Samedi, 30 octobre 2021

  • Hayé Sarah
Editorial

 La mémoire en partage

La mémoire des hommes est une chose bien impressionnante. Elle fixe le passé et prépare ainsi l’avenir. Elle peut aussi évoluer au fil des temps et donner des valeurs nouvelles à des événements anciens. D’une certaine manière, elle encadre nos choix et nos comportements ou, à tout le moins, leur donne une coloration particulière, comme une résonnance. Il n’est guère étonnant, dès lors, que, en notre époque pourtant si souvent oublieuse, les mémoires diverses, qui, s’entrecroisant, font le tissu de nos sociétés, semblent devenir toujours davantage l’objet d’un combat, davantage moral et culturel qu’historique. De fait, l’enjeu est de taille : avoir la mémoire du passé, c’est dire ce qui nous a fait et donc ce que l’on est. Décider de sa portée et de son sens, c’est ainsi décider de notre lecture du monde et, de cette façon, préluder à l’avenir.

Le Peuple juif est conscient de l’importance de cette idée depuis bien longtemps. Il est essentiellement un peuple de mémoire. Le verset n’exhorte-t-il pas : « Demande à ton père et il te racontera, à tes ancêtres et ils te diront » ? Certes, tout ne se trouve pas dans les récits du passé, qu’ils soient héroïques ou tragiques, et il nous appartient de construire les jours à venir afin de les rendre meilleurs. Cependant, les lignes d’avancée sont bien là et, sans elles, c’est comme sur une lande désertique et sans repères que l’on est conduit à errer. D’une certaine façon, « je me souviens donc je suis ».

Malgré tout, le risque existe bien de voir alors apparaître, ou s’amplifier, les affrontements nés de mémoires concurrentes. Ce risque-là est l’expression d’une angoisse, celle de l’oubli et de la disparition. Mais, si la mémoire est assumée, si elle s’inscrit dans un projet plus vaste, elle se suffit de porter son propre message, sans qu’une autre mémoire constitue un obstacle. Il y a ici comme le secret de l’unité dans la diversité, même si ces deux notions paraissent à certains contradictoires. C’est ainsi que, depuis le mont Sinaï, nous continuons notre route sous toutes les latitudes. Frères de tous les hommes, nous savons que nous détenons cet élément indépassable que D.ieu nous donna. Et ce qu’il faut bien appeler notre fidélité est le socle de notre liberté, et de celle de tous.

Etincelles de Machiah

 Sans exception

Lorsque Machia’h viendra, aucun Juif ne restera en exil comme le souligne Rachi (Parchat Nitsavim 30:2) : « Il (D.ieu) prend par la main chacun… » En effet, le sens profond de la Délivrance est l’expression du lien essentiel entre les Juifs et D.ieu. Or, si un seul Juif restait en exil, ce lien ne s’exprimant pas totalement, la Délivrance ne serait pas authentique.

La Délivrance est qualifiée de « véritable et complète » car elle sera celle de tous.

 (D’après Séfer HaSi’hot 5742, vol. II, p.514)

Vivre avec la Paracha

 ‘Hayé Sarah

Sarah meurt à l’âge de 127 ans et est enterrée dans la Cave de Ma’hpéla à ‘Hévron qu’Avraham a achetée à Ephron le Hittite pour quatre cents chékels d’argent.

Le serviteur d’Avraham, Eliézer, est envoyé à ‘Haran, chargé de cadeaux, pour trouver une femme pour Its’hak. Au puits du village, Eliézer demande à D.ieu un signe : quand les jeunes filles arriveront au puits, il demandera de l’eau pour boire. Celle qui proposera d’abreuver également ses chameaux sera celle qui est destinée au fils de son maître.

Rivka, la fille du neveu d’Avraham, Bethouel, apparaît au puits et réussit le « test ». Eliézer est invité dans sa maison où il relate à nouveau les événements du jour. Rivka revient avec Eliézer en terre de Canaan où ils rencontrent Its’hak, priant dans un champ. Its’hak épouse Rivka, l’aime et est consolé de la perte de sa mère.

Avraham prend une nouvelle épouse, Ketoura (Hagar) et engendre six autres fils mais Its’hak est désigné comme son seul héritier. Avraham meurt à l’âge de 175 ans et est enterré, à côté de Sarah, par ses deux fils aînés, Its’hak et Ichmaël.

La divergence

Éliézer, le serviteur d’Avraham, est envoyé par son maître pour trouver l’épouse adéquate pour son fils, Its’hak. Quand il arrive à destination, il adresse une prière à D.ieu dans laquelle il L’implore de faire en sorte que lorsqu’il se tiendra près du puits, une jeune-fille s’approche de lui et lui propose : « Bois et je ferai également boire tes chameaux ». Ce sera là le signe que c’est elle qui est destinée à épouser Its’hak. La Torah poursuit en relatant qu’une jeune fille s’approche d’Éliézer et lui propose à boire et ce n’est que lorsqu’il a terminé qu’elle puise de l’eau pour les chameaux.

