Samedi, 8 novembre 2014

  • Vayéra
Editorial

 Et l’enfant ?

Il existe des idées qui accompagnent notre vie à chaque instant. Elles sont même si étroitement liées à notre existence que, si on vient à les négliger, elles se rappellent à nous avec toute la force d’un courant trop longtemps retenu. C’est d’éducation qu’il s’agit. Car c’est peut-être toute notre histoire et notre souci que ce mot contient. De fait, au travers des siècles, en dépit de toutes les vicissitudes rencontrées, le peuple juif a eu une préoccupation majeure constante : la transmission. Poursuivi par ses ennemis ou prié d’oublier sa culture et sa spiritualité propres par certains de ses « amis », il s’est soucié sans relâche de donner aux générations nouvelles ce que les plus anciennes avaient déjà reçu.

Il est clair que l’éducation, avec tous les enjeux dont elle est porteuse, a toujours été mise au premier rang de la vie juive. Le Talmud ne donne-t-il pas aux enfants qui étudient la Torah le beau nom de «gardiens de la cité» ? Les sages du sanhédrin ne considéraient-ils pas comme leur devoir de veiller à ce que des écoles fonctionnent dans chaque ville et village d’Israël ? Plus tard, alors que l’illettrisme était la règle parmi les peuples d’Europe, la presque totalité des Juifs ne savait-elle pas lire et écrire ? La véritable aristocratie juive n’a-t-elle pas largement été celle du savoir et de l’érudition ? Autant de manières de dire que l’éducation est décidément le socle de la vision juive du monde et de son devenir.

En notre temps, cet impératif s’impose sans doute avec une force encore accrue. Nous vivons une époque caractérisée par l’oubli. Chacun est invité à se conformer à une sorte de modèle mondialisé et, pour cela, à perdre les références qui ont construit ce qu’il est aujourd’hui. L’uniformisation est en marche avec tous les renoncements qu’elle implique. Mais le vœu ardent de tout parent est que son enfant continue à forger la longue chaîne de l’histoire, que le maillon qu’il représente ne se rompe pas. Eduquer l’enfant devient ainsi d’une urgente nécessité. La famille y pourvoit dans une certaine mesure mais l’école juive donne cette connaissance structurée sans laquelle il n’est pas de conscience stable. Nous voulons tous vivre au-delà de nous-mêmes, nous en connaissons à présent le moyen. «Eduque l’enfant selon son chemin...» disent nos textes, autant ne pas se tromper de route...

Etincelles de Machiah

 La lumière et le réceptacle

Décrivant le temps de Machia’h, le prophète Isaïe (11 : 9) enseigne : «Et la terre sera pleine de la connaissance de D.ieu comme l’eau couvre la mer.»

Les ‘hassidim ont expliqué ainsi ce verset : les eaux de la mer recouvrent tout ce qui s’y trouve de façon parfaitement égale mais, à l’endroit où existe un trou, il y a plus d’eau.

De même pour les dévoilements qui se produiront dans les temps messianiques : tout se révèlera en tout de façon égale mais il y aura des degrés à l’infini dans la façon dont on recevra ces révélations. Et ces degrés dépendent de l’effort spirituel d’aujourd’hui, pendant le temps de l’exil.

(D’après les Maamarim Haketsarim de l’Admour Hazakène p. 141) 

Vivre avec la Paracha

 Vayéra

Un jour alors qu’il était en chli’hout à Bangkok, le rabbin ‘Hezki Lifshitz se trouvait dans un taxi, pris dans un énorme embouteillage. Calculant qu’il lui faudrait moins de temps pour se rendre à pied vers sa destination, il paya la course et sortit du taxi. Alors qu’il marchait sur le trottoir, un étranger, bien habillé, l’accosta.

- Je vous demande pardon de vous arrêter ainsi dans la rue, commença l’homme, mais j’ai le sentiment que vous allez pouvoir me conseiller. Ma femme et moi venons d’Amérique et nous sommes ici pour affaires. Nous attendons incessamment la naissance d’un petit garçon. Pourriez-vous m’indiquer où je pourrais trouver ici un mohèl pour accomplir la circoncision ?

- Je suis mohèl, répliqua le rabbin Lifshitz avec un sourire, et je serai très heureux d’être de service pour vous ! 

L’homme raconta plus tard au rabbin que la veille de leur rencontre, sa femme lui avait demandé s’il avait fait quelque chose pour trouver un mohèl. Inquiète, elle s’était exclamée :

- Qu’attends-tu ? Penses-tu tomber par hasard sur un mohèl, dans les rues de Bangkok ?

