Semaine 42

  • Yom Kippour
Editorial

Poussons la porte

Yom Kippour. Il faut pousser la porte de la synagogue, n’importe laquelle. Bruissante de vie et d’émotion, pleine d’une ferveur que les murs ne peuvent retenir pas plus que les mots contenir, elle est, ce jour-là, un lieu différent. Au dehors, le tumulte du monde est plus puissant que jamais. Les hommes, entraînés dans un tourbillon sans fin, trop souvent en proie à l’angoisse diffuse d’un avenir incertain, s’épuisent en une course dont ils ont peine à percevoir le but. Mais, une fois la porte poussée, le vacarme s’éteint. Pourtant, la synagogue est loin d’être un lieu de silence. Ce qui y frappe d’abord, c’est sa solennité étrange. Le bruit y est présent comme une douce musique des âmes qui viendraient ainsi exprimer un lien renouvelé avec leur Créateur. Les mots échangés dépassent alors leur propre sens même si ceux qui les prononcent ne s’en rendent pas toujours compte. Tout se passe comme si c’était dans un autre univers qu’on entrait en cet instant, en cet endroit.

Peut-être est-ce bien de cela qu’il s’agit. Yom Kippour n’est-il pas ce grand rendez-vous d’automne où la vie apparaît comme s’étendant devant nous, tel un long fil d’or que l’œil suit pour en saisir la beauté et la perfection ? N’est-il pas ce moment où, justement parce que le monde a fait silence, il est enfin possible d’entendre la douce et infinie musique du cœur ? Le jour s’écoule avec majesté. Il déroule les cérémonies, écartant les fautes passées, marquant les engagements d’avenir, il fait retentir l’âme d’un écho divin. Le jour avance et la confiance absolue en D.ieu grandit. Chacun ressent, avec une intensité profonde, que le pardon est au bout du chemin. Chacun comprend confusément que le Créateur ne désire rien tant que donner la vie à Ses créatures, tel le Père qui, en dépit de tout, ne renonce jamais à l’amour qu’Il porte à Ses enfants.

Puis vient l’instant précieux où, au crépuscule, l’homme, en-bas, retient les Portes du Ciel. Qu’elles ne se ferment pas encore ! Qu’elles laissent entrer les dernières paroles, les dernières prières ! Que, dans la grandeur de l’instant, retentisse l’annonce éternelle : « J’ai pardonné ! » Le Choffar retentit, comme une sonnerie de victoire. Alors, chacun sait, de manière incontestable, que l’année sera bonne et douce, qu’elle sera celle de toutes les bénédictions et que rien de tout cela n’est un rêve mais bien la réalité que l’homme peut créer en un jour particulier.

Et tout cela a commencé par une porte que l’on poussait… Porte de la synagogue, porte du cœur, porte de la Délivrance… C’est au-delà de la porte que, décidément, demain commence.

Etincelles de Machiah

Etincelles

Que nous n’ayons pas honte

Quand le Machia’h viendra et que D.ieu Se révèlera, chacun éprouvera la plus grande honte pour le temps où ce monde aura existé avant cette révélation nouvelle. En effet, l’homme y vit, plongé dans une grossièreté matérielle qui le laisse croire qu’il constitue une entité autonome par rapport à la Divinité et lui interdit la conscience de la réalité.

C’est pour cette raison que nous demandons dans la prière : «Et que nous n’ayons pas honte… pour l’éternité».
(D’après Séfer Hamaamarim 5680, p.130)

Vivre avec la Paracha

Yom Kippour


Dans un petit village du fonds de l’Europe Centrale, à plusieurs heures de la plus proche communauté, vivait une famille juive. Une fois par an, pour Yom Kippour, toute la famille faisait le long voyage jusqu’à la ville pour pouvoir prier à la synagogue.
Une année, la veille de Yom Kippour, le père de famille se leva aux aurores et se prépara pour le voyage. Mais ses fils, moins empressés que lui, ne se levaient pas. Impatient de prendre la route, le père dit à sa famille : «Ecoutez, je commence la route à pieds pendant que vous vous préparez. Je vous attendrai sous le grand chêne, au carrefour.»
Marchant d’un pas allègre, le villageois arriva bientôt à l’arbre et s’étendit à son ombre pour attendre la charrette familiale. Epuisé après des jours de travail harassant, il s’endormit. Pendant ce temps, sa famille avait chargé la charrette et avait pris la route. Mais dans l’excitation du voyage, ils oublièrent leur vieux père et passèrent le carrefour sans prendre gare à la silhouette endormie.