Ce récit nous interpelle par la divergence entre les paroles d’Éliézer et les actes de Rivkah. En effet, ils ne correspondent pas au plan d’Eliézer. Eliézer attend qu’elle dise : « …bois et je ferai boire tes chameaux » alors que Rivkah ne fait que lui proposer à boire à lui, sans mentionner les chameaux. Ce n’est que lorsqu’il a terminé de boire qu’elle puise de l’eau pour les chameaux.

En outre, lorsqu’Eliézer relate sa rencontre avec Rivkah à sa famille, il change le déroulement de la scène : « …Elle a rapidement descendu son seau (de son épaule) et a dit : ’Bois et j’abreuverai également tes chameaux.’ »

Pourquoi altère-t-il les faits et ne dit-il pas qu’elle n’a pas proposé de faire boire les chameaux avant qu’il ait, lui, fini de boire ?

Le changement du déroulement des événements

De nombreux commentateurs s’attardent sur une autre question concernant la réaction d’Eliézer devant le comportement de Rivkah. A peine a-t-elle abreuvé les chameaux qu’il la recouvre des bijoux (destinés à la future fiancée) avant même de lui demander qui elle est. Il ne l’interroge qu’après.

Comment est-il si certain qu’elle est destinée à Its’hak, sans même s’assurer que l’une des conditions d’Avraham est remplie : être de la famille d’Avraham.

Par ailleurs, quand il raconte l’épisode à la famille de Rivkah, il inverse la chronologie des faits pour désamorcer leur question inévitable : pourquoi lui a-t-il donné des bijoux avant de savoir qui elle était.

Rachi s’arrête sur cette question et déclare qu’Eliézer avait pleine confiance qu’il réussirait dans sa mission, par le mérite d’Avraham. Pourtant, le fait qu’il dût tester la bonté de Rivkah indique qu’il ne se reposait pas entièrement sur le mérite d’Avraham car, le cas échéant, il aurait choisi au hasard la première jeune fille rencontrée.

Les commentateurs expliquent que le test avait pour but de déterminer si Rivkah possédait la qualité de la bonté. Et elle le réussit haut la main.

Mais encore une fois, cette explication ne nous éclaire pas sur la différence entre le contenu du test d’Eliézer et les actes de Rivkah.

Au-delà des attentes et des conventions

En réalité, nous pouvons suggérer qu’elle ne manifesta pas seulement de la bonté mais qu’en fait, elle se comporta au-delà des attentes d’Eliézer, en matière de miséricorde. Elle manifesta un autre trait caractéristique d’Avraham qui prouva à Eliézer qu’il ne faisait aucun doute qu’elle appartenait à la famille d’Avraham.

De quoi s’agit-il ?

Dans la Paracha de la semaine dernière, nous avons vu qu’alors qu’il récupérait de sa circoncision, Avraham, assis devant sa tente, guettait de potentiels invités pour pourvoir à leurs besoins. Et quand ils arrivèrent, il ne se contenta pas de leur offrir du pain mais un festin !

Et le Talmud (Baba Metsia 87a) de conclure : « De cela nous pouvons déduire que les justes disent peu et font beaucoup. »

Il constate que cela va à l’opposé des impies qui parlent beaucoup et font peu. Le Talmud s’appuie, pour illustrer ses propos, sur un épisode de notre Paracha où Avraham cherche à acheter la Cave de Ma’hpéla pour enterrer Sarah. Ephron, le Hittite, au départ si aimable et prêt à offrir l’endroit à Avraham, finit par en exiger une somme exorbitante.

Ici, il était attendu de Rivkah qu’elle se contente de donner un peu d’eau à Eliézer puis à ses chameaux. Elle va au-delà de cette requête en attendant patiemment qu’Eliézer se désaltère entièrement avant de s’occuper des chameaux et de les abreuver.

Eliézer prend donc conscience qu’elle n’est pas seulement une personne exceptionnellement bonne mais qu’elle a également cette qualité typique d’Avraham : celle d’offrir peu mais faire un effort incroyable, avec patience et dévouement.

Cela explique pourquoi Eliézer ne choisit pas de relater ces faits à la famille de Rivkah : ils n’auraient jamais compris la portée de cette qualité exceptionnelle. Il se contenta d’évoquer des signes plus conventionnels de bonté.

Pourquoi dire peu et faire beaucoup ?

Mais qu’est-ce cette attitude a-t-elle de remarquable ? Pourquoi est-elle considérée comme ce qui distingue le juste de l’impie ? Pourquoi résulta-t-elle dans le mariage avec Its’hak et la genèse du Peuple juif ?

