Samedi, 24 septembre 2016

  • Ki Tavo
Editorial

 Quand le monde change

Depuis deux semaines, la vie n’a pas cessé de dérouler son cours habituel. Les grands cycles naturels ou sociaux sont tous à leur place et leur stabilité n’est pas faite pour nous surprendre.  Même les grands bouleversements que la planète semble traverser aujourd’hui ne parviennent pas à remettre en cause de tels fondamentaux. Pourtant, le monde a changé. Il est possible que nous n’en ayons pas pris conscience ; la pensée aime à suivre ses rails familiers. Mais peut-être les évolutions au-dehors viennent-elles aussi le souligner pour nous : ce que nous voyons est porteur d’un nouveau message. Décidément, Elloul est entré dans le monde.

Elloul ou le dernier mois de l’année juive. Mais, bien plus encore, voici venu le temps de la préparation à Roch Hachana, celui de l’introspection et du bilan. C’est le temps où chaque acte pèse d’un poids qui le dépasse car c’est l’instant précieux où D.ieu est plus proche de Sa création, où Ses treize attributs de miséricorde rayonnent sur l’univers. En une parabole fameuse, on a coutume de dire qu’en ce mois «le Roi est dans les champs», à la portée de chacun et prêt à recevoir avec bienveillance ceux qui viennent à Lui.

Le monde autour de nous a donc changé, profondément et durablement. Un vent nouveau s’est levé, comme si l’air, la lumière avaient une texture différente. Tout cela, chacun peut le voir et, mieux, le ressentir mais sans doute un effort est-il nécessaire. C’est alors qu’un jour particulier y contribue. Il est daté 18 Elloul et, en hébreu, porte le beau nom de «‘Haï Elloul» ou «Elloul vivant». Car c’est bien de cela qu’il s’agit. L’œuvre décrite est ambitieuse. La chaleur, l’enthousiasme, la vie en sont la clé. C’est là le rôle du 18 Elloul. Historiquement, c’est en ce jour que sont nés le Baal Chem Tov, qui fonda le ‘hassidisme, et Rabbi Chnéor Zalman de Liady, qui fonda le ‘hassidisme ‘Habad. C’est deux immenses lumières qui apparurent alors dans le monde. Elles modifièrent la vision que les hommes pouvaient en avoir. Elles donnèrent à chacun le vrai sens d’un mot à la fois si simple et si difficile à comprendre pleinement : la vie.

Le 18 Elloul transmet à tous sa force. Il permet à chacun de vivre le mois de la manière la plus intense. Il faut se garder de l’oublier : la nouvelle année est à présent plus qu’en perspective. Elle est l’horizon de nos consciences. Le 18 Elloul nous permet de continuer la route avec le cœur et l’enthousiasme indispensables pour parvenir à ce grand rendez-vous et faire en sorte que l’année qui vient soit enfin celle de toutes les bénédictions.

Etincelles de Machiah

 Une double qualité

Les commentateurs insistent sur la définition de l’identité de Machia’h. Il sera, disent-ils, «de la maison de David et de la descendance de Salomon.» Cette précision n’est pas qu’une question de généalogie. En effet, la qualité particulière de Machia’h s’établira à un double niveau.

D’un côté, il aura la grandeur de David : la royauté. Mais il aura aussi celle de Salomon : la paix. Il réunira les deux car il incarnera la perfection de la royauté y compris sa dimension de sagesse. C’est ainsi qu’il sera «plus sage que le Salomon.»

(D’après un commentaire du Rabbi du 20 Iyar 5751 ) 

Vivre avec la Paracha

 Ki Tavo

Résumé

Moché ordonne au peuple d’Israël : quand vous entrerez sur la terre que D.ieu vous donne en héritage éternel, que vous vous y installerez et la cultiverez, apportez les prémisses (bikourim) des fruits de vos vergers au Temple et exprimez votre reconnaissance à l’égard de tout ce que D.ieu a fait pour vous.

Notre Paracha inclut également les lois des prélèvements destinés aux Léviim et aux pauvres et détaille les instructions sur la manière de proclamer les bénédictions et les malédictions au mont Guérizim et au Mont Eval, comme cela est rapporté au début de la Paracha Reéh. Moché rappelle au peuple qu’il est «le Peuple Elu» de D.ieu.