Quand le villageois se réveilla, le soir était tombé. A de nombreux kilomètres de là, les prières du Kol Nidré avaient commencé dans la synagogue de la ville. Levant ses yeux au ciel, le vieil homme pleura : «Maître de l’Univers ! Mes enfants m’ont oublié. Mais ce sont mes enfants, alors je leur pardonne. Toi aussi, Tu dois faire de même avec ceux de Tes enfants qui T’ont abandonné…»

Histoire racontée par la grand-mère du Rabbi, la Rabbanit Rivkah Schneersohn

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Le Maggid de Koznitz disait : «A Yom Kippour, pourquoi voudrait-on manger ?». Le Tsaddik sentait si puissamment la sainteté du jour que l’envie de manger ne l’effleurait même pas. Il s’élevait au dessus du monde matériel et était complètement absorbé dans la spiritualité.

Il est évident que cette expérience n’est pas, loin s’en faut, celle que la plupart d’entre nous vivons. Mais en même temps, c’est quelque chose que nous pouvons comprendre. Après tout, n’avons-nous pas entendu parler de ces mathématiciens ou scientifiques tellement absorbés par leurs recherches qu’ils en oublient de manger ou de dormir ?

Le jour de Yom Kippour, ce dans quoi nous sommes impliqués est bien plus stimulant qu’un problème de sciences ou de mathématiques. Yom Kippour est le jour le plus saint de l’année. C’est le jour où le Grand Prêtre pénétrait dans le Saint des Saints, dans le Beth Hamikdach, le Temple de Jérusalem, et entrait en relation directe avec D.ieu. Il n’y avait rien d’autre là que lui et la présence révélée de D.ieu.

Dans le microcosme que représente l’individu, cette expérience est vécue par chaque Juif, le jour de Yom Kippour. C’est le cœur du service de Néilah, la dernière des prières de Yom Kippour. «Néilah» signifie «enfermé», seul avec D.ieu. Chaque personne bénéficie de ce moment privilégié pour se retrouver seule avec Lui.
Pouvons-nous consciemment ressentir ce privilège ? Il est sûr que ce qui se passe dans chaque coeur est différent, mais en ce jour, chaque individu ressent une inspiration spirituelle, chacun à sa façon. Il se rapproche de D.ieu et prend une conscience plus aiguë de ses racines juives.

Cela dépend du moment. Tout comme certains spectacles de la nature ou certains événements peuvent faire naître en nous des sentiments de beauté ou de crainte, Yom Kippour est un jour créé pour éveiller en nous une inspiration spirituelle. Au cœur de notre être, sous le «moi» avec lequel nous accomplissons nos expériences quotidiennes ordinaires, chacun d’entre nous possède une âme qui est «une partie véritable de D.ieu». Et à Yom Kippour, la nature du jour a pour effet que se révèle cette quintessence qui est en nous, et qu’elle se manifeste dans notre expérience consciente.

C’est la raison pour laquelle, à Yom Kippour, nous récitons des prières où nous confessons nos fautes. C’est comme un couple qui entre dans un processus de réconciliation. S’ils ont senti un moment de distanciation et de séparation, et puis qu’ils se rapprochent à nouveau l’un de l’autre, ils vont se regarder et dire qu’ils regrettent. Cela n’a rien à voir avec un aveu de culpabilité; c’est une réponse naturelle quand on a heurté quelqu’un que l’on aime.
Et le couple promet de changer sa conduite dans le futur, de se détourner de ce qui a causé de la peine à l’autre et de faire davantage de ces choses qui le rendent heureux.
Voilà ce dont parlent nos prières à Yom Kippour : se rapprocher de D.ieu, dire pardon parce que nous Lui avons causé de la peine et Lui promettre que l’année suivante nous essaierons de faire mieux.
Car Yom Kippour n’est pas conçu pour être un événement spirituel isolé. Bien qu’il soit unique dans sa sainteté, le but est que cette influence qui nous a élevés à Yom Kippour inspire des changements dans notre conduite durant toute l’année. A Yom Kippour, nous devons penser à ce qui va se passer après, à la manière de faire en sorte que les sentiments et les élans spirituels de ce jour nous inspirent pour nous permettre de vivre une vie meilleure et plus accomplie dans l’année à venir.

