Une semaine de lumière
Nous sommes décidément entrés dans une semaine de lumière ! Celles de ‘Hanouccah s’allument soir après soir et leur nombre va croissant, comme pour nous rappeler que rien ne peut résister à une telle puissance. La période nous convie à replacer la fête en perspective. En effet, nous célébrons pendant huit jours un miracle qui, en première analyse, pourrait sembler bien anodin. Voici qu’après la libération du Temple de Jérusalem des mains de l’occupant grec, on ne retrouve qu’une fiole d’huile pure, indispensable pour y rallumer la Ménorah, le chandelier à sept branches, symbole de la présence Divine. Hélas, cette huile ne suffit à alimenter le chandelier qu’une seule journée alors qu’il en faudrait huit pour en préparer une nouvelle. Miraculeusement, une fois allumée, la Ménorah continuera d’illuminer pendant tout le temps nécessaire, soit les huit journées fatidiques. Certes, c’est là un prodige à relever mais, d’un point de vue rationnel, le vrai miracle semble davantage être celui de la victoire du petit groupe de Juifs en lutte pour leur liberté sur l’immense armée grecque. Pourtant celui-ci est à peine fêté, comme si seule la lumière comptait.
C’est justement de cela qu’il s’agit. Les nations célèbrent traditionnellement leurs victoires militaires. Quant à nous, sans oublier cet aspect des choses, nous donnons la première place à la lumière. C’est elle qui éclaire notre chemin et celui de tous. Cette lumière est celle du chandelier du Temple et, même si celui-ci ne se dresse plus à son endroit, elle continue de briller. Car la lumière possède un véritable caractère d’éternité. Dans l’histoire de ‘Hanouccah, l’oppresseur grec entreprit précisément d’éteindre à jamais son éclat. Malgré toute la puissance qu’il jeta dans la bataille, il finit par échouer et fut chassé d’Israël. La lumière ne peut jamais être vaincue, et même si l’obscurité paraît bien profonde, elle recule lorsque la lumière avance.
Nous vivons un temps où on peine parfois à garder l’espoir d’un monde en paix, d’une vie sereine et d’une humanité lumineuse. La fête de ‘Hanouccah nous le dit dans son langage : tout cela est en nous et ne peut que réapparaître. Car la lumière est victorieuse et, comme l’expriment nos Sages, « les lumières de ‘Hanouccah ne disparaîtront jamais. »
Le profond du rire
Faisant référence au temps de Machia’h, les Psaumes (126:2) annoncent : « Alors, notre bouche s’emplira de rire ». Outre la joie impliquée par l’avènement de cette nouvelle ère, il faut comprendre plus profondément le sens de ce « rire ».
En hébreu, la valeur numérique du mot « rire » est de 414. C’est également celle du terme « Or Ein Sof » ou « lumière infinie ». Cette correspondance indique que la signification profonde de ce « rire » n’est rien d’autre que la révélation du plaisir de D.ieu.
(d’après Likoutei Torah, Bamidbar, p.19d)
Mikets
L’emprisonnement de Yossef prend fin lorsque le pharaon rêve de sept vaches grasses avalées par sept vaches chétives puis de sept épis de blé pleins avalés par sept épis maigres. Yossef interprète ces rêves comme signifiant que sept années d’abondance seront suivies de sept années de famine et il conseille au pharaon d’engranger des provisions durant les années de plénitude. Le pharaon nomme Yossef gouverneur de l’Egypte. Yossef épouse Asnat, la fille de Potiphar et ils ont deux fils, Ménaché et Ephraïm.
La famine se répand dans la région et seule l’Egypte possède de la nourriture. Dix des frères de Yossef viennent s’approvisionner en grains en Égypte. Le plus jeune frère, Binyamine reste à la maison, Yaakov craignant pour sa sécurité.
Yossef reconnaît ses frères mais ce n’est pas réciproque. Il les accuse d’être des espions et exige qu’ils reviennent accompagnés de Binyamine, pour prouver la véracité de leurs dires. Il garde Chimone en otage. Plus tard, les frères découvrent que l’argent payé pour leurs provisions leur a été mystérieusement restitué.
Yaakov accepte d’envoyer Binyamine à la condition que Yehouda en prenne la responsabilité personnelle et éternelle. Cette fois-ci, Yossef les accueille chaleureusement, libère Chimone et les invite à un festin chez lui. Mais alors, il cache son gobelet en argent, censé avoir « des pouvoirs surnaturels » dans le sac de Binyamine. Quand les frères se mettent en route pour repartir, le matin suivant, ils sont poursuivis, fouillés et arrêtés quand le gobelet est découvert. Yossef leur offre la liberté en échange de Binyamine qu’il gardera comme esclave.