Et c’est, bien sûr, ce qui était arrivé.

*  *  *

Les commentaires de la Paracha de cette semaine évoquent le fait qu’il y eut une discussion entre les deux fils d’Avraham : Ichmaël, l’ancêtre des Arabes, et Its’hak dont descendent les Juifs.

Ichmaël se vanta auprès d’Its’hak qu’il avait accompli la circoncision à l’âge de treize ans alors que lui, Its’hak, l’avait faite à huit jours.

Ichmaël soulignait ainsi ses qualités supérieures. En effet, il avait été consentant pour pratiquer la circoncision à un âge plus avancé et il avait été conscient de ce qu’il faisait. Malgré la douleur encourue, il avait pris la décision consciente d’accomplir la volonté de D.ieu. Its’hak, arguait Ichmaël, n’avait jamais fait un tel choix. Il avait été circoncis alors qu’il était un nourrisson, ne réalisant pas ce qu’il lui arrivait.

Apparemment, l’argumentation d’Ichmaël se tient. Cependant, la Torah nous enjoint de circoncire nos enfants à l’âge le plus tendre. Pourquoi ?

La circoncision représente une alliance avec D.ieu, un signe physique de notre attachement à Lui. Pourquoi l’enfant est-il forcé d’être un partenaire passif de cet acte ? Pourquoi ne pas attendre qu’il soit plus âgé et que cet acte devienne une affirmation, en toute conscience, de l’accomplissement de la Volonté divine ?

Ce point reflète toutefois une distinction fondamentale entre la manière dont un Juif établit sa relation avec D.ieu et celle de l’humanité en général. Demandez à un passant s’il veut faire quelque chose pour D.ieu. Il acceptera pourvu, bien sûr, qu’il comprenne que D.ieu existe et qu’il sache ce que D.ieu attend de lui. Rien de mal à cela, c’est normal et naturel.

Mais la relation qui unit un Juif à D.ieu se situe au-delà du normal et du naturel. Cette différence se reflète dans la description que donnent nos Sages du Don de la Torah. Ils relatent qu’avant que D.ieu ne donne la Torah aux Juifs, Il la proposa à un certain nombre d’autres nations. Mais avant de l’accepter, chacune d’entre elles demanda : «Qu’y est-il écrit ?». Et quand la réponse leur indiqua que l’un de ses commandements ou un autre allaient à l’encontre de leur mode de vie, elles en déclinèrent gracieusement l’offre.

Quand D.ieu offrit la Torah au Peuple Juif, ils répondirent : naassé venichma, «nous ferons et nous écouterons (comprendrons)», donnant ainsi à D.ieu la promesse d’en accomplir les commandements avant même qu’ils ne sachent en quoi ils consistaient. L’accent n’est pas tant placé sur le fait qu’ils avaient confiance que, quoi que D.ieu leur dirait, ce serait en leur faveur, mais plutôt sur le fait qu’ils s’engagèrent aveuglément, promettant d’accomplir Sa volonté parce qu’Il est D.ieu, quelles que soient Ses exigences.

Il en va de même en ce qui concerne l’établissement d’une alliance avec D.ieu par le biais de la circoncision. L’approche de l’homme ordinaire est d’attendre jusqu’à ce qu’il comprenne. Et quand cet acte revêt tout son sens, il s’engage. Mais un Juif prend son engagement en faisant abstraction de toute connaissance, indépendamment de toute compréhension intellectuelle.

L’exemple ultime nous en est donné par l’enfant circoncis à huit jours. Il est conduit par ses parents dans cette alliance avec D.ieu, sans même réaliser ce qui lui arrive. Néanmoins, c’est cette alliance qui nourrit sa relation avec D.ieu, tout au long de sa vie.

Perspectives

Le nombre «huit» est significatif dans la numérologie de la Torah. «Sept» reflète l’ordre naturel et «huit» l’infinitude de D.ieu qui transcende la nature. Il est, toutefois, mis l’accent sur le fait que «huit» est «sept plus un», c’est-à-dire que l’unité transcendante de D.ieu imprègne les sept qualités de l’ordre naturel. Car le concept juif de la transcendance n’est pas celui de quelque chose d’un autre monde qui oublierait notre existence matérielle. Il s’agit plutôt de fusionner «un» avec «sept», de voir la transcendance de D.ieu se refléter dans chaque dimension de notre existence matérielle.

