Le pain que consommèrent nos ancêtres en Égypte

Bien plus qu’une simple commémoration d’un événement passé, une fête juive est un événement que l’on expérimente et revit au niveau individuel. Chaque fête juive porte en elle un message contemporain qui s’adresse à chacun de nous, de tous temps et en tous lieux. Cela est particulièrement vrai de Pessa’h. Comme le déclarent nos Sages (Pesa’him 10 :5) : « Dans chaque génération, chaque Juif a l’obligation de se considérer comme s’il avait personnellement quitté l’Égypte. »

Et c’est là le but du Séder du soir de Pessa’h : donner à chacun l’opportunité de faire l’expérience personnelle de sa propre libération de la maison d’esclavage.

L’ouverture du Séder exprime ce concept en introduisant le récit de l’Exode par la déclaration : « Voici le pain de l’affliction ». Dans son Choul’han Arou’h, Rabbi Chnéor Zalman note :

« Ceux qui sont méticuleux veillent à dire Ha La’hma ou Ha kela’hma (« ceci est comme le pain de l’affliction »), puisque [la Matsa que nous mangeons] n’est pas le véritable pain que mangèrent nos ancêtres. »

Cependant, dans son édition de la Haggada, Rabbi Chnéor Zalman choisit les mots Hé La’hma anya (« voici le pain de l’affliction »). Cela insiste sur le fait que le Séder a pour fonction de nous émouvoir au point que nous expérimentions nous-mêmes une libération de l’esclavage, et considérions la Matsa qui est placée devant nous comme « le pain de l’affliction que mangèrent nos ancêtres en Égypte. »

Dans chaque génération, chaque Juif a l’obligation de se considérer comme s’il avait personnellement quitté l’Égypte

Bien que nous ne soyons jamais allés en Égypte et que nous n’ayons jamais vécu un véritable esclavage, la rédemption peut être réelle pour nous car, comme l’explique la pensée ‘hassidique, l’Égypte n’est pas seulement un lieu géographique mais également un état d’esprit. En fait, le mot hébreu pour « Égypte », « Mitsrayim », est pratiquement identique au mot « Meitsarim » qui signifie « étroitesse » ou « limites ». En d’autres termes, notre sortie individuelle d’Égypte implique que l’on se dépasse soi-même, que l’on s’élève au-delà de nos limites personnelles.

Chacun d’entre nous possède une âme, une étincelle de D.ieu. Et, tout comme D.ieu Lui-même, cette étincelle est infinie et illimitée. Au niveau personnel, l’Égypte symbolise ces influences et ces forces qui confinent et limitent ce potentiel spirituel.

La nature de cette Égypte individuelle varie en fonction du caractère et du degré de raffinement. L’Égypte d’une personne peut se caractériser par ses désirs égocentrés et ses penchants naturels. Pour une autre, il peut s’agir de l’emprise de l’intellect et de la raison. Il existe même « une Égypte de sainteté », un état dans lequel un individu spirituellement engagé s’empêche d’utiliser tout son potentiel pour progresser, considérant ses limites naturelles comme permanentes.

Toutes ces Égyptes confinent notre nature divine infinie. Quitter l’Égypte signifie sauter au-dessus de ces barrières et de ces limites (ainsi que de beaucoup d’autres) et permettre à notre potentiel spirituel infini de faire surface.

Une expérience personnelle de la rédemption affecte l’ensemble de notre service divin. Tant qu’une personne vit dans son Égypte personnelle, tant que le potentiel illimité de son âme ne peut s’exprimer, elle percevra l’observance de la Torah et de ses mitsvot comme extérieure à elle-même, séparée de l’essence de son être. Mais quand elle revit l’Exode et met au grand jour sa nature divine essentielle, elle développe un lien bien plus profond avec la Torah.

Vivre un exode personnel d’Égypte devient donc « le grand fondement et le pilier solide de notre Torah et de notre foi », dont l’impact s’étend bien plus loin que le temps de la célébration de Pessa’h et s’applique à chaque moment de notre vie. Quand l’on comprend ainsi l’Exode, chaque dimension de notre conduite de Juif et chaque Mitsva que nous accomplissons est un pas hors de l’Égypte et l’expression de notre potentiel Divin, une occasion de réaliser notre véritable être intérieur.

Pour souligner que l’Exode d’Égypte est une expérience qui continue, Rabbi Chnéor Zalman omet le passage « ‘Hassal Siddour Pessa’h » (« le séder de Pessa’h est conclu ») de son texte de la Haggada. De la même façon, pour marquer l’actualité incessante de la sortie d’Égypte, nous rappelons cet événement dans nos prières quotidiennes, à la fois le matin et le soir.

Un point tournant dans l’histoire spirituelle

La signification perpétuelle de l’Exode peut être considérée selon une autre perspective. La Torah dit du Peuple Juif : « ils sont Mes serviteurs que J’ai sortis de la terre d’Égypte ; ils ne seront pas vendus comme esclaves » (Vayikra 25 : 42). La rédemption d’Égypte et l’expérience du Don de la Torah qui suivit établit l’identité du Peuple juif comme « serviteurs de D.ieu » et non comme « serviteurs de serviteurs ». Après avoir quitté l’Égypte, ils ne seraient plus jamais astreints au même genre de servitude.

Le Maharal de Prague explique que la liberté acquise par l’Exode transforma la nature essentielle de notre peuple. Par l’Exode, nous pûmes acquérir le statut d’hommes libres. En dépit des conquêtes et des soumissions à d’autres peuples qui allaient suivre, la nature fondamentale du Peuple juif n’a pas changé. Notre liberté perdure seulement parce que, dans un sens spirituel, D.ieu nous sort constamment d’Égypte. Le miracle de la rédemption n’est donc pas un événement du passé mais quelque chose qui se produit constamment dans notre vie.

L’expérience continue de la rédemption, réalisée tout au long de notre vie, est intensifiée en revivant l’Exode lors de la fête de Pessa’h.

Que la rédemption personnelle vécue par chaque individu à cette période accélère la rédemption pour tout notre peuple et conduise à l’accomplissement de l’espoir qui s’exprime à l’apogée de la Haggada lorsque nous nous écrions : « Lechana Habaa biyerouchalayim ! », (« l’an prochain à Jérusalem !»), avec la venue de Machia’h, rapidement de nos jours.

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