L’heure du retour
Nous avons vécu l’aller, le temps des départs et de cette étrange liberté retrouvée que l’on appelle les vacances. Il nous faut donc vivre à présent cette période non moins bouleversante qui est celle du retour. On dénomme cela « la rentrée » et ce seul nom a déjà valeur de programme. Dans l’esprit commun, il s’agit de recommencer, reprendre le fil là où il avait été interrompu. Pourtant, cette année, la rentrée revêt un caractère qui, s’il se retrouve souvent au moment où elle intervient, conserve cependant un caractère particulier. Et il faut s’en souvenir car peut-être est-ce toute notre année qui en dépend.
De fait, alors que le quotidien réclame sa place, le dernier mois du calendrier juif a bel et bien commencé. Il s’appelle Elloul. Il est le prélude aux grandes fêtes de Tichri – à Roch Hachana et à Yom Kippour, plus encore il en est l’indispensable préparation. Il est aussi – et justement – le mois du retour. Bien sûr, le sens du mot est ici bien différent de celui que la société lui assigne, bien éloigné aussi de la notion même de vacances. C’est du retour à soi, à ce que l’on est vraiment, sa source et sa racine et finalement de retour à D.ieu qu’il s’agit.
C’est alors que nous pouvons éprouver une sensation très réelle de décalage. Le monde alentour ne parle que de retour au rythme habituel alors que nous attendons et préparons le moment du passage sur un autre plan avec les rendez-vous spirituels qui arrivent. Le monde n’envisage que la poursuite des mêmes objectifs alors que nous regardons en nous-mêmes pour affiner ce que nous sommes, poser des jalons pour un progrès profond et faire du monde un lieu d’harmonie. Quel Elloul allons-nous donc vivre ? Faudrait-il faire abstraction du monde qui gronde ? Ce ne serait pas une attitude juive. Faudrait-il oublier notre calendrier de l’âme ? Ce le serait encore moins.
Chacun a l’obligation ardente d’aller à la rencontre d’Elloul, précisément au moment où la vie quotidienne invite à l’oublier et sans négliger les impératifs de cette dernière. Impossible dira-t-on ? Mais c’est d’Elloul qu’il est question, le mois où le Ciel et la terre sont si proches.
« Car vous sortirez dans la joie »
Dans la semaine suivant le mariage de Rabbi Chalom Dov Ber, le cinquième Rabbi de Loubavitch, les ‘hassidim se mirent à danser dans le jardin qui se trouvait devant la maison du père du jeune marié, le Rabbi Maharach. Des dizaines de rondes se formèrent alors.
A ce moment, le Rabbi Maharach était assis à la fenêtre de sa maison. Il vit les danses et dit : «C’est ainsi que les Juifs danseront dans les rues lorsque le Machia’h viendra.»
(D’après Likoutei Dibourim vol. 1 p. 34)
Ki Tétsé : La guerre et la paix
Chaque jour, nous concluons la prière de la Amida (18 Bénédictions) en louant D.ieu «Qui bénit Son peuple dans la paix». Et lorsqu’ils décrivent les bénédictions dont D.ieu nous gratifie lorsque nous suivons Sa volonté, nos Sages affirment : «la paix équivaut à toutes les autres bénédictions». En fait, nos Sages expliquent que Chalom, le terme hébreu pour «paix», est l’un des noms de D.ieu Lui-même.
Pourquoi la paix joue-t-elle un rôle si fondamental dans notre héritage juif ?
Chaque âme humaine est «une véritable partie de D.ieu En-Haut». Il s’ensuit donc que l’être humain possède le désir naturel de donner à cette étincelle divine l’opportunité de s’exprimer. Elle cherche à grandir dans la compréhension, dans un environnement harmonieux, sans être obligée de se confronter aux conflits extérieurs.
Malheureusement, cela n’est pas toujours possible. Nous vivons dans un monde matériel qui, de par sa nature même, encourage l’égocentrisme et la quête de satisfactions personnelles. Dans de telles circonstances, la quête du développement spirituel peut souvent conduire à des conflits d’intérêt et parfois même à de véritables et tangibles conflits.
Faire la guerre
Ces concepts sont évoqués en allusion dans le nom de la Paracha de cette semaine, Ki Tétsé, qui commence ainsi : «quand tu sortiras en guerre contre tes ennemis». Dans l’environnement naturel de l’âme, les mondes spirituels, il n’y a pas de conflits.
