Editorial
Quand le monde changeDepuis deux semaines, la vie n’a pas cessé de dérouler son cours habituel. Les grands cycles naturels ou sociaux sont tous à leur place et leur stabilité n’est pas faite pour nous surprendre. Même les grands bouleversements que la planète semble traverser aujourd’hui ne parviennent pas à remettre en cause de tels fondamentaux. Pourtant, le monde a changé. Il est possible que nous n’en ayons pas pris conscience ; la pensée aime à suivre ses rails familiers. Mais peut-être les évolutions au-dehors viennent-elles aussi le souligner pour nous : ce que nous voyons est porteur d’un nouveau message. Décidément, Elloul est entré dans le monde.
Elloul ou le dernier mois de l’année juive. Mais, bien plus encore, voici venu le temps de la préparation à Roch Hachana, celui de l’introspection et du bilan. C’est le temps où chaque acte pèse d’un poids qui le dépasse car c’est l’instant précieux où D.ieu est plus proche de Sa création, où Ses treize attributs de miséricorde rayonnent sur l’univers. En une parabole fameuse, on a coutume de dire qu’en ce mois “le Roi est dans les champs”, à la portée de chacun et prêt à recevoir avec bienveillance ceux qui viennent à Lui.
Le monde autour de nous a donc changé, profondément et durablement. Un vent nouveau s’est levé, comme si l’air, la lumière avaient une texture différente. Tout cela, chacun peut le voir et, mieux, le ressentir mais sans doute un effort est-il nécessaire. C’est alors qu’un jour particulier y contribue. Il est daté 18 Elloul et, en hébreu, porte le beau nom de « Haï Elloul » ou « Elloul vivant ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit. L’œuvre décrite est ambitieuse. La chaleur, l’enthousiasme, la vie en sont la clé. C’est là le rôle du 18 Elloul. Factuellement, c’est en ce jour que sont nés le Baal Chem Tov, qui fonda le Hassidisme, et Rabbi Chnéor Zalman de Liady, qui fonda le Hassidisme Habad. C’est deux immenses lumières qui apparurent alors dans le monde. Elles modifièrent la vision que les hommes pouvaient en avoir. Elles donnèrent à chacun le vrai sens d’un mot à la fois si simple et si difficile à comprendre pleinement : la vie.
Le 18 Elloul transmet à tous sa force. Il permet à chacun de vivre le mois de la manière la plus intense. Il faut se garder de l’oublier : la nouvelle année est à présent plus qu’en perspective. Elle est l’horizon de nos consciences. Le 18 Elloul nous permet de continuer la route avec le cœur et l’enthousiasme indispensables pour parvenir à ce grand rendez-vous et faire en sorte que l’année qui vient soit enfin celle de toutes les bénédictions.
Etincelles de Machiah
Le statut de MoïseLe Ari Zal nous enseigne (Likoutei Torah) qu’au temps de Machia’h, les Léviim deviendront des Cohanim. Il en résulte que Moïse, lui-même un Lévi, connaîtra alors une élévation similaire et sera le Cohen Gadol.
(d’après Or Hatorah, Chemot, p. 1586) H.N.
Vivre avec la Paracha
Ki Tavo : Le premier fruitLa lecture de la Torah de cette semaine commence par la Mitsva des Bikourim, l’offrande du «premier fruit».
«Or, lorsque tu seras entré dans le pays que l’Eternel ton D.ieu te donne en héritage, que tu l’auras occupé et que tu t’y seras établi : tu prendras des prémices de tous les fruits de la terre que tu auras récoltés du sol que l’Eternel ton D.ieu te donne, tu les mettras dans une corbeille et tu iras à l’endroit que l’Eternel ton D.ieu aura choisi pour y faire résider Son Nom. Et tu viendras chez le Cohen qui sera alors en fonction et tu lui diras : ‘Je déclare en ce jour à l’Eternel ton D.ieu que je suis arrivé dans le pays que l’Eternel a promis à nos pères de nous donner’» (Devarim 26 : 1-3)
Les Bikourim devaient être de toute première qualité, constitués des tout premiers fruits mûrs. Avant de consommer nous-mêmes les premiers fruits de la récolte, on devait les apporter au Temple afin d’exprimer notre gratitude à D.ieu pour nous avoir permis de nous installer en Terre d’Israël et pour la bénédiction sur ce produit.