La fin des jours
Le nom de la Paracha de cette semaine, Mikets, se traduit par « la fin ». Il apparaît dans le contexte des deux dernières années que passa Yossef en prison, à l’issue desquelles le pharaon fit un rêve dans lequel il se tenait sur la rive du fleuve.
Inutile de répéter que dans ce monde, rien ne se produit par accident ou par coïncidence et a fortiori certainement pas dans la Torah. Le fait donc que toute la partie de la Torah qui évoque la montée au pouvoir de Yossef, comme chef de l’Egypte s’appelle « la fin » est instructif.
Le terme « la fin » se retrouve dans la littérature biblique à la fin du livre de Daniel, un livre traitant abondamment du futur du monde. La période finale qui suit tout le labeur de la vie, comme nous la vivons, se réfère comme « Kèts Hayamim », « la fin des jours ».
Ainsi, le mot « la fin » est-il une référence à la période connue comme l’âge messianique ou l’Ere de la Rédemption.
L’on est désormais en droit de se poser une question : quel est le lien entre la montée au pouvoir de Yossef, qui fut le résultat de son succès dans l’interprétation des rêves du pharaon, et « la fin des jours » ?
La réponse réside dans une meilleure compréhension du sens que revêt l’ascension de Yossef au statut de dirigeant de l’Egypte et d’approvisionneur de nourriture pour le monde entier.
La spécificité de Yossef : le bond en avant
Le nom lui-même de Yossef explique sa qualité unique. La racine du mot « Yossef » signifie « croître ». En termes simples, cela signifie que l’on devrait toujours grandir et ne jamais rester figé au même niveau.
Dans un sens plus profond, le terme « croître » implique un bond en avant. Tandis que la plupart des individus peuvent se satisfaire d’une croissance progressive, une personnalité forgée sur Yossef vise à une croissance exponentielle, extrêmement rapide.
La philosophie des frères de Yossef
Nous pouvons peut-être comprendre désormais pourquoi Yossef et ses frères ne pouvaient se regarder dans les yeux. Les frères de Yossef, rapportent nos Sages, n’étaient pas des gens mesquins, jaloux ou violents. Bien au contraire, ils étaient des hommes saints ne pouvant tolérer ceux qui violaient ce qu’ils percevaient comme la « norme Divine ». Certains individus croyaient en la croissance et y aspiraient. Mais pour eux, la notion de grandissement devait entrer dans des normes et des calculs. Pour eux, l’approche non conventionnelle de Yossef était inadéquate avec le système d’organisation de D.ieu.
En fin de compte, ce fut l’approche de Yossef qui fut validée.
Le Judaïsme, tout en respectant les normes et les conventions, nous demande que, dans certaines circonstances, nous nous élevions au-dessus de ces normes et que nous accomplissions un bond en avant.
En accédant au pouvoir et en pourvoyant aux besoins du monde, Yossef entreprit de semer les graines spirituelles qui donneraient au monde son aptitude à s’élever au-dessus de toutes les contraintes et de tous les obstacles et d’annihiler toutes les traces de faim spirituelle.
Les huit jours de ‘Hanouccah
Telle est la leçon ultime de ‘Hanouccah, que nous célébrons, avec cette pratique qui consiste à ajouter constamment une nouvelle bougie, chaque soir. Or, il se trouve que l’on se réfère au huitième soir comme à « Zot ‘Hanouccah » : « ceci est ‘Hanouccah ». Pourquoi le huitième et dernier jour est-il plus mis en avant que les autres jours ?
C’est parce que passer de sept à huit représente une croissance qualitative.
Huit est le chiffre qui symbolise le fait de s’élever au-dessus du cycle naturel représenté par le chiffre sept. Ce bond en avant, celui de Yossef, est ce qui nous donne la possibilité de changer le monde et de faire venir « Kets Hayamim », « la fin des jours » comme nous les connaissons.
En tant que Juifs, nous ne croyons pas en une fin du monde apocalyptique. Nous croyons en une transformation positive. A cette époque, le modèle de Yossef, celui d’une élévation fulgurante au-dessus de toutes les limites, deviendra la norme du monde entier.
Pour préparer cette « fin de l’expérience », à nous de suivre le modèle de Yossef et celui de ‘Hanouccah !
Les deux rêves du pharaon
Le verset 32 du chapitre 41 relate l’explication que livre Yossef sur le fait que le pharaon rêva à deux reprises. « Et concernant la répétition du rêve, cela tient au fait que la chose est établie par D.ieu et que D.ieu Se hâte de l’accomplir. » En d’autres termes, la répétition du rêve est un signe que D.ieu va S’empresser de le réaliser.