Cependant, lorsque l’âme «sort» de cet état et descend dans notre monde matériel, elle est confrontée à des challenges qui peuvent nécessiter de s’engager dans des combats.
Car l’existence matérielle présente deux aspects. Notre monde a été créé parce que D.ieu «désirait une résidence dans les mondes inférieurs», c’est-à-dire que l’univers physique peut servir de résidence pour D.ieu, être un lieu où se révèle Son Essence.
Cependant, comme l’implique l’expression «mondes inférieurs», l’existence de D.ieu n’est pas réellement apparente, dans notre environnement.
Bien au contraire même, la nature matérielle du monde semble écarter la Divinité.
La tentative pour réconcilier ces deux élans contradictoires se caractérise souvent par une situation de conflit.
Telle est la conception de la Torah pour la guerre : il s’agit d’un combat pour transformer jusqu’au plus petit élément d’existence en demeure pour D.ieu. C’est pour cette raison que la Torah commande aux Juifs de combattre pour conquérir la terre de Canaan et ainsi transformer un pays, célèbre pour son état de dépravation, en Erets Israël, une terre dont il est dit que «les yeux de l’Eternel ton D.ieu sont sur elle depuis le début de l’année jusqu’à la fin de l’année».
Cela va encore plus loin. Même lorsqu’aucun commandement explicite n’indique qu’il faut faire la guerre, le potentiel en est toujours présent, pour faire reculer les frontières de la sainteté et lui permettre de prendre possession de domaines précédemment régis par la matérialité.
Découvrir nos ressources
Il ne faut pas craindre d’entreprendre de tels efforts. Bien au contraire, on est assuré de la bénédiction divine. Il y est fait allusion dans l’expression du verset précité : al oyvé’ha, que l’on traduit par «contre tes ennemis» mais qui signifie littéralement «sur tes ennemis». Cela nous apporte la promesse que même lorsque l’âme descend dans notre monde matériel et relève des défis, elle possède toujours la force de les surmonter. Puisque l’âme est une «véritable parcelle de D.ieu», elle reste constamment au-dessus de l’influence du monde, elle possède la force de surmonter tous les obstacles et de transformer son environnement.
Plus encore, c’est le défi de la «bataille» lui-même qui fait surgir la force essentielle que possède l’âme. Car une telle confrontation oblige la personne à puiser en elle-même ses forces les plus profondes. Cette quête de force fait à son tour jaillir une prise de conscience de notre nature divine profonde. Et c’est ainsi que nous pouvons surmonter tous les challenges et disséminer la Divinité dans toutes les situations. Nous devenons par là-même les partenaires de D.ieu et exprimons ouvertement le but divin de la Création.
Les conflits intérieurs
Ce concept de «guerre» est également approprié à notre vie. Commentant le verset : «et vous verrez… la différence entre celui qui sert D.ieu et celui qui ne Le sert pas», nos Sages définissent «celui qui sert D.ieu» comme : «celui qui revoit son sujet 101 fois», et «celui qui ne Le sert pas» comme : «celui qui revoit son sujet 100 fois».
Dans le Tanya, Rabbi Chnéor Zalman explique que dans ce domaine, la coutume voulait que l’étudiant revoie son sujet d’étude 100 fois. C’est pourquoi c’était lors de la cent et unième fois que la personne allait au-delà de sa pratique usuelle, ce qui la distinguait comme étant : «celui qui sert D.ieu». Car seul celui qui se bat pour élever sa nature mérite un tel titre.
Un homme doit se donner des défis. Et cela signifie plus que s’engager à un progrès graduel. «Servir» D.ieu implique de casser notre nature individuelle et montrer qu’il n’y a pas de limites dans notre engagement envers Lui.
Cette entreprise implique une guerre constante. Un homme peut en effet atteindre un certain niveau d’accomplissement spirituel et puis «se reposer sur ses lauriers». Mais il lui faut constamment lutter pour avancer encore.
Ces «batailles» intérieures, nécessaires pour enclencher cet engagement permettent au potentiel Divin, inné et illimité en chacun de nous, dans notre âme, de jaillir. Et l’effet de ces efforts se répercute sur le monde en général. Car l’aspect de la Divinité qui transcende toutes limites est activé par chacune de nos tentatives pour dépasser nos propres limites.