Maïmonide explique que «tout ce qui est pour D.ieu doit être le meilleur et le plus beau… Chaque fois que l’on consacre quelque chose à un but saint, il faut sanctifier le meilleur de ce qui nous appartient, comme il est écrit (Vayikra 3: 16) ‘le meilleur pour D.ieu’.» En consacrant «les tout premiers fruits mûrs» de sa vie à D.ieu, l’individu s’exclame : «Voici le point central de mon existence. Il se peut que quantitativement cela ne représente qu’une petite partie de ce que j’ai et de ce que je suis. Mais le but de tout ce que je fais par ailleurs et de ce que je possède est de permettre à cette parcelle de spiritualité de s’élever au-dessus de ma vie empêtrée dans la matérialité».
Les Bikourim nous enseignent à établir des priorités dans notre vie. Dans la myriade de responsabilités de notre train- train quotidien, ils nous rappellent de donner la préséance aux êtres et aux valeurs que nous chérissons le plus. Combien de fois nous arrive-t-il de négliger de consacrer des moments de qualité à notre époux ou notre épouse ? Combien de temps consacrons-nous à nos enfants, en fin de journée, après avoir été vidés de toute énergie pour nous intéresser vraiment à leurs problèmes ? A combien d’occasions sommes-nous tellement occupés par notre quête de succès matériel qu’il ne nous reste que bien peu de force pour nous préoccuper d’apaiser notre soif spirituelle ?
Les Bikourim nous enseignent qu’il faut prendre du recul et établir des priorités : le tout premier de nos fruits, de notre temps, de notre énergie et de nos ressources doit être consacré à D.ieu. Pour prendre conscience de ce qui est important dans notre vie et en faire notre préoccupation première. Pour reconnaître ceux que nous chérissons le plus dans notre vie et nous lier à eux régulièrement. Les autres détails de la vie, marginaux, finiront par trouver leur juste place.
C’est en cela que les Bikourim sont semblables au Modé Ani que nous récitons au moment où nous ouvrons nos yeux encore ensommeillés, remerciant D.ieu de nous avoir rendu notre âme et de nous permettre de Le servir encore un jour. L’enfant le plus jeune ou le vieillard le plus chargé d’années, le sage le plus érudit ou le plus illettré des hommes, tous commencent leur journée par ces premiers mots.
Dans notre empressement à exprimer notre gratitude envers notre Créateur, nous nous permettons de nous adresser à Lui avec des mains rituellement impures. Ce n’est qu’après avoir prononcé cette courte prière de remerciement que nous nous lavons rituellement les mains et récitons le reste de la prière, qui fondamentalement réitère le Modé Ani.
A première vue, cette prière semble superflue. Le Modé Ani ne contient aucune mention du Nom de D.ieu parce qu’il est interdit de le prononcer en état d’impureté rituelle. Ne devrions-nous donc pas plutôt attendre afin de remercier D.ieu convenablement ?
C’est que la prière du Modé Ani représente l’unité insaisissable entre D.ieu et le Peuple Juif, notre lien profond et indéfectible. C’est la raison pour laquelle il est si important de réciter ces mots au moment où nous nous réveillons. Dès nos premiers moments de conscience, avec des mains impures, nous établissons que toutes les impuretés ou les forces négatives du monde ne peuvent entraver notre relation profonde et indispensable avec D.ieu.
C’est la raison profonde pour laquelle le Modé Ani ne mentionne aucun des Noms de D.ieu. Plutôt que de prononcer un nom, dans un contexte d’éloignement, à la troisième personne, nous nous adressons directement à D.ieu et utilisons l’intimité du «Tu».
Modé Ani lefané’ha mélè’h ‘haï vékayam chéhé’hézarta bi nichmati bé’hémla rabba émounaté’ha
«Je remercie devant Toi, Roi vivant et éternel Qui a restauré en moi mon âme. Grande est Ta Miséricorde.»
Puisque le Modé Ani tire son origine de l’essence de l’âme, il est également dirigé vers l’essence de D.ieu qu’aucun nom ne peut évoquer. C’est là la particularité du Modé Ani. D’autres prières s’adressent à D.ieu par l’intermédiaire de Noms Divins qui reflètent des attributs spécifiques mais le Modé Ani évoque notre lien avec Lui, profond, essentiel et indestructible. Tout comme les Bikourim, le Modé Ani nous enseigne l’importance d’établir des priorités dans l’organisation de notre journée et de notre vie.
Mais le Modé Ani nous enseigne également que lorsque nous montrons ce à quoi nous accordons véritablement de la valeur, dès nos premières lueurs de conscience, nous pouvons le faire de façon imparfaite ou sans éloquence. D.ieu fait abstraction de notre impureté rituelle parce que nous Lui montrons la force de notre engagement absolu pour Lui.
En prononçant le Modé Ani dès notre réveil à la conscience ou en offrant les Bikourim de nos premières récoltes, nous démontrons nos priorités. Nos gestes, même imparfaits ou défaillants, sont une indication de ce qui a vraiment de l’importance à nos yeux.
