sa vie et qui ne posera jamais le pied en dehors de la Terre Sainte. Contrairement à son père, il n’a aucun passé païen et il n’existe pas une période «pré Its’hak» dans sa vie. D’où pouvaient donc bien venir les «gènes impies» d’Essav ?
Ce qui est encore plus frappant est le fait que l’impiété d’Essav semble prédestinée dans le giron de sa mère. Si, dans le courant de sa vie, Essav avait mal tourné, nous aurions pu attribuer ce retournement au fait que chaque homme reçoit le libre-arbitre absolu d’être juste ou impie. Mais comment expliquer que l’attirance d’Essav vers le mal était déjà perceptible avant même qu’il naisse ?
Le Rabbi explique que le fait qu’Essav fût naturellement enclin à l’idolâtrie n’était pas, en soi, une chose négative. En réalité, cela signifie que sa mission dans la vie devait être de conquérir le mal plutôt que de cultiver le bien.
Yaakov et Essav constituent les prototypes de deux types d’âmes, chacune ayant un rôle spécifique et distinct à jouer dans l’accomplissement du dessein divin dans la Création. Maïmonide appelle ces deux types spirituels : «le juste parfait» et «celui qui conquiert ses penchants». Rabbi Chnéor Zalman se réfère à eux comme au «Tsaddik» et au «Beïnoni». L’humanité se divise entre ces deux types, explique Rabbi Chnéor Zalman dans son Tanya, parce qu’il y a deux sortes de gratifications devant D.ieu.
La première est suscitée par le bien qu’accomplit le juste parfait. Mais D.ieu se délecte également de la conquête du mal, toujours en pleine puissance dans le cœur, acquise par les efforts de l’individu ordinaire et imparfait.
Cela, dit le Rabbi, est le réel sens du commentaire de Rachi sur les mots qui ouvrent notre Paracha. Citant le verset : «Et voici les générations d’Its’hak», Rachi commente : «Yaakov et Essav qui sont mentionnés dans la Paracha». Selon le sens simple de ce commentaire, le mot toledot («générations») peut se référer aux actes et aux accomplissements d’une personne (ce que Rachi a déjà expliqué ailleurs, dans Beréchit 6 :9). Mais Rachi nous indique qu’ici le mot toledot doit être compris dans son sens littéral : les enfants d’Its’hak, bien que ceux-ci ne soient cités que plus tard dans la Paracha.
Le Rabbi explique qu’à un niveau plus profond, Rachi pose la question : «Comment un ‘Essav’ peut-il être un descendant d’Its’hak et de Rivkah ? Comment deux individus parfaitement justes peuvent-ils produire une descendance impie, de naissance ?»
C’est la raison pour laquelle Rachi nous dit : «les générations d’Its’hak» sont «Yaakov et Essav qui sont mentionnés dans la Paracha». L’impie Essav que nous connaissons n’est pas le produit d’Its’hak mais le résultat de l’échec d’Essav lui-même dans la domination de son penchant vers le mal. L’Essav de la Paracha (il y est considéré de la perspective de la Torah, où tout est vu dans sa lumière la plus intérieure et véritable) n’est pas mauvais mais l’instrument de la conquête du mal, il est celui qui peut apporter le «second délice» et donc un élément indispensable du but de la vie sur terre.
C’est aussi là que réside le réel sens du Midrach qui décrit Yaakov et Essav se battant dans le giron maternel, à propos de «l’héritage des deux mondes» (c’est-à-dire le monde matériel et le monde futur). A priori, cela aurait dû être un domaine où ils n’auraient pas dû se quereller : le Essav que nous connaissons désire la matérialité du monde physique et rejette tout ce qui est Divin et spirituel alors que tout le contraire est vrai de Yaakov. Pourquoi donc se battaient-ils ?
Le Rabbi explique : le «monde futur» n’est pas une réalité détachée de notre existence présente. C’est le résultat de nos efforts présents pour se lier au monde matériel afin de le perfectionner.
En d’autres termes, le monde dans lequel nous vivons est le moyen, le monde futur est le but. C’est la raison pour laquelle Yaakov aspire au monde futur et Essav (l’Essav de la Torah, celui qui réussit à conquérir ses mauvaises inclinations) préfère le monde d’ici bas. Yaakov voit la perfection comme le seul statut désirable pour l’homme alors qu’Essav envisage la conquête de l’imperfection en elle-même comme souhaitable.