Il existe un précédent lors duquel un rêve fut répété. Yossef était encore dans la maison de son père. Il rêva tout d’abord qu’alors que lui et ses frères faisaient des gerbes dans les champs, les gerbes de ses frères s’inclinèrent devant la sienne. Son second rêve impliquait le soleil, la lune et onze étoiles qui s’inclinaient devant lui.
Cependant, dans ce cas, on ne peut pas dire que Yossef fit deux fois le même rêve « parce que la chose est établie par D.ieu et que D.ieu Se hâte de l’accomplir ». Car ce rêve précis ne s’accomplit que de nombreuses années plus tard. Yossef avait rêvé à l’âge de dix-sept ans et les rêves de sa famille s’inclinant devant lui ne prirent place que lorsqu’il devint vice-roi d’Égypte, à trente ans. Une période de treize années peut difficilement être qualifiée de « rapide » !
La question ne se soulève que lorsque nous étudions la Paracha Mikets.
De nombreux commentateurs de l’Ecriture (parmi lesquels on peut citer le Rachbam, le Ramban et le Ohr Ha’haïm) s’interrogent et donnent diverses explications. Cependant Rachi, le commentateur le plus illustre, ne s’arrête pas sur cette question.
Rachi interprète le Texte selon son sens simple. S’il n’offre aucun commentaire sur une difficulté apparente, l’on peut en déduire que l’on peut la résoudre sans son intervention.
La différence entre les rêves du pharaon et ceux de Yossef est que le pharaon fit deux rêves identiques dans leur contenu et différents par leur forme. En revanche, les rêves de Yossef diffèrent également dans leur contenu.
Le premier rêve du pharaon évoque sept vaches maigres qui suivent puis dévorent sept vaches grasses. Dans son second rêve, apparaissent sept épis de blé pleins qui vont être dévorés par sept épis maigres.
Ces rêves sont identiques par leur contenu : les sept vaches et les sept épis maigres symbolisent les sept années de famine qui font suite à sept années de plénitude, symbolisées par les vaches grasses et les épis pleins. Ce n’est que la forme du symbole qui change : des épis de blé ou des vaches. Ces rêves ne se réfèrent donc pas à deux interprétations différentes mais au fait que D.ieu va « Se hâter » de les réaliser.
Les rêves de Yossef, quant à eux, n’étaient pas identiques. Le premier concernait les épis de ses frères s’inclinant devant celui de Yossef, dans les champs, ce qui symbolise que les frères ont besoin que Yossef « nourrisse » la question. Ils vont s’incliner devant lui quand ils vont venir acheter des aliments en Egypte. Dans le second rêve, le soleil et la lune ainsi que onze étoiles se courbent devant lui. Cela diffère du premier rêve et ce, par deux aspects :
Tout d’abord, le soleil et la lune représentent Yaakov et Bilha, présents ici, contrairement au rêve précédent.
Par ailleurs, les frères sont au niveau d’ « étoiles », des corps célestes brillants qui sont d’un infiniment plus grand niveau que celui des gerbes des champs. Cela représente le fait de s’incliner devant la famille de Yossef dans le palais royal.
Ainsi, ces deux rêves représentent-ils deux époques et deux situations différentes ? Il n’y a pas de répétition et Rachi n’a pas besoin de proposer un commentaire.
Qu’est-ce que le 10 Tévet ?
Le 10 Tévet (cette année vendredi 22 décembre 2023) rappelle le début du siège de Jérusalem par l’empereur babylonien Nabuchodonosor en l’an 3336 (425 ans avant l’ère commune). C’est le premier des quatre jeûnes institués par nos Sages en souvenir de cet événement dramatique qui coûta la vie à des dizaines de milliers de Juifs : comme il est le premier, il est aussi le plus important et peut donc tomber un vendredi, comme c’est le cas cette année. Du fait qu’il est suivi du Chabbat, on allumera les bougies de Chabbat pendant le jeûne (avant 16h 38, en Ile-de-France) et on coupera le jeûne à partir de 17h 42, avec le Kidouch du vendredi soir.
Rabbi Chnéor Zalman explique qu’un jour de jeûne est aussi un jour de « Ete Ratsone », de bienveillance divine. Comme l’obligation de jeûner le 10 Tévet est, à certains égards, plus stricte que pour les autres jeûnes, on peut déduire que la bienveillance divine est aussi plus forte ce jour-là. Donc la Techouva, le retour à D.ieu que doit amener ce jeûne sera aussi d’un niveau plus élevé.