Le cycle du pardon

Le fait que nous soyons nés signifie que D.ieu nous dit : «vous êtes importants». Nous avons une contribution indispensable à faire au monde. Puisqu’elle est essentielle, rien ne peut nous empêcher d’atteindre le but pour lequel nous avons été créés. D.ieu nous donne les ressources pour surmonter toutes les souffrances et les obstacles, pour guérir chaque blessure et chaque injure.
L’aptitude à pardonner est l’une de ces ressources que D.ieu nous a octroyées. Mais c’est à nous de l’utiliser. Le pardon se dit en hébreu «Mé’hila» ce qui le relie avec la racine du mot «Ma’houl», un cercle. La vie a pour dessein d’être un cercle qui englobe toutes nos expériences et nos relations en un ensemble harmonieux et sans défaut. Quand quelqu’un nous fait du mal, le cercle est brisé. Le pardon est la manière de réparer cette brisure.
Le pardon ne signifie pas seulement pardonner la personne qui nous a blessés mais aussi nous pardonner à nous-mêmes, pardonner à D.ieu, pardonner à la vie elle-même avec ses détours étranges et cruels.
Pardonner c’est laisser passer et construire la confiance nécessaire pour aller de l’avant, sainement et positivement. C’est déclarer que nous ne restons plus enfermés dans le passé en victimes des circonstances ; que nous n’allons plus perpétuer des modes de vie négatifs par le blâme et la colère ; qu’au lieu de cela, nous allons accéder à la force et l’amour que D.ieu nous donne jour après jour, instant après instant, pour accomplir le but unique et singulier pour lequel nous, et seulement nous, avons été créés.
Le pardon requiert du travail. Mais, plus que tout, il requiert un lien avec D.ieu, Celui Qui donne la vie. Quand nous nous rappelons que notre naissance est la manière de D.ieu de nous dire que nous sommes importants, que nous sommes irremplaçables et essentiels dans la perfection du monde de D.ieu, alors nous pouvons nous élever au-dessus de la souffrance qui nous a été infligée par autrui et trouver l’amour et la force de pardonner à la fois aux autres et à nous-mêmes.
Quand nous pardonnons, le cercle est à nouveau entier et nous nous trouvons embrassés dans l’ensemble de la création de D.ieu et sentons que nous en faisons partie intégrante. Quand nous pardonnons, nous prenons le contrôle de notre vie plutôt qu’en être les victimes.

Le Coin de la Halacha

Le coin de la Hala’ha

Que fait-on à Yom Kippour (cette année jeudi 13 octobre 2005) ?

Dans la semaine qui précède Yom Kippour, on procède aux «Kapparot» : on fait tourner autour de sa tête trois fois un poulet vivant (ou un poisson, ou une somme d’argent multiple de 18) en récitant les versets traditionnels ; puis on donne le poulet (ou le poisson ou la valeur monétaire) à une institution charitable.
La veille de Yom Kippour (cette année mercredi 12 octobre 2005), on a coutume de demander au responsable de la synagogue du gâteau au miel, symbole d’une bonne et douce année. Il est d’usage que les hommes se trempent au Mikvé (bain rituel), si possible avant la prière de Min’ha. On met les vêtements de Chabbat. Après la prière de Min’ha, on fait un repas de fête, sans poisson, ni viande, mais avec du poulet. Après le repas, les parents bénissent les enfants et leur souhaitent d’aller toujours dans le droit chemin.
Après avoir mis des pièces à la Tsédaka, les femmes mariées allument au moins deux bougies avant 18h 48, horaire de Paris (les jeunes filles et petites filles allument une bougie) et récitent les deux bénédictions suivantes :

1) Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chel Yom Hakipourime.
Béni sois-Tu, Eternel, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses Commandements et nous as ordonné d’allumer la lumière de Yom Kippour.

2) Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vékiyémanou Véhigianou Lizmane Hazé.
Béni sois-Tu, Eternel, Roi du monde qui nous as fait vivre, qui nous as maintenus et nous as fait parvenir à ce moment.