Mais le plus important est que les Bikourim nous rappellent de ne pas permettre à notre vie d’être si empêtrée dans les trivialités que nous en oublions notre raison d’être.
Le Coin de la Halacha
Comment pardonner ?Dans de nombreuses familles, il existe malheureusement des situations où il est nécessaire de pardonner, de faire le premier pas afin de rétablir le «Chalom», la bonne entente entre deux personnes.
Le Rabbi expliqua un jour à une personne qui expérimentait un certain problème qu’il y avait peut-être quelqu’un qu’il avait offensé un jour et à qui il devait demander pardon : le manque de pardon bloque le «canal» qui achemine les bénédictions – aussi bien pour celui qui a mal agi que pour celui envers qui on a mal agi. Pour faciliter l’obtention du pardon, le Rabbi conseilla de faire appel à une troisième personne qui parvint effectivement à obtenir ce pardon. Peu de temps après, la situation se débloqua positivement aussi bien pour l’offenseur que pour l’offensé.
On peut suggérer de :
1) Prononcer sincèrement la prière avant de se coucher : «Maître du monde ! Je pardonne à quiconque m’a vexé, m’a mis en colère ou a fauté envers moi, matériellement ou financièrement… accidentellement ou intentionnellement, par la parole ou l’action…» (voir le texte complet dans le Sidour, livre de prières).
2) Prier pour le bien-être de l’autre, pour que D.ieu l’aide dans ses problèmes spécifiques : quand vous récitez vos prières, quand vous mettez la Tsedaka (charité), quand vous allumez les bougies, quand vous étudiez etc…
3) Visualiser la situation une fois que les relations seront rétablies positivement.
4) Faire le premier pas ou demander à une tierce personne d’expliquer le malentendu, d’annoncer que vous regrettez l’état actuel de la relation, d’informer que vous demandez ou que vous accordez le pardon et qu’ainsi «le canal» se débloquera pour les deux parties.
Aussi bien les médecins que les psychologues déclarent que le pardon peut améliorer la santé mentale et physique. La ‘Hassidout ajoute que Ahavat Israël, l’amour du prochain amènera à la fin du Galout (l’exil) et à la venue du Machia’h maintenant !
De Recit de la Semaine
Le serment de fidélitéLe 18 Elloul marque l’anniversaire du décès du Maharal de Prague en 1609.
C’était véritablement une réunion au sommet qui se tenait dans le palais de Ferdinand, roi de Bohème, de Moravie et Silésie (aujourd’hui la Tchéquie et une partie de la Pologne). Le roi était entouré de ses fils, les princes Ferdinand et Maximilien, mais aussi des chefs de l’église.
Cela se passait il y a plus de 400 ans, à l’époque de Rabbi Yehouda Arié Leib, le célèbre Maharal de Prague. Les Juifs entretenaient de bonnes relations avec le souverain et le pays tout entier bénéficiait de cette entente. Fidèles au roi, les Juifs s’acquittaient consciencieusement de lourds impôts et leur esprit d’entreprise contribuait au développement économique de toute la région.
Mais l’Inquisition qui avait déjà causé plus de cent ans auparavant l’exil des Juifs d’Espagne et du Portugal commençait à sévir aussi à Prague. Les notables de l’Eglise insinuaient toutes sortes d’insanités sur les Juifs et incitaient la populace contre eux. Ils tentèrent alors d’influencer également le roi.
Ce fut le cardinal qui proclama d’abord combien les Juifs étaient nuisibles : le roi devait immédiatement décréter que les Juifs n’étaient plus les bienvenus et qu’ils devaient quitter le royaume !
Le roi était partagé : d’un côté, il savait qu’il lui était nécessaire d’entretenir de bonnes relations avec le clergé, d’un autre côté il plaida la cause des Juifs en expliquant que, grâce à eux, les caisses du gouvernement étaient pleines. Il conclut qu’il s’opposait à leur expulsion. Ses deux fils volèrent d’ailleurs à son secours en louant les bons et loyaux services de leurs administrateurs juifs.
Mais les membres du clergé étaient plus nombreux, le roi et ses fils étaient minoritaires. C’est ainsi qu’après un vote rapide, la majorité se déclara en faveur de l’expulsion immédiate afin de ne pas permettre aux Juifs de vendre leurs biens à un prix correct.
La date de l’expulsion fut fixée : d’ici deux ans ! Entre-temps, de nombreuses restrictions s’appliqueraient aux Juifs : ils seraient obligés d’assister chaque dimanche à la messe et d’écouter les discours des curés afin d’accepter la conversion.
