Franchissons le seuil !
Au début d’un nouveau mois, on a toujours l’impression qu’il y a comme une porte à pousser. Et sans doute n’y a-t-il pas d’impression plus légitime. C’est que le déroulement des mois n’est pas simplement une façon de mesurer l’avancée du temps ; c’est d’abord de progrès spirituel qu’il s’agit. L’entrée dans une nouvelle période est, de ce fait, un événement qui, par nature, change les perspectives. Tout se passe comme si l’on allait de la chambre au trésor d’un palais merveilleux à celle d’un palais nouveau dont la splendeur, fondamentalement différente de celle du précédent, en est pas d’autant plus profondément bouleversante. Ainsi va-t-on du mois de Adar à celui de Nissan, d’allégresse infinie en délivrance émergeante. En effet, l’ouverture du mois, à présent, révèle un horizon nouveau. Certes, Nissan est le temps de Pessa’h et la perspective de la liberté naissante – sortie d’Egypte oblige – emplit déjà notre conscience. Cela seul suffirait à expliquer la grandeur particulière de la période. Cependant, si on se limitait à de telles considérations, le risque existerait que cette liberté-là ne soit bien vite plus que la trace d’un souvenir historique précieux. Or, la liberté ne peut se limiter à la mémoire. Pour être réelle, elle doit rester vivante. Pour trouver expression en notre temps, elle doit d’abord apparaître en chacun. Quel défi ! Il faut vivre libre dans un monde matériel aux contraintes étroites. Il faut y vivre en portant sa liberté en bandoulière sans souci du regard de ceux que la différence dérange, sans se préoccuper de la volonté d’uniformisation générale qui semble marquer notre société. Le mois de Nissan apporte une réponse essentielle : c’est en chacun que la liberté commence et c’est par l’action de tous qu’elle s’épanouit. Nous sommes ainsi au seuil d’une ère que nous pouvons faire nouvelle. La libération n’est pas qu’une espérance, elle est le résultat concret de nos efforts. Nous sommes capables de la construire pour nous et, de cette façon, d’établir celle du monde. Car qu’est-ce que la liberté de tous sinon la somme des libertés de chacun ? Dès lors, l’enjeu est d’importance. Le rêve éternel de liberté est à notre portée, dans sa forme la plus pure. Par lui, les obstacles disparaissent. Ce n’est pas d’un hypothétique avenir radieux qu’il s’agit mais bien d’un présent resplendissant. Ouvrons donc la porte et sachons faire apparaître ce bien le plus précieux, sachons aller de libération en libération jusqu’à celle, ultime, de Machia’h.
Haim Nisenbaum
Sans exception
Lorsque Machia’h viendra, aucun Juif ne restera en exil comme le souligne Rachi (Parchat Nitsavim 30:2) : «Il (D.ieu) prend par la main chacun…». En effet, le sens profond de la Délivrance est l’expression du lien essentiel entre les Juifs et D.ieu. Or, si un seul Juif restait en exil, ce lien ne s’exprimant pas totalement, la Délivrance ne serait pas authentique. La Délivrance est qualifiée de «véritable et complète» car elle sera celle de tous. (d’après Séfer HaSi’hot 5742, vol. II, p.514) H.N.
Vayakhel Pekoudé : La créativité sans limites
Au dix-huitième siècle, en Europe, la société vit de très rapides mutations. C’était le temps des Lumières et de nouvelles idéologies furent mises à la mode. Cette nouvelle approche considérait la raison humaine comme valeur suprême pour accéder à la vérité. La religion était rejetée par la force de la science. Les Lumières initièrent une ère d’expression culturelle en Europe et un grand nombre de talents émergèrent. Les arts visuels, l’architecture et la sculpture, la musique et la littérature se développèrent. Les courants éducatifs mirent l’emphase sur l’expérience culturelle et le développement de l’expression personnelle. De concert avec cette révolution culturelle se développa la conception erronée que la foi et la raison s’excluaient mutuellement et que l’expression individuelle ne pouvait aller de pair avec l’obéissance. En réalité, selon la tradition juive, la foi et la raison sont tout à fait compatibles. Ouvrez une page de Talmud et vous y découvrez l’acuité des raisonnements dont font preuve les érudits talmudistes. La pensée et l’éducation critiques appartiennent à la tradition juive. Il n’est pas gratuit que nous soyons appelés «le peuple du Livre». L’obéissance et la foi ne s’excluent pas mutuellement. Si, à l’époque des Lumières, l’on considérait que l’engagement religieux paralysait toute expression créatrice, dans la tradition juive, c’est bien de tout le contraire dont il s’agit : l’expression créatrice est encouragée. En fait, elle est même considérée comme l’un des outils les plus précieux dans le service Divin. L’expression personnelle est euphorique. Réussir