Certains d’entre nous sont dotés, dans toutes leurs activités quotidiennes, d’un sens pratique. D’autres sont plutôt visionnaires. Le judaïsme présente également ces deux approches. Etre visionnaire consiste à aspirer à la transcendance et à l’inspiration. Et le chemin de la pratique passe par l’observance concrète des Mitsvot (commandements de D.ieu).

Le Juif visionnaire méditera sur l’infinie grandeur de D.ieu et sera imprégné d’un amour illimité pour Lui. Il tremblera de crainte et se délectera dans l’extase. Il aspirera à une élévation spirituelle et se délectera dans la transcendance de son âme.

Rendre cette vision réelle et concrète est l’approche pratique. Quand l’amour pour D.ieu trouve sa concrétisation dans l’accomplissement de Sa volonté, la vision a trouvé son expression tangible. En étant visionnaires, nous trouvons de la gratification. Par les Mitsvot, c’est D.ieu Qui est satisfait. 

Il est vrai que les deux approches sont nécessaires, mais c’est à nous qu’il revient de reconnaître celle qui représente les moyens et celle qui en est la fin. Etre visionnaire est prestigieux mais ce que D.ieu désire le plus est que nous nous attachions aux détails.

Traverser la rivière

Dans la Paracha Vayichla’h (Beréchit 32 : 4- 36 :43), nous lisons la façon dont Yaakov et sa famille traversent la rivière de Yabok. Yaakov met un pied sur chaque rive afin de former un pont humain et il transfère ses possessions d’une rive à l’autre.


Réalisant qu’il a oublié quelques objets peu importants, il choisit de laisser sa famille et ses possessions derrière lui et de partir à la recherche de ces objets perdus. Et la Torah de nous signaler qu’à ce moment, «Yaakov resta seul» sur l’autre côté de la rivière.

Le Midrach suggère qu’en insistant sur la solitude de Yaakov, la Torah indique qu’il était alors comparable à D.ieu. Tout comme D.ieu est glorifié et seul, ainsi se trouvait alors Yaakov.

Comment Yaakov put-il atteindre cet état comparable à celui de D.ieu ? Ce n’était pas par une extase spirituelle ni par une inspiration méditative mais par l’attention qu’il porta aux détails. Il avait oublié de simples cruches et il revint sur ses pas pour les récupérer.

Quelle est la signification de ces cruches ? Pour répondre à cette question, il nous faut tout d’abord comprendre la raison de son séjour chez son oncle Lavan et la rencontre qu’il fit, par la suite, avec son frère Essav.

La maison de son oncle et la compagnie de son frère n’étaient certainement pas propices à une élévation spirituelle personnelle. Mais Yaakov n’était pas là pour réaliser son propre programme mais pour réaliser le programme de D.ieu.

La révélation d’une aura

Bien que D.ieu soit transcendant, Il projette une aura de Sa présence dans le monde. Mais elle reste cachée et ne peut être dévoilée au genre humain. Les Patriarches et leurs héritiers furent chargés de révéler cette aura, par la propagation de la connaissance divine et de l’observance des commandements de D.ieu.

Il revint à Yaakov de dévoiler cette lumière divine cachée dans les maisons de Lavan et d’Essav. Chaque objet que touchait Yaakov était utilisé pour le service de D.ieu. C’est ainsi qu’il élevait ces objets matériels à un niveau supérieur. Il révélait la lumière divine enfouie en eux et réalisait ainsi leur potentiel divin.

Quand il traversa la rivière et qu’il prit conscience qu’il avait oublié certains objets de l’autre côté, il revint sur ses pas pour les reprendre. Il savait qu’en cas contraire, la lumière divine qu’ils contenaient resterait à jamais prisonnière, dans l’environnement impur de la maison de son oncle.

Prendre les circonstances en considération

Après avoir passé vingt ans en exil, Yaakov revenait enfin chez lui. Pendant cette longue période, il avait été constamment de service, toujours conscient de sa mission. Il ne fait aucun doute que l’âme de Yaakov languissait l’atmosphère toute de pureté de la maison de ses parents, les saints Its’hak et Rivkah.

Traverser la rivière représentait une avancée importante dans cette direction, une traversée métaphorique de l’impureté vers la sainteté. Yaakov quittait l’approche pragmatique du devoir pour se diriger vers la voie visionnaire de la transcendance. L’on aurait pu s’attendre à ce qu’il se précipite de l’avant et n’hésite aucunement.

Mais, en traversant la rivière, il s’arrêta. Pourrait-il être consumé par l’inspiration et ne pas succomber à ses tentations ? Pourrait-il vivre dans un monde de visionnaire et continuer son engagement dans le devoir du respect des détails ?

Il s’agit peut-être ici de l’une des raisons pour lesquelles Yaakov enjamba la rivière, gardant un pied fermement planté sur la rive pratique et l’autre planté avec appréhension sur la rive du visionnaire qu’il serait. Il fit passer sa famille et ses possessions au-dessus de la démarcation et était maintenant sur le point de rejoindre, lui-aussi, l’autre rive. Consumé par le désir mais rongé par l’appréhension, Yaakov passa, avec hésitation de l’autre côté. 

Mais soudain il se rappela qu’il avait laissé quelques objets sur la première rive. A ce moment précis, il réalisa que l’avenir se jouait là. Les Hôtes des Cieux s’étaient rassemblés pour voir quelle direction il emprunterait. Il savait qu’il devait agir. Il revint alors sur la rive qu’il allait quitter et partit chercher ses objets.

Finalement, il traverserait la rivière, mais pas avant d’avoir démontré qu’il pouvait trouver un équilibre entre les deux mondes.

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