Les ultimes batailles
Parce que la tâche de raffiner le monde est souvent comparée à une bataille, l’un des critères donnés pour identifier le Machia’h, le chef qui motivera l’humanité à accomplir son but, est qu’il «mènera les guerres de D.ieu». Car il est possible que la tâche de raffiner le monde requiert un réel conflit pour que Machia’h «remplisse le monde de justice», en détruisant la force des méchants.
Cependant, cela n’est qu’une étape. En dernier ressort, Machia’h «vaincra toutes les nations qui l’entourent… et rendra parfait le monde entier, (motivant toutes les nations) à, ensemble, servir D.ieu, introduisant ainsi l’ère où «il n’y aura ni famine ni guerre, ni envie ni compétition… (et) l’occupation du monde entier sera exclusivement de connaître D.ieu».
Quelles sont les coutumes du mois d’Elloul ?
A partir du 1er jour de Roch ‘Hodech Elloul (cette année samedi 15 août 2015), on ajoute après la prière du matin et de l’après-midi le Psaume 27, et ce jusqu’à Hochaana Rabba (cette année dimanche 4 octobre 2015) inclus.
Le Baal Chem Tov a instauré la coutume de dire chaque jour du mois d’Elloul – cette année, à partir du dimanche 16 août 2015 – 3 Tehilim (Psaumes) et ce, jusqu’à la veille de Yom Kippour. Puis le jour de Kippour, on en dit 9 avant la prière de Kol Nidré, 9 avant de dormir, 9 après la prière de Moussaf et 9 à la fin de Kippour, de façon à terminer les 150 Psaumes.
A partir du second jour de Roch ‘Hodech Elloul (cette année dimanche 16 août 2015), on sonne chaque jour du Choffar, excepté Chabbat et la veille de Roch Hachana.
Durant tout le mois d’Elloul, «le Roi est dans les champs», c’est-à-dire que D.ieu est encore plus proche de chacun d’entre nous, et nous pouvons tout Lui demander. C’est pourquoi il est plus facile d’opérer un retour sincère à D.ieu en augmentant les dons à la Tsedaka (charité) et la ferveur dans la prière.
On a l’habitude de faire vérifier par un Sofer (scribe) expérimenté les Mezouzot et les Téfilines. On écrit à ses amis et connaissances pour leur souhaiter d’être inscrits et scellés pour une bonne et douce année.
Est-ce bientôt Chabbat ?
En 2013, j’ai trouvé quelque chose sur Internet qui a changé ma vie en profondeur. Je ne me souviens plus comment ou pourquoi mais je me suis mise à chercher sur You Tube quelque chose de juif – moi qui ne suis allée à la synagogue à Yom Kippour qu’une seule fois dans ma vie !
Je ne sais par quel subtil algorithme je suis tombée sur une minuscule photo du visage rond et poupin de Mirel Levitin admirant sa bougie de Chabbat. J’ai cliqué. J’ai regardé la vidéo d’une famille ‘hassidique se préparant soigneusement et affectueusement pour Chabbat. La star était Mirel avec sa grande sœur Rivka. Toutes deux répétaient, simplement mais avec conviction, les dialogues du livret d’Ellen Emerman : «Est-ce bientôt Chabbat ?» (éditions Hachai – Maayanot). Elles faisaient les courses. Elles pétrissaient la ‘Halla. Elles préparaient le repas de Chabbat. Elles mettaient la table. Elles mettaient une pièce dans la boîte de Tsedaka (charité).
Et, finalement, elles allumaient les bougies de Chabbat.
Jusqu’à ce moment, Mirel demandait à chaque étape si c’était déjà Chabbat et sa Maman, patiemment, répondait : «Non, pas encore !». Mais une fois que les bougies étaient allumées, que Mirel et Rivka avaient récité la bénédiction, le visage de Mirel passait de l’anticipation à une joie débordante quand sa mère lui répondait enfin : «Oui Mirel, maintenant c’est Chabbat !».
Alors que la mère et les deux filles Levitin se tenaient toutes les trois devant les bougies et priaient du plus profond de leur cœur, elles se souhaitèrent mutuellement «Chabbat Chalom !» avec un tel bonheur que je pouvais distinguer, de l’autre bout du pays, à travers les ondes d’Internet comment tout brillait et resplendissait, d’une manière si différente, si spéciale, si belle et surtout les visages de Mirel, Rivka et Hendel. La première fois que je regardais ce clip, j’en fus émue aux larmes.