Ce concept concerne la venue de Machia’h car le mot hébreu pour «Rédemption», guéoula, comporte les mêmes lettres, en hébreu, que le mot «exil», golah, à l’exception d’une seule lettre : le aleph (dont la valeur numérique est «un»), représentant l’infini de D.ieu dans le monde, pour la Rédemption. Car l’idée de la Rédemption ne consiste pas à annuler le monde comme il aurait existé auparavant mais à y faire pénétrer l’infini de D.ieu.

Cela est également signifié par le fait que la harpe qui sera utilisée dans le Temple, à l’ère messianique, possèdera huit cordes.

Aux périodes antérieures, la harpe du Temple ne comptait que sept cordes car le monde n’avait pas encore dépassé les limites de la nature. A l’ère de Machia’h, cependant, ces restrictions seront surmontées et se révélera alors la transcendance de D.ieu.

Le Coin de la Halacha

 Comment aider les malades ?

On apprend la Mitsva de Bikour Holim (visite aux malades) de la Torah : en effet, D.ieu Lui-même a rendu visite à Avraham quand celui-ci se remettait de la Brit Mila (circoncision) et il nous est recommandé : «Tu marcheras dans Ses voies».

Bien entendu, quand on rend visite à un malade, ceci lui cause de la joie et permet d’alléger ses souffrances, surtout morales. Mais ceci permet aussi de prendre en compte les besoins du malade, matériels et spirituels, et de prier pour éveiller la miséricorde de D.ieu sur lui. Quand on prie pour le malade, on l’inclut «parmi tous les malades du peuple d’Israël».

On accomplit la Mitsva de Bikour Holim même pour celui qui n’est pas en danger : il suffit qu’il soit obligé de rester au lit pour qu’il soit considéré comme malade.

Si possible on se rendra au chevet du malade, au moins pour la première visite ; si par la suite, ceci est impossible, on peut néanmoins participer à la Mitsva de Bikour Holim en prenant des nouvelles du malade par téléphone et en envoyant un messager lui rendre visite.

Les parents et les proches rendent visite au malade tout de suite ; les autres attendent le troisième jour avant d’aller le voir. Cependant, si la maladie s’est abattue soudainement, tous peuvent aller lui rendre visite de suite. On peut rendre visite plusieurs fois par jour, à condition que cela ne fatigue pas le malade. On évite de rendre visite à celui qui souffre des intestins pour ne pas le mettre mal à l’aise ni à celui qui souffre des yeux ou de la tête, ni à celui qui souffre tellement qu’il a du mal à parler mais on se renseigne sur ses besoins.

On parle avec tact au malade de sujets de vie et non de son contraire. Cependant, on lui conseille de mettre de l’ordre dans ses affaires, en particulier de régler ses dettes.

F.L. (d’après Rav Yossef Ginsburgh et le Kitsour Choul’hane Arou’h)

Le Recit de la Semaine

 Une âme juive en prison

Il y avait déjà quelques années que je m’occupais de la prison de Beer Cheva, avant que n’y soit installée une aumônerie juive. Je circulais d’une aile à l’autre du bâtiment et j’enseignais la Torah à des prisonniers qui se regroupaient dans la petite synagogue ou carrément dans les cellules.

Dans chaque bâtiment, se trouvent des cellules appelées X dans lesquelles étaient gardés des détenus qui nécessitaient une protection particulière : soit qu’ils devaient être protégés des autres soit qu’il fallait se protéger d’eux.

Dans l’un des bâtiments, j’avais remarqué une certaine cellule X dans laquelle on ne me laissait pas entrer. J’en demandai la raison au gardien qui me répondit que ce n’était que par permission spéciale de la direction qu’on pouvait rendre visite à ce détenu. A la fin de la journée, je me rendis dans le bureau du directeur et lui expliquai que je désirais m’entretenir avec ce prisonnier X. Il me répondit que, pour cela, il fallait une permission des services de sécurité et ajouta qu’il souhaitait pouvoir obtenir cette permission lors de ma prochaine visite.

Effectivement, deux semaines plus tard, quand je me présentai à nouveau dans ce bâtiment, on m’accorda la permission d’entrer dans cette cellule mais à plusieurs conditions : je ne devais jamais tourner le dos à cet homme et je devais veiller à garder le dos contre le mur qui, de fait, était un grillage. De plus, si je me sentais en danger, je devais m’appuyer de toutes mes forces contre ce grillage.