Et cependant, tous deux reconnaissent la nécessité des deux mondes, pour le processus et pour le résultat. L’homme «juste parfait» a également besoin du monde matériel comme véhicule qui le mène à la perfection ultime. Et le «conquérant» voit également la perfection comme but où le mènent ses efforts.
C’est là leur combat. Essav et Yaakov réclament chacun les deux mondes comme part de leur implication dans la vie. Mais leurs priorités sont inversées. Pour les «Jacob» du monde, le monde matériel est un moyen pour se diriger vers un but. Pour les «Essav», s’impliquer dans le monde matériel, le conquérir est tout ce qui compte dans la vie. Une vision future de la perfection est nécessaire mais seulement comme une référence qui donne de la cohérence et une direction au «véritable» travail sur terre.
La tension qui les anime en ce qui concerne leurs visions différentes des «deux mondes» n’est pas négative. Elle est le résultat de deux perspectives différentes, toutes deux positives et nécessaires, toutes deux composantes indispensables de la mission de l’homme dans la vie.
Le Coin de la Halacha
Comment pratiquer la Mitsva de l’hospitalité ?

Notre ancêtre Avraham a fait hériter à ses descendants la vertu de l’hospitalité au point qu’elle est devenue un signe distinctif du peuple juif. Sa tente, posée en plein désert, était ouverte aux quatre côtés de sorte que tout voyageur, d’où qu’il arrive, puisse entrer, se désaltérer et se reposer. Dans toutes les communautés juives, on a toujours établi des caisses de bienfaisance et d’entraide, même dans les périodes les plus difficiles et on a toujours veillé à accueillir le mieux possible les voyageurs et les réfugiés.
Il est recommandé d’avoir souvent des invités et de leur procurer ce dont ils ont besoin matériellement : à boire, à manger, de quoi se laver, un lit pour se reposer mais aussi spirituellement : on mettra à leur disposition des livres de Torah, on leur indiquera le chemin de la synagogue etc... On s’efforcera de les mettre à l’aise et, si possible, on veillera personnellement à leur rendre service.
Quand les invités partent, on leur procurera de la nourriture cachère pour le voyage et tout ce dont ils auront besoin. De plus, on les chargera d’accomplir à notre place la Mitsva de Tsedaka en leur confiant une pièce (ou un billet, ou plusieurs…) à remettre dans une boîte de Tsedaka quand ils arriveront à destination. En outre, la Mitsva ne sera complète que si on prend soin d’accompagner les voyageurs au moins quelques mètres sur leur route, comme pour s’assurer qu’ils sont sur le bon chemin.

F. L. (d’après www.chabad.org.magazine)
De Recit de la Semaine
Un seul violoniste

Rav Moshe Plutchok enseigne à la Yechiva Derech Chaim de Brooklyn. Comme tant d’autres citadins, il passe l’été dans les montagnes de Monticello où il donne des cours l’après-midi dans un Kollel, institution d’études juives avancées pour jeunes gens mariés.
Un jour, il y a quelques années, Rav Plutchok remarqua un homme d’affaires qui rentrait dans la salle d’étude avec une Guemara traduite en anglais. C’était un débutant et il n’était pas vraiment à sa place puisqu’à l’évidence, il ne maîtrisait ni l’hébreu ni l’araméen. Néanmoins, il fut accueilli chaleureusement par tous ces rabbins : il s’asseyait, ouvrait la Guemara, écoutait avec enthousiasme. Quand il avait une question, il la posait sans se gêner à l’un ou l’autre de ses voisins de table, bien qu’ils soient plus jeunes que lui.
Rav Plutchok eut l’occasion de lui parler plusieurs fois. Il s’avéra que l’homme souffrait malheureusement d’une grave maladie à un stade avancé : Rav Plutchok était en admiration devant cet homme qui, malgré sa maladie, venait chaque matin étudier avec persévérance et entêtement mais celui-ci affirma :
- Monsieur le rabbin, je vais vous avouer la vérité. C’est la Guemara traduite en anglais qui me porte. Voyez-vous, je n’ai jamais eu la chance de pouvoir étudier dans une Yechiva. Maintenant que la Guemara est traduite en anglais, je suis enfin en mesure de la comprendre. Et si je ne comprends pas, je demande à l’un des jeunes rabbins ici présents. Je me sens vraiment heureux car ainsi, je peux avoir un lien avec la Torah et le peuple juif et c’est cela qui me porte !
Un jour, vers la fin de l’été, Rav Plutchok aperçut l’homme assis au fond de la salle mais celui-ci avait l’air malheureux.
- Tout va bien ? demanda-t-il.
