Semaine 44

  • Vayéra
Editorial
Equilibre ?

Avoir le sens de l’équilibre est une chose bien précieuse, presque une donnée essentielle. Les civilisations – grandes et belles – se sont souvent effondrées au cours de l’histoire également parce qu’elles avaient perdu la conscience de cette nécessité. Equilibre sociétal, équilibre des rapports sociaux, équilibre individuel : d’une certaine façon, il s’agit d’un concept unique ou mieux d’une recherche identique. En un temps où les normes anciennes sont remises en cause, où le monde paraît tâtonner en quête d’un sens qu’il peine à définir, la notion d’équilibre revêt peut-être un véritable caractère d’urgence. Reste sans doute à mieux la circonscrire.
Un ‘hassid Loubavitch connu, le Rav Mendel Futerfas, alors prisonnier du goulag soviétique, rapporta une anecdote significative. Dans le camp où il avait été envoyé, lors d’une conversation entre les détenus, l’un d’entre eux raconta que, avant sa condamnation, il avait exercé la profession de funambule. Pressé par ses camarades d’expliquer le mot, il leur déclara qu’il marchait sur un fil tendu en hauteur. Un vif débat s’engagea alors : certains affirmaient que c’était une chose impossible tandis que d’autres avaient tendance à le croire. Finalement l’homme voulut prouver sa sincérité. Il trouva la corde nécessaire, la tendit entre deux points élevés du camp et commença ainsi à marcher, montrant à tous qu’il avait dit vrai. Tout cela causa un grand émoi parmi les spectateurs, tous gens simples qui n’avaient jamais vu telle chose. Rav Mendel Futerfas voulut aller jusqu’au fond du sujet. Il interrogea le funambule : «Comment fais-tu pour ne pas tomber ?» Et celui-ci lui expliqua : «Il y a un secret. Je ne regarde pas de côté, en haut ou en bas, uniquement le but à atteindre, et ainsi j’avance sans peur.» De cette histoire, qui peut, par certains côtés, prêter à sourire, se dégage un enseignement puissant. L’équilibre, si nécessaire à l’harmonie individuelle comme à l’harmonie générale, est d’abord lié à la conscience de l’objectif ultime. C’est ainsi que des hommes, ou des sociétés, faute de but ou de vision, s’affaiblissent et souvent chancellent. C’est aussi, à l’inverse, un ressort de pérennité qui apparaît.
Quant à notre équilibre, il est d’abord entre nos mains. Il nous appartient de le faire joyeusement exister à chaque instant. Nous connaissons le but, nous avons le fil conducteur. Il ne reste qu’à suivre le chemin. Cela s’appelle vivre le judaïsme.
Etincelles de Machiah
La joie comme clé

On raconte, à propos d’un des Maîtres de la ‘Hassidout polonaise, que, lorsqu’il était encore un jeune enfant, il demanda une pomme à son père. Celui refusa de lui donner le fruit. L’enfant était intelligent ; il prononça la bénédiction requise sur la pomme et obligea ainsi son père à la lui donner pour lui éviter de l’avoir dite en vain.

Nous vivons une situation semblable. Lorsque les Juifs se réjouissent, dès à présent, de la venue de la Délivrance avec une confiance absolue dans le fait que D.ieu enverra très bientôt le Machia’h, cette joie même «conduit» D.ieu à répondre favorablement à leur attente. Il ne s’agit pas là de forcer la décision divine mais d’accomplir Sa volonté avec la plus grande joie.
(d’après Likoutei Si’hot, vol. XX, p.384)
Vivre avec la Paracha
Vayéra : Ce que vit Avraham alors qu’il parlait à D.ieu

Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi (connu sous le nom de «Admour Hazakène», 1745-1812) était profondément plongé dans son étude. Son intense concentration était légendaire. Mais quelque chose survint qui interrompit son étude. Cela ressemblait à des cris de nourrisson. Il ferma le livre saint qu’il était en train d’étudier et se précipita pour calmer le nouveau-né, son petit- fils. Et pendant ce temps, le père du bébé, le fils de l’Admour Hazakène, lui-même un futur Rabbi, était tout à sa propre étude, n’ayant apparemment pas conscience des cris du bébé.
Plus tard dans la journée, le Rabbi eut une discussion avec son fils :
«Quelque profondément que l’on soit plongé dans une entreprise, lui dit le Rabbi, quelque spirituel que cela puisse être, il ne faut jamais manquer d'entendre les cris d’un bébé dans le besoin et de lui répondre.»
A plusieurs occasions, le Rabbi a ajouté que ce principe s’applique à l’appel d’un «enfant en connaissance», tout autant qu’à «un enfant en âge». S’occuper de grandes et nobles choses ne doit pas faire oublier les besoins de ceux qui ont moins de chance.