Il est d’usage d’allumer également une bougie qui dure au moins vingt-cinq heures et sur laquelle on récitera la bénédiction de la «Havdala» à la fin de la fête. On allume aussi des bougies de vingt-cinq heures à la mémoire des parents disparus.
On enlève les chaussures en cuir et on met des chaussures en toile ou en plastique. Les hommes mariés mettent le grand Talit et le «Kittel» (vêtement rituel blanc).
Tout Yom Kippour, on récite la deuxième phrase du Chema Israël («Barou’h Chem…») à voix haute. Il est interdit de manger, de boire, de s’enduire de crèmes ou pommades, de mettre des chaussures en cuir, d’avoir des relations conjugales et de se laver (sauf si on s’est sali ; de même, on se lave les mains pour des raisons d’hygiène). On passe la journée à la synagogue.
Les malades demanderont à un médecin et à un Rabbin s’ils doivent jeûner ou non.
A la fin du jeûne, on écoute la sonnerie du Choffar.

Après Yom Kippour, on se souhaite mutuellement «Hag Saméa’h». Si possible, on prononce la bénédiction de la lune. On fait la prière de la Havdala après 19h 53, horaire de Paris. Durant le repas qui suit le jeûne, il est d’usage de parler de la construction de la Souccah et, si possible, on construit effectivement la Souccah tout de suite après le repas.

F. L.

De Recit de la Semaine

Histoire

«Tu reviendras !»

Neuf réservistes israéliens dans le désert du Sinaï, près d’un fortin situé au bord du Canal de Suez. Bien préparés, ils avaient un moral de fer.
«Itzik, je rentre à la cuisine ! Ces mouches me rendent fou !»
Je quittai Itzik et m’abritai à l’ombre près de la cuisine. Les insectes me rendaient la vie impossible.
Au bout d’un quart d’heure, un cri déchira le silence ; Itzik hurlait de façon hystérique : les Egyptiens avaient commencé à attaquer. Puis il se tut… pour toujours.
Les mouches m’avaient sauvé la vie !