- Non, Monsieur le rabbin, pas vraiment, répondit l’homme, accablé. La maladie progresse et je me demande : quelle différence si j’étudie ou non ? Qui s’en préoccupe ? Vous et vos élèves, vous êtes des érudits et votre étude fait une différence. Quant à moi, je ne comprends pas tout, même si c’est traduit en anglais. Quand je pose mes questions aux rabbins, je ne comprends pas toujours tout ce qu’ils m’expliquent. Je n’ai pas votre niveau et je ne l’aurai jamais. Alors à quoi sert mon étude ?
Rav Plutchok se sentait désolé pour cet homme malade et désabusé mais soudain, il trouva les mots qu’il fallait :
- Je vais vous raconter une histoire absolument extraordinaire que j’ai justement entendue hier soir à la radio juive.
«Il y a un siècle, vivait un grand chef d’orchestre, Arthur Toscanini (1867–1957). C’était un perfectionniste qui n’avait que peu de concurrents. Un jour, un de ses biographes lui téléphona en demandant la permission de venir le voir le lendemain soir. Le maestro répliqua que c’était impossible parce qu’il allait faire quelque chose qui nécessitait sa parfaite concentration : il ne pouvait absolument pas être interrompu.
- Maestro, qu’allez-vous faire de si spécial ? demanda le biographe.
- Un concert sera donné à l’étranger. J’étais le chef d’orchestre de cette formation mais je ne peux pas en assumer la direction aujourd’hui. Alors je vais écouter à la radio comment l’autre chef conduira cet orchestre : j’ai besoin d’un silence complet.
- Maestro ! Je serais heureux de vous observer quand vous écoutez un concert donné par une formation que vous aviez l’habitude de diriger. Je vous promets de rester parfaitement silencieux !
La nuit suivante, le biographe arriva et se tint calmement à l’autre bout de la pièce. Le concert dura environ une heure, absolument sublime.
Mais le maestro n’était pas vraiment satisfait et le biographe lui en demanda la raison.
- Il devait y avoir 120 musiciens, y compris 15 violonistes. Mais seulement 14 ont joué !
Le biographe était stupéfait : comment Toscanini pouvait-il savoir à plus de 5000 kilomètres de distance, sur ondes courtes en plus, qu’il manquait un violoniste ? Mais il ne voulut pas montrer son scepticisme au célèbre chef d’orchestre.
Le lendemain, il téléphona au directeur de la salle de concert à l’étranger et demanda combien de musiciens avaient été supposés jouer la veille. Le directeur expliqua qu’en principe, 120 musiciens devaient jouer cette partition mais seuls 14 violonistes s’étaient présentés !
Le biographe retourna chez Toscanini, s’excusant de ne pas l’avoir cru la veille : «Mais expliquez-moi comment avez-vous pu comprendre qu’il manquait un violoniste ?»
- Il y a une grande différence entre vous et moi, répondit le maestro. Vous faites partie des auditeurs et pour vous, c’était parfait. Mais moi, je suis le chef et je connais exactement quelle note doit être jouée. Quand j’ai réalisé qu’il manquait certaines notes, j’ai compris sans aucun doute qu’un musicien manquait !
Rav Plutchok continua : «Peut-être pour des gens ordinaires, il n’y a pas de différence si vous étudiez ou non. Mais pour le Chef de la Symphonie Mondiale – qui connaît chaque note supposée être jouée, qui compte chaque mot de Torah supposé être étudié, chaque ligne de prière supposée être prononcée – pour Lui, cela fait une grande différence !
L’homme, ému aux larmes, embrassa Rav Plutchok et ne cessa de murmurer «Merci !»
Cet hiver, Rav Plutchok rencontra le fils de ce malade qui lui annonça le décès de son père. Cependant il ajouta : «Depuis que mon père était revenu de vacances, chaque fois qu’il ouvrait sa Guemara, il déclarait : «Je vais jouer ma partition pour le Chef de la Symphonie Mondiale !»
C’est pourquoi nous vivons. Chacun d’entre nous a un potentiel à accomplir. Vous n’avez pas à être comme moi ni moi comme vous. Nous sommes tous différents mais chaque Juif fait partie d’un grand orchestre appelé peuple d’Israël et chaque fois que nous jouons notre partition – étudier la Torah, accomplir des Mitsvot (commandements), aider les autres – cela fait une différence pour le Chef de la Symphonie Mondiale car Il connaît nos possibilités et Il remarque tout !

Yerachmiel Tiles – d’après Rav Pesach Krohn – Zman Magazine
Traduit par Feiga Lubecki