Quand un individu fait de grands efforts, il a généralement un ressenti positif par rapport à ses propres bonnes intentions. Tout le monde aime ressentir qu’on est une bonne personne. En réalité, la bonté n’est pas l’apanage des justes. Nous possédons tous un réservoir de ‘Hessed, de bonté. Ce sentiment profond est ce qui permet à une personne, si éloignée soit-elle d’une vie vertueuse, de ressentir le besoin de faire quelque chose de bien pour autrui. Cependant, quand domine notre nature égocentrique, elle va nous pousser à faire suffisamment de bien pour dissiper tout sentiment de culpabilité mais pas assez pour faire une vraie différence.

C’est ainsi que les « Ephron » du monde peuvent se féliciter et estimer qu’ils sont très généreux en faisant une offre grandiose. Une fois qu’ils se sentent contents d’eux-mêmes, ils réussissent à faire taire cette petite voix de l’âme qui cherche à se faire entendre et à faire une différence.

Mais la bonté d’Avraham était totalement altruiste. Les « Avraham » du monde ne se contentent jamais de faire des offres d’aide et de générosité. Ils se concentrent entièrement sur les actes, sur le fait de traduire leurs paroles en actions.

Rivkah ne fit pas un acte superficiel de bonté pas plus qu’elle ne se limita à seulement satisfaire la requête d’Eliézer. Mais sans effet d’annonce, elle alla jusqu’au bout et démontra ainsi qu’elle était le parti idéal pour la famille d’Avraham.

Aller jusqu’au bout

Le Talmud affirme : « une Mitsva est créditée à celui qui l’achève. »

Le Rabbi n’a eu de cesse de déclarer que nous sommes la dernière génération de l’exil et que nous serons la première génération de la Rédemption.

Nous pouvons apprendre une leçon de notre Matriarche Rivkah : ne jamais se contenter de savoir que nous serons, dans l’avenir, la première génération de la Rédemption. Nous ne pouvons nous permettre de nous reposer avant d’avoir accompli l’ultime acte de bonté, celui d’apporter la paix véritable dans le monde, « à la manière de Rivkah », c’est-à-dire redoubler d’efforts pour faire encore et encore une Mitsva jusqu’à faire venir le Machia’h !

Le Coin de la Halacha

 Quelques lois sur la Tsedaka (charité)

- Celui qui s’engage verbalement à donner la Tsedaka doit accomplir sa promesse le plus rapidement possible ; s’il ne trouve pas de pauvres, il mettra l’argent de côté jusqu’à ce qu’il puisse s’acquitter de sa promesse.

- Le rachat des prisonniers devance toute autre forme d’aide sociale car le prisonnier a non seulement faim mais se trouve aussi en danger. Cependant, on veillera à ne pas se laisser entraîner dans un engrenage et on ne proposera pas de somme insensée pour ce rachat afin de ne pas encourager la prise d’otages.

- Si la communauté a réuni de l’argent pour construire une synagogue, elle peut encore changer la destination de l’argent si d’autres cas plus urgents se présentent. Une fois qu’on a acheté les matériaux et que tout est prêt pour la construction, on ne peut les vendre que pour racheter des prisonniers. Mais une fois que la synagogue est construite, on ne peut ni la vendre ni la détruire : éventuellement on réunira d’autres fonds pour le rachat des prisonniers.

- Toute communauté est obligée d’instituer une caisse de Tsedaka ainsi qu’une cuisine qui fournira des repas aux pauvres.

 (d’après Rambam – Hil’hot Matanot Aniim)

Le Recit de la Semaine

 Un chemin parsemé de miracles

Sortis de Russie, ses parents s’étaient installés en Égypte où il naquit dans une famille complètement coupée de tout judaïsme. A la suite de la naissance de l’Etat d’Israël en mai 1948, il fut emprisonné avec d’autres jeunes Juifs dans des conditions très éprouvantes puis, à sa libération, monta en Israël avec sa mère ; David Michael Hasofer s’installa avec elle dans un Kibboutz près d’Ashkelon.

Quant à sa future épouse, Atarah, elle naquit en France dans une famille traditionnaliste. Elle posait des questions sur le judaïsme mais on ne lui répondait que par des réprimandes qui la décidèrent à abandonner toute envie de pratiquer. Elle monta en Israël avec sa sœur et, au cours de son service militaire, rencontra celui qui devint son mari et avec qui elle vécut au Kibboutz.