à exprimer ses propres talents envoie un doux message à notre esprit qui ressent le plaisir naturel de la réalisation. Mais dans la pensée juive, c’est bien plus que cela. Chaque âme est investie d’une mission unique, elle est l’agent de D.ieu. Et comme pour tout agent, elle reçoit les outils dont elle a besoin, précisément conçus pour sa tâche. Si l’on prend conscience de notre âme comme agent de la mission que D.ieu lui a impartie, l’expérience de l’expression créative personnelle prend alors une toute autre dimension. Les femmes qui voyageaient avec Moché dans le désert en avaient une conscience claire. Quand Moché énuméra les contributions nécessaires, de la part des Juifs, pour le Tabernacle, il y mentionna celles qui revenaient aux femmes qui tissèrent d’exquis matériaux pour les rideaux du Tabernacle. Comme nous allons le voir, elles considéraient leur expression artistique comme une partie de leur service de D.ieu et D.ieu accorda une grande valeur à leurs dons dont la mention figure tout particulièrement dans la Torah. «Toutes les femmes, inspirées par leur cœur avec sagesse, filèrent les chèvres» (Chemot 36 : 26) Pourquoi la Torah utilise-t-elle l’expression : «filèrent les chèvres» et non «filèrent le poil des chèvres», leur toison ? S’appuyant sur cette tournure de phrase peu commune, le Talmud explique qu’elles utilisèrent une technique originale dans leur tissage. «C’était un art exceptionnel, car elles tissaient leur toison sur le dos de la chèvre (avant qu’il ne soit tondu)» (Chabbat 74b). Et pourquoi donc ne pratiquèrent-elles pas leur usage habituel et tissèrent-elles le poil alors qu’il poussait encore sur le dos des chèvres ? Rabbi Ovadia ben Yaakov Sforno, Rav et philosophe du XVIème siècle, explique que le poil de la chèvre perd de son lustre, une fois qu’il a été coupé. En brossant et tissant le poil, alors qu’il continuait à pousser, les femmes faisaient en sorte qu’il reste toujours aussi brillant. D.ieu ne leur avait pas demandé d’agir ainsi pour tisser les rideaux. Mais mues par leur propre sens esthétique, elles créèrent les rideaux de la manière la plus originale, pour embellir encore davantage le Sanctuaire. Le Rabbi ajoute une dimension supplémentaire à cette idée. Ces femmes, nous explique-t-il, ne considéraient pas leur contribution comme un don simple. Elles l’envisageaient comme un sacrifice pour D.ieu. Si elles possédaient un œil pour la création et une main pour le tissage, elles voulaient en faire un sacrifice pour D.ieu, en utilisant la main et l’œil, les outils dont elles avaient été dotées. Parmi les sacrifices offerts au Temple, se distinguaient deux catégories : les sacrifices animaux et les sacrifices d’aliments. Le sacrifice animal était le plus généreux, supérieur à celui d’aliments. Les femmes, qui considéraient leur contribution comme un sacrifice, voulaient qu’il appartienne à la meilleure des catégories, celle des sacrifices animaux. Mais elles apportaient des rideaux et non des animaux. Comment rendre vivants ces rideaux ? En «tissant la chèvre», en travaillant la toison sur le dos même de la chèvre, toujours nourrie par le corps de l’animal. Ainsi les rideaux pouvaient-ils être considérés comme un sacrifice vivant, tissés à partir de poils vivants. Quand nous envisageons nos talents comme les dons de D.ieu à notre âme, les cultiver devient alors impératif. En prendre conscience nous conduit à l’humilité. L’expression créatrice est un moyen dont dispose l’âme pour accomplir sa mission unique. Dans cette perspective, elle ne connaît donc plus aucune limite.
Qu’est-ce que la Matsa Chmourah ?
En hébreu, «Chmourah» signifie «gardée» et ce terme décrit parfaitement ce qu’est cette Matsa. La farine utilisée pour sa fabrication est gardée, protégée de tout contact avec de l’eau, depuis le moment de la moisson. En effet, si elle venait à être mouillée, elle pourrait lever et devenir impropre à la consommation pendant Pessa’h. Ces Matsot sont rondes, pétries à la main et ressemblent à celles que les enfants d’Israël consommèrent lorsqu’ils quittèrent l’Egypte. Elles sont cuites en moins de dix-huit minutes sous stricte surveillance rabbinique, afin de s’assurer qu’elles ne puissent en aucune façon augmenter de volume et devenir levain pendant la fabrication. La Matsa Chmourah doit être utilisée pendant les deux nuits du Séder, c’est-à-dire lundi soir 25 mars et mardi soir 26 mars 2013, en particulier pour les trois Matsot posées sur le plateau. Certains ont la coutume d’en consommer pendant toute la fête. Il n’est pas nécessaire d’avoir terminé son ménage de Pessa’h pour acheter les Matsot ; il suffira de les stocker à l’abri de tout ‘Hamets et de toute humidité. F. L.