Les invités d’honneur
Cette histoire profonde et instructive fait écho à un épisode relaté au début du dix-huitième chapitre de Beréchit :
D.ieu apparut à Avraham dans les Plaines de Mamré alors qu’il était assis à l’entrée de sa tente, dans la chaleur du jour.
Avraham s’était circoncis à l’âge avancé de quatre vingt dix-neuf ans. D.ieu rendit donc visite à Son fidèle serviteur.
Comme l’indique le verset, il était assis. Il lui était encore difficile de se tenir debout. Alors, [Avraham] leva ses yeux et : et voici que trois hommes se tenaient devant lui. Il vit et il courut au-devant d’eux depuis l’entrée de la tente et il se prosterna au sol.
Et il dit : «Mon Seigneur, si cela vous convient et que j’ai trouvé grâce à vos yeux, je vous en prie, ne partez pas de devant votre serviteur. Permettez que l’on vous apporte un peu d’eau et qu’on vous lave les pieds et que vous vous reposiez sous l’arbre. J’irai vous chercher du pain afin que vous nourrissiez votre cœur [et que seulement] après vous passiez votre chemin. »
Ils dirent : «Ainsi nous ferons, tout comme tu l’as dit.» Et il agit comme il l’avait dit.
C’est de ce récit que le Talmud conclut que «plus importante que de recevoir la Présence Divine est la mitsva de recevoir des invités.» La preuve de cette forte conclusion vient de l’interprétation que fait le Talmud du verset : «Mon Seigneur [avec un «S» majuscule, se référant à D.ieu] si cela vous convient et que j’ai trouvé grâce à Vos yeux, je vous en prie, ne partez pas de devant Votre serviteur [pendant que je prends soin de mes invités].» En d’autres termes, Avraham laissa D.ieu «attendre» pour pouvoir donner un repas à ceux qu’ils pensaient être des païens ! Avraham était pour sa crainte de D.ieu. Il est sûr qu’il créait ici un précédent tout à fait en accord avec la volonté de D.ieu. C’est ainsi que s’explique la remarque du Talmud.
Maïmonide, dans son Michné Torah, développant l’importance de l’hospitalité, répète presque mot-à-mot les paroles du Talmud, avec une différence notable. Pour prouver que l’hospitalité est plus importante que le fait de recevoir la Divinité, il cite un verset différent, un verset incomplet : «Il vit et voici : trois hommes…». Que trouve le Rambam dans cette phrase inachevée qui lui fasse tirer des conclusions ? Comment ces mots prouvent-ils, par eux-mêmes, que l’hospitalité est plus grande que le fait de recevoir la Présence Divine ? En outre, pourquoi n’utilise-t-il pas les mots cités par le Talmud en guise de preuve ?

En présence de D.ieu
Il nous est enseigné que, durant la prière de la Amida (la prière la plus importante du rituel que l’on prononce à voix basse et les pieds joints), il nous faut imaginer que l’on est devant D.ieu, d’où le respect manifesté à ce moment. Combien plus ce respect doit-il exister quand la Présence Divine est évidente ! Et pourtant, ce principe sembla échapper à Avraham alors qu’il se tenait dans la Présence manifeste de D.ieu ! Il réussit à voir les voyageurs passer alors que D.ieu lui parlait.
C’était précisément cette aptitude d’Avraham à ne jamais perdre la conscience d’autrui, même alors qu’il atteignait les hauteurs les plus grandes connues, ou inconnues, de l’humanité, qui en fit un homme unique.
Et c’est ce mode de comportement que nous devons apprendre et imiter. Même lorsque nous sommes proches de perdre la notion même de notre être, nous ne devons jamais perdre la notion de l’autre.
C’est là l’apport de Maïmonide à la déclaration du Talmud. La preuve qu’il avance, pour expliquer que recevoir des gens passe avant recevoir D.ieu, ne vient pas des actes généreux qu’il entreprit, réalisant que des gens attendaient d’être nourris. Elle émane de sa prise de conscience alors qu’il se tenait devant la présence impressionnante du Roi de tous les rois
Les yeux d’Avraham, toujours sensibles à ceux qui étaient dans le besoin, réussirent à percevoir au-delà de la lumière aveuglante de la Gloire de D.ieu et à se projeter sur des hommes affamés : «Il vit et voici trois hommes». Avraham nous enseigne que non seulement recevoir des invités est plus important que recevoir la Présence Divine, mais aussi comment les recevoir alors que l’on est en train de recevoir D.ieu : tout d’abord, en ne les perdant jamais de vue.