Michael était profondément marqué par l’idéologie gauchiste, procommuniste du mouvement Hachomer Hatsaïr. Quand sa mère partit s’installer en Australie, le jeune couple la suivit de fait en Tasmanie, dans une petite ville où vivaient une trentaine de familles juives. Leur judaïsme se résumait à des offices où on se rendait en voiture le Chabbat et où officiait la seule personne qui savait lire l’hébreu. Michael et Atarah quant à eux ne pratiquaient absolument rien : ni Chabbat, ni Cacherout, ni Yom Kippour au point de choquer même les Juifs de Tasmanie qui tentaient de se rattacher au peu qu’ils connaissaient.

C’est alors que se produisit un événement curieux : le seul Juif qui savait lire l’hébreu quitta le pays et une délégation contacta Michael qui, pourtant, ne fréquentait même pas cette communauté :

- Vous êtes le seul parmi nous qui connaissez l’hébreu. Devenez notre rabbin !

Michael faillit tomber de sa chaise. Il tenta bien sûr de leur faire comprendre qu’il était athée et n’avait rien à voir avec un office religieux mais ils insistèrent tant et si bien qu’il devint « rabbin » à son corps défendant : il accepta juste pour se rendre utile socialement et rendre service… Petit à petit, Michael s’intéressa aux prières qu’il était maintenant « forcé » de prononcer et s’inquiéta aussi de l’assimilation grandissante : comment pourrait-il agir pour préserver l’identité juive de sa « communauté » dans ce coin reculé du monde ? « Mais il n’y avait personne chez qui se renseigner, aucun livre disponible à cette époque sans Internet, réalisaient Michael et Atarah. Nous voulions apprendre, mais comment ? Cependant, à force de lire le seul livre sur place, la Bible, j’avais remarqué que, depuis Avraham, il y avait eu dans chaque génération un dirigeant et, si D.ieu était la vérité, il devait exister un tel dirigeant aussi à notre époque ! Et s’il existe, il doit aussi s’occuper de nous !

« Je suis sorti dans la rue et j’aperçus le personnage le plus inhabituel qu’il soit dans cette ville : un Juif habillé comme un Rav marchait dans la rue, apparemment sans but précis ! Je me suis précipité vers lui, l’ai invité chez moi et il répondit à toutes mes questions sur le judaïsme. Nous absorbions ses réponses comme des éponges et avons décidé de manger cachère. Un an plus tard, il revint et nous enseigna les lois de pureté familiale. C’était le Rav Haïm Gutnick de Melbourne. Quelques années plus tard, nous nous sommes installés à Melbourne et avons appris de sa fille Pnina que le Rabbi de Loubavitch avait écrit un jour à Rav Gutnick en lui demandant de se rendre de toute urgence en Tasmanie sans lui indiquer ce qu’il était supposé y accomplir ! Celui-ci avait donc erré dans les rues et avait « par hasard » rencontré un Juif qui voulait tout apprendre…

Rav Michael Hasofer est professeur de mathématiques et statistiques, un des plus grands spécialistes dans le monde, en plus de ses vastes connaissances en biologie et génétique. A la demande du Rabbi, il a démontré scientifiquement dans nombre d’articles de presse et de conférences, l’absurdité de la théorie de l’évolution. Son épouse est docteur en psychologie : le Rabbi l’a chargée de développer des schémas de méditation « cachères » pour les jeunes à la recherche de ce genre d’expérience afin qu’ils n’aient plus besoin de recourir en Asie à des techniques proches de l’idolâtrie. Elle a ainsi réussi à sauver des centaines, oui des centaines de Juifs en prise avec des sectes de tous genres.

En 1979, Rav Michael Hasofer a reçu une invitation à un congrès en Malaisie. Au début, il voulut refuser puis demanda l’avis du Rabbi qui donna son feu vert pour ce voyage : « Il faut sauver des âmes juives en Malaisie ! ». Mme Hasofer eut l’occasion là-bas de rencontrer un gourou âgé de 97 ans, descendant de Juifs allemands assimilés et qui avait recherché la vérité en Asie. Il enseigna à Mme Hasofer les principes de la méditation qu’elle put ainsi adapter à la Torah tandis que Rav Hasofer lui enseigna… le Tanya !

Après qu’ils aient quitté la Malaisie, ils reçurent une lettre d’une jeune fille de Londres, Tsipora. Elle raconta qu’elle avait elle aussi gravi les échelons de la méditation et était parvenue chez ce gourou, le summum de sa recherche. Mais quand celui-ci avait appris qu’elle était juive, il lui avait expliqué : « Vous n’avez rien à faire ici, vous êtes juive, allez étudier à la source, là où on apprend le Tanya ! ». Peu de temps après, cette jeune fille avait compris où était la vérité : maintenant, elle mène une vie juive à cent pour cent ainsi que son mari, ses enfants et petits-enfants !

Oui, il faut sauver des âmes juives partout - même en Malaisie.

Aharon Dov Halperin – Kfar Chabad N° 1926

Traduit par Feiga Lubecki

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