Malgré lui, le roi signa le décret. Les notables ajoutèrent une clause interdisant aux rabbins d’empêcher les Juifs de se rendre à l’église. Un messager spécial fut envoyé au domicile du chef de la communauté juive, Rav Mordechai Meizel, pour lui signifier la teneur du décret. Epouvanté à la lecture de cette missive, Rav Meizel se rendit immédiatement auprès du Maharal. Abasourdi, le Maharal réfléchit puis demanda au chef de la communauté d’inviter tous les Juifs – hommes, femmes et enfants – à une réunion urgente le lendemain après la prière du matin, dans la cour de la synagogue.
Présageant de mauvaises nouvelles, tous se rassemblèrent autour de l’estrade qui avait été érigée en hâte durant la nuit. Le silence se fit de lui-même quand le Maharal apparut, couvert de son Talit (châle de prière) et portant un Séfer Torah. Accompagné des notables de la communauté, tous enveloppés de leur Talit et portant des Sifré Torah, il monta sur l’estrade et, d’emblée, s’écria : «Chema Israël, Ado-nay Elo-hénou, Ado-nay E’had», «Ecoute Israël, l’Eternel est notre D.ieu, l’Eternel est Un !» Bouleversés, les Juifs reprirent spontanément cette profession de foi, de toutes leurs forces, les yeux fermés et le cœur serré : tous comprenaient qu’un grand malheur se préparait.
«Ecoutez-moi bien ! reprit le Maharal. C’est en proclamant le Chema Israël que, dans toutes les générations, les Juifs ont souffert le martyr et ont sanctifié le Nom de D.ieu. Nous aussi, nous devons savoir proclamer Chema Israël et être prêts à nous sacrifier pour le Nom de D.ieu ! Que D.ieu nous donne la force nécessaire pour résister à toutes les épreuves !
La voix du Maharal résonnait de plus en plus fort. Il rappela que le règne de Ferdinand s’était distingué par les bonnes relations qu’il avait toujours entretenues avec les Juifs tout comme d’ailleurs les non-Juifs simples qui avaient respecté leurs voisins juifs : «Ceux qui cherchent à nuire à notre communauté, ce sont les notables de l’église !» Et le Maharal exposa les terribles décrets qui venaient d’être signés : en entendant cela, les Juifs éclatèrent en sanglots, des femmes s’évanouirent, des personnes âgées furent prises de malaises. Mais le Maharal continua : «Ce n’est pas le moment de pleurer ! Nous devons au contraire faire preuve de force spirituelle et démontrer notre détermination à sanctifier le Nom de D.ieu ! Nous devons jurer, nous tous ici devant les Sifré Torah, qu’aucun de nous n’ira écouter les discours des curés et que, si nous devions y être traînés de force, nous boucherons nos oreilles !»
De la foule, un cri s’éleva : «Nous le jurons ! Nous le jurons !»
Le Maharal demanda alors au ‘Hazane de reprendre mot à mot les versets «Chema Israël», «Barou’h Chem…» et «Hachem Hou Haélokim», que l’on prononce habituellement à la fin des offices de Yom Kippour. L’assemblée répéta ces mots avec ferveur. Puis on sonna du Choffar et, finalement les Cohanim furent appelés à bénir le peuple avec les versets traditionnels.
Durant les deux années qui suivirent, les Juifs de Prague subirent des humiliations de toutes sortes de la part des membres du clergé qui tentaient de les attirer dans les églises. Mais leurs efforts restèrent vains car même les non-Juifs se moquaient de leurs curés qui étaient obligés d’user de la force : même les Juifs qu’ils avaient réussi à faire entrer dans l’église se bouchaient les oreilles et refusaient d’écouter leur message.
Pendant ce temps, le Maharal mettait tout en œuvre pour faire abolir les décrets : le roi lui-même craignait l’expulsion des Juifs qui affaiblirait certainement l’économie du pays. Le Maharal contacta les princes et demanda leur aide. Ils suggérèrent de dépêcher un messager juif au nouveau Pape qui venait d’être nommé afin qu’il annule la promesse faite par le roi Ferdinand.
Ce fut Rav Mordechai Tséma’h, un des notables de la communauté, qui fut choisi pour cette mission et qui se rendit à Rome. Il impressionna favorablement le Pape qui releva le roi Ferdinand de sa promesse.
Le décret infâme fut enfin annulé et les Juifs de Prague purent respirer en paix : la sagesse du Maharal les avait non seulement sauvés mais les avait renforcés dans leur foi.
Sichat Hachavoua n°1253
traduit par Feiga Lubecki