Une leçon
Il en va ainsi de la vie qu’inévitablement, nous avons de petits et grands soucis, parfois au point que nous oublions d’entendre l’appel de nos propres enfants, et a fortiori ceux d’autrui.
Que nous nous livrions à des occupations personnelles ou générales, spirituelles ou matérielles, ces enfants qui souffrent, qu’ils soient enfants par l’âge, par les connaissances ou par les circonstances, comptent sur nous pour que nous pensions à eux.
Il nous revient d’aiguiser nos sens pour pouvoir détecter leurs cris parfois distants, voire étouffés, d’un enfant nous appelant à l’aide.
Le Coin de la Halacha
Où place-t-on une boîte de Tsedaka (charité) ?

C’est une obligation pour chaque Juif de donner la Tsedaka : même celui qui est pauvre doit donner la Tsedaka.
D.ieu a choisi Avraham - réputé pour son hospitalité - car «il enseignera à ses enfants à donner la Tsedaka» (Béréchit – Genèse 18 : 19).
Il est donc recommandé d’avoir plusieurs boîtes dans lesquelles on pourra glisser une ou plusieurs pièces de Tsedaka dans la journée.
On placera une boîte de Tsedaka dans chaque maison juive : il est recommandé de fixer avec un clou une boîte de Tsedaka sur le mur de la cuisine. Ainsi la femme qui prépare le repas pense aux pauvres qui n’ont pas de quoi manger et agit en leur faveur. On placera une boîte de Tsedaka dans la chambre des enfants (ainsi que des livres de Torah), dans la voiture, dans les magasins, dans les endroits communautaires, au travail, dans la chambre d’hôpital, sur la table du festin de mariage…
Il est recommandé de donner la Tsedaka chaque matin (sauf Chabbat et Yom Tov), avant l’allumage des bougies de Chabbat et Yom Tov, avant un examen ou un moment difficile, avant un voyage, avant une rencontre importante, avant la prière…
Le contenu des boîtes de Tsedaka sera donné :
- à des pauvres
- à des institutions charitables
- à des institutions favorisant l’étude de la Torah
- pour favoriser la libération de prisonniers innocents.
La Tsedaka constitue une excellente protection ; de plus, c’est grâce à la Tsedaka que le peuple juif méritera de rapprocher la venue de Machia’h.