* * *

Yom Kippour 1973 : nul n’aurait imaginé que la guerre éclaterait en ce jour saint. Itzik devait être le premier de notre groupe à trouver la mort. Soudain, nous avions compris ce qui arrivait et nous devions très vite nous adapter à la situation. Le désespoir de notre part n’aurait pu que renforcer nos ennemis.
Notre commandant, Tsion, nous disposa en position défensive et, entre les différentes attaques aériennes, nous sortions de nos abris pour arranger les sacs de sable. Nous tentions de contacter le haut commandement, mais il n’y avait pas de réponse. Le problème semblait sérieux : nous n’étions plus que huit soldats, et notre position n’était pas vraiment stratégique.
Par la radio, nous entendions des conversations entre des officiers et des soldats sur le front. Au début, le ton restait calme mais vers le soir, les soldats donnaient des signes de fatigue et d’angoisse. On les entendait crier sur les ondes. Le cœur lourd, nous réalisions la gravité des combats.
Rassemblés dans l’abri central, nous avons récupéré le corps d’Itzik, l’avons enveloppé dans une couverture et placé juste à l’extérieur du bunker : «Quoi qu’il arrive, même si nous sommes faits prisonniers, jura Tsion, nous n’abandonnerons pas le corps d’Itzik !»
Bien que je ne fus pas issu d’une famille religieuse, je jeûnais ce Yom Kippour. Mais l’angoisse me faisait oublier la faim. Je plaçais des munitions près de la tranchée, au nord : en cas d’attaque, j’étais supposé courir là-bas et faire feu au nord et à l’ouest.
La nuit tomba, une nuit terrible qui devait rester gravée à jamais dans mon esprit. Nous avions entendu que les Egyptiens avaient brisé toutes nos lignes de défense et avaient pénétré dans le désert du Sinaï. Les souvenirs défilaient : la maison, Papa, Maman, la famille… Que faisaient-ils maintenant ? Certainement ils pensaient à moi, s’inquiétaient et à juste titre ! Les reverrai-je un jour ? Peut-être eux me reverraient-ils mais je ne les verrai pas…
Les bruits des explosions se rapprochaient : les Egyptiens se dirigeaient vers notre fortin.
Recroquevillés dans notre bunker, nous entendions cependant les explosions assourdissantes. La tension montait et le guetteur avertit que les véhicules égyptiens n’étaient plus qu’à un kilomètre de notre position. Il était évident que ce serait eux ou nous…
Tsion ordonna de ne tirer que lorsque nous les verrions distinctement. Il fallait tirer sur eux sans arrêt, moi à droite et eux à gauche, pour donner l’impression que nous étions nombreux : ils ne devaient pas comprendre que nous n’étions que huit ! A son signal, nous avons commencé à tirer sans nous arrêter : j’abattis trois soldats dès le début, y compris un officier. Du coin de l’œil, je voyais qu’Alon, l’autre artilleur, se débrouillait bien, lui aussi. En peu de temps, nous avons réussi à neutraliser quatre half-tracks.
Mais les tirs égyptiens se faisaient de plus en plus précis.
«Chmulik !»
Il avait été touché, il était tombé.
Le moral commençait à flancher. Même Tsion, notre commandant, fut touché. Nous n’étions plus que six, un tiers d’entre nous était tombé ! Je me mis à prier : «D.ieu ! Aide-nous !»
Nous avons combattu comme des lions durant la nuit. Nous n’étions plus que quatre : nous avons décidé de nous rendre. A cinq heures du matin, nous avons rangé les corps de nos amis et j’ai attaché un papier sur chacun d’entre eux avec leurs noms pour qu’ils puissent être identifiés.
Je savais que l’avenir n’était pas rose mais je ne pleurais pas : je n’avais plus de larmes.
Nadav fut le premier à sortir, les bras en l’air. Les deux autres le suivirent. Je restai à l’arrière, le doigt sur le fusil au cas où les Egyptiens oseraient attaquer des hommes prêts à se rendre. Je savais que je n’avais plus que deux minutes de liberté.
Soudain, deux personnes apparurent devant moi. Je me pinçai pour être sûr que je n’étais pas en proie à une hallucination. Non, c’était deux hommes réels dont les visages rayonnants étaient ornés d’une barbe majestueuse. Ils me regardèrent et s’approchèrent de moi.
Je surveillai les Egyptiens et il y avait ces deux hommes. Que se passait-il ?
L’un d’entre eux me dit : «Ne t’inquiète pas ! Tu seras fait prisonnier, mais tu seras libéré et tu reviendras sain et sauf. Dis-le à tes camarades !»
Je n’avais jamais entendu auparavant une voix aussi calme. J’étais surtout hypnotisé par ces yeux si pénétrants, ce regard qui transmettait des torrents de bénédictions.
«Qui êtes-vous ? demandai-je. Et comment savez-vous que nous reviendrons ?»
«S’il le faut, répondit-il, je viendrai personnellement vous sauver !»
«Et comment le ferez-vous ?»
Le vieil homme ne répondit pas. Il s’approcha encore d’un pas, posa sa main sur ma tête et ferma les yeux.
Tout ceci n’avait pris que quelques secondes mais m’avait semblé durer une éternité. Soudain, les deux hommes semblèrent très lointains et disparurent à l’horizon. J’étais stupéfait par ce qui venait de m’arriver. Même quand les Egyptiens firent irruption dans le bunker et me passèrent les menottes, tout en braquant leurs fusils sur mon dos, je ne pouvais oublier ce regard.
Sept mois passèrent. Sept mois d’enfer, de tortures, d’interrogatoires «musclés», d’humiliations quotidiennes. A chaque instant de répit, je pensais à ma famille et je me souvenais de ce regard. Qui était cet homme ? Peut-être mon grand-père, revenu du Paradis ? Mais non : il n’y avait aucune ressemblance.
Je me persuadai que j’avais été victime d’une hallucination.

* * *

Dans l’avion ! Nous étions libérés. On nous attendait à l’aéroport Ben Gourion. Pour la première fois depuis Yom Kippour, j’avais les larmes aux yeux.
A l’aéroport, il y avait quelques autres prisonniers et de nombreux corps. Le bruit était intense, les gens couraient à droite, à gauche quand soudain j’aperçus trois Juifs religieux qui distribuaient boissons et biscuits à qui voulait : «Le’haïm !» «A la vie !» crièrent-ils joyeusement tout en suggérant à chacun de mettre les Téfilines.
Je ressentis le besoin de me diriger vers eux et soudain une brochure posée sur la table attira mon regard : c’était la photo du Rabbi, Rabbi Mena’hem Mendel Schneersohn de Loubavitch !
Je n’en croyais pas mes yeux. Je l’avais vu ! Oui ! C’était le même regard pénétrant, les mêmes yeux qui perçaient à travers vous, mais étaient en même temps remplis de bonté. Ces yeux qui me regardaient comme pour me dire : «Je t’avais promis que tu reviendrais !»

Traduit par Feiga Lubecki

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