J’entrai. Face à moi se tenait un homme très grand, au visage empâté et grossier ; il ne portait qu’un short et tout son corps était tatoué. Je lui ai tendu la main en annonçant que je m’appelais Moché. Il ne comprenait pas ce que je voulais de lui. Quand il me serra la main, j’eus l’impression qu’elle se trouvait prise entre deux tenailles. Je me suis assis sur une grosse boîte de conserves et lui s’assit sur son lit. Nous avons commencé à parler.

Il s’avéra que cet homme n’avait jamais eu de chance ; il avait quitté l’école à huit ans, avait vécu dans la rue et, très rapidement, s’était habitué à une vie de brigandage. Son père était drogué ; quant à sa mère, il valait mieux ne pas en parler ! C’était ainsi qu’il avait vécu entre des centres de réhabilitation et la prison : maintenant, il purgeait une très lourde peine pour attaque à main armée et meurtre.

Je sortis de ma poche deux livres de prières qui contenaient le Pirké Avot, les Maximes de nos Pères. Mais il ne savait pas lire… Je commençai à lui apprendre le premier verset qu’un père enseigne à son enfant : «Torah Tsiva Lanou Moché…», «La Torah que Moché nous a enseignée est un héritage pour tous les Juifs», vraiment comme à un enfant qui commence le Gan, l’école maternelle. Il s’intéressa, posa des questions et le temps passa. Je sentis que, dans mon dos, derrière le grillage, se déroulait une conversation, quelque chose d’inhabituel mais je n’y prêtais pas attention. Au bout d’un certain temps, le détenu me demanda : «Comment puis-je me rapprocher de D.ieu ?». Je lui demandai s’il avait célébré sa Bar Mitsva et il me répondit que non. Je continuai et lui demandai s’il savait ce qu’étaient des Téfilines. Oui, il en avait entendu parler, c’était des lanières qu’on enroulait autour du bras et sur la tête, n’est-ce pas ? Mais il ne les avait jamais mis. Je lui expliquai que, grâce à cette Mitsva, il pouvait s’attacher à D.ieu : j’étais heureux d’avoir devant moi un Juif qui, en mettant les Téfilines au moins une fois, sortirait du cadre de Karkafta, «celui qui n’a jamais mis les Téfilines» qui est promis à un sort peu enviable. Quand je voulus enrouler les Téfilines autour de sa main, j’aperçus dans sa paume un tatouage vraiment indécent. J’hésitai mais ne dis mot ; puis je me dis que si c’était une Mitsva, que cela soit compté à son mérite et que si c’était une faute, qu’elle soit portée sur mon compte ! J’attachai donc les Téfilines sur le tatouage.

Après avoir couronné sa tête avec les Téfilines puis enroulé la lanière autour de son doigt, je lui fis répéter mot-à-mot la bénédiction et le verset Chema Israël dont je lui expliquai le sens qui était valable aussi dans cette cellule X. Il en fut ému aux larmes.

En me levant, je lui promis que, d’ici deux semaines, je reviendrai.

Quand je sortis du bâtiment, le directeur de la prison vint à ma rencontre et me demanda comment j’avais réussi à rester aussi longtemps avec ce brigand et à l’intéresser. Des assistantes sociales et des éducateurs diplômés n’étaient pas parvenus à lui parler plus de cinq minutes. Je répondis : «Je ne lui ai pas parlé, j’ai parlé avec sa Nechama, son âme juive qui se trouve en exil et qui demande de l’aide, qui demande à être sauvée !».

Deux semaines plus tard, je me trouvai à nouveau devant la cellule X. Le détenu m’accueillit avec un grand sourire et s’empressa de m’annoncer : «Monsieur le rabbin ! J’ai compris que vous n’étiez pas à l’aise avec le tatouage sur ma main. Alors je l’ai frotté avec du sel et j’ai réussi à l’enlever !». Il me montra sa main et j’eus un sursaut : de fait, sa main avait été comme brûlée ! La peau et même la chair avaient été «épluchées» : le tatouage avait effectivement disparu – mais avec une partie de lui-même !

Je pensai : quand on se brûle avec le fer à repasser, c’est une seule fois et la douleur est immense. Là, il avait dû frotter encore et encore du sel sur sa main et je n’osai pas imaginer la douleur qu’il avait certainement ressentie des dizaines de fois durant ces deux semaines pour arriver à un tel résultat ! Et tout cela pour mettre les Téfilines comme il convient !

«Qui est comme Ton peuple Israël, un peuple (saint) unique sur terre !».

Rav Moshe Dickstein – WhatsApp

Traduit par Feiga Lubecki

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