Bien vite je devins obsédée par cette vidéo et je l’ai regardée, depuis, des dizaines, des centaines de fois ces derniers mois. La dernière fois que j’ai jeté un coup d’œil, elle avait été visionnée plus de 285.300 fois. Je pense très sérieusement qu’une bonne partie de ces 285.300 étaient de mon fait.
Un jour, je mâchonnais un sandwich tout en regardant encore une fois ce clip et je réalisai alors que j’en connaissais toutes les réparties… Y compris les mots de la bénédiction sur les bougies ! Je décidai que je pouvais essayer de les répéter avec Mirel, Rivka et Hendel. Et, tant qu’à faire, je me suis dit que ce serait mieux avec de vraies bougies. Je cherchai des bougies parfumées que j’avais une fois achetées dans un magasin de cosmétiques et je réalisai soudain qu’on était vendredi après-midi ! J’allais moi aussi allumer mes bougies de Chabbat ! J’espère que je les ai allumées avant le coucher du soleil pour ce tout premier Chabbat mais cela, seul D.ieu le sait !
Dès que les bougies furent allumées, quelque chose d’extraordinaire arriva, quelque chose qui est arrivé de nombreuses fois depuis, durant les nombreux vendredis après-midi de ma première année d’observance de cette Mitsva quand je me disais : «Ah non ! Pas aujourd’hui ! J’ai besoin de ce jour en plus ! Juste ce jour ! Je vais sauter ce Chabbat, juste celui-ci !». Quand j’allumais les bougies, tournais mes mains comme pour ramasser toute leur lumière des flammes près de mes yeux en prononçant la bénédiction, quelque chose remua dans mon âme. Maintenant que les bougies étaient allumées, maintenant que j’avais pris sur moi cette grande responsabilité de prononcer la bénédiction, de me souvenir du Chabbat et de le sanctifier, j’avais apporté dans le monde quelque chose de nouveau, que je ne souhaitais pas abandonner.
Ce vendredi, alors que j’allumai mes bougies, je décidai d’observer ce vendredi soir selon les lois traditionnelles du Chabbat. Je savais que cela signifiait ne pas allumer l’électricité, ne pas utiliser l’ordinateur, ne pas écrire, ne pas conduire et ne pas toucher l’argent. Je me souviens avoir dormi avec un coussin sur mes yeux pour ne pas être gênée par la lumière qui était restée allumée. J’ai passé mon temps d’une manière fort agréable comme je ne l’avais pas fait depuis au moins quinze ans : me demander que faire de moi. C’était différent mais finalement assez agréable. Suffisamment pour que le lendemain matin, je décidai de continuer. Je me souviens avoir apporté quelques livres dans mon jardin, m’être étendue sur une serviette sur le gazon pour lire et regarder le ciel en pensant : «C’est si étrange ! Si différent de tout ce que j’ai fait jusqu’à présent ! J’ignore si je recommencerai mais peu importe pour aujourd’hui, parce qu’aujourd’hui, c’est Chabbat !».
De fait, depuis, grâce aux Levitin – et surtout Mirel et Rivka – j’ai respecté tous les Chabbatot. Ce qui, au début, était un combat hebdomadaire entre les forces du bien et les autres (et qui se résolvait comme par enchantement à la dernière minute devant la lumière de mes bougies) est devenu un plaisir enchanteur que j’attends chaque jour de la semaine avec le sourire.
Je lis plus que je n’ai jamais lu. Mes meilleures idées pour régler mes grands problèmes me viennent toujours dans le calme de Chabbat. Rien n’a été perdu. Mais j’ai tant gagné ! Je ressens maintenant que ma vie est bien plus remplie et intéressante parce que, chaque semaine, je lui donne du sens. Je redécouvre D.ieu et tous ces plaisirs tranquilles qui montent à la surface seulement parce que nous créons de la place pour eux. Apprécier les amis, se promener, lire, prier et se concentrer, contempler la beauté de l’univers, compter mes bénédictions. Etre intensément reconnaissante pour le fait que je suis ici sur terre pour une vie précieuse.
Merci Mirel et Rivka ! Merci à vous toutes ! Et… Chabbat Chalom !
N’Shei Chabad Newsletter – L’Chaim N° 1381
Traduit par Feiga Lubecki