La dernière partie de Ki Tavo est constituée de la To’haha («Remontrance»). Après avoir fait l’énumération des bénédictions par lesquelles D.ieu récompensera le peuple quand il respecte les lois de la Torah, Moché évoque longuement et sévèrement les malheurs qu’il encourt s’il abandonne les commandements de D.ieu.

Moché conclut en disant au peuple que c’est seulement désormais, quarante années après sa naissance comme nation, qu’il est parvenu à avoir «un cœur qui sait, des yeux qui voient et des oreilles qui entendent».

 

Vers la fin de cette Paracha, Moché dit au peuple : «D.ieu ne vous avait pas encore donné un cœur qui sait… jusqu’à aujourd’hui». Que signifie «un cœur qui sait» ? Un cœur qui répond à la connaissance qui lui a été donnée, pour que ce qu’il lui a été donné de comprendre prenne une dimension personnelle.

Trop souvent, nous savons quelque chose mais ce savoir reste abstrait. Cela n’affecte pas notre cœur ou notre âme. Tout comme dans notre corps physique, un resserrement, à l’endroit du cou, sépare notre tête de notre tronc, ainsi existe-t-il trop souvent un hiatus qui sépare notre esprit de notre cœur. Cela s’applique même aux idées et concepts les plus simple et ordinaires. Et bien entendu, cela concerne les sujets spirituels.

«Un cœur qui sait», par contre, traduit le processus intellectuel en sentiments qui motivent la personne pour qu’elle transforme complètement sa conduite.

Après avoir conduit le peuple pendant quarante ans, Moché ressent qu’il a finalement atteint ce niveau.

Quelle est la raison de ce constat ? Il a écrit le rouleau de la Torah et l’a remis à la tribu de Lévi. Le reste du Peuple juif est venu à lui et s’est plaint : «N’allons-nous pas, nous-aussi, recevoir la Torah ?».

Pendant les quarante ans qu’il avait passé dans le désert, le Peuple juif vivait avec la Torah. Il l’étudiait, observait ses commandements et les enseignait aux enfants. Mais les Juifs ne se l’étaient pas appropriée. C’était la Torah de D.ieu. Bien sûr, ils s’impliquaient dans son étude et sa pratique, mais c’était comme la différence entre un employé et un chef d’entreprise. Un employé peut être dévoué et passer de longues heures à son travail. Mais quand vient le soir, il rentre chez lui et n’a pas même une arrière-pensée pour son travail.

Après quarante ans dans le désert, Moché vit que le Peuple Juif commençait à considérer la Torah comme étant sienne. En tant que maître, ce fut sa plus grande satisfaction.

Perspectives

Parmi les nombreuses prophéties évoquant la Rédemption Ultime, voici le message d’Ezéchiel : «Je leur donnerai un cœur uni… et J’enlèverai le cœur de pierre de leur chair et leur donnerai un cœur de chair».

Deux messages se dégagent. Tout d’abord, contrairement à la situation présente où nous rencontrons souvent des personnalités déchirées, des gens qui ont des difficultés à faire face à leurs tendances et motivations contradictoires, à l’ère de Machia’h, nous serons tous concentrés sur un objectif unique. Nous baignerons perpétuellement dans une atmosphère emprunte d’un objectif spirituel, ce qui nous permettra de recentrer tous les aspects divers de notre personnalité dans une approche homogène.

D’autre part, pour parvenir à «un cœur qui sait», nous n’aurons pas besoin de prodiguer des efforts. Cela fera partie intégrante et naturelle de notre constitution. Au lieu de répondre par un cœur de pierre insensible, nous posséderons un cœur tendre de chair, un cœur réceptif aux messages du cerveau et qui les met en pratique.

Ces deux concepts sont donc reliés. Pourquoi notre cœur n’est-il pas réceptif ? Parce qu’il est déchiré et divisé entre de notre nombreuses directions. Si nous étions capables de coordonner et d’harmoniser ces élans divers, nos sentiments jailliraient naturellement et spontanément.

Le but de cette réflexion sur l’ère messianique n’est pas simplement de nous remplir d’espoir pour le futur mais également de nous permettre d’envisager la façon dont nous pouvons vivre notre vie au présent. Bien que, dans l’absolu, nous ne puissions, avant l’avènement de Machia’h, mettre en pratique les mobiles spirituels qui prédomineront alors, nous sommes toutefois capables d’anticiper l’ère à venir et d’expérimenter, dès à présent, un avant-goût de ce que nous vivrons alors. Quand notre vie est consacrée à un but spirituel, nous ressentons un sentiment d’accomplissement qui établit une harmonie entre tous les divers composants de notre être.