Dans de nombreuses communautés, à la demande de grands Rabbanim, ce jour de jeûne est aussi associé au souvenir des martyrs de la Shoah.
Le jeûne commence cette année à 6h 57 à Paris et se termine à 17h 42.
La sirène salvatrice
Dans quelques jours, ce serait ‘Hanouccah, la fête de la lumière. Je décidai que même ici, à Niderharshel (un camp de travail au cœur de l’Allemagne nazie), nous devions allumer les bougies de ‘Hanouccah.
J’en parlai à Bentshi, l’homme le plus débrouillard de notre baraquement. Il s’enthousiasma pour cette idée qui était, de fait, le meilleur moyen de remonter le moral de notre groupe. Les principaux problèmes étaient comment se procurer de l’huile et aussi trouver un endroit où nous pourrions poser notre « chandelier » sans qu’il soit remarqué. Nous étions bien conscients que, selon la loi juive stricte, nous n’étions pas obligés de nous mettre en danger pour accomplir cette Mitsva mais, en même temps, nous savions que cela nous redonnerait notre fierté d’être juifs, cela nous rendrait un semblant de liberté : une petite lumière serait une lueur d’espoir, cela nous réchaufferait le cœur.
Pour cela, nous avons joué au sort : le premier désigné serait chargé de récupérer de l’huile, le second devrait la cacher jusqu’au mardi etc. Quant à moi, je devais m’occuper des mèches. Greenwald, le premier, s’acquitta très bien de sa tâche : il réussit à persuader son chef de lui fournir davantage d’huile pour graisser les machines dont il s’occupait qui, ainsi, fonctionneraient mieux. Il obtint ainsi une petite bouteille de graisse pour mécanique qu’on pouvait facilement cacher dans la boîte d’outils.
Mardi après-midi, je versai quelques gouttes de graisse dans un bouchon de cirage. Je tirai des fils de ma fine couverture, ils serviraient de mèches. Nous pouvions allumer notre « chandelier ». C’est alors que je réalisai qu’il nous manquait des allumettes. Je chuchotai à l’oreille de Bentshi : « Il faudrait que cinq détenus, moi inclus, nous laissions un peu de soupe de façon à proposer une portion supplémentaire au responsable du block qui pourra acheter une cigarette et, en échange, nous prêtera une boîte d’allumettes sans poser de question inutile. Tous acceptèrent ce sacrifice.
Nous nous sommes tous rassemblés, j’ai pu prononcer les trois bénédictions et allumer la bougie improvisée sous ma couche. Tous nos camarades se sont associés à cet allumage même ceux qui se prétendaient détachés de toute pratique religieuse. Ensemble, nous avons chanté les mélodies habituelles qui accompagnent cet allumage tout en pensant à nos femmes et nos enfants, nos parents et nos familles peut-être réunis eux aussi autour de chandeliers en argent, autour de tables joliment garnies. J’ai alors compris qu’on pouvait être heureux tout en pleurant…
Ensuite, chacun s’est couché, le cœur gros mais avec une certaine fierté à l’idée de cette petite flamme cachée.
Mais le rêve s’acheva soudain. Un officier nazi entra brusquement dans notre baraquement et hurla : « Que se passe-t-il ici ? D’où provient cette odeur de graisse qui brûle ? ». Accompagné de son chien, il inspecta lentement les planches qui nous servaient de couches, tout en caressant son fouet qu’il allait bientôt abattre sur moi avec sadisme …
« La sirène ! »
La sirène avait été actionnée, les avions des forces alliées attaquaient enfin notre territoire. Prestement, j’éteignis discrètement la bougie et nous sommes tous sortis du baraquement car telle était la consigne. Bouleversé et anxieux, l’officier nazi eut encore la présence d’esprit de crier qu’il allait revenir achever son inspection mais cela ne m’effrayait plus, j’avais caché « l’objet du délit » afin de pouvoir m’en resservir le lendemain.
Pour nous, ce fut vraiment un miracle de ‘Hanouccah, nous avons vu de nos yeux comment D.ieu pensait à nous, même dans ce camp infâme et, certainement, Il nous sauverait afin que nous puissions raconter Ses miracles et perpétuer l’existence du Peuple juif.
Dehors, les étoiles scintillaient dans la nuit glaciale mais le bruit des avions alliés semblait rythmer les mélodies de ‘Hanouccah qui résonnaient encore dans nos cœurs.
Chalom Ber Unsdorfer – Si’hat Hachvoua 885
Traduit par Feiga Lubecki