Derniers chapitres
Il y a quelques mois, je me suis portée volontaire pour passer la nuit avec une femme placée en respiration artificielle dans un centre de soins palliatifs effroyablement appelé «derniers moments». Cette unité était - comme son nom l’indique - destinée aux patients qui, médicalement s’entend, n’avaient plus d’espoir que d’aller «en bas». C’était à la suite d’un appel que j’avais reçu du groupe local de Bikour ‘Holim, de visites aux malades. Le mari de cette dame refusait de laisser sa femme toute seule, m’expliqua-t-on, et il avait fait plusieurs malaises parce qu’il était épuisé. Cela faisait maintenant quatre mois qu’elle était tombée dans le coma et on recherchait des personnes qui pouvaient le remplacer au chevet de la malade. J’acceptai immédiatement, de peur que, si j’y réfléchissais à deux fois, je me découragerais. L’idée de passer toute une nuit avec une personne à cheval entre deux mondes me semblait redoutable au point que j’eus du mal à dormir la nuit précédente. Remplie de sentiments de compassion pour cette patiente, j’arrivai à l’hôpital, naïvement déterminée à entrer d’une manière ou d’une autre en contact avec elle, à la ramener à la conscience, ne serait-ce que pour un moment. A son chevet, je lus la portion de Tanya de ce jour et récitai quelques versets des Tehilim (Psaumes), persuadée que les lettres saintes la feraient émerger de son coma. J’avais apporté une petite boîte de Tsedaka que je plaçais à côté de son lit ; aux premières heures du jour, j’y mis quelques pièces en son mérite – une Mitsva dont on dit qu’elle sauve de la mort. Mais ce contact direct avec une réalité que je ne connaissais pas m’obligea à me poser quelques questions. Je commençais à m’interroger sur ce que j’avais appris et entendu à ce sujet : la Hala’ha (loi juive) défend absolument de mettre un terme à la vie ; elle encourage tous les efforts pour permettre un moment de vie supplémentaire même dans un cas comme celui-ci où toute forme de vie consciente semble impossible. N’y a-t-il pas des nuances à apporter à cette loi si stricte ? Peut-on vraiment nommer «vie» ce qui n’est pas encore la mort ? J’étais stupéfaite de constater que la patiente avait les yeux grands ouverts, des yeux qui bougeaient : «Juste des réflexes» commenta l’infirmière en haussant les épaules. Je regardai profondément dans ces yeux vides de toute expression, espérant observer un signe même minime de vitalité. Hélas, l’esprit ou l’âme que j’imaginais présent ne répondait à aucune de mes sollicitations. J’admirais les efforts prodigués par le personnel soignant pour s’occuper de cette dame inanimée depuis si longtemps. Toutes les deux heures, on la retournait pour empêcher la formation d’escarres ; on la nourrissait par des tuyaux plantés dans ses veines et on la lavait régulièrement. J’imaginais une femme autrefois soucieuse de sa dignité, peut-être coquette et élégante, qui n’était plus maintenant qu’un corps à la merci d’infirmières dévouées. J’en ressentais une profonde tristesse teintée d’un questionnement douloureux : à quoi tout cela servait-il ? J’admirais en même temps l’amour que continuait à lui porter son mari dans ces derniers moments, un homme qui tenait à ne pas l’abandonner quand tout semblait indiquer un total manque de vie consciente. Alors, oui, pour la première fois, je considérai de façon lucide et réaliste les arguments de ceux qui étaient régulièrement en contact avec ce genre d’expériences : pourquoi prolonger la vie quand tout semble fini ? Pour la première fois, je réalisais que les membres de la famille qui s’élèvent contre cet «acharnement thérapeutique» n’étaient pas obligatoirement égoïstes ou sans cœur mais étaient sans doute sincèrement motivés par le confort du malade et son désir de finir dignement ses jours sur terre. La semaine dernière, je reçus un autre coup de fil de la même dame de Bikour ‘Holim. Je me demandais avec angoisse que répondre si elle me demandait de répéter le même service : toute une nuit ou seulement quelques heures ? L’expérience avait été épuisante et m’avait semblé inutile. Ou peut-être m’annoncerait-elle l’heure de l’enterrement ? Mais je fus forcée de constater qu’après tout, nous ne pouvons jamais connaître avec certitude ce qui se passe dans l’esprit d’un être humain qui semble dénué de toute conscience de vie. Ce qui apparaît comme le dernier chapitre peut être – si on ne se hâte pas de tirer des conclusions simplistes – l’épisode le plus inattendu. Quand la personne est dans le coma, l’âme peut faire Techouva, retourner à D.ieu et prendre des bonnes résolutions – une possibilité que l’âme perd définitivement une fois qu’elle a quitté complètement le corps. Mais la dame de Bikour ‘Holim ne m’appelait pas pour me demander encore un service. A la demande du mari de la patiente, elle contactait toutes les personnes qui avaient donné de leur temps et de leurs prières pour les remercier encore une fois et pour leur annoncer que son épouse avait émergé de son coma. Baila Olidort – www.chabad.org Traduite par Feiga Lubecki