Cette unité n’est pas artificielle. Bien au contraire, elle reflète la vérité intérieure de notre être car l’âme est «une véritable partie de D.ieu En Haut». Tous nos potentiels renvoient à cette intériorité fondamentalement divine. Et lorsque nous nous concentrons sur ce potentiel divin, nous sommes à même d’apprécier les étincelles divines qui existent dans chaque élément de l’existence.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que les Seli’hot ?

Les Seli’hot sont des prières de supplications qui rappellent les besoins de l’homme mais aussi sa petitesse et ses faiblesses. En récitant les Seli’hot, le Juif procède à une introspection approfondie qui lui permet d’aborder la nouvelle année avec la crainte, l’humilité mais aussi l’assurance et la joie requises.

Dans les communautés ashkénazes et ‘hassidiques, on commence à réciter les Seli’hot à partir du samedi soir précédant (d’au moins quatre jours) la fête de Roch Hachana : cette année samedi soir 24 septembre 2016 vers 1heure 30. Puis on dit les Seli’hot, à partir du lundi 26 septembre, avant la prière du matin. On aura au préalable récité les «bénédictions du matin» ainsi que les bénédictions de la Torah.

On ne commence les Seli’hot qu’en présence de dix hommes adultes (plus de treize ans) afin de pouvoir prononcer le Kaddich.

Si possible, on reste debout pendant les Seli’hot, au moins lorsqu’on prononce les «Treize Attributs de Miséricorde» et le «Vidouy» (confession des fautes). Celui qui ne prie pas avec un Minyane (dix hommes) ne prononce ni les «Treize Attributs» ni les prières en araméen.

L’officiant s’enveloppe d’un «Talit» (châle de prière). S’il fait encore nuit, il ne prononcera pas la bénédiction : il serait alors préférable qu’il emprunte un Talit à un ami ou à la synagogue.

L’endeuillé (durant les sept premiers jours) ne sort pas de chez lui et ne peut donc aller à la synagogue pour les Seli’hot, excepté la veille de Roch Hachana (dimanche 2 octobre) où les Seli’hot sont plus longues.

Le Recit de la Semaine

 Jamais trop tard…

Les supporters des Yankees étaient survoltés. Leur équipe venait de vaincre les Cincinnati Reds dans le championnat de 1939. Pendant ce temps, le jeune Bill Shank préparait sa Bar Mitsva. Agé de douze ans, il étudiait assidûment sa Paracha sous l’égide du Cantor Katz de la synagogue Bné Avraham.

Mais Bill n’eut jamais la chance de célébrer sa Bar Mitsva car il contracta subitement une pneumonie. Comme le médicament «miracle» de la pénicilline n’était pas encore très connu, Bill resta malade de longs mois et la Bar Mitsva fut oubliée. Jusqu’à…

Jusqu’à ce mois de juillet 2016…

Deux malades furent admis ce mois-là à l’hôpital Burke de White Plains dans l’état de New York : Bill (90 ans) et Rav Mendel Brikman (43 ans). Cet homme d’affaires était aussi et surtout un émissaire du Rabbi. Père de six enfants, il souffrait d’une tumeur qui avait été ôtée avec succès mais cela lui causait des difficultés respiratoires. Depuis quelques années, sa vie se passait plus souvent à l’hôpital qu’en dehors, ce qui créait évidemment une situation très stressante pour sa famille et ses amis. Mais, malgré sa maladie et les traitements épuisants, Mendel avait gardé son caractère enjoué, amical, toujours prompt à écouter les autres et leur donner des conseils pratiques.

Ce Chabbat de juillet 2016, bien que très fatigué, Rav Mendel décida de continuer le traitement. Dans la salle d’attente pour la séance de chimiothérapie se trouvaient plusieurs autres patients, y compris un homme âgé qui le salua poliment : Chabbat Chalom !

Bien entendu, Rav Mendel lui retourna le salut traditionnel et engagea la conversation. Oui, il s’agissait de Bill Shank, devenu professeur émérite et dont le prénom hébraïque n’était autre que Mendel ! Tout en bavardant, Bill-Mendel raconta qu’il n’avait jamais fêté sa Bar Mitsva, qu’il n’avait jamais mis les Téfilines et qu’il allait sortir de l’hôpital lundi.

