En 1941, l'Etat de New York et d'autres états américains instituèrent dans les écoles publiques une heure hebdomadaire d'étude religieuse facultative. Rabbi Yossef Yts'hak, le précédent Rabbi de Loubavitch sut saisir cette occasion pour permettre aux enfants juifs de mieux connaître leur héritage. De nombreux élèves de Yechivot se rendirent alors dans ces écoles laïques pour enseigner les bases du judaïsme. Ce programme continue jusqu'à aujourd'hui.
Un de mes amis, malheureusement disparu il y a vingt ans, Rav Azriel Wasserman était l'un de ces professeurs, dynamique et sympathique, qui se dévouait pour ces élèves, une fois par semaine. Les enfants l'adoraient.
Une année, quelques jours avant Pessa'h, Rav Wasserman fit jouer à ses élèves une pièce dans laquelle ils et elles retraçaient le déroulement du Séder. Bien entendu, les enfants avaient beaucoup apprécié cette heure de détente instructive. Il retrouva les enfants pendant 'Hol Hamoed, les " jours de fête intermédiaires ". C'était le lendemain des deux soirs du Séder et il remarqua deux petites filles qui s'assoupissaient, se réveillaient en sursaut et se rendormaient aussitôt. Inquiet, il leur demanda si tout allait bien, elles le rassurèrent et, après le cours, demandèrent à lui parler en privé.
" Je vous en prie, ne racontez à personne ce que nous allons vous dire. Nous avons quelque chose à vous confier, mais promettez-nous que vous n'en parlerez à personne ! "
Tandis que la plus grande parlait, la plus jeune regardait à droite et à gauche pour s'assurer que personne d'autre n'écoutait. Etonné, Rav Wasserman hésita puis promit de ne rien dire.
" Voilà. Vous vous souvenez que la semaine dernière, nous avons tous ensemble joué une pièce sur le Séder. Nous vous avons demandé pourquoi il fallait accomplir tous ces gestes, réciter ces prières et manger ces différents aliments. Vous avez répondu que D.ieu veut que nous fassions le Séder le soir de Pessa'h afin de nous rappeler qu'il est très, très bon, puisqu'Il nous a fait sortir d'Egypte… c'est bien cela ? "
Rav Wasserman hocha la tête affirmativement.
" Alors quand nous sommes rentrées à la maison, nous avons expliqué cela à Maman et nous lui avons déclaré qu'il fallait préparer le Séder, comme vous nous l'aviez montré. Maman a trouvé l'idée sympathique mais pas Papa. Vous savez, notre Papa n'est pas juif. Nous lui avons demandé, il s'est énervé et a crié : non !
Je lui ai demandé pourquoi il ne voulait pas et il s'est mis très en colère et a dit que si nous en reparlions, il nous donnerait une paire de claques. Il est parti trouver Maman et s'est énervé contre elle parce qu'il croyait que c'était elle qui nous avait poussées à demander. Ils se sont disputés et nous avons eu très peur.
Mais après cela, ma sœur et moi avons discuté de notre côté et nous avons décidé que si D.ieu désirait que nous fassions le Séder de Pessa'h, nous le ferions. Nous avons élaboré un plan : nous avons pris de l'argent de notre tirelire et, sur le chemin du retour de l'école, nous sommes passées par un magasin cachère. Nous avons acheté deux bouteilles de jus de raisin et, le lendemain, une boîte de Matsot. Dans la journée, nous avons pris de la salade du réfrigérateur et nous avons tout caché dans la cave.
Le premier soir de Pessa'h, au moment d'aller nous coucher, nous avons fait semblant de dormir et, dès que nous avons été sûres que nos parents dormaient profondément, vers une heure du matin, nous sommes descendues à la cave.
Nous avions très peur car l'escalier craquait sous nos pas. Et la cave était très peu éclairée. Mais nous avons fait tout ce que vous nous aviez enseigné : nous avons bu les quatre verres de jus de raisin, mangé la Matsa, la salade, l'oignon et tout. Oui, nous avons fait un Séder clandestin ! Nous sommes retournées nous coucher sans bruit et nul n'en a rien su.
Et le lendemain soir, nous avons fait de même ! Mais nous n'avions plus tellement peur et nous avons même ri et fait des grimaces pour nous détendre.
C'est la raison pour laquelle nous sommes tellement fatiguées aujourd'hui. Mais je vous en supplie, n'en dites rien à personne, surtout pas à notre père parce qu'il serait très en colère contre nous ! "
Rav Wasserman promit et elles sortirent de la pièce. Après qu'elles aient fermé la porte, il s'effondra sur le fauteuil du professeur et se mit à pleurer.
Quand il me raconta cette histoire, il ajouta : " Je ne sais pas si j'aurais eu le courage d'agir comme ces deux petites filles. Elles m'ont raconté tout cela avec une telle simplicité que cela m'a autant impressionné que toutes les histoires de Pessa'h en Sibérie ou dans les camps. Même de nos jours, des enfants sont capables d'un tel dévouement pour la Torah ! Puissions-nous tous être inspirés par leur exemple ! "

Rav Touvia Bolton
www.ohrtmimim.org
Traduit par Feiga Lubecki

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