F. L. (d’après Rav Shmuel Bistritzky – Hamitsvaïm Kehala’ha)
De Recit de la Semaine
D’une tribu… à la mienne !

En juillet 2008, je décidai de préparer mes bagages et de me diriger vers le sud : de Lusaka (Zambie) où je travaillais pour le Centre de Recherche sur les maladies infectieuses vers le Mozambique. Je savais à quoi m’attendre : de longs trajets en bus, des véhicules cahotant sur des routes défoncées et des plages tropicales désertes. Je savourais l’idée de rencontrer différentes tribus et d’entendre différents langages. Mais je ne m’attendais certainement pas à retrouver ma propre tribu en Afrique !
A Lusaka, mon rôle sur un projet de prévention du sida touchait à sa fin ; j’avais décidé de profiter des derniers jours pour emprunter une route inconnue à travers le bush : si tout allait bien, il me faudrait quelques jours pour arriver à Beira sur l’océan indien. Si tout n’allait pas bien, je me retrouverais perdu au milieu de nulle part en Afrique…
Le voyage commença superbement. Le bus n’eut que trois heures de retard au départ de Lusaka et arriva à Katete sans problème, mis à part un prêcheur enthousiaste qui s’était emparé du micro et déversait un discours fleuve insipide mais d’une voix aigüe et chantante. A la frontière du Mozambique, j’eus la chance de trouver un véhicule qui n’avait besoin que de menues réparations et qui roula tant bien que mal cette soirée-là et même une partie de la nuit. Nous avons traversé des étendues désertiques somptueuses et des villages dans lesquels je pus me procurer à manger. C’est ainsi que nous avons pu assister à une cérémonie dans la tribu des Chewa avec la danse de Ne’u. Les hommes couraient tout autour du village : ils étaient couverts de paille, leurs visages étaient bariolés à la craie et effrayaient les enfants tandis que les femmes riaient de bon cœur. Tard cette nuit-là, on pouvait entendre résonner les danses des Ne’u sous le ciel constellé d’étoiles scintillantes.
Les Chewa n’étaient qu’une des multiples tribus que je rencontrai durant ce voyage. A Lusaka – là où j’avais entamé mon périple – on trouvait de nombreuses tribus, cultures, traditions et langues. La tribu la plus représentée était celle des Bemba puis celle des Chewa et des Tonga. La langue des Chewa était proche de celle qu’on parlait dans la capitale et j’avais donc pu communiquer avec les gens. Mais quand nous avons atteint Tete au Mozambique, nous avions quitté le territoire des Chewa et je n’avais plus aucune notion de l’identité des tribus que nous rencontrions.
A la fin de mon voyage, je me retrouvai dans un bus de Maputo à Johannesburg en Afrique du sud. A ce stade de mon épopée, j’étais épuisé et surtout j’étais inquiet : comment allais-je passer dix heures tout seul à Johannesburg ? Je ne m’y étais jamais rendu auparavant et on m’avait prévenu que c’était une ville dangereuse. J’avais raté le premier bus à Vilanculus et j’avais sauté dans plusieurs bus au hasard : cela faisait pratiquement vingt-quatre heures que je ne m’étais pas reposé.
C’est là que j’aperçus deux jeunes gens que je ne pouvais pas ne pas remarquer : manteaux noirs, Kippas vissées sur la tête, barbes fournies… je m’approchai de celui qui portait une Kippa avec le nom Tucson Arizona car moi aussi, je suis originaire de l’Arizona. Je pensai parler de notre région d’origine commune mais ce qui les intéressait c’était de savoir que j’étais juif comme eux. Ils me demandèrent ce que j’allais faire à Johannesburg, si je désirais rester chez eux pour Chabbat, si je voulais visiter la ville…
Moi aussi, je m’intéressai à eux : que faisaient-ils au Mozambique ? Il s’avéra que Shraga Putter et Pinni Goodman étaient venus au Mozambique pour construire une communauté juive. Ils n’avaient qu’une adresse un peu vague d’un contact : un homme d’affaires israélien qui leur avait proposé une chambre d’hôtel durant le temps de leur recherche. Dès qu’ils étaient arrivés à Maputo, ils avaient rencontré l’homme d’affaires qui leur avait donné quelques adresses de Juifs qu’il connaissait. Leur voyage avait bien commencé et ils rencontrèrent un certain succès en rassemblant plusieurs Juifs qui ne se connaissaient pas mais qui étaient ravis de pouvoir former une communauté.
Cependant, alors qu’ils étaient en rendez-vous chez un avocat juif à Maputo, on leur avait tout volé : le porte-monnaie de Shraga, les clés de la voiture de location, la voiture elle-même, tout sauf le porte-monnaie de Pinni qu’il avait oublié à l’hôtel ce jour-là. Avec le peu d’argent qui leur restait, ils retournaient à Johannesburg.
Et ils étaient heureux, heureux d’avoir mené à bien leur mission, malgré cet incident : ils avaient rencontré plusieurs Juifs et avaient semé les graines d’une possible communauté ; ils avaient apporté la joie du judaïsme à des gens isolés et, bien qu’ils aient été dévalisés, ils n’hésitèrent pas à inviter un parfait étranger hirsute – moi – chez eux.
A Johannesburg, dans la maison des parents de Pinni, je pus prendre ma première douche depuis des jours et je pus manger correctement, royalement même. Mes nouveaux amis m’emmenèrent prier et mettre les Téfiline dans leur synagogue. Finalement, ils m’amenèrent dans un centre commercial où je pus faire des courses avant de reprendre l’avion pour Lusaka.
Après avoir parcouru des centaines de kilomètres, exploré des régions inconnues, observé différentes tribus, parlé différentes langues, j’avais eu la chance de rencontrer deux jeunes Loubavitch courageux qui m’avaient ramené à ma vraie maison, qui avaient redonné un sens à mon judaïsme. Après avoir étudié le Zoulou, le Xhosa, le Portugais, le Chewa, le Nyanja, le Shona et le Bemba, je revenais vers l’hébreu qui résonnait enfin dans ma tête !

Harry Flaster - L’Chaim n°1242
Traduit par Feiga Lubecki
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