- Je lui ai expliqué, déclara Rav Mendel, que chaque Juif est infiniment précieux pour D.ieu et que chaque Mitsva revêt une importance cosmique, surtout les Téfilines ! Un Loubavitch qui entend les mots «je n’ai jamais mis les Téfilines !» ressent immédiatement une stimulante poussée d’adrénaline !

En effet, le Talmud décrit en termes très désagréables le sort réservé dans le monde futur au «crâne de celui qui n’a jamais mis les Téfilines»… Comme l’affirme un de mes amis : les Loubavitch ont un mot d’ordre qui est «Nous voulons que vous accomplissiez une Mitsva parce que le monde en a besoin !». C’est la leçon essentielle que nous avons apprise du Rabbi : aider un Juif à accomplir une Mitsva est la meilleure façon d’exprimer : je vous aime !

- Donc M. Shank, continua Rav Mendel, il n’est jamais trop tard ! Que pensez-vous de l’idée de fêter votre Bar Mitsva demain ?

- Oh la la ! Laissez-moi réfléchir, s’exclama Bill. Je voudrais d’abord en discuter avec ma fille !

Ce soir-là, après Chabbat, après quelques coups de téléphone, Bill annonça tout excité à son nouvel ami que non seulement il acceptait avec enthousiasme mais qu’il avait aussi invité sa fille (qui venait justement de Norvège pour lui rendre visite) ainsi que quelques amis pour célébrer enfin sa Bar Mitsva !

Dans la nuit, la liste des invités s’allongea et inclut la famille de Rav Mendel Brikman ainsi que le compagnon de chambre de Bill, Ralph Ziskind ainsi que Rav Shmuel Greenberg, l’aumônier de l’hôpital.

Tous avaient compris qu’on n’a besoin ni de traiteur, ni d’invitations, ni de salle, ni d’orchestre et de fleurs pour célébrer une Bar Mitsva chargée d’émotion.

- Tout est entre les mains de D.ieu, remarqua Rav Mendel mais il est particulièrement émouvant que le Tout-Puissant nous accorde une telle chance, pouvoir être réunis ici et fêter avec 77 ans de retard votre Bar Mitsva ! Les Téfilines sont une déclaration d’amour du Juif envers D.ieu et celle de D.ieu pour le peuple juif.

- Qu’est-il écrit dans les Téfilines ? demanda Bill, toujours curieux malgré son âge.

- Dans les Téfilines du Juif, il est écrit le Chema Israël, la confiance que le Juif place en D.ieu. Dans les Téfilines de D.ieu, il est écrit combien D.ieu aime spécialement le peuple juif ! répondit Rav Mendel.

Dans son «discours», Rav Mendel rappela une anecdote qui lui était arrivée personnellement : il avait rencontré un soldat israélien qui avait abandonné la pratique des Mitsvot parce que son ami avait été tué lors de la Guerre du Liban. Après une longue conversation avec Rav Mendel, ce soldat avait décidé de recommencer à mettre les Téfilines chaque jour.

Quant à Bill, il résuma ainsi la situation : «Je veux affirmer ici combien je suis fier, à mon âge, d’avoir l’honneur et le bonheur de fêter enfin ma Bar Mitsva avec mes bons amis et ma fille !».

De fait, Ingrid la fille de Bill est elle aussi en contact avec les Loubavitch de sa ville, Rav Shaul et Esther Wilhelem d’Oslo. Très émue, elle encouragea son père et ses amis à continuer sur cette voie de découverte du judaïsme.

Des amis de Bill n’avaient jamais vu des Téfilines et Rav Mendel s’empressa de les faire profiter de cette occasion pour célébrer eux aussi leur Bar Mitsva… Et, comme tout Bar Mitsva, Bill reçut, au son de chants joyeux et entraînants, des cadeaux : des livres de base du judaïsme, des CD de musique ‘hassidique et même une Kippa avec les mots Bill et Mendel brodés artistiquement (Comment Toby, la femme si dévouée de Rav Mendel avait-elle réussi cet exploit en l’espace d’une nuit ? Mystère !).

Il ne reste qu’à souhaiter du fond du cœur à Rav Mendel Brikman de pouvoir lui aussi bientôt sortir de cet hôpital en très bonne santé puisqu’il y a accompli la mission qui l’y attendait…

Fay Kranz Greene - COLlive

Traduit par Feiga Lubecki